Alexandre Ier de Russie IV, 47 1812-1813 Le Noir farouche, quand aura essayé Sa main sanguine par feu, fer, arcs tendus, Trestous le peuple sera tant effrayé Voir les plus grans par col & pieds
pendus. "farouche" Cf. quatrain I, 76 - Avènement des Romanov - 1613-1614. Le trèfle incarnat (trifolium incarnatum) est appelé aussi trèfle russe, anglais mais aussi farouche en Languedoc (Antoine Cariot, Etude des fleurs: botanique élémentaire renfermant la flore du bassin moyen du Rhône et de la Loire, Tome 3, 1879 - books.google.fr). Vers le même tems, c'est-à -dire sous l'Empereur Basile & le patriarche Ignace, arriva la conversion des Russes : cette nation si farouche & si impie, qui avoit commencé à paroître sous le règne précédent (Claude Fleury, Histoire ecclesiastique, Tome 11, 1714 - books.google.fr). "farouche" vient du latin "ferus" qui a donner "fier" qui a pour signification première farouche, terrible, cruel (Marcel Françon, Saulsaye de Maurice Scève, 1959 - books.google.fr, P. Ouidii Metamorphosis cum luculentissimis Raphaelis Regii enarrationibus, 1521 - books.google.fr). Autre farouche-s : VI, 72 et II, 24. "pendus" : chanvre D'après Hérodote, le chanvre vient de la Scythie. Il n'y a jamais eu de Scythie, ni de Scythes, c'est-à -dire des peuples se nommant eux-mêmes de ce nom ; les Grecs nommaient Scuthai, mot dont on a fait Scythes, les peuples nomades de la grande Tartarie (Journal d'agriculture, sciences, lettres et arts, 1847 - books.google.fr). La grande Tartarie est en Russie actuelle. Le chanvre fait «finir leur vie haut et court» aux larrons indignés de ce que, «sans estre autrement malades», un mince lacet de pantagruelion leur bouche «les conduitz par lesquels sortent les bons motz et entrent les bons morceaulx». [...] Grâce à cette plante, Ceylan a vu la Laponie, Java a vu les monts Riphées, les Islandais et les Groenlandais verront un jour l'Euphrate. Par elle Borée a vu le manoir de l'Auster, Eurus a visité Zéphyre (Pantagruel, III) (Paul Stapfer, Rabelais: sa personne, son génie, son oeuvre, 1889 - books.google.fr). Les Monts Riphées sont en Scythie. "arcs tendus" Par elle (le panragurélion : le chanvre) sont les arcs tendus, les arbalestes bandées, les fondes faictes. Et comme si fust herbe sacre, verbénique et révérée des Manes et Lémures, les corps humains morts sans elle ne sont inhumés (Pantagruel, III) (Œuvres de Rabelais: précédées de sa biographie et d'une dissertation sur la prononciation du français au XVIe siècle, et accompagnées de notes explicatives du texte, Tome 2 1875 - books.google.fr). Tous les monuments de l'Asie antérieure qui représentent des archers au repos, les montrent avec leurs arcs tendus, généralement passés sur l'épaule. Ainsi sont figurés les Babyloniens, les Assyriens, les Élamites, les Hittites, les Perses. Les Scythes et les Mèdes aussi les portaient tendus, mais protégés par un étui (gorytos) (Syria, Volumes 34 à 35, 1957 - books.google.fr). L'effigie du Scythe Toxaris sur sa tombe à Athènes, qu'il délivra de la peste en y faisant répandre du vin par topus ses carrefours, y est releuee en habit de Scythe, tenant en la main gauche vn arc tendu, & vn liure en la droicte (Lucianus Samosatensis, Oeuvres illustrees d'annotations et de maximes politiques en marge par J. Baudoin, 1613 - books.google.fr). L'arc scythe a été comparé à un serpent, une vrille de plante parasite, au contour du Pont Euxin et à un sigma (Anthony Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, traduit par de M. Chéruel, 1873 - books.google.fr). Jam Scythae laxo meditantur arcu / Cedere campis : Maintenant les Scythes qui n'ont plus leurs arcs tendus / se préparent à nous abandonner la campagne (OEuvres d'Horace, Tome premier, contenant les Odes & les Epodes, 1678 - books.google.fr). Les forces du tsar se composaient, vers le milieu du XVIe siècle : 1° de sa maison militaire, ryndi, spalniki, stolniki, etc. : environ 8000 cavaliers; 2° des enfants-boiars, c'est-à -dire des fieffés : de 80 à 100 000 cavaliers; 30 des odnodvortsi ou paysans libres : peut-être 100 000 cavaliers. L'infanterie était fournie par les streltsi (sing. strélelz; tireurs), levés parmi les bourgeois des villes. Cette milice fut introduite dans le reste de l'empire sous le règne d'Ivan IV. 2000 étaient attachés à la garde du souverain : c'étaient les streltsi «de l'étrier». Il y avait 12 000 streltsi rien qu'à Moscou, où ils étaient cantonnés dans une slobode à part. Meyerberg évalue à 40 000 leur effectif total. Ils étaient distribués par compagnies de 500 hommes. Chacune avait à sa tête un capitaine (golova, tête); sous celui-ci, des centeniers, cinquanteniers et dizainiers. Leur armement n'avait rien d'uniforme et varia suivant les époques : ils portèrent des piques, des hallebardes, des sabres, des arcs, des arbalètes, des arquebuses, des mousquets. Certaines villes du Sud fournissaient aussi une cavalerie, les kosaks (Ernest Lavisse, Histoire générale du IVe siècle à nos jours, Tome 5 : Les guerres de religion, 1559-1648, 1895 - books.google.fr). Il s'appliqua aussi à perfectionner l'infanterie, que l'on nommait strelitz, et qui était composée d'hommes pris parmi les habitants de la campagne; il en forma une milice permanente, dont une partie composa sa garde, et le reste fut employé dans les armées; il l’arma entièrement de fusils, au lieu d'arcs dont une grande partie faisait encore usage. Ce sont les réformes qui ont fait regarder Ivan IV comme fondateur de la milice des strélitz, mais il parait certain qu'elle existait avant lui (Just Jean Etienne Roy, Histoire de Russie, 1861 - books.google.fr). Ivan IV et
Alexandre Ier La Russie du début du XIXe siècle aspire à mieux se définir, d’abord sur le pan géopolitique et même simplement territorial, mais aussi par rapport à elle-même et à son environnement. L’ancien grand-duché de Moscovie, de surcroît siège de la troisième Rome, est devenu un État transcontinental et même, par certains côtés, pluri-religieux qui raisonne aussi bien en fonction du Pacifique que de la Méditerranée tout en se demandant s’il ne risque pas de perdre son âme en s’occidentalisant. C’est également une puissance économique qui exporte ses grains et ses fourrures et qui importe des soieries et des vins en même temps qu’elle développe un artisanat prêt à se transformer en industrie : autrement dit, à la fois un partenaire et un concurrent. L’histoire moderne de la Russie a commencé avec Ivan IV Vassiliévitch, dit Ivan le Terrible, né le 25 août 1530 à Kolomenskoïe et mort le 18 mars 1584 à Moscou. Après avoir été grand-prince de Vladimir et Moscou de 1533 à 1584, il prend, le premier, le titre de tsar de Russie en 1547 — il faudra attendre 1721 pour que Pierre le Grand devienne officiellement «empereur de toutes les Russies». Ivan IV est celui qui fera passé le petit Etat russe vers un empire, proche de ce qu'est ce pays encore aujourd'hui. Le 16 janvier 1547 dans la cathédrale de la Dormition à Moscou, Ivan est sacré tsar [César], reprenant ainsi un terme utilisé par les khans mongols de la Horde d’Or. Puis il cherche une épouse non à l’étranger, mais au sein de ses États, s’unissant le mois suivant à Anastasia Romanovna Zakharina, fille d’une famille de boyards qui faisaient partie des cercles les plus proches du souverain. Il se voit investi d’une mission divine, même si son investiture n’est consacrée qu’en 1561 par le patriarche grec Joasaph II de Constantinople - le Magnifique -, qui le reconnaît ainsi comme successeur des empereurs byzantins disparus un siècle plus tôt ; cela va d’ailleurs entraîner la déposition du prélat par un synode. Ainsi, avec lui, la Russie reprend le flambeau de l’empire romain et de la chrétienté, puisque, en 1589, est créé le patriarcat de Moscou, dorénavant indépendant de celui de Constantinople ; quand il sera remplacé en 1721 par le Saint-Synode, à la tête duquel se trouvera un fonctionnaire d’État civil, le procureur général, cela n’altérera pas l’impact très fort de l’orthodoxie sur l’âme russe - pas plus que le schisme des Vieux-Croyants [raskolniki, c’est-à -dire hérétiques] à la fin du XVIIe siècle. Ce fort sentiment religieux aura développé en Russie tout un courant messianique qui va considérer que ce pays a pour vocation d’assurer le salut des autres nations et auquel Alexandre Ier ne sera pas étranger. Il se confond souvent avec la vision slavophile qui veut mettre en avant le caractère propre de cette nation. Au moment où éclate la conflagration de 1812, la France et la Russie peuvent être définies comme les deux puissances montantes de l’Europe ; là réside sans doute la raison majeure de la volonté de Napoléon de s’entendre avec Alexandre. D’ailleurs, ce n’est certainement pas un hasard si l’un et l’autre pays vont être arrêtés dans leurs marches en avant : la France en 1815 et 1871, la Russie en 1856 et 1917 — pour ne rien dire de 1990 (Jean Étèvenaux, Deux siècles pour amener la France et la Russie à 1812, 2019 - www.souvenirnapoleonien.org). Cf. quatrain IV, 34 et IV, 50. Mysticisme Touché par l'incendie de Moscou, qu'il prend pour un avertissement du ciel, Ivan IV se voue au bonheur spirituel et temporel de son peuple; sa forteresse devient un monastère où il officie tous les jours, en frappant le sol de sa tête; à table, il se constitue lecteur, ne dîne que le dernier, et il renouvelle son empire en fondant la milice religieuse des Strelitz. Tendre, fantasque, dévot et atroce, d'une férocité qui surpasse les scènes les plus désolées de son épouvantable patrie, l'histoire de son règne semble un conte où la vérité et l'impossible se tiennent sans cesse par le funeste mystère de notre misérable nature. Des familles entières précipitées dans les eaux à Novogorod ; douze mille propriétaires dépossédés d'un coup pour doter les Strelitz; des malheureux pendus, empalés par milliers; d'innombrables femmes enlevées à leurs familles et déshonorées par le libertinage des courtisans ; l'entourage même du czar soumis à de tragiques épreuves : des saturnales d'enfer où l'empereur s'amuse à pousser son cheval au milieu des femmes et des vieillards, et où la cour se donne le divertissement de lâcher des ours sur la population; une terreur continuelle et illimitée, une déraison systématique et si violente que, au moment d'un supplice de trois cents boyards, le peuple de Moscou se réfugie dans ses caves et n'assiste à l'exécution que traîné de vive force en présence des victimes, voilà comment se reforme l'ancien schisme des Russes, et comment se confirme la fatale loi qui condamne la grande patrie des Slaves à se régénérer par des monstres. D'ailleurs Ivan ne s'appartient point, une fureur sacrée le transporte; dans l'un de ses accès, il tue son fils qu'il pleure aussitôt que le délire cesse de l'élever à l'état de Dieu ou de monstre; et il est adoré, idolâtré, et justement regretté quand il meurt : car la Russie lui doit ses plus grandes armées, des conquêtes en Sibérie, le renouvellement du Code, l'anéantissement de l'ancienne prépondérance des boyards, les premières limites imposées à l'avidité du clergé, et un grand nombre de villes déclarées propriété du czar, c'est-à -dire affranchies (Giuseppe Ferrari, Historie des Revolutions D'Italie ou Guelfes et Giblins, 1858 - books.google.fr). En décembre 1812, les épreuves subies par Alexandre Ier l'ont profondément transformé : le jeune homme élevé dans le culte des Lumières, monté sur le trône à 23 ans en mars 1801 – au lendemain du du complot qui a coûté la vie à son père Paul Ier –, et initié à la franc-maçonnerie en 1801-1802, est devenu, dix ans plus tard, un croyant fervent. Confronté à l'invasion de la terre russe puis à l'incendie de Moscou, la ville sacrée des tsars, l'empereur a été pendant toute cette période sujet à des crises mystiques aiguës qui, quelques mois plus tard, en 1813, débouchent sur une véritable révolution spirituelle. [...] Mais le tsar n'en reste pas moins un homme d'État, régissant le pays en autocrate, et c'est bien tout un faisceau de considérations à la fois militaires et géopolitiques qui l'incite à vouloir prolonger, à l'extérieur des frontières de l'Empire russe son combat contre l'empereur des Français (Marie-Pierre Rey, 1814 Un Tsar à Paris, 2014 - books.google.fr). Incendies de
Moscou A 9 heures du matin, c'est un ouragan qui souffle sur Moscou. On pourrait croire qu'une malédiction pèse sur cette ville, car à chacun des grands incendies qui l'ont dévastée celui de 1547, sous Ivan le Terrible, celui de 1626, sous Michel Ier Romanov - un vent de tempête, soudainement déchaîné, a alimenté et décuplé le désastre. Le feu, qui court et dévore tout depuis cette nuit, devient de plus en plus vorace, «porté en dix endroits distants en l'espace d'une heure», selon ce qu'il semble aux spectateurs atterrés. Le Bazar est entièrement embrasé, et cette fois tout secours est impossible Partout, en fouillant les maisons encore intactes, les équipes françaises de sauvetage extirpent des «fusées à la Congreve» placées dans les cheminées ou ailleurs. On découvre des brûlots, des «préparations incendiaires», de l'étoupe imbibée de goudron, de soufre ou de bitume. Il s'en trouve une bonne quantité jusque dans les tuyaux des poêles du palais Rostoptchine, où vient de s'installer le général de Laborde en compagnie du médecin militaire Jeanneau ; ils sont tellement stupéfaits de cette trouvaille, qu'ils font chercher M. de Bausset, afin qu'il la constate de visu. Il est clair que M. le gouverneur comptait expulser un peu cavalièrement son successeur français ! Flammes, flammes, flammes ! Le feu gagne de proche en proche. Il couve ici, il rampe là , lèche les corniches, happe les portes, mord les arbres des jardins, et ceux-ci embrasent les maisons. Les masures en bois croulent avec un bruit sec au pied de maisons de brique, qui ne résistent guère mieux, puisqu'il n'en restera, au bout de trois jours, que 578 sur 2750. Du sud-ouest au nord-ouest, l'incendie se glisse comme un serpent monstrueux. Il est si rapide, que de nombreux personnages de l'entourage de l'Empereur, tels M. de Bausset ou M. de Turenne, qui se sont choisi avec soin une demeure à leur goût, se voient contraints de déménager trois fois dans cette matinée du 16 septembre (Daria Olivier, L'incendie de Moscou (15 Septembre 1812), 1964 - books.google.fr). Le commencement du règne d'Ivan IV, en 1547, fut signalé par trois terribles incendies, hôte si fréquent de Moscou, incendies qui réduisit en cendres, non seulement la ville de bois, mais encore une partie du Kremlin : le 12 avril, le 20 avril et le 21 juin (M. P. Fabricius, Le Kremlin de Moscou: esquisses et tableaux : autrefois et aujourd'hui, 1883 - books.google.fr). "Noir" Ivan IV le Terrible crée l'opritchnina en 1565. Les opritchniki, vêtus entièrement de noir et montant de noirs chevaux, portaient comme emblème le balai et le crâne de chien. Ils luttèrent impitoyablement, et parfois avec quelques excès, contre la corruption des boyards et du clergé. Trois siècles plus tard, leurs successeurs spirituels, les Cent-Noirs, tenteront en vain d'enrayer la montée du marxisme (Pierre Dujols De Valois, La chevalerie amoureuse - Troubadours, félibres et rose-croix, 2014 - books.google.fr). Les opritchniks étaient des gardes du corps chargés de veiller sur le Tsar et de détruire la trahison dans le pays, des sortes de «dévoués» : il y entra même quelques membres de l'ancienne noblesse. Les opritchniks furent munis de fiefs dans le centre de la Russie. Un immense transfert de la propriété eut lieu. Les princes territoriaux durent abandonner leurs domaines ancestraux et recevoir de nouveaux domaines dans la zone périphérique, la zemtchina, et de préférence près des frontières, sur les terres nouvellement conquises. Les liens ancestraux qui les unissaient à la population du centre furent brisés. Ils se trouvèrent isolés, au milieu d'un peuple inconnu, dont ils n'étaient obéis que comme agents du tsar et exposés près des frontières à des attaques auxquelles ils ne pouvaient échapper que par la protection du tsar. L'opritchnina eut le contrôle policier de la zemtchina, en disgrâce, tout entière soupçonnée de trahison. Les opritchniks avaient le droit de lui faire subir toutes les violences possibles. Plusieurs familles princières furent entièrement exterminées (Histoire générale des civilisations, Tome 4 : Les XVIe et XVIIe siècles, 1953 - books.google.fr). Ils torturent les hommes, violent les femmes, arrachent les ongles, crèvent les yeux, dépècent vivants les malheureux pendus par les pieds ; ils assomment les bébés, massacrent les serviteurs ; ils pillent, brûlent maisons et récoltes ; ils empoisonnent même les lacs et les fleuves. Ce fut le cas notamment dans les domaines des princes de Jaroslavl, Biélooziéro, Rostof et Souzdal. Staden relate les très nombreuses exécutions par noyade, pendaison, à coups de hallebarde, de pieu, de poignard, de fouet, dont ces spadassins se rendirent coupables. Kourbski rapporte que les bourreaux enfoncèrent des aiguilles sous les ongles du prince Pierre Stcheniateff-Patrikeef. Le trésorier d'un autre prince fut haché en morceaux avec sa femme et ses enfants. Les opritchniki ne respectent rien, même pas les lieux saints. Ils tueraient Dieu, s'il osait se montrer ! (André Beucler, La vie de Ivan le Terrible, 1931 - books.google.fr). En 1570, Novgorod la Grande fut mise à sac : il y eut tant de cadavres que la rivière déborda. Mais, d'autre part, pour ses pomietchiks et ses opritchniks, Ivan s'attacha à fixer les paysans au sol et à les transformer en serfs. Le Code de 1550 stipula que le débiteur insolvable serait livré à son créancier et contraint de travailler jusqu'à remboursement. En 1574, Ivan imposa à tout paysan «noir» de cultiver pour le compte de l'État 4 hectares par an. Cette corvée était un palliatif à la fuite des paysans. En 1580 et 1581, le tsar interdit tout désaveu de seigneur par un fermier. Les fermiers ne purent plus quitter le domaine sans un congé du seigneur. Les fermiers fuyards furent rigoureusement poursuivis. Ainsi la Moscovie nous présente incontestablement une monarchie absolue. Le tsar possède en droit et en fait tous les attributs de la souveraineté ; pouvoir législatif, exécutif, judiciaire, juridictions spéciales, impôts levés à son gré, armée permanente à sa disposition, fonctionnaires nommés par lui. La monarchie moscovite diffère de la monarchie absolue de l'Europe occidentale par l'étendue plus grande de ses droits : il ne semble pas y avoir de lois fondamentales qui puissent être opposées à l'arbitraire du souverain, par exemple en matière de succession au trône, ni de droits propres aux individus et aux corps de l'État, comme celui de propriété. Par contre, en fait, son pouvoir est peut-être plus limité, dans les circonstances courantes, par l'existence d'immunités et l'absence de bourgeoisie capitaliste à opposer aux autres classes. La monarchie absolue moscovite constitue donc une espèce dans le grand genre «monarchie absolue» de la famille «monarchie». Elle se rapproche plutôt des monarchies absolues asiatiques qui sont fonction de sociétés où la faiblesse du capitalisme serait peut-être aussi un trait dominant. Mais elle a les mêmes conditions fondamentales que la monarchie absolue de l'Europe occidentale au XVIe siècle : un idéal national particulier favorisé par la renaissance des doctrines antiques adaptées aux besoins nouveaux, la croyance de tout un peuple à une mission, une ambition individualiste de nation dominante incarnée dans un souverain, image de Dieu, héros national victorieux ; la guerre perpétuelle contre l'étranger avec des frontières jugées très menacées, une économie monétaire en voie de développement ; des luttes de classes différentes en partie de celles d'Occident, car il ne s'agit pas ici d'une opposition bourgeoisie-noblesse, mais du conflit de deux noblesses, en partie semblables, car tout ce qui est seigneur domanial, d'une noblesse ou de l'autre, s'oppose au paysan mieux armé ici qu'en Occident à cause des distances, des possibilités de fuite et des marchandages entre deux seigneurs, la lutte de classes, en tant que lutte, produit les mêmes effets : l'État reste arbitre et maître ; aussi l'État, comme en Occident, attise la lutte d'Ordres, est générateur de lutte d'Ordres. Les conditions fondamentales restent les mêmes et l'existence de la monarchie absolue paraît expliquée (Histoire générale des civilisations, Tome 4 : Les XVIe et XVIIe siècles, 1953 - books.google.fr). Acrostiche : LSTV Sur la rive septentrionale du lac Baïkal, Listvyanka (Listvénitschnaya, au sud-ouest d'Irkoutsk) est une petite bourgade à peu de distance à l'Est et au Nord des sources de l'Angara. Elle fut autrefois le principal port du lac où s’échangeaient les produits de la Sibérie – fourrures, poisson, bois – contre le sel et le thé venus de Chine (www.clio.fr). Afin d'éviter les répétitions trop fréquentes, les noms de ces localités sont indiqués, dans l'énumération des espèces qui suit, par des abréviations de la manière suivante : Irkoutsk Irktsk; Listvénitschnaya = S.W. Baïk. (Lstv.);— Koultouk = S.W. Baïk.: (Kltk.); sources minérales de Tourkinsk = s. min. Tourk.; Krasnoyarsk (village Basaïkha) Krsnsk (Horae Societatis Entomologicae Rossicae, variis sermonibus in Rossia usitatis editae, Parties 7 à 8, 1871 - books.google.fr). Avec Irkoutsk, on pense à Michel Strogoff, mais il prend le train, donc ce n'est pas l'époque d'Alexandre Ier (Gérard Chaliand, Guerres et civilisations, 2005 - books.google.fr). "essayé" : du côté de Montaigne Dans son Journal de Voyage, parmi les portraits que Montaigne brossa durant le séjour de quatre mois et demi qu'il fit à Rome, celui de l'ambassadeur d'Ivan IV le Terrible mérite d'être signalé. Il était, nous dit-il, «vêtu d'un manteau d'écarlate et d'une soutane de drap d'or, le chapeau en forme de bonnet de nuit de drap d'or fourré, et au-dessous une calotte de toile d'argent.» Plus fier, ou moins dévotieux, que Michel Eyquem, le diplomate russe «fit grande instance de ne baiser pas les pieds du pape.» (Maurice Chavardès, Michel de Montaigne, 1972 - books.google.fr). L'ambassadeur était venu pour prier le Pape d'intercéder pour son roi Ivan IV auprès du roi de Pologne Stéphane Bathory qui lui faisait guerre. Il soutenait que la Russie était le premier rempart contre les Turcs et qu'il ne fallait pas laffaiblir avec d'autres guerres. On prenait Grégoire par son côté faible : les Turcs (Concetta Cavallini, L'italianisme de Michel de Montaigne, 2003 - books.google.fr). François Garrault, général de la cour des monnaies, explique dans ses Recherches des monnoyes (1576), véritable histoire générale de la monnaie, comment le mot «essai» a un sens précis en orfèvrerie. On ne peut juger de la qualité de l'alliage qu'en en faisant «l'essay», technique réservée aux personnes expérimentées, à partir de secrets à ne pas divulguer, mais dont il donne tout de même une idée : mettant la masse ou ouvrage d'argent en un costé de
la balance & de l'autre autant de poids d'argent fin : puis devalant la
balance dans un vaisseau plein d'eauë purifiee, jusques à ce que la masse &
son contrepoids soient couverts de l'eauë : si la masse d'argent tient or
(= contient de l'or), le costé de la balance où elle sera, trebuchera. Dans ce sens, «essayer» est alourdir chacun des deux plateaux pour faire apparaître une différence insensible autrement. Ainsi le texte même des Essais, les «allongeails» et les pièces de «marqueterie» que Montaigne appelle «surpoids» (III, 9, «De la vanité», 964c), jouent le rôle du «surpoids» de l'eau et font apparaître la densité différentielle des doctrines. […] Le texte de Garrault sur les essayeurs de monnaie montre que la balance pouvait tout aussi bien renvoyer à la pesée des pièces ou à la balance du changeur, et Philippe Desan a signalé le rapport possible avec le sens économique et la responsabilité de Bordeaux en matière de poids et mesures. L'étymologie d'exagium, balance et essai, y invite, comme l'a montré Floyd Gray. C'est le premier à apparaître dans le dictionnaire des symboles de Ricciardi (1591), qui répertorie les figures utilisées dans les emblèmes et les devises. Sur le revers des jetons de la Chambre des Monnaies, on peut voir dès la fin du XIIe siècle une simple balance, sans légende. Le droit porte les armes du roi ou celle des maîtres, dont le dessin n'est guère différent de celui de Montaigne, c'est-à -dire très simple. La position de l'image à l'intérieur d'un écu est elle aussi fréquente sur les jetons du XVIe siècle. Sur le plan strictement iconique, la balance sur jeton pour la Monnaie est celle qui ressemble le plus à celle de Montaigne. Le sens le plus intéressant, par rapport aux Essais et à ce que nous pensons savoir du scepticisme de Montaigne, est celui de l'équilibre des opinions contraires, avec sa conséquence qu'est le devoir d'abstention chez les pyrrhoniens, indiqué par le motto sceptique epekhô [je suspends mon jugement ; j'arrête]. […] Le rapport entre epekhô et la balance, non explicité chez Sextus, est analysable selon Tesauro non pas selon le rapport âme/corps comme ses prédécesseurs depuis Jove l'avaient exprimé, mais en terme d'«âme matérielle» : Le mot est comme
l'âme matérielle du corps de la devise en tant qu'il fait allusion à une partie
de la figure ou action de celle-ci, ou que l'on ne voit pas ou que l'on ne
distingue pas parmi les autres. Le verbe epekhô donne sens à l'action significative de la balance (le fait d'avoir balancé d'un côté et d'autre) mais il reste matériel en tant que les mots sont d'abord des éléments sensibles, des signifiants (Marie-Luce Demonet, À plaisir: sémiotique et scepticisme chez Montaigne, 2002 - books.google.fr). Au Kremlin, depuis le casque ouvragé de saint Alexandre
Newski jusqu'au brancard qui portait Charles XII Ă Pultawa, chaque objet vous
rappelle un souvenir intéressant, un fait singulier. Ce trésor est le véritable
album des géants du Kremlin. En terminant l'examen de ces orgueilleuses
dépouilles du temps, je me suis rappelé, comme par inspiration, un passage de
Montaigne que je vous copie pour compléter par un contraste curieux cette des. cription des magnificences du trésor moscovite. Vous savez
que je ne voyage jamais sans Montaigne : «Le duc de Moscovie
debvoit anciennement cette révérence aux Tartares quand ils envoyoient vers lui
des ambassadeurs qu'il leur alloit au devant à pied et leur présentoit un
gobeau de laict de jument (breuvage qui leur est en délices), et si, en buvant,
quelque » goutte en tomboit sur le crin de leurs chevaulx, il estoit tenu de la
leicher avec la langue. En Russie, l'armée que l'empereur Bajazet y avoit envoyée
feut accablée d'un si horrible ravage de neige que, pour s'en mettre à couvert
et sauver du froid, plusieurs s'avisèrent de tuer et esventrer leurs chevaulx
pour se jecter dedans et jouir de la chaleur vitale.» Je cite ce dernier trait parce qu'il rappelle l'admirable
et terrible description que M. de SĂ©gur fait du champ de bataille de la
Moskowa, dans son Histoire de la campagne
de Russie. Vous voyez aussi pour confirmer la citation de Montaigne, le
même trait de servilité, rapporté par le même M. de Ségur dans son Histoire de Russie et de Pierre le Grand
(Astolphe
marquis de Custine, La Russie en 1839, Tome 1, 1843 - books.google.fr). Le comte Philippe Paul de Ségur, né le 4 novembre 1780 à Paris et mort le 25 février 1873 est l'oncle par alliance de Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur (fr.wikipedia.org - Philippe-Paul de Ségur). Essai de monnaie « essai » : monnaie n’ayant pas reçu l’appropriation officielle (www.alienor.org). L'essai de frappe d'une monnaie d'or à l'imitation d'un modèle hongrois témoigne de l'ouverture sur l'Occident de la règne d'Ivan III qui, au même moment, fait appel à des Friazines, italiens, pour oeuvrer au remodelage du Kremlin de Moscou (Sainte Russie: l'art russe des origines à Pierre le Grand, 2010 - books.google.fr). Au XVIe siècle l'unification politique amène le type monétaire, établi par Ivan IV, avec St-Georges tuant de sa lance le dragon, comme emblème (A. Eck, Les emblèmes des anciennes monnaies russes des Xe-XVe siècles, Bulletijn der Maatschappij van Geschiedenisen Oudheidkunde te Gent, Volumes 34 à 40, 1926 - books.google.fr). Les monnaies russes d'argent ont porté du XIIe au XVIe siècle le nom de dengui (denga, en tartare tengha, m. d'argent, de tamgha, emblème). Sous Ivan IV le Terrible, les dengui prirent le nom de copecs (singulier kopecka, du mot kopié, lance, parce qu'elles portent un cavalier tenant une lance abaissée). Les m. de la valeur d'un demi-copec, qui présentent un cavalier brandissant un sabre, ont pris le nom de dengui qui s'est conservé jusqu'à nos jours (Jules Adrien Blanchet, Nouveau manuel de numismatique du moyen age et moderne, Tome 2, 1890 - books.google.fr). D'abord en argent, le kopeck fut plus tard frappé en cuivre en vue de parer à l'insuffisance des ressources du Trésor au temps d'Alexis Mikhaïlovitch, père de Pierre le Grand. Ce n'est qu'en 1810 qu'Alexandre Ier fixa la valeur intrinsèque du rouble d'argent de 100 kopecks à 83 zolotniks; 100 roubles pèsent 5 livres et 6 zolotniks. La livre d’argent fin est dans la proportion de 10 à 7 et demi, par rapport à la livre monnayée (Victor de Swarte, Six semaines en Russie: sites, mœurs, beaux-arts, industrie, finances, exposition de Moscou, 1893 - books.google.fr). KOPECK n. m., d'abord copek (1607), kopek (1823), puis kopeck (1828), est emprunté au russe kopejka «centième du rouble», le rouble étant d'abord une monnaie de compte (Alain Rey, Dictionnaire Historique de la langue française, 2011 - books.google.fr). |