Alexandre Ier de Russie

Alexandre Ier de Russie

 

IV, 47

 

1812-1813

 

Le Noir farouche, quand aura essayé

Sa main sanguine par feu, fer, arcs tendus,

Trestous le peuple sera tant effrayé

Voir les plus grans par col & pieds pendus.

 

"farouche"

 

Cf. quatrain I, 76 - Avènement des Romanov - 1613-1614.

 

Le trèfle incarnat (trifolium incarnatum) est appelé aussi trèfle russe, anglais mais aussi farouche en Languedoc (Antoine Cariot, Etude des fleurs: botanique élémentaire renfermant la flore du bassin moyen du Rhône et de la Loire, Tome 3, 1879 - books.google.fr).

 

Vers le mĂŞme tems, c'est-Ă -dire sous l'Empereur Basile & le patriarche Ignace, arriva la conversion des Russes : cette nation si farouche & si impie, qui avoit commencĂ© Ă  paroĂ®tre sous le règne prĂ©cĂ©dent (Claude Fleury, Histoire ecclesiastique, Tome 11, 1714 - books.google.fr).

 

"farouche" vient du latin "ferus" qui a donner "fier" qui a pour signification première farouche, terrible, cruel (Marcel Françon, Saulsaye de Maurice Scève, 1959 - books.google.fr, P. Ouidii Metamorphosis cum luculentissimis Raphaelis Regii enarrationibus, 1521 - books.google.fr).

 

Autre farouche-s : VI, 72 et II, 24.

 

"pendus" : chanvre

 

D'après Hérodote, le chanvre vient de la Scythie. Il n'y a jamais eu de Scythie, ni de Scythes, c'est-à-dire des peuples se nommant eux-mêmes de ce nom ; les Grecs nommaient Scuthai, mot dont on a fait Scythes, les peuples nomades de la grande Tartarie (Journal d'agriculture, sciences, lettres et arts, 1847 - books.google.fr).

 

La grande Tartarie est en Russie actuelle.

 

Le chanvre fait «finir leur vie haut et court» aux larrons indignés de ce que, «sans estre autrement malades», un mince lacet de pantagruelion leur bouche «les conduitz par lesquels sortent les bons motz et entrent les bons morceaulx». [...] Grâce à cette plante, Ceylan a vu la Laponie, Java a vu les monts Riphées, les Islandais et les Groenlandais verront un jour l'Euphrate. Par elle Borée a vu le manoir de l'Auster, Eurus a visité Zéphyre (Pantagruel, III) (Paul Stapfer, Rabelais: sa personne, son génie, son oeuvre, 1889 - books.google.fr).

 

Les Monts Riphées sont en Scythie.

 

"arcs tendus"

 

Par elle (le panragurélion : le chanvre) sont les arcs tendus, les arbalestes bandées, les fondes faictes. Et comme si fust herbe sacre, verbénique et révérée des Manes et Lémures, les corps humains morts sans elle ne sont inhumés (Pantagruel, III) (Œuvres de Rabelais: précédées de sa biographie et d'une dissertation sur la prononciation du français au XVIe siècle, et accompagnées de notes explicatives du texte, Tome 2 1875 - books.google.fr).

 

Tous les monuments de l'Asie antérieure qui représentent des archers au repos, les montrent avec leurs arcs tendus, généralement passés sur l'épaule. Ainsi sont figurés les Babyloniens, les Assyriens, les Élamites, les Hittites, les Perses. Les Scythes et les Mèdes aussi les portaient tendus, mais protégés par un étui (gorytos) (Syria, Volumes 34 à 35, 1957 - books.google.fr).

 

L'effigie du Scythe Toxaris sur sa tombe à Athènes, qu'il délivra de la peste en y faisant répandre du vin par topus ses carrefours, y est releuee en habit de Scythe, tenant en la main gauche vn arc tendu, & vn liure en la droicte (Lucianus Samosatensis, Oeuvres illustrees d'annotations et de maximes politiques en marge par J. Baudoin, 1613 - books.google.fr).

 

L'arc scythe a été comparé à un serpent, une vrille de plante parasite, au contour du Pont Euxin et à un sigma (Anthony Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, traduit par de M. Chéruel, 1873 - books.google.fr).

 

Jam Scythae laxo meditantur arcu / Cedere campis : Maintenant les Scythes qui n'ont plus leurs arcs tendus / se préparent à nous abandonner la campagne (OEuvres d'Horace, Tome premier, contenant les Odes & les Epodes, 1678 - books.google.fr).

 

Les forces du tsar se composaient, vers le milieu du XVIe siècle : 1° de sa maison militaire, ryndi, spalniki, stolniki, etc. : environ 8000 cavaliers; 2° des enfants-boiars, c'est-Ă -dire des fieffĂ©s : de 80 Ă  100 000 cavaliers; 30 des odnodvortsi ou paysans libres : peut-ĂŞtre 100 000 cavaliers. L'infanterie Ă©tait fournie par les streltsi (sing. strĂ©lelz; tireurs), levĂ©s parmi les bourgeois des villes. Cette milice fut introduite dans le reste de l'empire sous le règne d'Ivan IV. 2000 Ă©taient attachĂ©s Ă  la garde du souverain : c'Ă©taient les streltsi «de l'Ă©trier». Il y avait 12 000 streltsi rien qu'Ă  Moscou, oĂą ils Ă©taient cantonnĂ©s dans une slobode Ă  part. Meyerberg Ă©value Ă  40 000 leur effectif total. Ils Ă©taient distribuĂ©s par compagnies de 500 hommes. Chacune avait Ă  sa tĂŞte un capitaine (golova, tĂŞte); sous celui-ci, des centeniers, cinquanteniers et dizainiers. Leur armement n'avait rien d'uniforme et varia suivant les Ă©poques : ils portèrent des piques, des hallebardes, des sabres, des arcs, des arbalètes, des arquebuses, des mousquets. Certaines villes du Sud fournissaient aussi une cavalerie, les kosaks (Ernest Lavisse, Histoire gĂ©nĂ©rale du IVe siècle Ă  nos jours, Tome 5 : Les guerres de religion, 1559-1648, 1895 - books.google.fr).

 

Il s'appliqua aussi à perfectionner l'infanterie, que l'on nommait strelitz, et qui était composée d'hommes pris parmi les habitants de la campagne; il en forma une milice permanente, dont une partie composa sa garde, et le reste fut employé dans les armées; il l’arma entièrement de fusils, au lieu d'arcs dont une grande partie faisait encore usage. Ce sont les réformes qui ont fait regarder Ivan IV comme fondateur de la milice des strélitz, mais il parait certain qu'elle existait avant lui (Just Jean Etienne Roy, Histoire de Russie, 1861 - books.google.fr).

 

Ivan IV et Alexandre Ier

 

La Russie du dĂ©but du XIXe siècle aspire Ă  mieux se dĂ©finir, d’abord sur le pan gĂ©opolitique et mĂŞme simplement territorial, mais aussi par rapport Ă  elle-mĂŞme et Ă  son environnement. L’ancien grand-duchĂ© de Moscovie, de surcroĂ®t siège de la troisième Rome, est devenu un État transcontinental et mĂŞme, par certains cĂ´tĂ©s, pluri-religieux qui raisonne aussi bien en fonction du Pacifique que de la MĂ©diterranĂ©e tout en se demandant s’il ne risque pas de perdre son âme en s’occidentalisant. C’est Ă©galement une puissance Ă©conomique qui exporte ses grains et ses fourrures et qui importe des soieries et des vins en mĂŞme temps qu’elle dĂ©veloppe un artisanat prĂŞt Ă  se transformer en industrie : autrement dit, Ă  la fois un partenaire et un concurrent. L’histoire moderne de la Russie a commencĂ© avec Ivan IV VassiliĂ©vitch, dit Ivan le Terrible, nĂ© le 25 aoĂ»t 1530 Ă  KolomenskoĂŻe et mort le 18 mars 1584 Ă  Moscou. Après avoir Ă©tĂ© grand-prince de Vladimir et Moscou de 1533 Ă  1584, il prend, le premier, le titre de tsar de Russie en 1547 — il faudra attendre 1721 pour que Pierre le Grand devienne officiellement «empereur de toutes les Russies». Ivan IV est celui qui fera passĂ© le petit Etat russe vers un empire, proche de ce qu'est ce pays encore aujourd'hui.

 

Le 16 janvier 1547 dans la cathĂ©drale de la Dormition Ă  Moscou, Ivan est sacrĂ© tsar [CĂ©sar], reprenant ainsi un terme utilisĂ© par les khans mongols de la Horde d’Or. Puis il cherche une Ă©pouse non Ă  l’étranger, mais au sein de ses États, s’unissant le mois suivant Ă  Anastasia Romanovna Zakharina, fille d’une famille de boyards qui faisaient partie des cercles les plus proches du souverain. Il se voit investi d’une mission divine, mĂŞme si son investiture n’est consacrĂ©e qu’en 1561 par le patriarche grec Joasaph II de Constantinople - le Magnifique -, qui le reconnaĂ®t ainsi comme successeur des empereurs byzantins disparus un siècle plus tĂ´t ; cela va d’ailleurs entraĂ®ner la dĂ©position du prĂ©lat par un synode. Ainsi, avec lui, la Russie reprend le flambeau de l’empire romain et de la chrĂ©tientĂ©, puisque, en 1589, est crĂ©Ă© le patriarcat de Moscou, dorĂ©navant indĂ©pendant de celui de Constantinople ; quand il sera remplacĂ© en 1721 par le Saint-Synode, Ă  la tĂŞte duquel se trouvera un fonctionnaire d’État civil, le procureur gĂ©nĂ©ral, cela n’altĂ©rera pas l’impact très fort de l’orthodoxie sur l’âme russe - pas plus que le schisme des Vieux-Croyants [raskolniki, c’est-Ă -dire hĂ©rĂ©tiques] Ă  la fin du XVIIe siècle.

 

Ce fort sentiment religieux aura développé en Russie tout un courant messianique qui va considérer que ce pays a pour vocation d’assurer le salut des autres nations et auquel Alexandre Ier ne sera pas étranger. Il se confond souvent avec la vision slavophile qui veut mettre en avant le caractère propre de cette nation.

 

Au moment où éclate la conflagration de 1812, la France et la Russie peuvent être définies comme les deux puissances montantes de l’Europe ; là réside sans doute la raison majeure de la volonté de Napoléon de s’entendre avec Alexandre. D’ailleurs, ce n’est certainement pas un hasard si l’un et l’autre pays vont être arrêtés dans leurs marches en avant : la France en 1815 et 1871, la Russie en 1856 et 1917 — pour ne rien dire de 1990 (Jean Étèvenaux, Deux siècles pour amener la France et la Russie à 1812, 2019 - www.souvenirnapoleonien.org).

 

Cf. quatrain IV, 34 et IV, 50.

 

Mysticisme

 

TouchĂ© par l'incendie de Moscou, qu'il prend pour un avertissement du ciel, Ivan IV se voue au bonheur spirituel et temporel de son peuple; sa forteresse devient un monastère oĂą il officie tous les jours, en frappant le sol de sa tĂŞte; Ă  table, il se constitue lecteur, ne dĂ®ne que le dernier, et il renouvelle son empire en fondant la milice religieuse des Strelitz. Tendre, fantasque, dĂ©vot et atroce, d'une fĂ©rocitĂ© qui surpasse les scènes les plus dĂ©solĂ©es de son Ă©pouvantable patrie, l'histoire de son règne semble un conte oĂą la vĂ©ritĂ© et l'impossible se tiennent sans cesse par le funeste mystère de notre misĂ©rable nature. Des familles entières prĂ©cipitĂ©es dans les eaux Ă  Novogorod ; douze mille propriĂ©taires dĂ©possĂ©dĂ©s d'un coup pour doter les Strelitz; des malheureux pendus, empalĂ©s par milliers; d'innombrables femmes enlevĂ©es Ă  leurs familles et dĂ©shonorĂ©es par le libertinage des courtisans ; l'entourage mĂŞme du czar soumis Ă  de tragiques Ă©preuves : des saturnales d'enfer oĂą l'empereur s'amuse Ă  pousser son cheval au milieu des femmes et des vieillards, et oĂą la cour se donne le divertissement de lâcher des ours sur la population; une terreur continuelle et illimitĂ©e, une dĂ©raison systĂ©matique et si violente que, au moment d'un supplice de trois cents boyards, le peuple de Moscou se rĂ©fugie dans ses caves et n'assiste Ă  l'exĂ©cution que traĂ®nĂ© de vive force en prĂ©sence des victimes, voilĂ  comment se reforme l'ancien schisme des Russes, et comment se confirme la fatale loi qui condamne la grande patrie des Slaves Ă  se rĂ©gĂ©nĂ©rer par des monstres. D'ailleurs Ivan ne s'appartient point, une fureur sacrĂ©e le transporte; dans l'un de ses accès, il tue son fils qu'il pleure aussitĂ´t que le dĂ©lire cesse de l'Ă©lever Ă  l'Ă©tat de Dieu ou de monstre; et il est adorĂ©, idolâtrĂ©, et justement regrettĂ© quand il meurt : car la Russie lui doit ses plus grandes armĂ©es, des conquĂŞtes en SibĂ©rie, le renouvellement du Code, l'anĂ©antissement de l'ancienne prĂ©pondĂ©rance des boyards, les premières limites imposĂ©es Ă  l'aviditĂ© du clergĂ©, et un grand nombre de villes dĂ©clarĂ©es propriĂ©tĂ© du czar, c'est-Ă -dire affranchies (Giuseppe Ferrari, Historie des Revolutions D'Italie ou Guelfes et Giblins, 1858 - books.google.fr).

 

En dĂ©cembre 1812, les Ă©preuves subies par Alexandre Ier l'ont profondĂ©ment transformĂ© : le jeune homme Ă©levĂ© dans le culte des Lumières, montĂ© sur le trĂ´ne Ă  23 ans en mars 1801 – au lendemain du du complot qui a coĂ»tĂ© la vie Ă  son père Paul Ier –, et initiĂ© Ă  la franc-maçonnerie en 1801-1802, est devenu, dix ans plus tard, un croyant fervent. ConfrontĂ© Ă  l'invasion de la terre russe puis Ă  l'incendie de Moscou, la ville sacrĂ©e des tsars, l'empereur a Ă©tĂ© pendant toute cette pĂ©riode sujet Ă  des crises mystiques aiguĂ«s qui, quelques mois plus tard, en 1813, dĂ©bouchent sur une vĂ©ritable rĂ©volution spirituelle. [...] Mais le tsar n'en reste pas moins un homme d'État, rĂ©gissant le pays en autocrate, et c'est bien tout un faisceau de considĂ©rations Ă  la fois militaires et gĂ©opolitiques qui l'incite Ă  vouloir prolonger, Ă  l'extĂ©rieur des frontières de l'Empire russe son combat contre l'empereur des Français (Marie-Pierre Rey, 1814 Un Tsar Ă  Paris, 2014 - books.google.fr).

 

Incendies de Moscou

 

A 9 heures du matin, c'est un ouragan qui souffle sur Moscou. On pourrait croire qu'une malĂ©diction pèse sur cette ville, car Ă  chacun des grands incendies qui l'ont dĂ©vastĂ©e celui de 1547, sous Ivan le Terrible, celui de 1626, sous Michel Ier Romanov - un vent de tempĂŞte, soudainement dĂ©chaĂ®nĂ©, a alimentĂ© et dĂ©cuplĂ© le dĂ©sastre. Le feu, qui court et dĂ©vore tout depuis cette nuit, devient de plus en plus vorace, «portĂ© en dix endroits distants en l'espace d'une heure», selon ce qu'il semble aux spectateurs atterrĂ©s. Le Bazar est entièrement embrasĂ©, et cette fois tout secours est impossible  Partout, en fouillant les maisons encore intactes, les Ă©quipes françaises de sauvetage extirpent des «fusĂ©es Ă  la Congreve» placĂ©es dans les cheminĂ©es ou ailleurs. On dĂ©couvre des brĂ»lots, des «prĂ©parations incendiaires», de l'Ă©toupe imbibĂ©e de goudron, de soufre ou de bitume. Il s'en trouve une bonne quantitĂ© jusque dans les tuyaux des poĂŞles du palais Rostoptchine, oĂą vient de s'installer le gĂ©nĂ©ral de Laborde en compagnie du mĂ©decin militaire Jeanneau ; ils sont tellement stupĂ©faits de cette trouvaille, qu'ils font chercher M. de Bausset, afin qu'il la constate de visu. Il est clair que M. le gouverneur comptait expulser un peu cavalièrement son successeur français ! Flammes, flammes, flammes ! Le feu gagne de proche en proche. Il couve ici, il rampe lĂ , lèche les corniches, happe les portes, mord les arbres des jardins, et ceux-ci embrasent les maisons. Les masures en bois croulent avec un bruit sec au pied de maisons de brique, qui ne rĂ©sistent guère mieux, puisqu'il n'en restera, au bout de trois jours, que 578 sur 2750. Du sud-ouest au nord-ouest, l'incendie se glisse comme un serpent monstrueux. Il est si rapide, que de nombreux personnages de l'entourage de l'Empereur, tels M. de Bausset ou M. de Turenne, qui se sont choisi avec soin une demeure Ă  leur goĂ»t, se voient contraints de dĂ©mĂ©nager trois fois dans cette matinĂ©e du 16 septembre (Daria Olivier, L'incendie de Moscou (15 Septembre 1812), 1964 - books.google.fr).

 

Le commencement du règne d'Ivan IV, en 1547, fut signalĂ© par trois terribles incendies, hĂ´te si frĂ©quent de Moscou, incendies qui rĂ©duisit en cendres, non seulement la ville de bois, mais encore une partie du Kremlin : le 12 avril, le 20 avril et le 21 juin (M. P. Fabricius, Le Kremlin de Moscou: esquisses et tableaux : autrefois et aujourd'hui, 1883 - books.google.fr).

 

"Noir"

 

Ivan IV le Terrible crée l'opritchnina en 1565. Les opritchniki, vêtus entièrement de noir et montant de noirs chevaux, portaient comme emblème le balai et le crâne de chien. Ils luttèrent impitoyablement, et parfois avec quelques excès, contre la corruption des boyards et du clergé. Trois siècles plus tard, leurs successeurs spirituels, les Cent-Noirs, tenteront en vain d'enrayer la montée du marxisme (Pierre Dujols De Valois, La chevalerie amoureuse - Troubadours, félibres et rose-croix, 2014 - books.google.fr).

 

Les opritchniks Ă©taient des gardes du corps chargĂ©s de veiller sur le Tsar et de dĂ©truire la trahison dans le pays, des sortes de «dĂ©vouĂ©s» : il y entra mĂŞme quelques membres de l'ancienne noblesse. Les opritchniks furent munis de fiefs dans le centre de la Russie. Un immense transfert de la propriĂ©tĂ© eut lieu. Les princes territoriaux durent abandonner leurs domaines ancestraux et recevoir de nouveaux domaines dans la zone pĂ©riphĂ©rique, la zemtchina, et de prĂ©fĂ©rence près des frontières, sur les terres nouvellement conquises. Les liens ancestraux qui les unissaient Ă  la population du centre furent brisĂ©s. Ils se trouvèrent isolĂ©s, au milieu d'un peuple inconnu, dont ils n'Ă©taient obĂ©is que comme agents du tsar et exposĂ©s près des frontières Ă  des attaques auxquelles ils ne pouvaient Ă©chapper que par la protection du tsar. L'opritchnina eut le contrĂ´le policier de la zemtchina, en disgrâce, tout entière soupçonnĂ©e de trahison. Les opritchniks avaient le droit de lui faire subir toutes les violences possibles. Plusieurs familles princières furent entièrement exterminĂ©es (Histoire gĂ©nĂ©rale des civilisations, Tome 4 : Les XVIe et XVIIe siècles, 1953 - books.google.fr).

 

Ils torturent les hommes, violent les femmes, arrachent les ongles, crèvent les yeux, dĂ©pècent vivants les malheureux pendus par les pieds ; ils assomment les bĂ©bĂ©s, massacrent les serviteurs ; ils pillent, brĂ»lent maisons et rĂ©coltes ; ils empoisonnent mĂŞme les lacs et les fleuves. Ce fut le cas notamment dans les domaines des princes de Jaroslavl, BiĂ©looziĂ©ro, Rostof et Souzdal. Staden relate les très nombreuses exĂ©cutions par noyade, pendaison, Ă  coups de hallebarde, de pieu, de poignard, de fouet, dont ces spadassins se rendirent coupables. Kourbski rapporte que les bourreaux enfoncèrent des aiguilles sous les ongles du prince Pierre Stcheniateff-Patrikeef. Le trĂ©sorier d'un autre prince fut hachĂ© en morceaux avec sa femme et ses enfants. Les opritchniki ne respectent rien, mĂŞme pas les lieux saints. Ils tueraient Dieu, s'il osait se montrer ! (AndrĂ© Beucler, La vie de Ivan le Terrible, 1931 - books.google.fr).

 

En 1570, Novgorod la Grande fut mise Ă  sac : il y eut tant de cadavres que la rivière dĂ©borda. Mais, d'autre part, pour ses pomietchiks et ses opritchniks, Ivan s'attacha Ă  fixer les paysans au sol et Ă  les transformer en serfs. Le Code de 1550 stipula que le dĂ©biteur insolvable serait livrĂ© Ă  son crĂ©ancier et contraint de travailler jusqu'Ă  remboursement. En 1574, Ivan imposa Ă  tout paysan «noir» de cultiver pour le compte de l'État 4 hectares par an. Cette corvĂ©e Ă©tait un palliatif Ă  la fuite des paysans. En 1580 et 1581, le tsar interdit tout dĂ©saveu de seigneur par un fermier. Les fermiers ne purent plus quitter le domaine sans un congĂ© du seigneur. Les fermiers fuyards furent rigoureusement poursuivis. Ainsi la Moscovie nous prĂ©sente incontestablement une monarchie absolue. Le tsar possède en droit et en fait tous les attributs de la souverainetĂ© ; pouvoir lĂ©gislatif, exĂ©cutif, judiciaire, juridictions spĂ©ciales, impĂ´ts levĂ©s Ă  son grĂ©, armĂ©e permanente Ă  sa disposition, fonctionnaires nommĂ©s par lui. La monarchie moscovite diffère de la monarchie absolue de l'Europe occidentale par l'Ă©tendue plus grande de ses droits : il ne semble pas y avoir de lois fondamentales qui puissent ĂŞtre opposĂ©es Ă  l'arbitraire du souverain, par exemple en matière de succession au trĂ´ne, ni de droits propres aux individus et aux corps de l'État, comme celui de propriĂ©tĂ©. Par contre, en fait, son pouvoir est peut-ĂŞtre plus limitĂ©, dans les circonstances courantes, par l'existence d'immunitĂ©s et l'absence de bourgeoisie capitaliste Ă  opposer aux autres classes. La monarchie absolue moscovite constitue donc une espèce dans le grand genre «monarchie absolue» de la famille «monarchie». Elle se rapproche plutĂ´t des monarchies absolues asiatiques qui sont fonction de sociĂ©tĂ©s oĂą la faiblesse du capitalisme serait peut-ĂŞtre aussi un trait dominant. Mais elle a les mĂŞmes conditions fondamentales que la monarchie absolue de  l'Europe occidentale au XVIe siècle : un idĂ©al national particulier favorisĂ© par la renaissance des doctrines antiques adaptĂ©es aux besoins nouveaux, la croyance de tout un peuple Ă  une mission, une ambition individualiste de nation dominante incarnĂ©e dans un souverain, image de Dieu, hĂ©ros national victorieux ; la guerre perpĂ©tuelle contre l'Ă©tranger avec des frontières jugĂ©es très menacĂ©es, une Ă©conomie monĂ©taire en voie de dĂ©veloppement ; des luttes de classes diffĂ©rentes en partie de celles d'Occident, car il ne s'agit pas ici d'une opposition bourgeoisie-noblesse, mais du conflit de deux noblesses, en partie semblables, car tout ce qui est seigneur domanial, d'une noblesse ou de l'autre, s'oppose au paysan mieux armĂ© ici qu'en Occident Ă  cause des distances, des possibilitĂ©s de fuite et des marchandages entre deux seigneurs, la lutte de classes, en tant que lutte, produit les mĂŞmes effets : l'État reste arbitre et maĂ®tre ; aussi l'État, comme en Occident, attise la lutte d'Ordres, est gĂ©nĂ©rateur de lutte d'Ordres. Les conditions fondamentales restent les mĂŞmes et l'existence de la monarchie absolue paraĂ®t expliquĂ©e (Histoire gĂ©nĂ©rale des civilisations, Tome 4 : Les XVIe et XVIIe siècles, 1953 - books.google.fr).

 

Acrostiche : LSTV

 

Sur la rive septentrionale du lac Baïkal, Listvyanka (Listvénitschnaya, au sud-ouest d'Irkoutsk) est une petite bourgade à peu de distance à l'Est et au Nord des sources de l'Angara. Elle fut autrefois le principal port du lac où s’échangeaient les produits de la Sibérie – fourrures, poisson, bois – contre le sel et le thé venus de Chine (www.clio.fr).

 

Afin d'Ă©viter les rĂ©pĂ©titions trop frĂ©quentes, les noms de ces localitĂ©s sont indiquĂ©s, dans l'Ă©numĂ©ration des espèces qui suit, par des abrĂ©viations de la manière suivante : Irkoutsk Irktsk; ListvĂ©nitschnaya = S.W. BaĂŻk. (Lstv.);— Koultouk = S.W. BaĂŻk.: (Kltk.); sources minĂ©rales de Tourkinsk = s. min. Tourk.; Krasnoyarsk (village BasaĂŻkha) Krsnsk (Horae Societatis Entomologicae Rossicae, variis sermonibus in Rossia usitatis editae, Parties 7 Ă  8, 1871 - books.google.fr).

 

Avec Irkoutsk, on pense Ă  Michel Strogoff, mais il prend le train, donc ce n'est pas l'Ă©poque d'Alexandre Ier (GĂ©rard Chaliand, Guerres et civilisations, 2005 - books.google.fr).

 

"essayé" : du côté de Montaigne

 

Dans son Journal de Voyage, parmi les portraits que Montaigne brossa durant le séjour de quatre mois et demi qu'il fit à Rome, celui de l'ambassadeur d'Ivan IV le Terrible mérite d'être signalé. Il était, nous dit-il, «vêtu d'un manteau d'écarlate et d'une soutane de drap d'or, le chapeau en forme de bonnet de nuit de drap d'or fourré, et au-dessous une calotte de toile d'argent.» Plus fier, ou moins dévotieux, que Michel Eyquem, le diplomate russe «fit grande instance de ne baiser pas les pieds du pape.» (Maurice Chavardès, Michel de Montaigne, 1972 - books.google.fr).

 

L'ambassadeur Ă©tait venu pour prier le Pape d'intercĂ©der pour son roi Ivan IV auprès du roi de Pologne StĂ©phane Bathory qui lui faisait guerre. Il soutenait que la Russie Ă©tait le premier rempart contre les Turcs et qu'il ne fallait pas laffaiblir avec d'autres guerres. On prenait GrĂ©goire par son cĂ´tĂ© faible : les Turcs (Concetta Cavallini, L'italianisme de Michel de Montaigne, 2003 - books.google.fr).

 

François Garrault, gĂ©nĂ©ral de la cour des monnaies, explique dans ses Recherches des monnoyes (1576), vĂ©ritable histoire gĂ©nĂ©rale de la monnaie, comment le mot «essai» a un sens prĂ©cis en orfèvrerie. On ne peut juger de la qualitĂ© de l'alliage qu'en en faisant «l'essay», technique rĂ©servĂ©e aux personnes expĂ©rimentĂ©es, Ă  partir de secrets Ă  ne pas divulguer, mais dont il donne tout de mĂŞme une idĂ©e :

 

mettant la masse ou ouvrage d'argent en un costĂ© de la balance & de l'autre autant de poids d'argent fin : puis devalant la balance dans un vaisseau plein d'eauĂ« purifiee, jusques Ă  ce que la masse & son contrepoids soient couverts de l'eauĂ« : si la masse d'argent tient or (= contient de l'or), le costĂ© de la balance oĂą elle sera, trebuchera.

 

Dans ce sens, «essayer» est alourdir chacun des deux plateaux pour faire apparaître une différence insensible autrement. Ainsi le texte même des Essais, les «allongeails» et les pièces de «marqueterie» que Montaigne appelle «surpoids» (III, 9, «De la vanité», 964c), jouent le rôle du «surpoids» de l'eau et font apparaître la densité différentielle des doctrines. […]

 

Le texte de Garrault sur les essayeurs de monnaie montre que la balance pouvait tout aussi bien renvoyer à la pesée des pièces ou à la balance du changeur, et Philippe Desan a signalé le rapport possible avec le sens économique et la responsabilité de Bordeaux en matière de poids et mesures. L'étymologie d'exagium, balance et essai, y invite, comme l'a montré Floyd Gray. C'est le premier à apparaître dans le dictionnaire des symboles de Ricciardi (1591), qui répertorie les figures utilisées dans les emblèmes et les devises. Sur le revers des jetons de la Chambre des Monnaies, on peut voir dès la fin du XIIe siècle une simple balance, sans légende. Le droit porte les armes du roi ou celle des maîtres, dont le dessin n'est guère différent de celui de Montaigne, c'est-à-dire très simple. La position de l'image à l'intérieur d'un écu est elle aussi fréquente sur les jetons du XVIe siècle. Sur le plan strictement iconique, la balance sur jeton pour la Monnaie est celle qui ressemble le plus à celle de Montaigne. Le sens le plus intéressant, par rapport aux Essais et à ce que nous pensons savoir du scepticisme de Montaigne, est celui de l'équilibre des opinions contraires, avec sa conséquence qu'est le devoir d'abstention chez les pyrrhoniens, indiqué par le motto sceptique epekhô [je suspends mon jugement ; j'arrête]. […]

 

Le rapport entre epekhĂ´ et la balance, non explicitĂ© chez Sextus, est analysable selon Tesauro non pas selon le rapport âme/corps comme ses prĂ©dĂ©cesseurs depuis Jove l'avaient exprimĂ©, mais en terme d'«âme matĂ©rielle» :

 

Le mot est comme l'âme matérielle du corps de la devise en tant qu'il fait allusion à une partie de la figure ou action de celle-ci, ou que l'on ne voit pas ou que l'on ne distingue pas parmi les autres.

 

Le verbe epekhô donne sens à l'action significative de la balance (le fait d'avoir balancé d'un côté et d'autre) mais il reste matériel en tant que les mots sont d'abord des éléments sensibles, des signifiants (Marie-Luce Demonet, À plaisir: sémiotique et scepticisme chez Montaigne, 2002 - books.google.fr).

 

Au Kremlin, depuis le casque ouvragĂ© de saint Alexandre Newski jusqu'au brancard qui portait Charles XII Ă  Pultawa, chaque objet vous rappelle un souvenir intĂ©ressant, un fait singulier. Ce trĂ©sor est le vĂ©ritable album des gĂ©ants du Kremlin. En terminant l'examen de ces orgueilleuses dĂ©pouilles du temps, je me suis rappelĂ©, comme par inspiration, un passage de Montaigne que je vous copie pour complĂ©ter par un contraste curieux cette des. cription des magnificences du trĂ©sor moscovite. Vous savez que je ne voyage jamais sans Montaigne :

 

«Le duc de Moscovie debvoit anciennement cette révérence aux Tartares quand ils envoyoient vers lui des ambassadeurs qu'il leur alloit au devant à pied et leur présentoit un gobeau de laict de jument (breuvage qui leur est en délices), et si, en buvant, quelque » goutte en tomboit sur le crin de leurs chevaulx, il estoit tenu de la leicher avec la langue. En Russie, l'armée que l'empereur Bajazet y avoit envoyée feut accablée d'un si horrible ravage de neige que, pour s'en mettre à couvert et sauver du froid, plusieurs s'avisèrent de tuer et esventrer leurs chevaulx pour se jecter dedans et jouir de la chaleur vitale.»

 

Je cite ce dernier trait parce qu'il rappelle l'admirable et terrible description que M. de Ségur fait du champ de bataille de la Moskowa, dans son Histoire de la campagne de Russie. Vous voyez aussi pour confirmer la citation de Montaigne, le même trait de servilité, rapporté par le même M. de Ségur dans son Histoire de Russie et de Pierre le Grand (Astolphe marquis de Custine, La Russie en 1839, Tome 1, 1843 - books.google.fr).

 

Le comte Philippe Paul de Ségur, né le 4 novembre 1780 à Paris et mort le 25 février 1873 est l'oncle par alliance de Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur (fr.wikipedia.org - Philippe-Paul de Ségur).

 

Essai de monnaie

 

« essai Â» : monnaie n’ayant pas reçu l’appropriation officielle (www.alienor.org).

 

L'essai de frappe d'une monnaie d'or à l'imitation d'un modèle hongrois témoigne de l'ouverture sur l'Occident de la règne d'Ivan III qui, au même moment, fait appel à des Friazines, italiens, pour oeuvrer au remodelage du Kremlin de Moscou (Sainte Russie: l'art russe des origines à Pierre le Grand, 2010 - books.google.fr).

 

Au XVIe siècle l'unification politique amène le type monétaire, établi par Ivan IV, avec St-Georges tuant de sa lance le dragon, comme emblème (A. Eck, Les emblèmes des anciennes monnaies russes des Xe-XVe siècles, Bulletijn der Maatschappij van Geschiedenisen Oudheidkunde te Gent, Volumes 34 à 40, 1926 - books.google.fr).

 

Les monnaies russes d'argent ont porté du XIIe au XVIe siècle le nom de dengui (denga, en tartare tengha, m. d'argent, de tamgha, emblème). Sous Ivan IV le Terrible, les dengui prirent le nom de copecs (singulier kopecka, du mot kopié, lance, parce qu'elles portent un cavalier tenant une lance abaissée). Les m. de la valeur d'un demi-copec, qui présentent un cavalier brandissant un sabre, ont pris le nom de dengui qui s'est conservé jusqu'à nos jours (Jules Adrien Blanchet, Nouveau manuel de numismatique du moyen age et moderne, Tome 2, 1890 - books.google.fr).

 

D'abord en argent, le kopeck fut plus tard frappé en cuivre en vue de parer à l'insuffisance des ressources du Trésor au temps d'Alexis Mikhaïlovitch, père de Pierre le Grand. Ce n'est qu'en 1810 qu'Alexandre Ier fixa la valeur intrinsèque du rouble d'argent de 100 kopecks à 83 zolotniks; 100 roubles pèsent 5 livres et 6 zolotniks. La livre d’argent fin est dans la proportion de 10 à 7 et demi, par rapport à la livre monnayée (Victor de Swarte, Six semaines en Russie: sites, mœurs, beaux-arts, industrie, finances, exposition de Moscou, 1893 - books.google.fr).

 

KOPECK n. m., d'abord copek (1607), kopek (1823), puis kopeck (1828), est emprunté au russe kopejka «centième du rouble», le rouble étant d'abord une monnaie de compte (Alain Rey, Dictionnaire Historique de la langue française, 2011 - books.google.fr).

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