Bajazet

Bajazet

 

VII, 13

 

2008-2009

 

De la cité marine et tributaire

La tête raze prendra la satrapie

Chasser sordide qui puis sera contraire

Par quatorze ans tiendra la tyrannie.

 

Satrape

 

Un humaniste distingué, le Bénédictin Ludovik Crijevic ou Louis Cervinus ou Cervarius, plus connu sous le nom de Taberon, Tubero ou Tuberone, qu'il portait comme membre d'une société littéraire de Paris, né à Raguse en 1459, mort en 1527, a écrit, en bon latin et avec beaucoup de franchise, des Mémoires de son temps en onze livres, très-utiles pour la connaissance de l'histoire des Turcs, d'Hongrie, de Dalmatie et d'Italie (Maximilien-Samson-Frédéric Schoell, Cours d'histoire des états européens, depuis le bouleversement de l'Empire romain d'Occident jusqu'en 1789, Tome XXII, 1832 - books.google.fr).

 

A part of his work that presents detailed description of the Ottoman Empire was first published in 1590 in Florence. It was titled "Commentary on the origin, customs and history of the Turks" (Latin: De Turcarum origine, moribus et rebus gestis commentarius) (en.wikipedia.org - Ludovicus Tubero).

 

Au cours de son exposé, après avoir fait une très brève référence aux Croisades et aux conquêtes successives en Asie Mineure, Tuberon parle de la formation des émirats au moment où Osman Ier commence sa conquête. [...] Il est probable que par l'expression «regia Hunchariorium proles» il fait allusion à la dynastie seldjoukide de Konya, mais qui est l'émir «Molius» dont il parle - écrit aussi «Mollius» un peu plus haut, ou bien «Mollius Huncharius» -, est assez difficile de dire. Nous savons que le dernier sultan seldjoukide fut Ala-ud-Din Kaykobâd III (1297-1307), mais on ne trouve pas dans la liste des monarques seldjoukides aucun nom qu'on pourrait rapprocher, même de loin, au nom donné par Tuberon. Je me demande plutót si dans ce cas il ne faudrait pas lire «Moglus», c'est-à-dire Mogul, l'auteur entendant faire allusion à la conquête de l'Anatolie par Hulagu, neveu de Gengis Khan (vers 1258), ou bien «Oghlus», c'est-à-dire Karaman Oghlu, gouverneur de Caramania, qui vers 1300 avait assumé le gouvernement de presque tous les territoires seldjoukides. Certes, il est en effet curieux de constater que Tuberon dénomme «Huncharia» cette dynastie seldjoukide; peut-être pour la distinguer de celle qu'il considère plus proprement «turque», c'est-à-dire la dynastie ottomane. Quoi qu'il soit, la liste émirats turcs issus de l'effondrement de la dynastie seldjokide de Rum apparaît assez précise. Presque tous prirent le nom de leurs fondateurs: Othman, Saruchan, Aydin, Mentese et Karaman, sauf Germiyan, qui prit le nom de sa capitale. Parmi ces émirs, demeure un peu incertain le nom «Hermenes», duquel, affirme Tuberon, descendraient les «Halladolii»: il s'agit probablement de l'émirat de Hâmid continué ensuite par Ala-ud-Din, gendre de Orchan, même après sa défaite avec Bayazid Ier en 1386. Autre inexactitude dans laquelle est tombé Tuberon concerne la "satrapie" d'Osman Ier : en réalité ce ne fut pas Osman Ier, mais Ertoghroul, père d'Osman, qui reçut le fief dans la région de Sôgùd du sultan seldjoukide Ala_ud-Din Kaykobâd Ier (1219-1237); la forteresse de Dorileo (Yeni Chéhir) fut par contre conquise par Osman en 1290, et cette cité ne peut être la même que la cité d'Othmândjik, bien que pas très éloignée de celle-là. On ne peut pas affirmer que même pour le reste l'essai de Tuberon sur les sultans ottomans, d'Osman Ier à Sélim Ier soit exempt d'erreurs, d'inexactitudes parfois graves, de confusions, d'indications très vagues et de légendes. Il rappelle, par par exemple, un sultan inexistant «Hysladimirus», entre Mehmet Ier et Mourad II; il raconte la légende connue de Bayazid Ier qui, après la défaite subie dans le combat contre Timur-Lenk (Tamerlan), aurait été lié a la table de son vainqueur et obligé de ronger des os comme un chien; il indique de façon erronée dans la succession des des sultans, Bayazid Ier (1389-1403), «Musia», c'est-à-dire Mûsa Celebi (1411-1413), ensuite peu après, Bayazid II (1481- 1512), pour revenir de nouveau à Mehmed Ier (1413-1421), au supposé «Hysladimirus», a Mourad II (1421-1451) à Mehmet II (1444-1481), et à «Baiazethis fìlius», c'est-à-dire à Sélim Ier (1512- 1519) 135; il exalte l'épisode légendaire de la mort de Mourad Pr dans la bataille du champ de Kosovo (1389) - mais dans Tuberon il est appelé Bayazid II - tué par le héros Milos Obilié (appelé en latin «Milon» dans Tuberon), gendre de Lazzaro Hrébéljanovic, se faisant l'écho de la tradition épique serbe; il intercalle des sentences de tout genre, selon le modèle de ses «auctores» classiques (Salluste et Tacite), souvent mal à propos, ou pour exprimer sa froideur envers les Byzantins. [...] Ce qui frappe toutefois dans ce livre des Commentarti de Tuberon c'est l'admiration notable qu'il manifeste à l'égard des Turcs de son temps (Agostino Pertusi, Premières études en Occident sur l'origine et la puissance des Turcs, Bisanzio e i Turchi nella cultura del Rinascimento e del Barocco: tre saggi di Agostino Pertusi, 2004 - books.google.fr).

 

Mépris de Manuel II pour Bajazet, "satrape roué et impudent", P.G. 156, col 128, 132. (Michel Balivet, Romanie byzantine et pays de Rûm Turc: histoire d'un espace d'imbrication gréco-turque, 1994 - books.google.fr).

 

"quatorze ans"

 

Bayezid Ier, en français Bajazet, est un sultan ottoman né vers 1360. Il succéda à son père Mourad Ier en 1389 après la mort de ce dernier à la bataille de Kosovo, en se débarrassant immédiatement de son frère Yakub Çelebi. Il conclut avec Milica (veuve du prince serbe Lazar Hrebeljanovic tué lui aussi) et les dignitaires de l'Église serbe un traité laissant à la Serbie une large autonomie. Il épousa la fille de Lazar, Olivera Despina. Stefan Lazarevic, fils de Lazar, devenu son beau-frère et vassal, devait assurer sa victoire contre les armées chrétiennes à la bataille de Nicopolis en 1396. Entre 1389 et 1395, Bayezid conquit la Bulgarie et le Nord de la Grèce.

 

Dès 1389, les princes turcs de l'Anatolie, notamment ceux des deux grands émirats de Germiyan (région centre-ouest de l'Anatolie, autour de Kütahya) et de Karaman, commencèrent à s'opposer à la dynastie ottomane. En 1390, Bayezid parvint, grâce à la dot de son mariage avec la princesse Devlet de Germiyan, à annexer le vaste territoire des princes de Germiyan. Puis, Bayezid arriva en Anatolie avec des troupes serbes et conquit l'émirat de Karaman en 1397.

 

Son caractère emporté et la rapidité de ses décisions lui valurent son surnom de la «Foudre». Lorsque Bajazet devra affronter Tamerlan à Ankara, toutes ses forces réunies n'atteindront pas 100000 combattants. Fait prisonnier par Tamerlan en 1402, il mourut en captivité en 1403.

 

Les Auteurs de l'Histoire des Turcs rapportent cette expédition & la défaite de Bajazet à l'an de l'Hegire 804 qui tombe en l'an de grâce 1401, & assurent que Bajazet régna quatorze ans, & Tamerlan quarante (fr.wikipedia.org - Bajazet Ier, Ruy González de Clavijo, La Route de Samarkand au temps de Tamerlan: relation du voyage de l'ambassade de Castille à la cour de Timour Beg, traduit par Lucien Kehren, 1990 - books.google.fr, Denis Petau, Abrégé Chronologique De L'Histoire Universelle, Tome 2, 1683 - books.google.fr).

 

Teste raze

 

Les Turcs portent tous la teste raze selon le commendement de leur loy (Les voyages du Sr. de Villamont. Voy le contenu d'iceux en la page suyuante, 1604 - books.google.fr).

 

Ainsi que le rappelle Louis Schlosser (La Vie de Nostradamus, Belfond, p. 95).

 

"cité marine et tributaire" : Constantinople

 

La honte & l'abaissement des Empereurs Grecs furent à leur comble. Andronic, ce malheureux fils de Jean Paléologue, à qui son père avait crevé les yeux, s'enfuit vers Bajazet, & implore sa protection contre son père & contre Manuel son frère. Bajazet lui donne quatre mille chevaux; & les Génois toujours Maîtres de Galata l'assistent d'hommes & d'argent. Andronic avec les Turcs & les Génois, se rend Maître de Constantinople, & enferme son père. Le père au bout de deux ans reprend la pourpre, & fait élever une citadelle près de Galata, pour arrêter Bajazet, qui déja projettait le siège de la ville Impériale. Bajazet lui ordonne de démolir la citadelle, & de recevoir un Cadi Turc dans la ville pour y juger les Marchands Turcs qui y étaient domiciliés. L'Empereur obéit. Cependant Bajazet laissant derrière lui Constantinople comme une proie sur laquelle il devait retomber, s'avance au milieu de la Hongrie. C'est là qu'il défait, comme je l'ai déjà dit, l'armée Chrétienne, & ces braves Français commandés par l'Empereur d'Occident Sigismond. Les Français avant la bataille avaient tué leurs prisonniers Turcs : ainsi on ne doit pas s'étonner que Bajazet après sa victoire eût fait à son tour égorger les Français, qui lui avaient donné ce cruel exemple. Il n'en réserva que vingt-cinq Chevaliers, parmi lesquels était le Comte de Nevers depuis Duc de Bourgogne, auquel il dit en recevant sa rançon; Je pourrais t'obliger à faire ferment de ne plus t'armer contre moi; mais je méprise tes fermens & tes armes. Ce Duc de Bourgogne était ce même Jean sans peur, assassin du Duc d'Orléans, assassiné depuis par Charles VII. Et nous nous vantons d'être plus humains que les Turcs ! Après cette défaite, Manuel, qui était devenu Empereur de la ville de Constantinople, court chez les Rois de l'Europe comme son père. Il vient en France chercher de vains secours. On ne pouvait prendre un tems moins propice. C'était celui de la frénésie de Charles VI & des désolations de la France. Manuel Paléologue resta deux ans entiers à Paris, tandis que la capitale des Chrétiens d'Orient était bloquée par les Turcs. Enfin le siège est formé, & sa perte semblait certaine, lorsqu'elle fut différée par un de ces grands événemens qui bouleversent le Monde. La puissance des Tartares Mogols, de laquelle nous avons vû l'origine, dominait du Volga aux frontières de la Chine, & au Gange. Tamerlan, l'un de ces Princes Tartares, sauva Constantinople en attaquant Bajazet (Voltaire, Essay sur l'histoire générale, et sur les mÅ“urs et l'esprit des nations: depuis Charlemagne jusqu'a nos jours, Tome II, 1761 - books.google.fr).

 

Dès le règne de Bayezid Ier (Bajazet, 1389-1402), l'empereur byzantin n'est plus qu'un tributaire des Ottomans et l'empire n'assiste plus qu'en spectateur à une conquête où succombent ses anciens rivaux, Bulgarie puis Serbie. L'Occident observe presque sans réaction les derniers soubresauts de Byzance (Alain Ducellier, La conquête de Byzance par les Turcs, L'Histoire, Numéro 35, 1981 - books.google.fr).

 

Le 17 septembre 1390, Manuel II Paléologue, aidé par les Hospitaliers de Rhodes, mit fin au règne éphémère de son neveu Jean VII, fils d'Andronic IV (1390. N. 14 - IX. 17) Puis, fidèle à la collaboration gréco-turque, que son père, Jean V, pratiquait depuis 1373 au moins, et lui-même depuis la fin de l'année 1387, il alla faire hommage à son suzerain, Bajazet Ier, émir des Turcs Ottomans (Raymond-Joseph Loenertz, Un erreur singulière de Laonic Chalcocondyle, Byzantina et Franco-Graeca: articles parus de 1935 à 1966, Volume 1, 1970 - books.google.fr).

 

Constantinople reste tributaire et n’est donc pas encore annexée par les Turcs sous Bajazet Ier.

 

"sordide" : Caramanie (Cf. quatrain III, 90 – 1770-1771)

 

Les ennemis immédiats de l'empire ottoman étaient, à l'Est, les Persans, les Arméniens, les Juifs, les Chevaliers de Rhodes, la principauté seldjoucide de la Caramanie (Konieh, Kaisarieh); à l'Ouest, les Hongrois. La supériorité militaire des Turcs éclatait; un prestigieux esprit d'égalité compensait, aux yeux des observateurs, - qui renseignaient l'opinion, - le fanatisme insolent des guerriers, les ambitions hyperboliques des courtisans : des vizirs étaient d'anciens esclaves. Sauf la France, - et l'Angleterre, relativement, - aucune nation d'Europe n'était alors capable d'égaler sur un champ de bataille l'ordre, la discipline et l'«armement» des Turcs, et c'était une grave préoccupation. Les Chrétiens que les Les Chrétiens que les Hongrois auraient pu ranger autour d'eux en croisade nouvelle, pour «chasser le Musulman», étaient intimidés; on considérait la perte de Jérusalem comme la juste vengeance d'un Dieu courroucé : «Nostre site Diex Jhesu Cris, écrivaient Ernoul et Bernard, avoit trop vu le pécié et l'ordure qu'ils [les Chrétiens] faisoient en la cité où il fut crucefiiès et espandu son sang... ce qu'il ne pot plus souffrir». Les Turcs cependant tendaient à se rapprocher des Européens, non sans droit; des poètes et des écrivains les assimilaient en partie aux Slaves, — Turks, Mogols, Slaves et Tchinois «quasi frères». Leur droiture les caractérisait; on retrouvait en eux cette noblesse chevaleresque, cette «dignité» que les Arabes d'Orient avaient perdue au contact des Juifs. Ignorant la féodalité, leur domination était plutôt rassurante; elle réalisait la monarchie aryenne (Marius Fontane, Histoire universelle, Volume 14, 1910 - books.google.fr).

 

Caraman-Ogli, ayant appris la défaite des Turcs en Moldavie, avoit cru l'occasion favorable d'opprimer son beau-frere Bajazet, qu'il croyoit retenu pour long-tems en Europe, & s'étoit jetté fur ses états avec toutes ses forces. Après avoir fait un butin considérable, & porté le fer & la flamme jusqu'au cœur de l'empire Ottoman, il avoit mis le siège devant Kutahia, ville importante qu'il se flattoit de réduire; mais Bajazet ne lui en donna pas le tems. A la tête d'une  armée nombreuse, paroît sur ces entrefaites. On n'avoit garde de le croire si proche. La terreur s'empare des troupes de Caraman; elles font dispersées, comme la poussière par un tourbillon rapide. Caraman-Ogli tâche en vain de gagner son royaume, il est arrêté dans fa fuite avec ses deux fils. Bajazet lui fait aussi-tòt trancher la tête, & condamne les princes à finir leurs jours en prison. Par cette expédition vigoureuse, la Caramanie passe sous la puissance des Ottomans (Jean-François de La Croix, Abrégé chronologique de l'histoire ottomane, 1768 - books.google.fr).

 

L'arrivée de Tamerlan avait rendu aux Grecs l'espoir de vivre : le jour du châtiment était venu pour Bajazet. Le grand-khan n'ayant rien obtenu, reparut dans la Natolie (1402), et s'approcha d'Angora (Ancyre) avec huit cent mille Barbares que les Byzantins comparent à l'armée de Xerxes. Bajazet amenait d'autre part cent vingt-mille hommes, parmi lesquels dix-huit mille Tartares et dix mille Serviens; il affectait un grand dédain pour Tamerlan (1402). Il prit position près d'un fleuve, et, voyant au contraire l'ennemi dans une plaine sèche et aride, il fit publier dans toute son armée l'ordre d'une chasse générale pour le lendemain et les deux jours suivans ; mais tandis qu'il se livrait à ce plaisir, Tamerlan changea de place et occupa la position des Turcs près du fleuve. Ce premier échec n'abattit pas l'assurance de Bajazet, on lui conseillait de ne pas livrer bataille et d'épuiser lentement ses ennemis jusqu'au dernier; il repoussa le conseil. Son armée, mal payée, murmurait, les auxiliaires surtout : il ne put se résoudre à entamer ses trésors pour acheter une victoire dont il ne doutait pas. Tamerlan rangea enfin les siens et leur ordonna d'attaquer en silence. Bajazet se mit à rire et chargea d'injures ces hommes qui lui semblaient lâches parce qu'ils ne criaient pas. Cependant un chef seldjoucide, qui servait à contre-coeur dans l'armée ottomane, apercevant son frère parmi les soldats de Tamerlan, fit défection avec cinq cents hommes et son drapeau. En un instant, il fut suivi des Seldjoucides de Mentesche, de Ssarou et de Karamanie. Bajazet, étonné, commença de craindre, lorsque la longue multitude des Mongols se déploya en demi-cercle, et bientôt poussa en avant ses deux ailes aux deux côtés de l'armée ottomane, pour se refermer derrière elle. Le Servien Etienne V, qui combattait pour Bajazet, son seigneur et son beau-frère, ne put supporter l'affront d'être entouré et de se rendre, s'il ne voulait pas mourir. Il fait irruption sur les Mongols avec tant d'impétuosité, qu'il les rompt et s'ouvre un passage. Alors, revenant sur ses pas, il les rompt une seconde fois malgré leur profondeur, et s'approche du sultan pour l'emmener hors du combat : «Quels sont ces derviches, demanda Tamerlan, qui combattent avec tant de fureur ? - Ce ne sont pas des derviches, répartit un Mongol ; ce sont des chrétiens» et on les vit au même instant entraîner au milieu d'eux Soliman, fils aîné de Bajazet, et s'ouvrir un troisième chemin par une rapidité irrésistible. Bajazet demeurait ferme, malgré le départ des Serviens et l'extermination des Ottomans; il saisit enfin, avec dix mille Janissaires, un tertre d'où la résistance était plus facile. Mais les hordes mongoles se divisaient impunément et attaquaient avec avantage sur tous les points. Tandis que les uns poursuivent les Serviens sur la route de Bursa, et que d'autres dispersent ou massacrent le corps principal des Ottomans, une troisième division s'élance sur les Janissaires. Ce fut une mêlée hurlante de bêtes enragées, où la force étant égale et les blessures rendues aussitôt que portées, il n'y avait de victoire que pour la multitude : les Janissaires y périrent jusqu'au dernier. Bajazet, monté sur un cheval arabe, dominait seul les cadavres étendus des siens : «Descends, lui cria un Mongol, le khan Timour te demande.» L'orgueilleux sultan se laissa conduire et trouva le grand khan occupé d'une partie d'échecs. En apprenant qu'on lui amenait Bajazet, Tamerlan, certain de la victoire, avait affecté de la mépriser, et s'était mis à jouer avec son fils sous sa tente, sans montrer aucun empressement de voir sa capture. Lorsque les Mongols lui dirent : «Voici le prince des Turcs que nous avons conduit devant vous,» il demeura la tête inclinée sur son jeu comme s'il n'entendait pas. Des cris, des acclamations redoublées le forçant enfin d'entendre : «Voilà donc, dit-il, celui qui nous menaçait du triple divorce si nous refusions de lui faire la guerre. - C'est moi, reprit Bajazet, mais il ne t'appartient pas d'insulter les vaincus ni de les mépriser; tu es prince comme moi ; apprends à mettre des bornes à ta domination.» Cet orgueil de vaincu plut à l'orgueil du vainqueur ; Tamerlan fit asseoir son captif à son côté sur le même tapis et lui donna une tente pour s'y reposer après une bataille si laborieuse ; il se contenta de le faire surveiller par une bonne garde et ne lui mit les chaînes aux pieds et aux mains pendant la nuit, que lorsque Mahomet eut essayé de délivrer son père au moyen d'une mine. L'histoire de la fameuse cage de fer ne s'appuie sur aucune autorité raisonnable (Edouard Dumont, Cahiers d'histoire universelle à l'usage des collèges et des écoles normales primaires, Tome 5, 1836 - books.google.fr).

 

Le vieux conquérant Tamerlan se heurte pour finir au sultan ottoman à Angora, à l'endroit précis où, longtemps auparavant, en l'an 66 av. J.-C., le général romain Pompée avait affronté le roi du Pont, Mithridate VI (www.herodote.net).

 

Les ciliciens furent jadis appelés Tarses, comme écrit Josèphe, leur dénomination prise du nom de Tarse, neveu de Japhet, qui premier leur donna l'ordre de vivre, ayant sur eux principauté et gouvernement. Aussi nomma-t-il de son nom leur ville principale Tarse. Aujourd'hui, toute la Cilicie est, comme j'ai dit, appelée Caramanie, province réduite sous la puissance et domination du grand Turc (Nicolas de Nicolai, Les quatre premiers livres des Navigations et peregrinations Orientales, 1568 - books.google.fr).

 

Dans la Grande Caramanie, on voit entr'autres Cogni, autrefois Iconium ancienne capitale de la Lycaonie. Dans la petite Caramanie, ou voit Terasso, Tarse, la patrie de S. Paul, étoit autrefois une ville Archiepiscopale de Cilicie, & fort considerable. Le Cydne, riviére qui la traverse, est célebre dans l'histoire à cause de la froideur insupportable de ses eaux, qui penía coûter la vie à Alexandre le Grand qui s'y baigna; & qui la fit perdre actuellement près de 1500 ans après, l'an 1190, au bon Frederic Ier, surnommé Barberousse, qui profita mal de l'exemple d'Alexandre (La Géographie Moderne, Naturelle Historique & Politique, Tome 3, 1736 - books.google.fr).

 

C'était une époque heureuse, sans passeport ni carte d'identité. C'était l'Antiquité. Mais comment se retrouver quand on s'était perdus ? Comment se reconnaître après des années d'éloignement ? Facile : on se servait d'un symbolon, un petit morceau de terre cuite qui était cassé en deux, et dont chaque fragment était conservé par deux amis, par deux familles vivant dans des lieux séparés. Quand on voyageait et qu'on voulait être reçu chez l'autre qui risquait de ne plus nous reconnaître, on exhibait le fragment manquant du symbolon : ces deux parties rapprochées servaient à faire reconnaître le porteur, et à rappeler les relations d'hospitalité contractées antérieurement. [...] Mais que se passait-il quand on avait dans la poche un morceau de terre cuite qui ne servait à rien, qui n'allait avec rien, qui ne prouvait rien ? Que se passait-il quand on avait dans la poche un morceau de puzzle qui ne concordait avec aucun autre, et qui ne formerait donc jamais aucun puzzle ? Les anciens Grecs avaient un mot pour cela, qui est l'exact contraire du symbolon : le skybalon. Hélas, ce mot n'a été repris dans aucune langue : ni en français ni en allemand ni en espagnol ni en italien ni en albanais ni en néerlandais ni en irlandais ni en turc ni en hongrois, ni même en russe. Pour quoi faire ? On était persuadé que ce mot étrange ne servait à rien, puisqu'il désignait ce qui ne servait à rien. On jeta donc le skybalon à la poubelle - même dans la langue grecque, où il désigna très vite les restes, les détritus, les déchets. On le sait grâce à Paul de Tarse, qui fit un emploi très brutal de ce mot dès 60, dans son Épître aux Philippiens : «Afin de gagner Christ, je regarde toutes les choses comme des ordures [skybala].» [...] Le skybalon n'est pas ce qui est sale, seul ou inutile (car qu'est-ce qui est jamais sale, seul ou inutile ?) : c'est plutôt ce qui est mal entouré. Ce qui ne s'accorde pas avec le décor. [...] Nous considérons comme propre ce qui a trouvé sa moitié, et qui reste avec elle. La propreté n'est rien que cela : non pas une chose à sa place, mais une chose et sa place. Regardez : cette chaussure sur le sol est propre. Cette même chaussure sur le lit est sale. Cette soupe dans le bol est succulente. Cette même soupe par terre est immangeable. [...] Nous déclarons que quelque chose est propre lorsque nous voyons un symbolon. Nous hurlons que quelque chose est sale lorsque nous voyons un skybalon. Il est temps de changer les choses. (Et même de les inverser.) Le skybalon, ce n'est pas celui qui ne trouve pas sa moitié : c'est celui qui ne la cherche pas. Celui qui n'a pas besoin qu'on le complète. Celui qui n'éprouve pas le besoin de dévorer l'autre pour devenir quelqu'un. [...] Le skybalon, c'est l'ermite. Le voyageur. L'improductif. Le rêveur. Celui qui n'est pas casé, et qui de toute façon ne rentre pas dans les cases (Laurent Nunez, Il nous faudrait des mots nouveaux, 2018 - books.google.fr).

 

Après cette rencontre divine, Paul perdit la vue qui est l'image de la mort à soi-même. Dieu voulait lui faire comprendre qu'il était aveugle malgré sa connaissance de la loi. De plus, il dut recevoir la délivrance par les mains d'Ananias, un disciple inconnu. Il comprit alors que sa formation théologique tout comme son appartenance ethnique n'étaient que de la boue. «Et pourtant quant à moi, j’aurais sujet de mettre aussi ma confiance dans la chair. Si quelqu’autre croit pouvoir le faire, je le puis bien davantage, moi, un circoncis du huitième jour, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin; Hébreu, fils d’Hébreux; pharisien, pour ce qui est de la Loi; persécuteur de l’Église, pour ce qui est du zèle, et quant à la justice de la Loi, irréprochable. Mais ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai regardées comme une perte, a cause de Christ. Et même je regarde toutes choses comme une perte, a cause de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour lequel j'ai renoncé a tout, et je les regarde comme de la boue, afin de gagner Christ, et d'être trouvé en lui, non avec ma justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s'obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi» Philippiens 3:4-9 (Shora Kuetu, Entre les mains du Potier, 2011 - books.google.fr, www.levangile.com).

 

Dans ce passage Paul ne cite pas Tarse. Sa citoyenneté romaine, honneur tout terrestre, devrait faire partie des "skybala".

 

Paul né à Tarse, en Cilicie : cette information nous vient des seuls Actes des Apôtres, dont l'auteur se plaît manifestement à souligner cette origine (Actes 9, 11 (citoyen de Tarse) ; 21, 39; 22, 3 ; ajouter deux autres mentions de Tarse, en Actes 9, 30 et 11, 25 8) (Histoire du Christianisme, Tome 1 : Le nouveau peuple (des origines à 250), 2000 - books.google.fr).

 

La situation de l'Empire n'est pas apparue brutalement et il faut bien voir que le système romain de la clientèle, qui structurait véritablement la société, pouvait facilement être la cause d'une telle dérive. Comment ne pas mentionner qu'un sénateur passait des heures chaque jour à recommander ses clients à des tiers, notamment magistrats ? Comment oublier ces formules répétitives de Cicéron dans ses lettres de recommandations : «qu'il sache bien que c'est grâce à moi qu'il a obtenu satisfaction» ? Il y avait là un devoir envers un ami ou un client que le latin a consigné sous le mot officium (aide, assistance, notamment sous une forme concrète, matérielle), lequel était purement et simplement une obligation de la fides, fondement de la romanité s'il en fut. Bien plus, à l'officium, qui était dû, s'ajoutait le beneficium, qui prenait le même sens, signifiait la même démarche, mais était volontaire. Il s'agissait, par cette «action de faire le bien», d'un acte gratuit, d'une forme d'entraide. La définition était belle et devait donner plus tard lieu à théorie de la part de Sénèque, reprenant Panétius (Des bienfaits). Mais si l'on quitte, une fois encore, l'Empire pour la République, que voyons-nous ? Par exemple, dans une lettre au propréteur de la province d'Asie (Fam. XIII, 56), Cicéron recommander, à un magistrat en exercice, les affaires de son ami Cluvius (homme d'affaires de Pouzzoles), en ajoutant l'intérêt porté par Pompée à cette affaire d'argent. La lettre, aujourd'hui décodée par J. Andreau, montre que l'argent était celui de Pompée, prêté à taux exorbitant en Asie. Cluvius n'était qu'un paravent, évitant à Pompée d'être nommé. Et si l'on ajoute que Pompée avait touché en Orient d'immenses pots-de-vin, on comprendra que Cluvius recyclait (et faisait rapporter) l'argent sale de Pompée. La corruption était partout, comme le montre cet épisode légèrement plus tardif de saint Paul à qui un tribun militaire demandait dans sa prison, comment, lui, l'ouvrier textile de Tarse, pouvait être citoyen romain, fils de citoyen romain, alors que, lui, la citoyenneté romaine, il l'avait achetée, moyennant une «forte somme» (Actes des Apôtres, 22, 78-29) (Danièle Roman, Rome: la république impérialiste : 264-27 av. J.-C., 2000 - books.google.fr).

 

Plus simple, Erasme, après une citation de Diogénien, qualifie les Ciliciens de "sordidi" :

 

Cilicii imperatores - XXVII : "Kilikioi strategoi", Cilicii duces. Dicebant homines hirsuti, & pilis obsiti. Unde & saga pilis contexta, Cilicia vocantur. Autor Diogenianus. Simpliciter autem "Kilikioi" dicebantur, robusti, sordidi & magni, unde & "kilikizesthai" dicuntur, qui pravis sunt moribus : & "kilikioi logoi"barbarica suffragia, quod illi sortibus in galeam missis soleant decernere. Memorantur "killiku rioi" qui quum essent servi, heris eiectis occuparunt regionem. "Killikôn agatha" alias recensuimus (Desiderius Erasmus, Adagiorum Chiliades quattuor, 1551 - books.google.fr, (Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami: recognita et adnotatione critica instructa notisque illustrata, Tome 2, 1981 - books.google.fr,

 

Diogénien est un grammairien d'Héraclée du Pont qui aurait vécu au IIe siècle. Hésychius aurait inséré dans son Lexique les mots que Diogénien aurait créé. Il est aussi attribué à Diogénien un recueil de proverbes publié en 1612 à Anvers dans les Adagia sive proverbia Graecorum de Schott (fr.wikipedia.org - Diogénien).

 

Plutarque rapporte que Pompée en quarante jours nettoya la mer Méditerranée qui étoit infestée par les pirates, qui allèrent se cacher dans les forts qu'ils avoient dans la Cilicie & dans le mont Taurus ; qu'il alla ensuite faire un tour à Rome, d'où il revint dans la Cilicie, où il s'empara de gré ou de force de toutes les retraites des pirates; que toute la guerre qu'il fit contr'eux fut terminée en trois mois, & qu'ensuite il donna des habitations au milieu des terres aux pirates qui s'étoient rendus à lui, ou qu'il avoit faits prisonniers (Histoire de l'Academie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Tome 5, 1729 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain III, 47 - 1739.

 

Symbole

 

Cette avanture de Bajazet & de Tamerlan a beaucoup de ressemblance avec celle de Valérien & de Sapor, & peut-être les circonstances ont-elles été bien altérées dans l'une & dans l'autre histoire. M. Peris de la Croix, qui se fonde sur les auteurs arabes & persans, prétend que Bajazet mourut d'apoplexie dans le camp de Tamerlan, & il n'est pas trop vraisemblable non plus, que Sapor ait eu la lâche barbarie de faire écorcher vif un empereur son prisonnier, après s'être servi de son corps comme d'un marche-pied pour monter à cheval. La sévérité de Tamerlan à l'égard de Bajazet, est plus motivée par la réponse de celui-ci à la question de Tamerlan; mais il n'est vraisemblable que Bajazet ait fait cette réponse à une question qui lui ouvroit une voie de salut; il eût plutôt répondu comme Porus à Alexandre, en roi. Au reste, ce Tamerlan n'étoit pas si barbare. Avant de marcher contre Bajazet, il lui avoit envoyé une ambassade, avec des propositions de paix. La question qu'il lui fit après l'avoir vaincu & l'avoir fait prisonnier, paroistoit tendre à le rendre l'arbitre de fon fort, & il ne manquoit point de philosophie, s'il est vrai que plaisantant fur ce qu'il étoit boiteux & fon ennémi borgne, il ait dit : Qu’est-ce donc que ces grands empires de la terre qui passent si facilement d'un borgne à un boiteux ? (Encyclopédie méthodique. Histoire : Tome premier, 1784 - books.google.fr).

 

Bajazet, contraint d'assister à cette fête, fut placé près de Timour, lequel lui fit apporter ses ajustements royaux. Le rude Turc fut oblige de coiffer le turban décoré de joyaux et de prendre en main la masse en or qui avait été le symbole de ses conquêtes. Ainsi attifé, il se vit offrir ses propres vins et ses drogues préférées. Mais il ne goûta à rien. Devant ses yeux, ses plus belles femmes, dépouillées de leurs vêtements, servaient les vainqueurs. Parmi elles il reconnut sa favorite, la Despina, sœur du roi Pierre de Serbie, une chrétienne à laquelle il avait été si attaché qu'il ne l'avait pas forcée à se faire musulmane (René de Obaldia, Tamerlan des cœurs, 1964 - books.google.fr).

 

Dans tous les mythes, la claudication indique un rite d'entrée ou de sortie. Les «marches» rituelles si variées des divers degrés de l'initiation maçonnique s'exécutent les yeux bandés et un pied déchaussé. Mais quoi, jusque dans l'histoire la moins conjecturale ne retrouvons-nous pas le couple fabuleux : Tamerlan le boiteux, adversaire de Bajazet le borgne ? Ainsi la veille imite les rêves, et le réel le surréel. Comme il est essentiel aux symboles d'être surdéterminés et qu'ils souffrent tous, entre mille autres, une interprétation astrale, nous devons ajouter que boiterie et Å“il fermé se peuvent se peuvent accrocher à l'idée du soleil débile. celui de l'aube ou du crépuscule, de l'entrée et de la sortie. Pour n'y pas revenir, disons en passant que le facies du guerrier à l'Å“il clignotant d'oiseau de nuit ou de proie, sous le sourcil broussailleux, de part et d'autre d'un nez en bec d'aigle, signe, de Mangin à Montgomerry. chez bien des chirurgiens aussi et chez le Colleone de Verocchio, la dominante de Mars du Scorpion. En voici assez pour le maléfice et l'efficace du borgne, authentique ou simulé, dont la contagion fait tache d’huile dans le langage et sur le donné objectif, de la maison borgne à la pie borgne. Et revenons au Mauvais Å’il. La plus répandue de toutes les superstitions de l'antiquité. Elle subsiste aujourd'hui dans tous les pays du bassin méditerranéen et du Proche-Orient. Les Ethnographes l'ont repérée jusque chez les Indiens sauvages de l'Amérique du Sud : dans le haut Ucayali, c'est aux infortunés nourrissons que les Campa attribuent le mauvais Å“il, d'où la multiplicité des infanticides dans ces tribus (Jean Reboul, L'Å“il le mythe et la psychanalyse, Psyché, Numéros 27 à 38, Ligue d'hygiene mentale, 1949 - books.google.fr).

 

Racine, Bajazet

 

Oui, je sçais que depuis qu'un de vos empereurs,

Bajazet, d'un barbare éprouvant les fureurs,

Vit au char du vainqueur son épouse enchaînée,

Et par toute l'Asie à sa suite traînée,

De l'honneur ottoman ses successeurs jaloux

Ont daigné rarement prendre le nom d'époux.

Mais l'amour ne suit point ces loix imaginaires;

Et, sans vous rapporter des exemples vulgaires,

Soliman, vous sçavez qu'entre tous vos aïeux,

Dont l'univers a craint le bras victorieux,

Nul n'éleva si haut la grandeur ottomane:

Ce Soliman jetta les yeux sur Roxelane;

Malgré tout son orgueil, ce monarque si fier

A son trône, à son lit daigna l'associer,

Sans qu'elle eût d'autres droits au rang d'impératrice,

Qu'un peu d'attraits peut-être, & beaucoup d'artifice. (Acte II, Scène I)

 

Oui, je sçais que depuis qu'un de vos empereurs, Bajazet, d'un barbare éprouvant les fureurs, &c. : l'empereur dont il s'agit ici est Bajazet I. surnommé Ilderim ou le Foudre, vaincu & fait prisonnier par Tamerlan en 1402, dans la même plaine où Pompée défit Mithridate. On croyoit, au temps de Racine, que Tamerlan avoit fait enfermer Bajazet dans une cage de fer, & que sa femme avoit souffert les traitements les plus barbares. M. de Thou prétend que les successeurs de ce sultan, pour n'être plus exposés à de pareils outrages, ne voulurent point avoir de femmes légitimes, & qu'ils se contenterent d'avoir des enfants de leurs concubines. Histoire, liv. IX. pag. 327, édition de 1604.

 

Le héros de la pièce est un fils d'Ahmed Ier, et un frère du sultan Amurat IV, nous disons aujourd'hui Mourad, qui le fit mettre à mort en 1635.

 

Ce Soliman jetta les yeux sur Roxelane : c'est cette même Roxelane à qui l'un de nos plus beaux esprits, & de nos plus grands littérateurs, a fait jouer un rôle si brillant dans un de ses jolis contes. Ce Soliman qui l'épousa est Soliman I. surnommé le Grand. M. de Thou écrit que Roxelane se servit d'un prétexte de religion pour engager Soliman à l'épouser. On disoit aussi qu'elle l'avoit captivée par des philtres qu'une Juive lui avoit donnés. Ibid. pag. 326 & 317 (Bérénice. Bajazet. Mithridate, Tome 3 de Œuvres de Jean Racine, avec des commentaires, Pierre Joseph François Luneau de Boisjermain, 1768 - books.google.fr).

 

La mort de Roxelane advient en 1558, date de début de la période de 693 années associée aux 942 quatrains des Centuries.

 

Acrostriche : DLCP, dil çup

 

"dil pecend" : qui plaît au coeur, "dil" : coeur (Jean Daniel Kieffer, Dictionnaire turc-français, Tome 1, 1835 - books.google.fr).

 

Je plaignis Bajazet, je lui vantai ses charmes,

Qui par an soin jaloux dans l'ombre retenus,

Si voisins de ses yeux, leur étaient inconnus (RACINE, Bajazet, act. 1, sc. I)

 

«Ses charmes : cette expression, dit La Harpe, est remarquable. Partout ailleurs que dans cette pièce, Racine ne s'en serait pas servi, et je n'en connais même aucun autre exemple (M. La Harpe ne s'est pas rappelé le vers de la tragédie d'Alexandre, act. III, sc. 6), si ce n'est dans la fable. On dit bien d'un homme qu'il est charmant, mais on ne parle guère de ses charmes : c'est une expression que notre langue à réservée pour les femmes; tant les nuances du langage tiennent aux mours. Celles du sérail autorisent l'expression de Racine : on sentira aisément, sans que j'en dise les raisons, qu'on peut parler des charmes d'un homme dans un pays où les femmes sont esclaves et renfermées» (L. J. M. Carpentier, Le Gradus français, ou Dictionnaire de la langue poétique, Tome 1, 1825 - books.google.fr).

 

"çup" : âtre, feu de cheminée, foyer (Eqrem Çabej, Studime etimologjike në fushë të shqipes, Volume 3, 1987 - books.google.fr).

 

Le vizir Acomat dit à Atalide au sujet Roxane et Bajazet :

 

L'une a tendu la main pour gage de sa flame,

L'autre avec des regards éloquens, pleins d'amour,

L'a de fes feux, Madame, assurée à son tour (Jean Racine, Bajazet, tragedie en 5 actes, 1765 - books.google.fr).

 

"çöp" en turc signifie déchet, ordure : cf. skybalon et "sordide".

 

Typologie

 

Le report de 2009 sur la date pivot 1402 donne 795.

 

Ibn Khaldoun, né le 27 mai 1332 à Tunis (califat hafside de Tunis) et mort le 17 mars 1406 au Caire, est un historien, économiste, géographe, démographe, précurseur de la sociologie et homme d'État d'origine arabe. Voyageur et mobile toute sa vie, ibn Khaldoun passe par Damas en 1401, peu avant que la ville ne soit assiégée et prise par Tamerlan. Il obtient alors du redoutable conquérant, qu'il épargne la vie des habitants, chose rarissime, alors que Tamerlan massacrait en général tous les habitants, sauf quelques artisans.

 

Lors des luttes dynastiques qui suivent le décès du monarque, Ibn Khaldoun devient secrétaire d'État du nouveau sultan puis il soutient Abou Salim Ibrahim, qui lui promet d'importantes récompenses et fonctions, en échange de son aide pour accéder au trône48. Une fois arrivé au pouvoir, Abou Salim Ibrahim entre à Fès, Ibn Khaldoun chevauchant à ses côtés. Au bout de deux ans, en 1361, il quitte son poste de secrétaire de la chancellerie pour devenir cadi malékite de Fès. En 1384, le sultan Az-Zahir Saïf ad-Din Barqouq le reçoit et le nomme professeur de la médersa El Qamhiyya (Kamiah) et grand cadi malékite. En juge scrupuleux et rigoureux, il décide de s'attaquer à la corruption et au favoritisme. Tout le monde lui reconnaît alors des qualités d'intégrité et de sévérité. Jean Mohsen Fahmy écrit ainsi en parlant de lui : «Sa science du fiqh (droit malékite) était grande, son esprit droit, son raisonnement imparable. Il aurait dû jouir de l'admiration et de la considération générale. Or, au bout de quelques semaines, il s'était attiré des rancunes qui dégénéreraient en haine froide» (fr.wikipedia.org - Ibn Khaldoun).

 

Ibn Khaldûn conjugue le sunnisme avec le malékisme dans les écoles de droit, lequel s'aligne sur les enseignements de l'imam Malik Ibn Anas (715-795), auteur du premier traité juridique musulman, le Muwatta. Grand imam de Médine, ce dernier codifia dans ses écrits la coutume de cette cité, ce qui le conduisit à ne pas donner place dans la jurisprudence aux hadîths et à se limiter au consensus général, plus exactement à l'observation personnelle (musha-hada) des usages suivis par les générations de la Prophétie. L'imam donne place également au ra'y (opinion personnelle légale), qui n'est pas la réflexion personnelle (ijtihad) qui n'a rien à faire en ce domaine. Ibn Khaldûn explique le ralliement des Maghrébins et des musulmans d'al-Andalus au malékisme par le fait qu'ils allaient à Médine étudier et qu'ils y trouvaient seulement l'enseignement de Malik Ibn Anas (Muq., 719). Il donne un bref aperçu de l'évolution de cette école tant dans sa jurisprudence que dans ses transmetteurs (Muq., 719-722). Dans le Tarif, il se montre admiratif de son maître à penser, à tel point qu'il affirme, dans le compte rendu qu'il fait de sa leçon inaugurale à la medersa Çalghatmish, que l'objet de son enseignement était, nous l'avons signalé, le Muwatta de Malik Ibn Anas. Il n'apparaît pas à Ibn Khaldûn que le malékisme ait pu, en Occident arabe, être un facteur de prédisposition à l'obscurantisme et au conservatisme. Il est vrai que quel qu'ait pu être le rigorisme de ses thuriféraires almoravides et almohades, jamais, en terre andalouse et maghrébine, le malékisme empêcha l'expression d'une pensée novatrice dont Ibn Khaldûn, en son siècle est le parfait exemple (Claude Horrut, Ibn Khaldûn dans le patrimoine euro-méditerranéen, 2006 - books.google.fr).

 

XXIe siècle

 

À la fois homme des foules et maître des palais, Recep Tayyip Erdogan incarne une synthèse de l'histoire turque. Il connaît de près le tragique de la politique en Turquie et ses chaussetrappes permanentes. À chacune de mes rencontres avec lui, j'ai été frappé par sa recherche constante du rapport de force qui confine à une dramaturgie de la puissance nue. Avec lui, on n'est jamais loin de Bajazet. Il a besoin du mouvement perpétuel pour surmonter sans cesse la séparation radicale de l'exercice du pouvoir en Turquie - le palais - et du lieu de sa légitimité - la rue. Il épouse pour cela les passions populaires - et au premier chef le football -, désigne des ennemis, appelle à la fierté nationale (Dominique de Villepin, Mémoire de paix pour temps de guerre, 2016 - books.google.fr).

 

La voie démocratique est ainsi libre pour Erdogan, qui, emportant toutes les élections depuis 2002 et élu président de la République au suffrage universel dès le premier tour en 2014 (il sera réélu de nouveau au premier tour en 2018), s'est, depuis, employé à rendre son identité islamique à la Turquie en se servant de l'État fort qu'Atatürk avait créé non pas pour imposer la laïcité, mais pour museler l'islam (Histoire de l'islamisation française 1979 - 2019, 2019 - books.google.fr).

 

De 2003 à 2007, Erdogan, à la tête du gouvernement turc, met en œuvre de nombreuses réformes qui mènent le pays à d’importantes avancées démocratiques dans le domaine économique, juridique et institutionnel. Erdogan se consacre donc au contrôle de l'armée, introduisant sans tarder, en 2004, au sein du Conseil de sécurité nationale, et au nom de la démocratisation, des civils proches de lui (dont le secrétaire général de l'institution, un poste qui, jusque-là, avait toujours été occupé par un général), avec le soutien de l'Union européenne : la Commission et le Parlement le félicitent de s'être débarrassé de la menace des militaires.

 

Après 2007, l’AKP poursuit ses réformes mais l’enthousiasme des débuts s’est envolé. Les négociations avec l'UE piétinent. Les efforts pour résoudre le problème kurde laissent bientôt place à des mesures répressives. Le pays est secoué la même année par une crise politique et l’armée menace Erdogan d’un coup d’État (www.france24.com, Histoire de l'islamisation française 1979 - 2019, 2019 - books.google.fr).

 

Le nouveau calife autorise le port du voile à l'université en février 2008, dans la fonction publique en octobre 2013 et dans l'enseignement secondaire, dès la classe de sixième, en 2014. Il instaure des cours d'islam obligatoires à l'école publique avec initiation au devoir du djihad. Le pouvoir islamiste a également tenté de supprimer, en 2016, la disposition du Code pénal qui réprimait tout acte sexuel avec un enfant de moins quinze ans, imposée par l'État kémaliste pour lutter contre le mariage forcé des filles entre douze et quinze ans dans les campagnes. Erdogan affirme, dans un discours public, en novembre 2014, que «l'égalité homme-femme est contraire à la nature humaine» et son épouse, voilée, ajoute - quand il lui en donne l'occasion ou le lui ordonne, par exemple en mars 2016, également dans une allocution en public - que le harem est «une école pour la préparation des femmes à la vie». Il s'applique aussi à réduire le cosmopolitisme de l'îlot stambouliote - souvent seule vision de la Turquie des intellectuels parisiens - en y important en masse des familles rurales de l'Anatolie profonde. Et le maître de la Turquie, qui veut s'imposer comme le nouveau calife, ranime tous les symboles locaux de la gloire de l'Empire ottoman, au mépris des traces historiques antérieures, notamment romaines, laissées à l'abandon, ou kémalistes, méprisées. Ainsi de la symbolique place Taksim, dans l'ancien quartier européen de Pera (nommé Beyoglu depuis la fondation de la République), avec ses églises, ses synagogues, ses ambassades, ses musées, ses galeries d'art et ses boîtes de nuit. Sur cette place conçue à la demande d'Atatürk par l'architecte français Henri Prost à l'emplacement d'une caserne de l'artillerie ottomane, et devenue ces dernières années le point de rassemblement de la jeunesse étudiante, Erdogan fait édifier une mosquée démesurée, «la plus grande du monde», à quelques mètres seulement du monument célébrant l'instauration de la République kémaliste. Il a baptisé le plus grand pont d'Europe, sur le Bosphore, «Selim Ier-le-Terrible», du nom du premier calife ottoman, au XVIe siècle, qui massacra 40000 alévis (minorité musulmane hétérodoxe), choisissant d'en poser la première pierre un 29 mai, jour anniversaire de la prise de Constantinople, laquelle mit fin à l'Empire romain - et chrétien - d'Orient (Histoire de l'islamisation française 1979 - 2019, 2019 - books.google.fr).

 

Certains attendent un Tamerlan, individu ou événement.

 

Sultan

 

Les détracteurs d'Erdogan le qualifient de« nouveau sultan» (www.revolutionpermanente.fr).

 

Le titre de sultan n'était point, à l'origine, celui que portait la dynastie d'Osman. Il provient, sauf erreur, de Mahmoud, qui envahit les Indes dans la première moitié du onzième siècle. Ce Mahmoud avait pour père un ancien esclave turc qui était devenu gouverneur de Ghasna et qui représentait, dans toute la force du terme, le type du self-made man. Là aussi, "le premier qui fut roi fut un soldat heureux". Au siècle suivant sous les Seldjoukides, il arriva que l'empire turc d'alors fut partagé entre deux frères dont l'un portait le litre de chah, tandis que l'autre était appelé sultan des sultans (Dis Basinda Atatürk Ve Türk Devrimi, Volume 1, 1981 - books.google.fr).

 

La propension des beys anatoliens à apparaître et à se faire reconnaître comme sultans semble donc avoir trouvé son origine chez l'Ottoman Orkhân, c'est-à-dire chez celui qui se montre comme le plus dynamique parmi eux, qui se situe suffisamment loin des terres des Mongols et des Mamelouks pour pouvoir affirmer sa souveraineté; chacun des autres, l'un après l'autre, adopte le titre, ne voulant peut-être pas apparaître inférieur à l'Ottoman d'abord, à ses homologues anatoliens ensuite, au fur et à mesure que le titre se répand. Ne sont-ils pas, en principe, sur un pied d'égalité ? Leur autorité locale leur a été attribuée à l'origine par les sultans seldjoukides, sans distinction entre eux; pendant quelques décennies, au XIVe siècle, une autorité supérieure a été présente en Anatolie, celle des puissants Ilkhâns mongols, directement ou par représentant interposé, jusqu'au milieu du siècle ; le déclin de cette autorité permet aux beys de se considérer comme libérés de cette tutelle et de la menace qu'elle entretient, et, par suite, de se considérer comme pleinement souverains. [...]

 

L'inscription d'Ankara n'émane pas d'Orkhân directement, mais d'un de ses agents, Lûlû Beg, qui, faisant mention de son chef, l'intitule sultan. Faut-il penser qu'Orkhân utilise déjà lui-même ce titre, ou bien lui est-il attribué ici par quelque flatterie ? Il est notable que la première fois que son successeur Murâd Ier (v. 1362- 1389) porte ce titre dans une inscription, c'est en 785/1383-84, soit vingt ans plus tard, et ce n'est qu'à partir de 787/1385 que le titre de sultan apparaît régulièrement dans la titulature de Murâd Ier, jusqu'alors nommé bey. De fait, après la mort de son père, Murâd a connu quelques difficultés en Europe où il a perdu Gallipoli, subi en Thrace la concurrence de plusieurs beys (Evrenos, Hadji Ilbegi), ne s'empare d'Andrinople qu'avec le concours de ceux-ci, voit son fils Savdji se révolter. C'est seulement après 1376 qu'il peut agir plus librement et reprendre des campagnes victorieuses en Thrace et en Macédoine, puis à partir de 1381 en Anatolie : on conçoit donc qu'il n'ait pu avant cette dernière date être pourvu du titre de sultan, n'ayant pas affirmé sa supériorité vis-à-vis des autres beys. En revanche, dans toutes les inscriptions concernant son fils Bâyezîd Ier (1389- 1402) est mentionné ce titre. [...]

 

Bâyezîd aurait demandé en 1394 au calife abbasside du Caire son investiture de sultan de Roum, mais le fait n'est pas prouvé. [...] La dernière décennie du VIIIe/XIVe siècle est marquée, sur le plan politique, par l'annexion des émirats de l'ouest anatolien par l'Ottoman Bâyezîd Ier à partir de 1390-91 : la conséquence évidente en est l'affirmation de la suprématie ottomane et l'utilisation normale, sans contestation possible, du titre de sultan que Bâyezîd porte jusqu'à la veille de la bataille d'Ankara. [...]

 

Le Karamanide 'Alâ al-dîn Khalîl utilise le titre de sultan parmi d'autres titres ou qualificatifs en 772/1370-71 ; mais en 775/1373-74 son fils Mahmûd ne s'intitule que amîr (Robert Mantran, La titulature des beys d'Anatolie au VIIIe/XIVe siècle, Journal des savants, 1995 - www.persee.fr).

 

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