Accident de cheval et résurrection

Accident de cheval et résurrection

 

VII, 38

 

2026-2027

 

L'aisné Royal sur coursier voltigeant,

Picquer viendra si rudement courir

Gueulle, lipee, pied dans l'estrein pleignant,

Trainé, tiré, horriblement mourir.

 

Accident de cheval

 

Selon Guynaud, citant l’Histoire genealogique de la maison de France de Sainte-Marthe, Henri II roi de Navarre serait mort traîné par son cheval. Il note "etrieu" (étrier) au lieu d'"estrain" (Balthazar Guynaud, La Concordance Des Propheties De Nostradamus, 1693 - books.google.fr).

 

Cela n'apparaît pas dans le Livre XIV (Scevole et Louis de Saincte-Marthe, Histoire genealogique de la maison de France, Tome I, 1628 - books.google.fr).

 

Mais au Livre VI, on apprend que le fils aîné du roi de France Louis VI dit le Gros, bien nommé Philippe, est mort d'un accident de cheval en octobre 1131, deux ans après son couronnement du vivant de son père. Bernard de Clairvaux aurait prédit cette mort eu égard à l'attitude du roi Louis envers l'Eglise. Suger lui en fit l'apologue. Il fut inhumé à Saint Denis. Son frère deviendra Louis VII et se mariera avec Aliénor d'Aquitaine (Scevole et Louis de Saincte-Marthe, Histoire genealogique de la maison de France, Tome I, 1628 - books.google.fr).

 

Il y a quelques fils de rois qui décédèrent d'une chute à cheval : Louis IV d'Outremer, Louis V, dernier roi des Francs carolingien auquel succède Hugues Capet... (fr.wikipedia.org - Mort causée par une chute de cheval).

 

Mais "aisné Royal" laisserait supposer qu'il n'a pas encore régné.

 

Le cochon derrière le cheval

 

Suger traite le cochon qui affole le cheval du prince Philippe, de retour de la chasse selon certains, de "porcus diabolicus".

 

L'étude du vocabulaire utilisé au XIIe siècle par les annales, les histoires et les chroniques pour qualifier la mort du jeune roi donne une juste idée de ce qu'elle a représenté aux yeux des contemporains et de la postérité immédiate. Il est difficile de trouver des termes plus violents, des formules plus superlatives. Le contraste est immense entre les mots qui décrivent la jeunesse, la douceur ou la noblesse de Philippe et ceux qui soulignent l'ignominie de sa mort. Celle-ci est qualifiée tour à tour de misérable (misera), pitoyable (miserabilis), horrible  (horrenda), effroyable (horribilis), atroce (atrox), honteuse (turpis), ignoble (ignominiosa), haïssable (invidiosa), sordide (sordida), infâme (infamis), immonde (immunda). [...] Que la mort du jeune roi soit malheureuse, pitoyable, horrible même, tout le monde en conviendra et ne s'étonnera guère des excès de vocabulaire des auteurs qui la commentent. Qu'elle soit honteuse, infâme, immonde, appelle en revanche quelques commentaires.

 

Au moyen âge, la chute de cheval apparaît comme une punition divine qui réclame conversion et repentance comme pour saint Paul sur le chemin de Damas. La mort du jeune roi Philippe est considérée comme due à l'intervention divine et elle souille la dynastie capétienne.

 

Son père surnommé le Gros ("gras comme un cochon") de part son obésité ne pouvait justement plus monter à cheval. Sa mort a pour conséquence le long règne (1137-1180) de Louis VII qui fut désastreux : échec de la seconde croisade, divorce d'avec sa femme qui se remarie au roi d'Angleterre Henri II - entraînant des guerres stériles -, difficulté d'avoir un héritier, incendie de l'église de Vitry-en-Perthois qui fait 1500 morts. Pour conjurer ses malheurs, la France adopte originalement comme emblèmes la couleur bleu, dont Suger avait fait teinter les vitraux de Saint Denis, et le lys virginal, alors que les autres Etats portent des motifs animaliers. Le lys pourrait être un motif coufique donc musulman (cf. quatrain X, 79) qui tient le porc comme un animal impur, comme dans l'Occident chrétien, mais que l'on ne doit pas consommé. Si l'événement se fût passé au XIIIème siècle, le cochon aurait été traduit en justice, cela jusqu'au XVIIème siècle, ou s'il se fût échappé, on l'aurait remplacé par un mannequin, en général en paille, pour le brûler (Michel Pastoureau, Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ?: Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ?, 2015 - books.google.fr, Michel Pastoureau, Un cochon maléfique, Pour l'amour de l'histoire, 2015 - books.google.fr).

 

Le sanglier

 

Il arrive aussi que le roi soit touché par l'intermédiaire d'un de ses proches : "Le fils du roi Dagobert, Sigisbert, chassait le sanglier aux environs de cette église. Au cours de la chasse, il tomba de cheval, son pied se prit dans l'étrier, et il fut traîné, ainsi, par la bête. C'est à ce moment qu'arriva un verrat furieux qui attaqua le malheureux prince et le blessa mortellement. Dès que le roi apprit cela, il envoya quérir Arbogast; celui-ci vint aussitôt, et pria jour et nuit, implorant Dieu de prolonger la vie du jeune homme. Dieu exauça cette prière, et releva le jouvenceau. Pour remercier le Seigneur le roi Dagobert transforma en couvent l'église et les bâtisses romaines que de pieuses gens habitaient déjà. Il le nomma Ebersheimmünster, en souvenir de l'endroit où le verrat avait blessé le jeune homme." (Récits et contes populaires d'Alsace, Tome 1, 1979 - books.google.fr).

 

Ainsi relate la chronique composée, dans le meilleur des cas, sous le règne de Frédéric Barberousse, en 1162 (Chronicon Ebersheimense, éd. L. Weiland, M.G.H, SS, t. XXIII, Hanovre, 1874) cette résurrection elliptique qui se traduit tout aussi rapidement par l’offrande à la Vierge, patronne de l’Église de Strasbourg, de trois grands domaines, le premier à Rouffach, dont la familia est qualifiée de ministerialis, que etiam militaris directa dicitur, adeo nobilis et bellicosa, le deuxième, censualis et obediens, permagnifica et sui iuris contenta, le dernier servilis et censualis, suivant une tripartition révélatrice, qui correspond, en outre, à trois anciens comtés. Le monastère dagobertin qui succède à l’ermitage est désigné du nom d’Ebersheimmünster ou Ebersmunster, du mot Eber, sanglier, associé au suffixe -heim (traduit par domus) et à Münster, formé sur le latin monasterium (Georges Bischoff, Le bon roi Dagobert entre Vosges et Rhin : une mémoire militante,  Le pouvoir au Moyen Âge : Idéologies, pratiques, représentations, 2007 - books.openedition.org).

 

Arbogast, mort vers 678, était évêque de Strasbourg au temps de Dagobert II, roi d'Austrasie, et non de Dagobert Ier (Adolphe van Bever, Anthologie littéraire de l'Alsace et de la Lorraine, XIIe - XXe si ècles: recueil de textes, accompagné de notices bio-bibliographiques, 1920 - books.google.fr).

 

Vocabulaire

 

Le vocabulaire du quatrain rencontre la mythologie mise en scène dans le théâtre français des XVIème et XVIIème siècles ayant pour sujet la mort d'Hippolyte, à rapprocher de la chute de saint Paul, autre épisode mythologique.

 

Voltiger

 

Guérin de La Pinelière (1615-1643), à vingt ans, écrivit un «Hippolyte» imité de Sénèque, et loué par Corneille.

 

La Pinelière, en se posant en partisan des modernes, adopte une attitude qui le situe dans le camp des poètes baroques, selon Jean Rousset, qui base ses conclusions sur l'analyse d'un Dialogue du Père Bouhours. Notre auteur angevin ne se vante pas d'être « savant ». Son Hippolyte, dit-il, a « oublié le Grec et le Latin pour apprendre le François ». La Pinelière, d'après un jugement contemporain, « sans être fort savant aymait les livres et pouvait enseigner les autres en estudiant », or il est surtout fier d'avoir modernisé le sujet, et dans son Epître dédicatoire il présente Hippolyte « avecque un équipage à la Françoise et un nouveau train que je luy ay donné ». Après avoir manifesté son désir d'être distingué de ses rivaux, ne serait-ce que parce qu'il est Angevin, après avoir affirmé son indépendance des Anciens en écrivant une tragédie moderne et dans le goût français, La Pinelière avoue sa dette envers Sénèque. Il le fait de telle façon qu'il se sert de l'autorité du « grand Romain » pour se protéger contre la critique des savants: « Il est... assez difficile que j'aye fait beaucoup de faux pas, en marchant sur les traces d'un grand Romain, qui m'a esclairé dans les destours qui estaient trop sombres, et qui m'a donné la main dans les passages les plus difficiles : je ne l'abandonne guère en cette pièce, et je fais comme les Aiglons qui apprennent à voler: ils sortent de l'aire sur le dos de leur mère, et s'estans hazardez à se laisser soustenir à leurs plumes, ils voltigent autour d'elles, et puis retournent incontinent d'où ils estoient partis, quand ils commencent à se lasser (Claude Francis, Les métamorphoses de Phèdre dans la littérature franc~aise Recherche et choix des illustrations: Sibylle Sinval, 1967 - books.google.fr).

 

Offrant son Hippolyte à Baudru, le favori de Richelieu et académicien, La Pinelière glorifie «Thésée, le grand Legislateur des Atheniens, qui adoucit avecque tant d'adresse les humeurs sauvages & brutales de ses peuples, & qui les rendit si sociables». Mais son Thésée reste celui de Sénèque (Alain Niderst, Thésée dans le théâtre français : de Garnier à La Fosse, Le Héros légendaire sur les scènes du théâtre et de l'opéra: actes du 9e Colloque international, Paris, Aix-les-Bains, 20-26 octobre 1999, 2001 - books.googlz.fr).

 

Pour donner une idée de la versification de cette Tragédie de La Pinelière, j'ai choisi le récit de la mort d Hyppolite. Si l'on compare celui ci avec celui de Racine, & que l'on examine en même tems le même endroit dans la piece de Séneque, on sera sans doute surpris de voir combien Racine a sçu embellir & enrichir l'original latin ; & combien au contraire la Pineliere, par une imitation trop servile, l'a rendu foible & ennuyeux :

 

Un grand calme sembloit endormir la nature. / On voyoit voltiger sur l'eau mille alcyons [...] Les chevaux cependant sans guide & sans contrainte, / Courent de tous côtés ou les porte la crainte, / Et marquent leur chemin par des traces de sang, / Rompent sur des rochers où sa tête ou son flanc, / Des rochers dans le bois, et du bois au rivage, / Ils laissent des morceaux de son rare visage (Louis-César de La Baume Le Blanc de La Vallière, Bibliothèque du théâtre françois depuis son origine, Tome 2, 1768 - books.google.fr).

 

La paille

 

"estrain" ou "estrein", au cas où il ne s'agirait pas d'étrier, vient du latin stramen, avec straminus comme adjectif (www.cnrtl.fr).

 

De grand train sur l'étrain (beggerie) (Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, 1611 - books.google.fr).

 

Non loin de la pacifique rue de Sorbonne fréquentée par les graves théologiens, nous trouvons la bruyante rue de Fouarre.

 

La Faculté de théologie siégeait dans la paisible rue de Sorbonne (in vico quietissimo nominato Sorbonae), la Faculté de philosophie dans la rue du Fouarre (in vico vocato Straminum) et la Faculté des décrets et des décrétales au Clos-Bruneau, dans la maison qu'habita plus tard Robert Estienne, (in vico quem nominant Clausum Brunelli). Le Clos Bruneau est représenté par la rue Jean de Beauvais, et quant à la rue du Fouarre ou du Feurre, son nom est un vieux mot français qui rappelle peut-être la paille où on faisait asseoir les écoliers; elle est située entre la rue de la Bûcherie et la rue Galande, à quelques pas de Saint-Julien le Pauvre; des écoles innombrables en occupaient toutes les maisons : "En celle rue, ce me samble, Veut-on et fain et fuerre ensamble." (Guillot, Dit des rues de Paris, daté des années 1280-1300) (Encyclopédie des sciences religieuses, 1882 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Guillot de Paris).

 

Sénèque était philosophe.

 

Henri Sauval (1623 - 1676), dans son livre des œuvres royaux, nous apprend que l'intérieur de la grosse tour, et en particulier l'appartement du roi, n'avait rien de magnifique ; car un édit fut rendu en 1214, par lequel tout le fouarre ou la paille qui servait à joncher la chambre royale devait, lorsque le roi la quittait, appartenir à l'université. On l'employait alors à couvrir les planchers des écoles, où les élèves étaient assis à terre (Joseph-Alexis vicomte Walsh, Souvenirs historiques des principaux monuments de Paris, 2015 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Henri Sauval).

 

Coursier et cheval

 

Il y a un deuxième point où Racine et Sénèque sont complètement d'accord et où ils diffèrent du tout au tout d'Euripide et d'Ovide. D'après ceux-ci, Hippolyte, à la vue du monstre, ne cherche qu'à maîtriser ses coursiers ; d'après Racine et Sénèque il court l'attaquer. R. v. 40. Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre. Il lui fait dans le flanc une large blessure (A. Krug, Étude sur la "Phèdre" de Racine et l'"Hippolyte" de Sénèque, 1883 - books.google.fr, Jean Racine, Phèdre, 1805 - books.google.fr).

 

«Coursier», terme de style élevé désignant un cheval rapide apte à la bataille ou au tournoi, est utilisé lorsque Racine met l'accent sur la noblesse de l'animal et son compagnonnage avec l'homme. [...] Le terme est utilisé dans Phèdre pour souligner le compagnonnage entre Hippolyte et ses chevaux; Théramène résente le jeune homme en train de : «Tantôt faire voler un char sur le rivage. / Tantôt, savant dans l'art par Neptune inventé, / Rendre docile au frein un coursier indompté ». L'ambiguïté de l'animal est ici notée par l'opposition entre l'épithète de nature « indompté » qui renvoie à la sauvagerie originelle de l'animal, et la séquence verbale «rendre docile au frein» ainsi que la référence à «l'art par Neptune inventé», qui témoigne d'une maîtrise de l'homme sur la bête, concédée par un dieu mais toujours menacée. Hippolyte le soulignera dans son aveu à Aricie : «Je ne me souviens plus des leçons de Neptune ; / Mes seuls gémissements font retentir les bois. / Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix». Les coursiers, compagnons emblématiques d'Hippolyte. semblent encore au début du récit de Théramène refléter la tristesse de leur maître : «Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes ; / Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois / Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix. / L'œil morne maintenant et la tête baissée, / Semblaient se conformer à sa triste pensée». L'apparition du terme « chevaux » est ici l'indice d'une dégradation qui va se poursuivre avec le surgissement du monstre ; le terme «coursiers» sera utilisé tant qu'Hippolyte maîtrisera les animaux ; mais ce sont des «chevaux» redevenus sauvages et insensibles à sa voix qui le déchiquèteront : «Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé». «Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots (...)» «De rage et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant (...)» «J'ai vu, seigneur, j'ai vu votre malheureux fils / Traîné par les chevaux que sa main a nourris.» (Phèdre V) (V. Maigne, L'éléphant de Porus, Bêtes de scène, 2002 - books.google.fr).

 

Chez Robert Garnier (1573), Hippolyte "les cheuaux ardans le trainent contre terre / A trauers les halliers et les buissons touffus" (Wendelin Foerster, Les tragédies de Robert Garnier, Volumes 1 à 4, 1970 - books.google.fr).

 

Les buissons épineux font face à la paille qui sert de litière aux chevaux.

 

La paille appelle aussi le paillard en opposition avec le chaste (cf. "caste hyppolite" du quatrain V, 52). Le latin "lippus" (cf. "lipee") peut signifier chassieux (yeux) suite à la débauche. "lippe" du néerlandais signifie "lèvre" ou "bouchée", dans le contexte de la bouche ("gueule") blessée par le frottement sur le sol. On peut voir aussi Ména-lippé, tante d'Hippolyte et soeur d'Hippolytè.

 

Cette légende provient de son nom Hippolyte qui, traduit du grec, signifie "traîné par des chevaux".

 

"Gueulle"

 

Dans un rêve, un animal animé d'une puissance surnaturelle "jette un grand cri « de sa gueule béante » ; cette image est encore revenue sous la plume de Robert Garnier, obsédé par la gueule de l'Enfer. Hippolyte s'adosse à une souche et menace le lion de son épieu; mais le lion brise l'épieu comme un fétu de paille, renverse Hippolyte, le « traînace », le « boule », et lui déchire l'estomac de ses griffes, « comme un poulet menu ». L'impression produite par ce songe n'est justifiable que par tout le côté surnaturel qu'Hippolyte y découvre, sinon que voudrait dire l'épouvante extrême du chasseur qui s'éveille en criant, glacé de terreur"./ [...] Ne nous laissons pas égarer par l'image d'une chasse, le lion représente souvent le démon dans la Bible. Cette métaphore donne tout son sens au monologue d'Hippolyte. La description du lion évoque singulièrement la «gueule d'Enfer» des Mystères. [...] Si nous nous souvenons du décor des mystères du Moyen Age, qu'on joue encore au XVIe siècle en province et dont le décor à mansions demeure jusqu'au milieu du XVIIe siècle utilisable à l'Hôtel de Bourgogne, si nous nous souvenons de ce décor, nous nous rappelerons qu'à droite pour le spectateur s'ouvrait une sorte de caverne: la gueule de l'Enfer, d'où sortaient les démons (Claude Francis, Les métamorphoses de Phèdre dans la littérature française Recherche et choix des illustrations: Sibylle Sinval, 1967 - books.google.fr).

 

Chez Racine, Procris apprend de la "bouche" de la reine, Phèdre, le secret de son amour pour Hippolyte (Claude Francis, Les métamorphoses de Phèdre dans la littérature française Recherche et choix des illustrations: Sibylle Sinval, 1967 - books.google.fr).

 

Nerf et voltige

 

Pour ce corps, Alberti demande mieux que la santé ; il ne le veut pas seulement exempt de maladies mais robuste, mais maintenu jeune, beau et fort par l'exercice et le jeu, la propreté, la diète.

 

Au sens morphologique : la forme du corps dépend des gestes que l'on fait pas moins que du développement de notre musculature ; les gestes dessinent le corps, ils en découpent la forme mouvante.

Mais aussi au sens médical. Les exercices physiques sont la condition d'un état du corps sain, d'une robustesse et d'une vigueur que les seules studia humanitatis ne sauraient procurer. "On ne saurait affirmer à quel point l'exercice est utile et très nécessaire en toutes choses. Les médecins, qui ont depuis longtemps distingué avec soin et qui connaissent tout ce qui dans les corps humains a de la valeur, disent que l'exercice conserve la vie, augmente la chaleur et la vigueur naturelle, éliminent les matières superflues et mauvaises, fortifie toutes les vertus et tous les nerfs" (Alberti,  Della Famiglia). C'est d'ailleurs dans le sens cette gymnastique médicale que les traités de gymnastique se développeront, ravivant une très antique tradition, et culminant avec le traité de Mercuriale, De arte gymnastica (1565)  (Bertrand Prévost, La peinture en actes: gestes et manières dans l'Italie de la Renaissance, 2007 - books.google.fr, Paul Henri Michel, La pensée de L. B. Alberti (1404-1472), 1930 - books.google.fr).

 

Au XVIe siècle, lorsque la figure de l'homme de cour se substitue définitivement à celle du chevalier, ce moment où se diffusent des manières spécifiques et inédites, celles dont la possession « rend digne de la conversation et faveur de chacun grand seigneur », selon l'expression de Balthazar Castiglione en 1528. Le renouvellement des vertus, l'interrogation explicite sur les comportements qui distinguent, renouvellent aussi les recherches et les mots sur les choses du corps. L'insistance par les maîtres d'exercice sur la « courtoisie, la civilité, les les bonnes mœurs » ajoute aux valeurs traditionnelles de l'homme d'armes celles jugées plus subtiles du courtisan. Balthazar Castiglione, avec son Courtisan lu dans l'ensemble de l'Europe, suggère clairement des qualités du corps tout en déclinant son long énoncé d'exercices : la voltige à cheval censée rendre « l'homme très léger et adroit », la paume censée accroître «la promptitude et adresse des membres» la course, les sauts, censés apporter «l'agilité» (Georges Vigarello, Histoire et modèles du corps, Hypothèses 2002: travaux de l'Ecole doctorale d'histoire de l'Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2003 - books.google.fr).

 

Au XVIe siècle, la France subit l'influence culturelle de l'Italie. Depuis Charles VIII et Louis XII, les relations sont permanentes. Nombreux sont les jeunes nobles qui partent faire le voyage transalpin pour parfaire leur éducation, notamment dans l'art équestre. [...] Au Moyen Age, la formation se fait auprès d'un Grand, le garçon étant alors placé comme page, ou elle se fait dans la famille auprès d'un oncle, d'un parrain, ou encore à la maison, auprès du père. Les méthodes italiennes traversent peu à peu les frontières et l'idée d'une éducation mieux encadrée, à l'intérieur de collèges, fait son chemin. [...] Les traités pédagogiques fleurissent durant le XVe siècle italien à commencer par le De civilitate morum Puerilium d'Erasme. Celui qui a le plus de succès est sans doute le Courtisan de Balthasar Castiglione. L'équitation y a une place majeure. [...] Si l'équitation tient une telle place dans l'éducation noble, c'est parce qu'elle est le moyen par lequel le noble peut accéder à la désinvolture qui fait de lui l'antithèse du paysan. Ce naturel travaillé qui exige une maîtrise permanente de soi.

 

L'académie correspond exactement aux désirs de la noblesse. Il faut une institution qui permette d'encadrer les jeunes nobles, de les priver de toute oisiveté en leur offrant une occupation digne de leur rang, de leur ordre. De plus, il s'agit de policer, de les civiliser, en leur faisant adopter les nouveaux codes de la Renaissance italienne, qui développent une nouvelle culture du corps, dont force maîtrisée et agilité sont les deux pôles essentiels (Corinne Doucet, Les académies d'art équestre dans la France d'Ancien régime, 2007 - books.google.fr).

 

Richelieu créera une autre Académie.

 

Les nerfs d'Hippolyte apparaissent dans les Métamorphoses d'Ovide, lorsqu'il raconte son martyr :

 

Je tombe renversé de mon char : vous eussiez vu mes pieds embarrassés dans les rênes, mes entrailles palpitantes, éparses çà et là, les ronces chargées de la dépouille de mes nerf ("nervos"), mes membres emportés en lambeaux ou suspendus autour de mon tronc, mes os se briser avec un bruit terrible, et mon âme s'exhaler épuisée. Il ne restait de moi rien qu'on pût reconnaître : tout mon corps n'était qu'une plaie (Oeuvres completes d'Ovide: Metamorphoses, traduit par Théodose Burette, Etienne Gros, 1841 - books.google.fr).

 

Inceste

 

Racine et Pradon avaient à tenir compte aussi d'une tradition française, représentée par l'Hippolyte de Garnier au XVIe siècle, au XVIIe par ceux, très inférieurs, de La Pinelière, de Gilbert et de Bidar. Gilbert et Bidar avaient modifié la donnée légendaire sur deux points importants : d'une part, Phèdre n'est plus la femme, mais la fiancée, de Thésée, ce qui sauve la bienséance en écartant toute idée d'adultère ou d'inceste; d'autre part, Hippolyte, qui selon la légende était consacré à Diane et faisait profession de mépriser l'amour - d'où la vengeance de Vénus -, est désormais amoureux, le ton galant qui régnait au XVIIIe siècle s'accommodant mal d'un idéal de chasteté virile. Racine et Pradon adoptèrent à l'égard de ces suggestions des attitudes opposées. Alors que Racine osait revenir à la tradition antique de Phèdre mariée, Pradon se conforma à la bienséance : son héroïne n'a pas encore épousé Thésée, évitant de mettre en scène la situation d'inceste et d'adultère. Toutefois, pour donner plus de consistance à sa culpabilité, il imagine qu'à défaut de la qualité d'épouse du roi elle possède déjà celle de reine, et il prend soin de rappeler plusieurs fois dans sa pièce qu'elle porte le bandeau royal, et même la couronne (Jacques Scherer, Théâtre du XVIIe siècle: textes, Volume 3, 1975 - books.google.fr, Jean-Pierre Landry, Réflexions sur les titres de quelques tragédies du XVIIe siècle, A plus d'un titre: Les titres des Å“uvres dans la littérature française du Moyen Age au XXe siècle, 2000 - books.google).

 

La chronique scandaleuse du tems prétendoit que le cardinal de Richelieu avoit plus que l'amitié d'un oncle pour madame de Combalet. Elle a fini par être dévote, et a fait, avant sa mort, beaucoup de pieuses fondations.

 

Aiguillon fut érigé en pairie en 1638 en faveur de Marie-Madeleine de Vignerod, fille de René de Vignerod et de Françoise du Plessis, sœur du cardinal, veuve d'Antoine de Beauvoir du Marquise Rouze de Combalet. Elle n'avoit point d'enfans (Claude Sixte Sautreau de Marsy, Nouveau siécle de Louis XIV, ou, Poésies - anecdotes du régne et de la cour de ce prince, Tome 1, 1793 - books.google.fr).

 

Selon Pierre Le Noble, Richelieu proposa de marier sa nièce à Gaston d'Orléans qui refusa en soufletant le cardinal comme un "valet d'écurie" (Pierre Le Noble, Les amours d'Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII. avec Monsieur le C.D.R. le veritable pere de Louis XIV. aujourd'hui Roi de France, 1693 - books.google.fr).

 

Richelieu et le théâtre

 

L'art théâtral a fait de grands progrès sous le règne de Louis XIII. Indépendamment du théâtre l'hôtel de Bourgogne, qui s'était élevé en rivalité des confrères de la Passion, Paris comptait à cette époque, dans son sein, la salle des comédiens italiens, le théâtre du Marais et plusieurs autres petits spectacles populaires. Le cardinal de Richelieu fit construire une salle de spectacle contiguë au Palais-Royal. C'est sur cette scène que se jouaient les tragédies et les comédies sérieuses. Corneille s'y essaya avec Rotrou, Colletet, Boisrobertet, l'abbé Desmarets. Le cardinal de Richelieu lui-même mettait la main à leurs oeuvres (Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la Révolution de 1789, 1829 - books.google.fr).

 

Richelieu mit la main au Téléphonte de Gilbert (1642).

 

Parallèle Suger/Richelieu

 

On présentera ces modèles ou émules de Richelieu dans leur ordre d'apparition historique. Suger est une timide préfiguration de Richelieu. Suger vient compléter, vers l'amont, la série des ministres-prélats avec lesquels le Cardinal suscite la comparaison, par pure identité statutaire. Certes, l'abbé de Saint-Denis, conseiller de Louis VI le Gros, « roi policier » réprimant les vassaux brigands de l'Île-de-France, puis, après sa mort en 1137, de son fils Louis VII le Jeune, ouvre pertinemment la lignée des ministres de cette monarchie fille de la féodalité, mais qui refuse désormais de s'en laisser compter par elle (Laurent Avezou, La légende de Richelieu: fortune posthume d'un rôle historique, du dix-septième au vingtième siècle, 2002 - books.google.fr).

 

Au XVIe siècle, un lointain successeur de Suger, le cardinal de Lorraine avait été suspecté de prétendre au titre de régent en raison de son abbatiat sandionysien. Le cardinal Du Perron invoquait aussi Suger, pour montrer que les ecclésiastiques administrent mieux l'État que les laïcs. En 1640 était paru un ouvrage intitulé Le MINISTRE FIDÈLE représenté en la personne de Suger, abbé de SAINT-DENYS en France, régent du royaume... Cet opuscule s'inscrit dans toute la littérature politique, définissant l'idéal ministériel, produite à des fins spéculaires par les serviteurs du cardinal de Richelieu. Le privilège avait été accordé à l'auteur par Conrart. Dédié par Jean Baudouin au cardinal, ce livre établit des analogies entre la fondation de la Sorbonne par Richelieu et l'action de Suger à Saint-Denis. Dans la galerie des hommes illustres de son palais cardinal, Richelieu a aussi fait peindre le célèbre abbé, et ce tableau est disposé juste en face de celui du cardinal ministre. Certes Richelieu n'était pas abbé de Saint-Denis. Mais Mazarin le fut, puis Retz (Jean-Marie Le Gall, Le Mythe de Saint Denis: Entre renaissance et révolution, 2014 - books.google.fr).

 

Alsace

 

C'est à l'issue de la guerre de Trente ans, dans laquelle la France fut lancée par Richelieu, qu'une grande partie de l'Alsace passe sous le contrôle français.

 

Les traités de Westphalie entrainent le rattachement d'une partie de l’Alsace, les possessions des Habsbourg regroupant principalement le sud de la région, à la France. Cependant au milieu de ces territoires, la République de Mulhouse (Stadtrepublik Mülhausen) conserve son statut de ville indépendante et Strasbourg demeure ville libre impériale. Épargnée par la guerre, la ville de Strasbourg est néanmoins isolée, financièrement affaiblie, et n’a rien à attendre du Saint-Empire vaincu (fr.wikipedia.org - Histoire de l'Alsace).

 

Résurrection

 

Qu'on a toujours ressuscité des morts depuis Hippolyte, et qu'on n'en ressuscite plus (Voltaire, Dictionnaire philosophique, Volumes 13 à 14, 1816 - books.google.fr).

 

On raconte qu'Hippolyte, lorsque la perfidie de sa belle-mère l'eut tué et que, mis en pièce par ses chevaux épouvantés, il eut satisfait de son sang à la vengeance paternelle, revint au monde, revit les étoiles et le ciel éthéré, grâce aux herbes de Péon et à l'amour de Diane (qui avait demandé à Esculape la résurrection du jeune homme) qui l'avaient rappelé à la vie. Alors le Père tout puissant, indigné de voir un mortel sortir des ténèbres infernales et renaître à la clarté du jour, plongea lui-même, d'un coup de foudre, dans les eaux stygiennes Esculape, l'inventeur de ce remède, le découvreur de cet art (www.antiquite.ac-versailles.fr).

 

Pindare assure qu'Esculape fut porté à ressusciter Hippolyte, par une grande somme qu'on lui promit; ce qui a fait dire à quelques-uns, qu'Esculape aimoit l'argent (Daniel Le Clerc, Histoire de la medecine: où l'on voit l'origine & les progrès de cet art de siècle en siècle, les sectes qui s'y sont formées, les noms des médecins, 1729 - books.google.fr).

 

Longtemps victorieux, l'empereur et l'Espagne trouvèrent un jour devant eux un adversaire à leur taille dans la France ressuscitée de Richelieu. Le cardinal s'était juré d'abaisser la Maison d'Autriche. Il s'allia à tous les ennemis des Habsbourg auxquels, après une période de revers, il arracha l'Alsace, l'Artois, le Roussillon. Son disciple et successeur, Mazarin, put achever son œuvre grâce aux victoires de Condé et de Turenne. L'empereur reconnut sa défaite en signant le traité de Westphalie. L'Espagne lutta dix ans encore en s'appuyant sur des Français rebelles, puis dut capituler à son tour. Le traité des Pyrénées, que scella le mariage du jeune Louis XIV et de l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, termina cette longue suite de guerres et en prépara beaucoup d'autres (Philippe Erlanger, Les idées et les mœurs au temps des rois, Tome 1, 1969 - books.google.fr).

 

Qu'aten-tu, Passant ? la vie de Richelieu est morte, non pas sa Sagesse, Il remue encore l'Europe mort ; & ressuscité, la France. Il gist dans la Sorbonne que gisante il avoit relevée.  Il a reparé l'anciène, & y en à adiousté une nouvelle, & ainsi il en est doublement restaurateur, Mais la Sagesse est plus obligée a Richelieu que la Sorbonne. Il a restauré la Sorbonne à Paris, & la Sagesse par tout. Va-t'en, Passant, & appren du mort a estre sage. Revien, Passant : Richelieu vit dans la Sorbonne : pource que dans la Sorbonne rien ne meur (Scipion Dupleix, Histoire de Louis le Juste, XIII du nom, roy de France et de Navarre, 1643 - books.google.fr).

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