La mort de Charles X

La mort de Charles X

Conquête de l’Algérie

 

IV, 77

 

1834-1835

 

Selin monarque l’Italie pacifique,

Regnes unis, Roy chrestien du monde :

Mourant voudra coucher en terre blesique,

Apres pyrates avoir chassé de l’onde.

 

"Selin", Cilicie et Francus

 

La mise en relation de "Selin"/"Selyn" avec la Cilicie se fait aux quatrains I, 94 (La mort de Trajan Ă  Selinus); II,1 (Piraterie barbaresque dans l'Atlantique); et IV, 77 (Chypre).

 

Quand Hector arriva, en traversant la grande ville, Ă  la porte ScĂ©e, par oĂą il devait sortir vers la plaine, au devant de lui accourut sa femme bien dotĂ©e Andromaque, fille du magnanime EĂ©tion, d'EĂ©tion qui habitait au pied du Mont Placos boisĂ©, Thèbe sous Placos, et rĂ©gnait sur les Ciliciens. Pourtant, nous sommes bien loin de la Cilicie : le Mont Placos est en Troade, dominant le golfe d'Adramytte face Ă  l'Ă®le de Lesbos. Un peu plus loin dans le texte, Andromaque s'adresse Ă  Hector en le suppliant de s'exposer moins. Je n'ai plus ni père, ni mère vĂ©nĂ©rable. Mon père, le divin Achille l'a tuĂ©; il a saccagĂ© la ville bien situĂ©e des Ciliciens, Thèbe aux portes hautes; il tua EĂ©tion, mais ne le dĂ©pouilla pas : un scrupule le retint. Euripide ouvrira d'ailleurs sa tragĂ©die Andromaque par les plaintes de la veuve d'Hector Ă©voquant la citĂ© paternelle. Qui sont donc ces Ciliciens ? En tout cas, ils ne viennent probablement pas de Cilicie, car sinon ils seraient citĂ©s comme tels dans le Catalogue des alliĂ©s de Troie, Ă  la fin du chant II. Dans ces conditions, il fait peu de doute que ces Ciliciens homĂ©riques sont d'authentiques habitants de la Troade, considĂ©rĂ©s comme partie intĂ©grante de l'armĂ©e troyenne et non comme contingents alliĂ©s. On les retrouve citĂ©s par Euripide, au Ve siècle, dans une tragĂ©die dont la paternitĂ© est d'ailleurs contestĂ©e, Rhesos. C'est lĂ  le nom du roi des Thraces qui se porte, tardivement, au secours des Troyens. Le théâtre de la pièce est le camp troyen. Le chĹ“ur Ă©tablit les tours de veille. On annnonce que les suivants seront «les Ciliciens que la troupe des Paeoniens a rĂ©veillĂ©s». Il est certain qu'il y avait une tradition tenace liant la plaine cilicienne aux alliĂ©s de Troie. Au XIIe siècle encore, une Chronique anonyme syrienne, parlant des activitĂ©s guerrières des rois grecs fraĂ®chement dĂ©barquĂ©s pour le siège de Troie, Ă©crit :

 

D'autres, avec de nombreuses troupes, furent envoyés par tout le pays pour ravager, piller, massacrer, jusqu'en Galatie, en Bithynie et en Cilicie.

 

Peut-ĂŞtre faut-il mettre au crĂ©dit de cette tradition la mention de la Cilicie qu'on trouve dans le rĂ©cit de son voyage en Terre Sainte dictĂ© par le religieux français Arculphe, Ă  la fin du VIe siècle. Parlant de la fondation de la capitale byzantine, l'auteur prĂ©tend que Constantin choisit d'abord la rive asiatique du Bosphore, que le texte appelle «Cilicie» au lieu de «Bithynie». La volontĂ© divine le fit changer de rive en une nuit tous les outils de construction se transportèrent par miracle en Europe Une fois de plus, c'est chez Strabon qu'on trouve, Ă©parpillĂ©es, les explications nĂ©cessaires. Dans sa description de la cĂ´te de Troade, il en arrive au golfe d'Adramytte, sur les bords duquel Homère paraĂ®t avoir placĂ© la plupart des Ă©tablissements lĂ©lèges et ceux de la nation cilicienne, qu'il nous montre partagĂ©e en deux corps. Il existe en fait une ConfĂ©dĂ©ration troyenne, comprenant deux États ciliciens autour du golfe d'Adramytte. L'un, au sud, a pour capitale Lyrnessos et pour roi Mynès; l'autre, au nord, est le royaume d'EĂ©tion, père d'Andromaque, et sa capitale est Thèbe. Or, toujours d'après Strabon, Achille dĂ©barquant en Troade trouve les habitants de Troie enfermĂ©s dans leurs murailles. Il dĂ©cide donc de commencer par ravager la rĂ©gion. Les deux États ciliciens n'Ă©chappent pas au carnage et au pillage. Lyrnessos est dĂ©truite, son roi est tuĂ©, et le butin comprend la belle BrisĂ©is. MĂŞme sort pour l'autre royaume, comme Achille le raconte Ă  sa mère au dĂ©but de l'Iliade. Nous sommes allĂ©s Ă  Thèbe, ville sacrĂ©e d'EĂ©tion; l'ayant mise Ă  sac, nous avons amenĂ© ici tout le butin. Les fils d'AchĂ©ens se le partagèrent Ă©quitablement, après avoir rĂ©servĂ©, pour l'Atride, ChrysĂ©is aux belles joues. Le roi EĂ©tion et tous ses fils sont tuĂ©s. ChrysĂ©is se retrouve attribuĂ©e au Roi des rois Agamemnon. Mais on n'enlève pas ainsi impunĂ©ment la fille d'un prĂŞtre d'Apollon, et l'Iliade s'ouvre par le refus du Roi des rois de rendre ChrysĂ©is Ă  son père suppliant. Apollon rĂ©pand alors la peste dans le camp achĂ©en, et finalement Agamemnon doit restituer sa captive; en Ă©change, il s'approprie celle d'Achille, BrisĂ©is. C'est lĂ  le sujet de la fameuse «colère d'Achille», qui laisse le hĂ©ros Ă©loignĂ© du champ de bataille jusqu'Ă  la mort de son ami Patrocle. Que pense Strabon des liens entre ces Ciliciens de Troade et la Cilicie ? Il faut reconnaĂ®tre qu'il n'est pas très clair. Au sujet de la ville de Cilla dans le royaume de Thèbe, il Ă©crit :

 

Dans le voisinage du temple d'Apollon Cilléen il y a encore à signaler un grand tumulus, dit le tombeau de Cillos. On croit que ce Cillos, après avoir été le conducteur du char de Pelops, régna sur tout ce canton; or il pourrait se faire qu'il eût donné son nom à la Cilicie. Peut-être bien aussi est-ce l'inverse qui a eu lieu.

 

Manifestement, Strabon n'a pas d'argument dĂ©cisif pour faire Ă©tat d'une Ă©migration des Ciliciens de Troade vers la Cilicie mĂ©diterranĂ©enne (qu'il appelle exotaurique), Ă  moins qu'il ne s'agisse d'une Ă©migration en sens inverse. On lit dans son chapitre consacrĂ© Ă  la Cilicie :

 

Il y a loin, on le sait, de la Cilicie troyenne mentionnée par Homère à la Cilicie exotaurique. Toutefois quelques auteurs ont pensé que les Ciliciens de la Troade devaient être la souche des autres, par la raison qu'on retrouve chez ceux-ci en partie les mêmes noms de lieux, et chez les Pamphyliens pareillement les noms de Thèbe et de Lyrnesse; mais d'autres, il faut bien le dire, soutiennent la thèse inverse en se fondant précisément sur ce que la Troade possède aussi son Aleium ou champ aléien.

 

Auparavant, dans le chapitre sur la Pamphylie, province jouxtant la Cilicie à l'ouest, Strabon rapporte les thèses de Callisthène, historien grec du -IVe siècle accompagnateur d'Alexandre le Grand.

 

Si ce qu'on dit est vrai, on peut reconnaître aujourd'hui, entre Phaselis et Attalée, le double emplacement de Thèbe et de Lyrnessos, antiques établissements fondés, comme le marque Callisthène, par des Ciliciens de la Troade, qui, faisant bande à part après que la nation entière eût été expulsée de la plaine de Thèbe, seraient venus en Pamphylie et s'y seraient fixés.

 

Sans l'affirmer, Strabon semble pencher pour cette thèse des Ciliciens de Troade Ă©migrant vers le sud et donnant leur nom Ă  la Cilicie mĂ©diterranĂ©enne. Il cite encore, parlant cette fois de ces mystĂ©rieux Arimes :

 

Il y a aussi certains auteurs qui reconnaissent les Arimes dans les Syriens ou Araméens d'aujourd'hui, et qui racontent comment les Ciliciens de la Troade vinrent chercher une nouvelle demeure en Syrie et détachèrent de cette contrée, pour s'y établir, ce qui forme actuellement la Cilicie.

 

Dans un autre passage, Strabon laisse tomber toutes les rĂ©serves qu'il met ailleurs. Parlant du temple d'Apollon Ă  Chrysa, oĂą servait ChrysĂ©is, il affirme :

 

Quant à son temple, il a été transporté dans la nouvelle ville bâtie auprès d'Hamaxitos, lorsque les Ciliciens émigrèrent, les uns en Pamphylie, les autres à Hamaxitos.

 

Hamaxitos est une citĂ© proche de Troie. Et l'Ă©migration en Pamphylie rĂ©pond Ă  la mĂŞme thèse que l'Ă©tablissement en Cilicie. On n'a, Ă  l'heure actuelle, pas plus d'arguments que Strabon pour trancher en faveur du sens d'une migration Ă©ventuelle (Claude Mutafian, La Cilicie au carrefour des empires, Tome 1, 1988 - www.google.fr/books/edition, R. Flacelière, L'Iliade, Patrimoine littĂ©raire europĂ©en, Tome 2 : HĂ©ritages grec et latin, 1992 - www.google.fr/books/edition).

 

A l'origine, se tient Francion, fils d'Hector - le Francus de Ronsard. Par lui, les rois de France descendent de la noble lignée de Priam. Virgile avait chanté les prouesses du Troyen Enée, le fondateur de Rome. Compte tenu de la puissance ultérieure de l'Empire romain, se réclamer de héros venus d'Ilion était présage de grandeur. Le modèle virgilien valorisait l'épopée de Francion. Venu de Troie, celui-ci s'était, assurait-on, installé sur le Danube, à Sicambrie, ville située dans l'actuelle Hongrie. Au IVe siècle après Jésus-Christ, la lignée de Francion se serait transportée sur le Rhin, dans le futur territoire des Francs. Vers la fin du XVe siècle, certains se disent convaincus qu'une partie des descendants de ces Troyens s'était implantée en Gaule et qu'elle avait fondé Lutèce, dès le IVe siècle. De ce fait, les Gaulois seraient, eux aussi, en partie d'origine troyenne. Dans la logique de cette histoire mythique, le premier roi de France, inscrit dans la lignée de Francion, descendant de Priam, aurait été Pharamond (Ve siècle). Son existence paraissait encore incontestable au XVIIIe siècle. Il aurait fait le lien entre les origines troyennes et la royauté franque (Alain Corbin, Les Héros de l'histoire de France expliqués à mon fils, 2011 - www.google.fr/books/edition).

 

Olivier de La Marche (1426 - 1502) se contentait d'exposer l'origine des royaumes d'Autriche et de France d'après «les anciennes cronicques». Après la prise de Troie, un prince exilĂ©, parent du roi Priam, et qui portait le mĂŞme nom, conquit la terre d'Autriche et y «regna chevaleureusement», cependant que Francion, fils d'Hector, «arrivait au noble et fertile pays que l'on appelle France, oĂą il augmenta celle belle cite de Lutesse qu'il fist nommer Paris, du nom de Troyes». Le chroniqueur se perd ensuite dans des discussions de dĂ©tail, qui prouvent bien que cette lĂ©gende est pour lui matière Ă  Ă©rudition, non pas l'occasion de mĂ©diter sur une renaissance possible des civilisations antiques. Le nom de France viendrait soit de l'aide apportĂ©e aux Romains, qui valut Ă  nos aĂŻeux d'ĂŞtre affranchis du tribut, soit de Franquo, fondateur de la ville de Francfort, soit plutĂ´t de Francus. MĂŞme attitude dans le Prologue des chroniques de J. Molinet, qui dĂ©butent Ă  l'annĂ©e 1474, et dans le SĂ©jour d'honneur, composĂ© par O. de Saint-Gelays de 1490 Ă  1494. Le poète Ă©tablit la filiation des Troyens et des Français : Francio se rĂ©fugia au royaume de France et bâtit Sycambre. Il sombre ensuite dans des hypothèses Ă©tymologiques sur le nom de Francs, qui serait dĂ» Ă  l'affranchissement des Gaulois, en raison de leur victoire sur les Allains.

 

En 1508, Jean d'Ivry se contente lui aussi de résumer la carrière de Francus. Seule l'attitude de J. Lemaire semble plus originale, bien que ses trois livres d'Illustrations, publiés respectivement en 1510, 1512 et 1513, doivent beaucoup à la littérature médiévale.

 

Il relie les notions de gloire et d'antiquitĂ© des origines. Lemaire a prĂ©parĂ© la voie Ă  la Franciade en redonnant du lustre Ă  la lĂ©gende des origines troyennes (Françoise Joukovsky, La gloire dans la poĂ©sie française et nĂ©o-latine du XVIe siècle : des rhĂ©toriqueurs Ă  Agrippa d'AubignĂ©, 2015 - www.google.fr/books/edition, fr.wikipedia.org - Olivier de La Marche).

 

Pour Lemaire, à l'exemple du fils d'Enée, dans l'Enéide, qui a trois noms, Ascanius, Iulus, et Ilus, Francus s'appelait dans sa jeunesse Leodamas, tandis que pour Ronsard dans sa Franciade, Francus ou Francion, selon la prosodie, s'appelait aussi Astyanax et Scamandre (Denis Bjaï, La Franciade sur le métier: Ronsard et la pratique du poème héroïque, 2001 - www.google.fr/books/edition).

 

Chez Racine, la fin tragique d'Andromaque n'est pas dĂ©nuĂ©e d'espĂ©rance, puisqu'elle ouvre sur un avenir glorieux : «Aussi bien Astyanax-Francus est-il destinĂ© Ă  fonder la grandeur française, comme EnĂ©e l'Ă©tait Ă  fonder la grandeur romaine comme Joas le sera Ă  maintenir la lignĂ©e messianique» (Morel). La prĂ©face de 1675-76 de la pièce de Racine dĂ©couvre des perspectives nouvelles : «Astyanax acquiert alors une tout autre valeur [...] Andromaque n'est donc plus seulement l'exilĂ©e pathĂ©tique, la veuve fidèle, mais aussi celle qui permet Ă  la France monarchique d'advenir sur le plan du mythe et de l'hagiographie» (Biet). La prĂ©face montre qu'Andromaque fait appel Ă  «une mythologie politique dont Racine et ses contemporains avaient les images et les expressions Ă  l'esprit» (Dandrey pour qui ce serait le une Ă©loge d'Anne d'Autriche) (Volker Schröder, La tragĂ©die du sang d'Auguste: politique et intertextualitĂ© dans Britannicus, 2004 - www.google.fr/books/edition).

 

Cf. quatrain IV, 86 - Karolus.

 

Fin des Bourbons

 

Charles X (« Roi très chrĂ©tien Â» selon l’expression consacrĂ©e) meurt du cholĂ©ra en 1836 Ă  Gorizia, aujourd’hui en Italie, exilĂ© Ă  la suite de la rĂ©volution de 1830. Le rejoignent en terre son fils, Louis XIX, en 1844 et Henri V, son petit-fils, en 1883 (« Regnes unis Â»).

 

Avant sa chute, Charles X avait initiĂ© la conquĂŞte de l’AlgĂ©rie. « La prise d’Alger en juillet 1830 Ă©tait une expĂ©dition punitive pour mettre fin Ă  la piraterie qui rĂ©gnait en MĂ©diterranĂ©e. Elle devait aussi dĂ©nouer un imbroglio financier entre la France et le dey d’Alger. Enfin, menĂ©e sous Polignac, elle avait aussi pour objectif d’assurer au ministère un regain de prestige intĂ©rieur comme extĂ©rieur [1] Â».

 



[1] Isabelle Backouche, « La monarchie parlementaire, 1815-1848 Â», Pygmalion, 2000, p. 262

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