La frontière franco-suisse

Liège

 

IV, 8

 

1784

 

La grand cité d'assaut prompt & repentin,

Surprins de nuict, gardes interrompus :

Les excubies & veilles saint Quintin,

Trucidez gardes & les portails rompus.

 

Saint Quentin, sénateur romain martyrisé en Gaule à la fin du IIIe siècle et ayant donné son nom à la ville de l'Aisne, a sa fête le 31 octobre; il apparaît à cette date dans l’Almanacke for the yeare ofoure Lorde God 1559, mais dans l'Almanach pour 1566. Les martyrologues anciens s'accordent sur la date du 31 octobre, d'après dom H. Leclercq, dans l'article du Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie qui concerne ce saint (XIV, 2e, Paris, Letouzey, 1948) (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

Saint Foillan ou Feuillien ou Pholien (de Pholas en grec : qui vit dans les trous) est fêté aussi le 31 octobre et est lié à la vigile de sa fête. Né en Irlande (île d'Inchiquin, sur le lac Corrib, dans le Connaught/Connemara) au début du septième siècle, il est le frère de saint Ultan (ou Ultain) et de saint Fursy (ou Furzy). Les trois frères quittèrent le pays, poussés par les invasions ou par l'ardeur évangélisatrice. Foillan partit pour Péronne en Neustrie, où il fut reçu par Erconwald (Erchinoald), maire du palais. A Nivelles, il connut la bienheureuse Itte, veuve de saint Pépin de Landen, ainsi que sainte Gertrude de Nivelles. Itte lui permit de construire le monastère dit des Scots à Fosses en 651. Des voleurs le tuèrent ainsi que ses compagnons près de Seneffe, le 31 octobre 655 (dans le hameau du Roeulx), alors qu'il cheminait en direction du monastère de Lagny fondé par son frère Fursy, par la voie romaine Bavay-cologne, ayant juste célébré la messe de la veille de la Saint-Quentin à Nivelles. A Liège, saint Feuillien, sous le nom de saint Phollien, est invoqué pour les maladies de l'anus et des intestins (jerome.levie.free.fr, carmina-carmina.com).

 

Saint Pholien de Liège

 

Les Écoliers, ordre canonial du Val des Écoliers (Ordo Vallis Scholarium), ou ordre de chanoines réguliers des Écoliers du Christ est un ordre religieux catholique fondé en 1201, par quatre maîtres en théologie de l'Université de Paris. Un prieuré, qui sera nommé Val des Écoliers, est fondé quelques années plus tard dans le val de Verbiesles, dans le Diocèse de Langres, en 1212 par les fondateurs de l'ordre, sous la règle de saint Augustin, qui sont rejoints par une trentaine d'étudiants : des «écoliers» (fr.wikipedia.org - Ecoliers du Christ (ordre religieux)).

 

L'ordre du Val-des-Écoliers installa à Liège un prieuré dès le XIIIe siècle et une abbaye dès le XVIe siècle, qui sera un des trois plus important de leurs prieurés (fr.wikipedia.org - Abbaye du Val des Ecoliers de Liège).

 

L'église Saint Pholien d'origine datait probablement du XIIe siècle. Eustache des Prez fonda cette paroisse en 1189. Depuis le XIIe siècle, trois édifices successifs se sont succédé au même emplacement. En 1910, l'église fut rasée pour permettre la réalisation du nouveau plan de voirie. En 1914, l'architecte Edmond Jamar, construisit l'église actuelle en style néogothique (fr.wikipedia.org - Eglise Saint-Pholien de Liège).

 

Le rattachement de paroisses permet aux prieurs d'améliorer les revenus. Par ces cures, les Ecoliers sont également en contact permanent avec l'institution paroissiale et le clergé séculier local. Es sont également plus proches des fidèles et de leurs préoccupations. De cette manière, ils sont mieux à même de diffuser leurs dévotions et d'exercer une véritable influence. [...] A Liège où Saint-Pholien voisine avec le couvent, le desservant loge, rue des Ecoliers, dans la maison curiale, incendiée en 1468 lors du sac de la ville par les troupes de Charles le Téméraire. [...] Eustache Chabot, mayeur de Liège, fonde, par testament du 27 juin 1462, à Saint-Pholien, une chapelle dédiée à la Vierge où une messe quotidienne devra être célébrée et demande à y être enterré aux côtés de sa fille Marie. En mars 1463, le prieur de Notre-Dame de l'Ile et le curé de Saint-Pholien approuvent cette fondation. La veuve d'Eustache Chabot, Alix le Rousseau, décide, par testament du 6 octobre 1468, de s'y faire inhumer. Cette église est choisie comme lieu de sépulture par d'autres échevins, tels Collard de Bierset dit Perron (mort en 1358), Clément Vacheresse (mort en 1410) et ses descendants ou Jean de Meers maître de la cité en 1492 (mort en 1498). Mais Saint-Pholien attire aussi les faveurs des gens de métier du quartier, c'est-à-dire les tanneurs et les pêcheurs. Ainsi, Ottelet Pandechou (mort en 1301), pêcheur, ou William de Tyne (mort en 1415), tanneur, s'y font enterrer. D'ailleurs, c'est à Saint-Pholien que ces deux corps de métiers choisissent d'établir leur confrérie : celle des tanneurs dans la chapelle Sainte-Anne et Saint-Jean-Baptiste et celle des pêcheurs dans celle de Sainte-Catherine et Sainte-Barbe. En 1427, le curé de saint-Pholien, Pierre de Kanne, rend une sentence sur le mode d'élection des maîtres-jurés du métier des tanneurs (Catherine Guyon, Les Ecoliers du Christ: l'ordre canonial du Val des Ecoliers, 1201-1539, 1998 - books.google.fr).

 

L'église Saint Pholien est connue de tous les lecteurs de Georges Simenon pour avoir servi de cadre à son célèbre roman Le Pendu de Saint-Pholien (1930). Il y est d'ailleurs fait mention de la démolition et la reconstruction du bâtiment. Maigret prend connaissance d'un meurtre commis par des étudiants dix ans plus tôt.

 

Liège, 1468

 

La mainmise des Bourguignons sur la cité épiscopale de Liège entre dans la politique d'extension des ducs capétiens de Bourgogne.

 

Le conflit, implacable, entre le duc de Bourgogne et le peuple liĂ©geois Ă©tait, semble-t-il, inĂ©luctable. En effet, depuis plus d’un demi-siècle, leurs options politiques respectives ne cessaient d’être rĂ©solument antithĂ©tiques : une volontĂ© persistante de concentration et d’unification territoriales, cĂ´tĂ© bourguignon, s’opposait inlassablement Ă  une revendication d’indĂ©pendance farouchement cultivĂ©e par les LiĂ©geois. En 1408, lors de la bataille d’OthĂ©e, c’est avec l’appui de son beau-frère, Jean  sans  Peur, duc de Bourgogne, que l’élu de Liège Jean de  Bavière parvint Ă  Ă©craser les milices liĂ©geoises  et hutoises, ces «hĂ©droits» tellement favorables au duc Louis d’OrlĂ©ans, frère du roi de France, qui entendaient destituer le  prĂ©lat. A l’issue de ce qui fut une  vĂ©ritable boucherie, les vainqueurs proclamèrent, par la sentence de Lille (24 octobre 1408), la suppression pure et simple de l’autonomie urbaine dans le pays de Liège (confiscation de toutes les chartes des villes liĂ©geoises, abolition des mĂ©tiers et des institutions communales, très fortes amendes, dĂ©molition des murailles de plusieurs citĂ©s, etc.), la vengeance de l’élu et sa sĂ©vĂ©ritĂ© faisant corps, aux yeux des populations châtiĂ©es, avec l’action dĂ©lĂ©tère des Bourguignons. Somme toute encore bien timide sous Jean sans Peur, l’intrusion bourguignonne dans les affaires liĂ©geoises dĂ©cuplera sous son fils et successeur, Philippe le Bon. DĂ©jĂ  souverain d’une large portion des Pays-Bas, accaparĂ©s avec une facilitĂ© stupĂ©fiante, qui tout Ă  la fois tient Ă  un sens politique exacerbĂ© et Ă  une insolente fortune - Namur (1429), Brabant et Limbourg (1430), Hainaut, Hollande, ZĂ©lande, Frise (1428/1433) et Luxembourg (1443) viennent s’agrĂ©ger Ă  un noyau patrimonial formĂ© de la Bourgogne, la Franche-ComtĂ©, la Flandre et l’Artois -, le grand-duc d’Occident savait parfaitement que la reconstitution Ă  son profit du royaume de Lotharingie passait inĂ©vitablement par l’incorporation des Ă©vĂŞchĂ©s compris dans l’espace bourguignon. Cette mainmise se fit, lĂ  aussi, de façon rapide et mĂ©thodique. Partisans, frères naturels, bâtards de Bourgogne s’emparèrent des sièges stratĂ©giques; celui de Liège ne fit pas exception. L’annĂ©e 1455 est Ă  cet Ă©gard tout Ă  fait capitale. L’évĂŞque Jean de Heinsberg, qui, pourtant globalement, avait fait allĂ©geance au prince bourguignon, se vit contraint d’abdiquer. Loin d’être dĂ» Ă  une injonction de ses autoritĂ©s de tutelle (le pape et l’empereur), son retrait de la vie politique liĂ©geoise lui fut dictĂ© par Bourgogne, Ă  savoir un souverain Ă©tranger Ă  la principautĂ©, sans rapport de droit avec elle : le fait est sans prĂ©cĂ©dent. Avec le nouvel Ă©lu, Louis de Bourbon, Liège hĂ©rita cette fois d’un Bourguignon de pure souche, neveu de Philippe le Bon, ce qui ne fit qu’intensifier l’emprise des ducs sur l’évĂŞchĂ© et, partant, exaspĂ©rer la haine des LiĂ©geois, tant Ă  l’égard de la Bourgogne que de leur propre prince (Alain Marchandisse, Irène Vrancken-Pirsonc, Jean-Louis Kupper, La destruction de la ville de Liège (1468) et sa reconstruction, Destruction et reconstruction de villes du moyen âge Ă  nos jours, 1996 - orbi.uliege.be).

 

L’épisode tragique des «Six-cents Franchimontois» est gravĂ© dans toutes les mĂ©moires liĂ©geoises comme celui de la courageuse rĂ©sistance du peuple face Ă  la cruautĂ© d’un tyran, une nuit d’octobre 1468. Ă€ cette date, celui qui occupe le siège Ă©piscopal se nomme Louis de Bourbon, neveu de Philippe le Bon, qui a bien du mal Ă  faire respecter son autoritĂ© : le vrai maĂ®tre de la principautĂ© est le duc de Bourgogne lui-mĂŞme. Ă€ la fin de l’annĂ©e 1467, après sa victoire Ă  Brusthem, Charles le TĂ©mĂ©raire a fait lire sa Sentence du 18 novembre devant l’assemblĂ©e des bourgeois de Liège. Depuis lors, le lĂ©gat du pape tente de rĂ©concilier le prince-Ă©vĂŞque avec son peuple. C’est pourtant Ă  Maastricht que Louis de Bourbon convoque les États, le 25 aoĂ»t 1468, acte qui est perçu comme une provocation. Le 9 octobre, des insurgĂ©s liĂ©geois conduits par Jean de Wilde et Gossuin de Streel entrent dans Tongres, y tuent quelques Bourguignons et s’emparent de leur prince-Ă©vĂŞque - ainsi que du lĂ©gat pontifical - qu’ils ramènent manu militari Ă  Liège. La rĂ©conciliation semble en bonne voie, quand le TĂ©mĂ©raire, associĂ© Ă  un Louis XI qui mange sa parole, revient assiĂ©ger Liège avec ses soldats. Ecartant des milices liĂ©geoises qui tentent de freiner leur avancĂ©e, les troupes bourguignonnes s’installent sur la Montagne-Sainte-Walburge, dominant la ville rebelle. Dans la nuit du 28 au 29 octobre, des LiĂ©geois ainsi que quelques centaines d’hommes en provenance du Pays de Franchimont tentent de capturer Charles le TĂ©mĂ©raire et Louis XI. Les Franchimontois rĂ©ussissent Ă  s’introduire sur les lieux et Ă  maĂ®triser les sentinelles, mais ils perdent un temps prĂ©cieux Ă  combattre les soldats bourguignons au lieu de gagner directement l’aile du camp oĂą loge leur chef. Charles le TĂ©mĂ©raire a tout le temps d’organiser une contre-offensive…

 

Le lendemain, 30 octobre, commence le saccage systématique de la ville de Liège ; elle est impitoyablement ruinée, pillée et saccagée - son incendie, dit-on, dura sept semaines. La population est massacrée : on parle de 4.000 à 5.000 victimes. Il s’agit d’un véritable acte de destruction conscient et délibéré, destiné à marquer les esprits et empêcher toute tentative de rébellion (connaitrelawallonie.wallonie.be).

 

Les excubies et veilles (les deux termes religieux traduisant "vigiliae Ecclesiasticae") pourraient marquer le caractère épiscopal de la cité assiégée. La veille de la Saint Quentin est le 30 octobre.

 

Liège, "grand cité"

 

S. Monulphe Chanoine & Chantre de Mastrecht fut sacré l'an 558. Il regna 39 ans. Un jour comme il s'en alloit pour consacrer une Eglise à Dinant, il apperçut en chemin une Croix toute brillante de lumiere qui tomboit sur un petit village, il s'informa du nom de ce village, & ayant appris qu'il se nommoit Liege, il y descendit a dessein de voir la constitution du lieu, rempli du don de prophetie, il predit que Dieu avoit choisi cette place pour le salut de plusieurs personnes fideles, & qu'elle auroit grand renom, une grande Cité. C'est pourquoi il y fit bâtir une Chapelle à l'honneur de S. Cosme, & S. Damien, Chapelle qui fut par après annoblie par le sang du glorieux martyr S. Lambert (Abregé curieux et nouveau de l'histoire de Liege, de la vie de S. Lambert, et de S. Hubert, 1673 - books.google.fr).

 

Pourtail rompu

 

Le Manuscrit de Lausanne (1500-1501) est un recueil artificiel comportant quatre textes originaux d’Antitus Faure. Seul manuscrit connu de ces Ĺ“uvres, il est dĂ©corĂ© de riches lettrines et de huit enluminures. Sa qualitĂ© artistique complète et renforce l'image que l'on a aujourd'hui de son destinataire, Aymon de Montfalcon, Ă©vĂŞque Ă©rudit, poète, bibliophile et amateur d'art. Antitus, d’abord chapelain des ducs de Bourgogne et de Savoie, rĂ©side dès 1499 Ă  la cour d'Aymon de Montfalcon, prince-Ă©vĂŞque de Lausanne, auquel il dĂ©die plusieurs Ĺ“uvres littĂ©raires, Ă  savoir : La satyre megere, Les quatres eages passees, une ballade et trois rondeaux, ainsi que Le portail du temple Boccace (fr.wikipedia.org - Antitus Faure).

 

Le dernier texte que contient le manuscrit de Lausanne, est sans aucun doute le plus intéressant et le plus significatif. Le portail du temple Bocace a été écrit à l'occasion de la mort accidentelle de Louis de Montfalcon, neveu de l'évêque Aymon. Or Louis n'avait que six ans : comment s'y prendre pour ériger un tombeau littéraire ? Quels exploits célébrer quand la vie du défunt a été si courte ? Antitus s'est décidé pour le «grand œuvre» des rhétoriqueurs, le prosimètre, qu'il place sous le signe de la Fortune, ce qui lui permet d'élargir le débat et de présenter, après l'évocation obligatoire du malheureux Louis, un certain nombre de grands personnages frappés par l'aveugle déesse. Son modèle direct, cité dès La satyre Megere, est Le temple de Boccace de George Chastelain, à qui il semble vouer une profonde admiration. [...] Dans sa dédicace, l'auteur, se réclamant de Clyo la premiere des muses, et tout en s'excusant de sa rude enclume ainsi que de la lourde taille, déclare qu'il connaît les nouvelles inventions et factures. Son traité cependant n'aura ne fin conclusive ne cloture à cause des cas fortuiz futeurs et advenir - et en effet, le texte n'a pas de conclusion, puisque l'auteur refusera aux derniers personnages qui se présentent à lui, de figurer au portail du temple : étant encore en vie, ces personnages, tout comme l'auteur, ignorent le verdict final de Fortune. Cette théorie du non-fini fondée sur le contenu et non point sur des considérations artistiques, Antitus l'exprime encore en ces termes :

 

Le fondement fut profondé si bas que que ledict pourtail sera molt difficile à parfaire pour son extreme grandeur. Et pourtant ay deliberé selon mon rude et inutil entendement commencer seullement, et laisser à noz successeurs la fin et perfection du dict pourtail.

 

La fin semble un peu abrupte, mais le manuscrit s'arrête au beau milieu d'une page, de sorte qu'un accident matériel paraît exclu. Si Antitus nous a bien prévenu que son traité, virtuellement du moins, ne sera pas terminé, on aurait quand même souhaité que l'auteur revînt de son sursonge.

 

Tout incontinant que j'euz expedié le dict Loys de Monfalcon, survint merveilleuse multitude d'empereurs, roix, ducz, princes, contes et chevaliers, menans ung si grant et terrible bruit que l'aer en estoit corrompu, entre lesquelz s'avança pour estre premier Charles, duc de Bourgoigne, le hardy conquerant, exposant comme Fortune decepvable, aprés pluseurs haultes et glorieuses entreprises, l'avoit conduit à fin obscure et par trop doloreuse, disant en ceste maniere :

 

"...Et pour monstrer au vray ma tragedie,

Moy, estant conte, prince de Charrolois,

Fortune fut pour moy si treshardie

Que combatiz Loys, le roy françois,

Puis fis descendre en France les Anglois ;

Le Liege mis tout Ă  desconfiture ;

A l'empereur Frederich fis rompture,

Quant devant Nucz y  me vint assaillir ;

Puis en Lorraine par tout fis ouverture,

Dont je ne sceuz finablement faillir."

 

En 1512, il est cité dans la liste des vingt-six écrivains du Contreblason de faulses amours, entre Guillaume Cretin et Guillaume Flameng. Or dès 1506, Nicaise Ladam, dans la Déploration de Philippe le Beau, parle d'Antitus comme d'un auteur qui ne vit plus ; Antitus est le dernier nom que cite Ladam dans la liste des grands auteurs dont chacun Dieu ait l'ame, avant de passer aux vivants, Jean Molinet et Jean Lemaire (Marc-René Jung, Maître Antitus, rhétoriqueur, Études seiziémistes offertes à Monsieur le Professeur V.-L. Saulnier, Genève, Droz, 1980 - books.google.fr).

 

"repentin"

 

repentin(e), repent. mutation : mutation soudaine (Alector, l48 v°) [XV° s., du lat. repentinus ; O. de Saint-Gelais, Lemaire, Cretin, M. D'Amboise, Selve, Scève ; Cotgrave ; LC "subit"] (Marie-Madeleine Fontaine, Alector, ou Le coq: histoire fabuleuse de Barthélemy Auneau, Tome 1, 1996 - books.google.fr).

 

Le choix du mot "repentin" peut donner un indice de l'époque où se déroule l'événement relaté par le quatrain.

 

Rhétoriqueur unanimement célébré quand il parut, Guillaume Crétin est, depuis l'époque classique, tombé dans le décri. S'il a droit à une mention de nous, c'est pour être l'auteur d'un court poème d'apparence bourguignonne : l'épître «au nom du duc Charles de Bourgongne aux Bourguignons, Holandois, Zélandois, Flamenghs et Brabançons» dans laquelle ces «belgiques Gaulois» sont adjurés par le duc de ne pas l'imiter dans sa révolte. Poésie de circonstance écrite en 1513, lorsque le gendre de Charles le Téméraire, Maximilien, lançait ses bandes dans le nord de la France et s'apprêtait à venger à Guinegate les humiliations que la monarchie française lui avait infligées, ce morceau n'est bourguignon que par le souvenir du grand-duc qui s'y voit l'objet d'une satire plus cruelle qu'originale et forcé de prononcer un dithyrambe de Louis XII inattendu sous sa plume (B.A. Pocquet du Haut-Jussé, Bibliographie : "Guillaume Crétin" de K. Chesney, Annales de Bourgogne, 1965 - books.google.fr).

 

En Août 1513 l'Epître du roi fut jointe au Tiers livre des Illustrations. L'opuscule qui réunit sous ce titre des œuvres de circonstance, démontrait, en effet, combien ponctuellement Lemaire, deux années durant, avait exercé «deument et convenablement» sa charge d'historiographe, épousant les querelles de Louis XII et célébrant les événements de la cour (guèrison de la reine, mort de Gaston de Foix). La Concorde des deux langages, pièce maîtresse de l'opuscule, rappelait avec bonheur que Lemaire, à la veille d'entrer au service d'Anne en 1511, avait fait vœu de se consacrer définitivement à «Labeur historiien» Grave et badine, discrètement louangeuse et peut être quémandeuse, l'œuvrette avait dû alors, par les mêmes qualités que l’Amant vert, séduire Anne de Bretagne. En la plaçant en 1513 à la suite du Tiers Livre des Illustrations, Lemaire cherchait probablement à faire oublier ce que la publication de cette médiocre compilation pouvait avoir d'inopportun à la cour au moment où Marguerite d'Autriche préparait une coalition contre la France. Il ne pouvait échapper en effet à personne que le Tiers Livre, quoique rebaptisé «Illustrations de France Orientale et Occidentale», restait malgré quelques retouches superficielles, une généalogie... de la maison de Bourgogne. Enfin, fort habilement, le petit recueil composé du Tiers livre et des diverses pièces de l'Epître du roi était placé tout entier sous la protection de Guillaume Crétin, chapelain de Louis XII et poète bien en cour. Il s'ouvrait par une épître qui lui était adressée, et se terminait par un de ses poèmes : La plainte sur le trespas de Guillaume de Byssipat [L'adversité / Du repentin cas fatal recité / Me rendit lors en la perplexité...]. En outre, dans le préambule de la Concorde, Lemaire glissait un bref éloge de Crétin, «prince» des poètes (Jacques Abelard, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye de Jean Lemaire de Belges: étude des éditions, genèse de l'œuvre, 1976 - books.google.fr).

 

François Rabelais fait du pauvre Guillaume Crétin son Raminagrobis qui répond à Panurge par des conseils sur le mariage dans un triste rondeau tiré, dit-on, des œuvres de Crétin (d'autres disent de Jean Lemaire de Belges). [...] Guillaume Crétin fut considéré comme un maître de la rime équivoquée. Dans ses décasyllabes, riment non seulement les trois derniers pieds, mais aussi les quatre premiers (Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, Tome 2 : Poésie du XVIe, 1975 - books.google.fr).

 

C'est dans le style du XVe siècle que Guillaume Cretin aborde un thème neuf, celui des embarras de Paris, de son infection, de sa puanteur, et qu'il oppose les charmes de la campagne en rimes équivoquées sur deux pieds en fin de vers :

 

Icy suis hors des durs remords et goutz

Des trous puans, ordes places, esgoutz

Et lieux infectz de l'antisque Lutesse

Dicte a luto; aigre et forte lutte esse

A resister a peste si mortelle:

C'est cas par trop repentin que mort telle (Pierre Citron, La poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à Baudelaire, 1961 - books.google.fr).

 

Mors repentina

 

Pour que la mort fût ainsi annoncée, il fallait qu'elle ne fût pas subite, repentina. Quand elle ne prévenait pas, elle cessait d'apparaître comme une nécessité redoutable, mais attendue et acceptée, bon gré mal gré. Elle déchirait alors l'ordre du monde auquel chacun croyait, instrument absurde d'un hasard parfois déguisé en colère de Dieu. C'est pourquoi la mors repentina était considérée comme infamante et honteuse (Philippe Ariès, L'homme devant la mort, Tome 1 : Le temps des gisants, 1985 - books.google.fr).

 

Ce que nous nous voudrions aujourd'hui appeler la «bonne mort», ne correspond-il pas exactement à la mort maudite d'autrefois ? C'est la mors repentina (subite) : «Il est mort cette nuit dans son sommeil : il ne s'est pas réveillé. Il a eu la plus belle mort qu'on peut avoir», ou la  ou la mors improvisa de ce jésuite qui, au milieu d'une conférence, s'arrête, prie qu'on l'excuse et s'effondre terrassé. Comme de telles morts, «si douces», sont rares en raison des progrès de la  médecine, beaucoup s'efforcent de faire en sorte que la «mort lente» vécue à l'hôpital ressemble le plus possible à la mors repentina, en ne disant pas au malade la vérité sur son état (Philippe Lécrivain, Mourir au cours des âges, l'évolution des attitudes, Christus, Numéro 184, 1999 - books.google.fr).

 

Au Moyen Age occidental, et donc à la période bourguignonne, correspond une société où la violence est spontanée. Au contraire, le meurtre par venin n'implique pas de violence mais suppose préparation, préméditation. Souvent perpétré à table au mépris de la convivialité, cet acte criminel contrevient à l'éthique du combat, de la joute. Son effet, généralement foudroyant, prive sa victime de recourir à la confession, au pardon de l'Eglise, la condamne à la mors repentina.  Empoisonner, c'est trahir. Quoique contraire à l'éthique, sa place est cernée de manière assez floue dans les chroniques du temps. Les empoisonnements sont souvent rapportés ut dicitur ou encore non sine suspicione veneni. Froissart écrit : «Vérité fut, selon la fame qui courait que le roi de Navarre du temps qu'il se tenait en Normandie et que le roi de France était duc de Normandie, il le voult faire empoisonner». De son côté, Chastelain relate la mort de l'épouse de Philippe le Bon en se rapportant aux «murmures» des rues de Gand. J'ai évoqué, lors de nos précédentes rencontres, le souci de préserver les breuvages d'un quelconque poison qui y aurait été méchamment introduit. Les Bourguignons veulent se prémunir, ils veulent des tests. Les Etats de la Maison de Bourgogne d'Olivier de la Marche décrivent minutieusement l'«essai» de la viande dans le rituel de la table ducale. Une grande créance est attribuée aux vertus de la licorne - symbole de pureté - dans l'épreuve conduite en raison d'une suspicion assez généralisée et que plus d'un événement justifie. Les conflits d'intérêt entre les Maisons d'Orléans et de Bourgogne au XVe siècle font sa place à la toxicatio. Bien évidemment, les origines italiennes de Catherine de Médicis lui assignent de multiples empoisonnements ou tentatives d'empoisonnement, dont celle du Dauphin en 1536 qui, sur l'instant, avait été imputée à des serviteurs de Charles Quint. Faute de pouvoir l'emporter par le sang versé loyalement, il est recouru à un moyen jugé détestable, méprisable, voire maléfique. Ainsi, Jean de Roye explique que le duc de Bourgogne a été amené à vouloir empoisonner Louis XI «voyant qu'il n'avait pas puissance de parvenir à destruire le royaulme de France». Ne demeurant pas en reste, Louis XI tente d'assassiner d'assassiner le prince-évêque de Liège, Louis de Bourbon. Par ailleurs, Adrien de But nous apprend qu'en 1461, le comte de Charolais motive son refus de participer aux cérémonies du sacre de Louis XI par crainte d'être empoisonné... La tentative prêtée au bâtard Baudouin de Bourgogne d'empoisonner son demi-frère défraye la chronique. Tant et si bien que d'Hesdin, le duc informe le 13 décembre 1470 les bonnes villes de ses états des visées criminelles du roi de  France et leur demande de remercier la Providence de l'avoir épargné (M. Paternotte de la Vaillée, Allocution inaugurale, Rencontres de Liège (20 au 23 septembre 2007): l'envers du décor : espionnage, complot, trahison, vengeance et violence en pays bourguignons et liégeois, 2008 - books.google.fr).

 

Typlogie

 

Si on reporte 1784 sur la date pivot 1468 on obtient 1152.

 

Tout devait être fait en fonction de saint Lambert: c'est autour de ses reliques, et de ses seules reliques que les énergies, en ce milieu du XIIe siècle, devaient nécessairement se cristalliser. En d'autres termes, saint Lambert, patron et propriétaire céleste de l'Eglise de Liège depuis le VIIIe siècle, montrait une fois de plus qu'il n'appréciait pas la concurrence et qu'il entendait rester le seul maître de son évêché et de sa cité. Nizon, moine de Saint-Laurent, n'avait aucune chance d'imposer ses vues au chanoine de Saint-Lambert Henri de Leez et à l'équipe politique que ce dernier incarnait. Vers 1140, par l'exaltation du martyr Lambert, les chanoines de la cathédrale ont voulu ostensiblement placer leur confiance dans leur saint patron et dans la force jaillissante de ses reliques. Ils ont voulu faire de lui le symbole d'une volonté politique qui conduira d'ailleurs à d'étonnants résultats. Le règne de l'évêque Henri de Leez, inauguré en 1145 et qui se prolongera jusqu'en 1164, fut, avec celui de Notger (972-1008), l'un des plus grands du Moyen Age liégeois. Dans ce contexte politico-religieux, le culte de Frédéric de Namur n'avait aucune chance de s'épanouir. Aussi bien devait-il, lentement, s'étioler et s'enfoncer dans l'oubli. En 1151, à Andenne, en bordure de Meuse, l'évêque de Liège Henri de Leez écrasait l'ost du comte Henri de Namur, fils de Godefroid de Namur et neveu de l'évêque Frédéric. Par cette victoire, l'évêque de Liège devenait la première personnalité politique - l'homme fort - de la Meuse moyenne. La principauté namuroise, quant à elle, était ravalée au rang de puissance de second ordre. Cette éclatante victoire l'évêque de Liège la devait, une fois encore, au glorieux martyr Lambert dont les saintes reliques, ce jour-là, avaient été acheminées sur le champ de bataille (Jean-Louis Kupper, La double mort de l'évêque de Liège Frédéric de namur (1121), Bischofsmord im Mittelalter, 2003 - books.google.fr).

 

Liège, 1784

 

Chaque élection est marquée par l'intervention des puissances européennes, qui présentent leurs candidats, usent de leur influence pour imposer le choix de leur protégé, exercent sur les électeurs des pressions diverses. C'est qu'en raison de sa situation géographique, la principauté revêt une importance politique et stratégique sans commune mesure avec l'exiguïté de son territoire, la modicité de sa population, son impuissance militaire, ou même la relative prospérité de ses industries. Un prince de Liège dévoué à ses intérêts représente, pour chacun des États de l'Europe occidentale, un atout favorable à sa politique étrangère. Certains princes de Liège ont donc accédé au trône grâce à l'appui de leur famille, tels Ernest en 1581, ou Joseph-Clément en 1694, que soutiennent les ducs de Bavière, leurs parents; le premier bénéficie en outre des sympathies du roi d'Espagne. La France favorise et aide à faire triompher les candidatures d'Érard de La Marck en 1505, de François-Charles de Velbuck en 1772, de César-Constantin-François de Hoensbroeck en 1784. D'autres princes, par contre, sont les élus d'un  «parti national» soucieux d'écarter les intrigues de l'étranger; c'est le cas de Jean-Louis d'Elderen en 1688, de Georges-Louis de Berghes en 1724, de Charles-Nicolas d'Oultremont en 1763 (Georges Hansotte, Les institutions politiques et judiciaires de la Principauté de Liège aux temps modernes, 1987 - books.google.fr).

 

Le 30 avril 1784, dans l'après-midi, Velbruck meurt en son château d'Hex des suites d'une congestion cĂ©rĂ©brale. C'est la fin d'une Ă©poque heureuse pour la principautĂ©. Les prĂ©misses de la politique obscurantiste qui dĂ©bouchera sur la RĂ©volution liĂ©geoise se mettent en place dès le dĂ©but du nouveau règne, après l'Ă©lection le 21 juillet 1784, de CĂ©sar-Constantin, comte de Hoensbroech, ancien conseiller du prince Charles d'Oultremont et rĂ©actionnaire notoire. Le peuple ne s'y trompait guère ; ne racontait-t-on pas dans les rues de Liège qu'après son avènement CĂ©sar-Constantin de Hoensbroech aurait rĂ©pondu Ă  un librairie lui proposant ses services : «Jamais je n'ai lu et je ne commencerai pas Ă  soixante-quatre ans !», ce qui, mĂŞme si le mot avait Ă©tĂ© inventĂ©, en dit très long sur la considĂ©ration dont le nouveau prince jouissait parmi ses sujets ? (Pierre Gilissen, Jean-Jacques Tutot, imprimeur, libraire, Ă©diteur au pays de Liège, L'encyclopĂ©disme au XVIIIe siècle: actes du colloque organisĂ© par le Groupe d'etude du XVIIIe siècle de l'UniversitĂ© de Liège 2006), 2008 - books.google.fr).

 

Les quatre candidats en lice étaient le prince de Rohan, archevêque de Cambrai, candidat de la France et de Grétry, mais aussi de Frédéric II, le prince de Salm, évêque de Tournai, soutenu par l'Autriche en raison du peu de chance de chance de l'Archiduc Maximilien devenu électeur de Cologne après la mort de Maximilien-Frédéric de Konigsegg, le 15 avril 1784, et enfin, le comte de Hoensbroeck, le représentant du parti liégeois. Le marquis de Sainte-Croix s'acquitta avec zèle de sa commission. Il sera aidé en cela par sa femme qui faisait merveille comme le notait avec dépit l'envoyé spécial de  Bruxelles, Crumpipen : «Il n'est pas concevable avec combien de finesse mondaine la marquise de Sainte-Croix qui est jeune, jolie et aimable, a su prendre un ascendant marqué sur la plupart des tréfonciers, surtout les anciens. Elle les agace, les plaisante, les fait jouer au lotto, les voit presque tous les jours, en un mot paroit en disposer à volonté». Estimant que le prince de Rohan ne pouvait être élu, il favorisa les chances du candidat ex gremio de son cœur le comte de Hoensbroeck, en multipliant gratifications et pensions16. La diplomatie autrichienne sera ainsi tenue en échec. De plus, Sainte-Croix, qui s'était aliéné le Prince de Rohan, arracha à Hoensbroeck l'engagement de ne prendre aucun coadjuteur sans l'accord préalable de Louis XVI. Le nouveau prince-évêque signa cette déclaration le 3 août 1784 (Bruno Dumoulin, Recueil des instructions aux ambassadeurs et ministres de France, XXXI, Principauté de Liège, 1998 - books.google.fr).

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