Reflux des idéaux révolutionnaires

Reflux des idéaux révolutionnaires

 

IV, 32

 

1801-1802

 

Es lieux & temps chair au poiss. donrra lieu :

La loy commune sera faicte au contraire :

Vieux tiendra fort, puis ostĂ© du milieu :

Le panta koina filwn mis fort arrière.

 

L’expression grecque du quatrain signifie « Toutes choses sont communes entre amis Â»[1] et fait immĂ©diatement rĂ©fĂ©rence en ces annĂ©es rĂ©volutionnaires au communisme de Gracchus Babeuf qui avec ses amis conspira contre le Directoire. Trahi, son procès dura un an et il fut exĂ©cutĂ© en mai 1797 (« ostĂ© du milieu Â» : du latin « de medio tollere Â», supprimer). « Les idĂ©es de Babeuf tombèrent après sa mort dans l’oubli [2] Â» (« mis fort arrière Â»). Elles « inspirèrent certains rĂ©formateurs sociaux de la première moitiĂ© du XIXème siècle grâce Ă  un conspirateur survivant de 1796, Buonarroti [3] Â». Marx appelle Babeuf « le fondateur du premier parti communiste agissant [4] Â».

NapolĂ©on Bonaparte, premier consul depuis 1799, entreprend de « finir la RĂ©volution Â»[5]. Il ramène la France par Ă©tapes de la RĂ©publique Ă  la Monarchie. MĂŞme si l’ordre et la paix sont rĂ©tablis Ă  l’intĂ©rieur, les idĂ©aux rĂ©volutionnaires sont « mis fort arrière Â».

 

"ta koina"

 

On a à juste titre relevé le caractère démocratique de certaines mesures prises par les Gracques, et la parenté entre les propos qu'ils tinrent devant le peuple et les principes de la démocratie grecque. Dès lors, pour la postérité les Gracques apparaîtront non seulement comme les défenseurs du peuple, mais aussi comme des partisans de l'égalité, une égalité politique reposant sur une plus juste répartition de la terre. [...] Les contenus donnés par les Anciens aux deux concepts de liberté et d'égalité aident à mieux comprendre l'impact qu'ils eurent sur les hommes de la Révolution. Ils étaient inséparables de la notion de citoyen. Il faut donc s'y arrêter quelque peu. Or, il ne fait pas de doute que c'est en Grèce qu'elle s'est d'abord formée, avec la naissance de la polis, de la cité. Celle-ci est pensée d'abord comme une koinônia, une communauté, celle des politai, des citoyens, à la limite indépendante du territoire sur lequel elle est établie. On rappelle souvent que les documents officiels, par exemple les traités entre cités, ne mentionnent jamais la cité elle-même, Athènes, Thèbes ou Corinthe, mais les Athéniens, les Thébains ou les Corinthiens. Cela traduit le fait essentiel qu'il n'y a pas de pouvoir au-dessus de cette communauté, que c'est elle qui décide souverainement des affaires la concernant. Et là encore, le terme ta koina, ce qui est commun, pour désigner tout ce qui relève du domaine public est révélateur. Certes, cette citoyenneté n'est pas toujours «active», en ce sens qu'en dehors des démocraties où l'autorité souveraine appartient au démos, c'est-à-dire à l'ensemble des citoyens, il existe de nombreuses formes de régimes politiques que les Grecs désignaient du terme d'oligarchies, où l'assemblée populaire n'avait qu'un rôle consultatif, et où la réalité des décisions était prise au sein de corps plus ou moins restreints (Claude Mossé, L'Antiquité dans la Révolution française, 2012 - books.google.fr).

 

"chair au poisson donra lieu" : carĂŞme et Concordat

 

Le rĂ©gime concordataire est instituĂ© sous le Consulat par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802), relative Ă  l'organisation des cultes, qui met en application le traitĂ© de concordat signĂ© Ă  Paris le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), mais qui y ajoute des clauses jamais reconnues par le Saint-Siège, Ă  savoir :

 

- des articles organiques concernant le culte catholique,

- des articles organiques étendant le régime concordataire aux cultes réformés (calvinistes), d'une part, et aux cultes luthériens, dits de la Confession d'Augsbourg, d'autre part. (fr.wikipedia.org - Régime concordataire français).

 

La reprise du culte est attestée partout en France dès les années du Directoire, mais elle s'amplifie au début du Consulat. Tandis que les constitutionnels continuent de desservir les églises qu'ils détiennent, les réfractaires sont sortis de la clandestinité où ils étaient encore maintenus et ont repris leurs activités au grand jour, réoccupant des édifices religieux délaissés pendant la Révolution, vendus comme biens nationaux ou simplement restés sans acquéreur. En 1801, une partie des Français a donc redécouvert le chemin des églises, le dimanche. [...] A l'occasion de quelques grandes cérémonies que les Français retrouvent le chemin des églises, notamment, en février 1801, lors des Te Deum chantés pour célébrer la paix de Lunéville.

 

C'est aussi en 1801 que les Français redécouvrent les grandes prédications de carême et peuvent de nouveau entendre des orateurs sacrés prêcher en chaire, au grand dam du ministre de la Police qui goûte fort peu ces émules de Bossuet (Jacques-Olivier Boudon, Napoléon et les cultes, Les religions en Europe à l'aube du XIXe siècle (1800-1815), 2002 - books.google.fr).

 

Acrostiche : ELVL, elul mois du calendrier hébreu

 

Le mois d'Elul (septembre) prĂ©cède le renouvellement de l'annĂ©e juive et la grande fĂŞte des Expiations. Pendant tout ce mois le Juif s'occupe d'expier les pĂ©chĂ©s commis pendant l'annĂ©e qui va finir; car il croit qu'au premier jour de l'an, son nom s'inscrit dans le livre de vie ou dans le livre de mort. Toutefois, cette inscription n'est pas dĂ©finitive; terme lui est encore laissĂ© pendant dix jours jusqu'Ă  la fĂŞte des expiations, pour rĂ©gler son compte. C'est pourquoi, pendant ces dix premiers jours de l'annĂ©e, appelĂ©s jours de pĂ©nitence, on prie avec une grande ferveur et l'on fait des aumĂ´nes. La veille de la fĂŞte, chacun se procure une offrande propitiatoire, l'homme un coq, la femme une poule, que l'on tient par les jambes et tournoie par dessus la tĂŞte en disant : «VoilĂ  mon reprĂ©sentant ; voilĂ  ma rançon ; voilĂ  ma victime expiatoire. Ce coq (ou cette poule) va Ă  la mort et moi Ă  la vie Ă©ternelle.» AussitĂ´t après la bĂŞte est tuĂ©e et apprĂ©tĂ©e le mĂŞme jour (Feuille religieuse du Canton de Vaud, Volume 22, 1847 - books.google.fr, CĂ©rĂ©monies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, reprĂ©sentĂ©es par des figures, Tome 1, Partie 2, 1723 - books.google.fr).

 

Bonaparte, aux yeux de qui la faute majeure de Louis XVI avait Ă©tĂ© de composer avec l'Ă©meute lors de la journĂ©e du 20 juin 1792, Bonaparte, l'ennemi du gouvernement par la rue, Ă©prouvait sans aucun doute une haine profonde Ă  l'Ă©gard des anciens terroristes », haine systĂ©matique jusqu'Ă  l'aveuglement. La dĂ©monstration en fut faite Ă  l'occasion de l'attentat de la rue Saint-Nicaise. Dès le premier instant, le Premier Consul en dĂ©cide l'imputation aux jacobins, aux babouvistes, et annonce son attention de saisir l'occasion pour faire un exemple : «On ne se passera pas de sang», dĂ©clare-t-il au Conseil d'État ; et Ă  Roederer : «J'ai un dictionnaire des septembriseurs, des conspirateurs, de Babeuf et autres qui ont figurĂ© aux mauvaises Ă©poques de la RĂ©volution.» Quand FouchĂ©, après quinze jours d'enquĂŞte, apporte la preuve que l'attentat est le fait des royalistes, Bonaparte s'entĂŞte et maintient l'idĂ©e d'une liste de proscriptions en punition du passĂ© politique des militants rĂ©publicains «pour le 2 septembre, le 31 mai, la conspiration de Babeuf et tout ce qui s'est fait depuis», selon Thibaudeau. Finalement, le 15 nivĂ´se an IX (5 janvier 1801), la dĂ©portation de 130 personnes est dĂ©clarĂ©e par un sĂ©natus-consulte «mesure conservatoire de la Constitution». MĂŞme volontĂ© d'Ă©limination, selon des voies plus humaines mais non moins arbitraires, au sens fort du mot, frappant cette fois l'esquisse d'une opposition parlementaire. En 1802, c'est l'Ă©puration du Tribunat par le SĂ©nat Ă  l'occasion d'un renouvellement par cinquième qui aurait dĂ» se faire par tirage au sort. Après quoi l'assemblĂ©e se voit fractionnĂ©e en trois sections - LĂ©gislation, IntĂ©rieur et Finances - qui n'ont pas le droit de siĂ©ger en assemblĂ©e plĂ©nière. La suppression de la classe des sciences morales et politiques de l'Institut, l'annĂ©e suivante, complète cet Ă©crasement des foyers de pensĂ©e politique indĂ©pendante. Arrestations, Ă©loignement d'officiers et de troupes suspects de rĂ©publicanisme frondeur vont dans le mĂŞme sens, et c'est un des aspects de l'expĂ©dition de Saint-Domingue, qui neutralise l'armĂ©e du Rhin (Louis Bergeron, L'Ă©pisode napolĂ©onien. Aspects intĂ©rieurs (1799-1815), Aspects intĂ©rieurs (1799-1815), 2014 - books.google.fr).

 

Les massacres de Septembre sont une suite d’exécutions sommaires qui se sont déroulées du 2 au 6 ou au 7 septembre 1792 à Paris. Des massacres semblables ont également eu lieu dans le reste de la France (à Orléans, Meaux, Reims, Versailles...), mais avec moins de victimes et sur une plus longue durée. Ces exécutions s'inscrivent dans un contexte de panique des révolutionnaires, provoquée par l’invasion austro-prussienne, puis par des rumeurs de complots internes ainsi que de l'éventualité d’une répression et de massacres perpétrés par des royalistes, ou leurs alliés éventuels, s'ils étaient libérés. Les massacreurs (les «septembriseurs») vont dans les prisons de Paris et tuent un grand nombre de leurs occupants, prisonniers royalistes ou de droit commun (fr.wikipedia.org - Massacres de Septembre).



[1] Pierre Brind’Amour, « Les premières centuries Â», Droz, 1996, p. 511

[2] Grand Larousse encyclopédique en XX volumes, 1970

[3] ibid.

[4] ibid.

[5] Jean Tulard, L’Histoire n° 113, p. 104

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