La guerre de Crimée

La guerre de Crimée

Emancipation des serfs de Russie

 

V, 4

 

1854-1855

 

Le gros matin de cité deschassé,

Sera fasché de l’estrange alliance,

Après aux champs avoir le cerf chassé,

Le loup & l’ours se donront defiance.

 

V, 5

 

1855-1856

 

Sous ombre faincte d’oster de servitude,

Peuple & citĂ© l’usurpera luy mesme :

Pire fera par fraux de ieune pute,

Livré au champ lisant le faux proesme.

 

Ours russe et loup turc ?

 

Les peuples qui, lorsqu'ils se sont constituĂ©s en nation, ont pris un animal pour emblème ne sont pas rares. Il suffit pour s'en convaincre de citer le lion britannique ou celui de Bohème, l'aigle blanc de Pologne, l'aigle noir de la Prusse, le coq gaulois, le loup turc, l'ours russe, par exemple. Les Hongrois, pour leur part, ont le turul (prononcer : touroul), oiseau rapace de grande taille, aux ailes dĂ©ployĂ©es, dont on aperçoit la reprĂ©sentation en nombre d'endroits du territoire et qui jadis exprimait de façon imagĂ©e leur origine orientale, nimbĂ©e de mystère (Bernard Le Calloc'h, Le turul, l'oiseau mythique des anciens Hongrois, Études Finno-ougriennes, Volumes 32 Ă  33, 2000 - books.google.fr).

 

Le loup gris (bozkurt) est l'animal totémique des Turcs d'Asie centrale avant l'islam (Patrick Karam, Asie centrale, le nouveau grand jeu: l'après-11 septembre, 2002 - books.google.fr).

 

Dans la légende de la vallée de l'Ergenekon, une louve au pelage gris-bleu aurait recueilli et nourri deux enfants, les derniers survivants d'une tribu turque disparue. Le symbole a été par la suite repris par la droite radicale et l'État turc lui même. Il figure sur les armes de la «République Turque de Chypre» (Tancrède Josseran, La nouvelle puissance turque: l'adieu à Mustapha Kemal, 2010 - books.google.fr).

 

Mustapha Kemal tenait le surnom de «Loup gris» de son enfance, choisi par sa mère à cause de ses yeux gris. L'animal devint plus tard le symbole du chef solitaire et opiniâtre, au point d’apparaître sur la première série de timbres officiels du gouvernement kemaliste (www.timbresmag.com).

 

Sur le tableau "La déclaration de guerre à Constantinople" (à Vienne avec une copie à Dresde), devant Constantinople, un Turc, suivi d'un loup et des Furies, dont la cause est en outre symbolisée par la présence de Mars dans le ciel, déclare la guerre à l'Empire, personnifié ici par un ambassadeur des Habsbourg. On peut voir, derrière ce dernier, d'autres messagers autrichiens maltraités et une représentation d'Hercule, symbole des Habsbourg, dont la cause est également représentée par Jupiter et Minerve dans le ciel (Thomas DaCosta Kaufmann, L'école de Prague: la peinture à la cour de Rodolphe II, 1985 - books.google.fr).

 

Rodolphe II est un prince de la maison de Habsbourg né le 18 juillet 1552 à Vienne et mort le 20 janvier 1612 à Prague. Il est empereur des Romains et roi de Bohême de 1576 à sa mort, et règne également en dehors de l'Empire sur le royaume de Hongrie et le royaume de Croatie (fr.wikipedia.org - Rodolphe II (empereur du Saint-Empire)).

 

En 1861, on peut lire que la Russie a adopté l'ours pour son emblème politique (Louis Cloquet, Eléments d'iconographie chrétienne: types symboliques, 1861 - books.google.fr).

 

L'ours est l'animal-roi du bestiaire héraldique russe. L'ours tient une place privilégiée dans le bestiaire héraldique russe où, par anthropomorphisme, on voit cet animal tenir des armes (épées, hallebardes), des roses, soutenir un trône, etc., ce qui ne saurait étonner quand on sait que des princes russes vêtaient parfois ces animaux de livrées semblables à celles de leurs domestiques pour recevoir leurs invités. On trouve des ours, presque toujours amuselés, ou des pattes d'ours dans les armoiries des familles Aminov (supports), Bachtchersky, Baehr, Bagge af Boo, Bar, Baranovsky, Bark (en cimier), Beckern, Behr (x 2), Beliaev, Benike, Ber, Bercken (pattes), Berens (x2), Bernsdorff, Bobrinski, Bojitch, Brock, Brunn (trois têtes dans l'écu et un ours entier en cimier), Chakhovskoy, Chakhovskoy-Glebov-Strechnev, Chastkevitch, Chekhonsky, Chemiakine, Chidlovsky, Chmourlo, Chtchepine, Chtcherba, Chtcherbitsky, Chtchetinine, Chtyrkov, Dembinsky, Demidov di San Donato (supports), Dondoukov-Korsakov (x 2) (ours blanc non muselé), Egoriev (ours d'argent dans l'écu et en cimier), Fagel, Filatiev (une tête), Gagarine, Gagarine-Sturdza, Gaguine, Galinsky, Galitzine, Golinsky, Golitsyne, Golitsyne-Ostermann, Goundorov (dans l'écu et comme suports), Grigoriev, Grot, Gut, Intersbourg, Jdanov, Kamensky, Kaminsky, Kaniovsky, Khilkov, Khovansky, Klüver (une patte), Kochan, Kokcharov (ours polaire), Komorovsky, Korsakov, Kossinsky, Kostro, Kourakine, Krasnitsky, Krassovsky, Kropotov, Krylov, Küchelbecker (une patte), Leniakov, Lenk, Lesnevsky, Levchine, Liassatovitch, Likharev (comme supports), Liorsi, Lipinsky, Lode (griffes dans l'écu et pattesen cimier), Loudon (pattes en cimier), Lvov (x 2), Maguer, Malachovsky, Medvedev (x 2) (armes parlantes), Melgounov, Morlay (tête arrachée avec sa muselière), Nolcken, Oboukhov, Ojarovsky, Olechev (x 2), Olenine, Orsi, Ostrovsky, Oukhtomsky (debout sur une souche), Oursine, Paulucci, Piassetsky, Plakhov, Polougarsky, Potaptchine (tête), Pravikov (supports), Prozorov, Prozorovsky (x 2), Radingh/rading (pattes), Rakotchi, Razguildeev, Regoulsky, Reutern (pattes), Rimsky-Korsakov, Roettger von Becker (pattes), Röhmer, Romonadovsky-Lodyjensky (dans l'écu et comme supports), Roubachevsky (dans l'écu et en cimier), Rozvadovsky, Rubusch, Savinov, Savioli, Schmourlo, Schwartzkopf (pattes), Severtsov (un ours muselé en support), Slachtchev (supports), Smeth von Alphen, Sofysky, Solomeretsky, Solomine, Sontsov (x 2), Sontsov-Zassekine, Soukhodolsky,Sovine, Strogonov (x 3) (tête et col, en meuble et en cimier), Tchaleev, Titov, Tolck-Engel (ours naissant dans l'écu et pattes de l'animal en cimier), Troekourov, Tyrkov, Volooutsky, Volotsky, Vonlialarsky (deux jambes), Yakoubovitch, Yakovlev, Yermak, Zaborovsky, Zaletsky, Zalousky, Zassekine, Zavodovsky. Prenant peut-être trop de place sur l'écu, l'ours est souvent remplacé par une tête (ou tête et col), d'ours, des pattes, des jambes, un demi-ours, voire de simples griffes. Un certain nombre de familles citées ci-dessus appartiennent au clan polonais Raditch qui porte une femme de carnation, chevelée et couronnée d'or, vêtue d'une longue robe de gueules, les bras écartées et levées, assise en amazone sur un ours passant de sable, lampassé de gueules. [...]

 

La ville de Jaroslav porte un ours dans son blason que Iaroslav le Sage aurait tué avant de fonder la ville (Jean-Marie Thiébaud, Armorial et nobiliaire de l'Empire de Russie, Volume 1, 2014 - books.google.fr).

 

Dans les autres fêtes burlesques que Pierre Ier institua, il n'oublia jamais d'y faire jouer les coutumes bizarres ou les personnages dont il vouloit se défaire par quelques raisons. En 1722, par exemple, il donna à Moscou une partie de soixante traîneaux, où l'on voyoit entre autres le prince César la couronne sur la tête, emblème de l'empire Russe, tiré par deux ours (La Russie au XVIIIe siècle: mémoires inédits sur les règnes de Pierre le Grand, Catherine Ire et Pierre II, 1863 - books.google.fr).

 

Dans son Anti-Machiavel, Frédéric II prétend que son bisaïeul, le grand électeur, aurait répondu à ses ministres, qui lui conseillaient d'appeler les Russes à son secours contre les Suédois : «Ces Moscovites sont comme des ours, qu'il ne faut pas déchaîner, de crainte de ne pouvoir leur remettre leurs chaînes.» (Le correspondant: recueil périodique : religion, philosophie, politiques, sciences, littérature, beaux-arts, Volume 58, 1865 - books.google.fr).

 

Avec l'avènement des Romanof, non seulement un calme relatif s'établit, mais la Russie commença à se tourner vers l'Occident. Le nouveau Tsar, conseillé sans doute par son père le Patriarche, prit l'initiative de nouvelles relations avec la France. «Michel Feodorovitz, raconte Le Dran, étant nouvellement parvenu à la couronne de Moscou et voulant se faire des amis, envoya en 1615 un ambassadeur vers Louis XIII pour lui faire des compliments et lui donner des assurances de son amitié. Comme la cour de France avait bien d'autres affaires que de songer à des princes si éloignés et que d'ailleurs la couronne de Moscovie était disputée à Michel par Vladislas, fils de Sigismond, roi de Pologne, on ne correspondit point de la part de la France à ces témoignages d'amitié.»

 

Nous savons que l'envoyé du Tsar s'appelait Ivan Gavrilovitch Kondyref, son diak Michel Niévérof, et que Louis XIII les reçut à Bordeaux, où il se trouvait alors pour la conclusion de son mariage avec l'infante Anne d'Autriche. Nous avons la lettre de Michel au Roi (1615), dans laquelle il lui demande secours contre les rois de Pologne et de Suède et le prie d'empêcher ses sujets de servir ces princes «contre un empereur qui ne désire que de vivre en paix avec ses voisins chrestiens». (A. Rambaud, Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révolution française, Tome 8, 1890 - books.google.fr).

 

"cerf chassé"

 

casatus, cassatus, chasatus (adj.) : 1. d'un serf : muni d'une tenure; ayant son ménage à lui (Jan Frederik Niermeyer, Co van de Kieft, G. S. M. M. Lake-Schoonebeek, Mediae Latinitatis lexicon minus: Ab-Zucarum, 1954 - books.google.fr).

 

Chasé. — Terme du haut Moyen Age et des temps gallo-romains, désignant un esclave ou un serf pourvu d'une maison (casa) et des parcelles attenantes constituant une tenure servile, c'est-à-dire une exploitation agricole susceptible de subvenir à l'entretien de la famille du serf chasé. Le serf chasé ne pouvait être chassé de sa tenure, mais il ne devait pas déguerpir sous peine d'être poursuivi et, s'il était repris, privé sans doute d'une partie au moins de ses droits (Paul Fénelon, Vocabulaire de Géographie agraire. In: Norois, n°35, Juillet-Septembre 1962 - books.google.fr).

 

Dans la satire allĂ©gorique de la Chasse du cerf des cerfs, Louis XII avait dĂ©jĂ  tolĂ©rĂ© qu'on attaquât Ă  mots couverts le pape Jules II. Le cerf ou serf, c'est le Pape ! Dans ce titre, il y a un jeu de mots sur la formule du Pape : «Servus servorum Dei.» (Auguste Charaux, L'histoire et l'esprit de la littĂ©rature française au moyen âge: critique idĂ©ale et catholique, 1894 - books.google.fr).

 

Il ne faut pas confondre le cerf animal avec le serf esclave russe (L. de Wik-Potel, Bizarreries et singularités de la langue française: Dictées récréatives, 1854 - books.google.fr).

 

Typologie

 

La Russie (« l’ours Â») cherchait Ă  imposer, pour assurer la protection des chrĂ©tiens orthodoxes, un droit permanent d’intervention en Turquie (« le loup Â») qui, influencĂ©e par l’Angleterre, s’y refusait d’une manière intransigeante. Alors qu’une flotte anglo-française arrive devant Constantinople, le sultan dĂ©clare la guerre Ă  la Russie qui coule la flotte turque Ă  Sinope. A leur tour, la France, l’Angleterre et le PiĂ©mont entrent dans la guerre aux cĂ´tĂ©s de la Turquie (« estrange alliance Â»).

 

La guerre de Crimée dure de mars 1854 à mars 1856 et est illustrée par le siège de Sébastopol pendant lequel meurt le tsar Nicolas Ier, et qui coûta la vie à 100.000 alliés. Les Russes sont chassés de la ville après 11 mois de combat.

 

En Russie, les paysans étaient serfs, de condition serve. Ils formaient la plus grande partie de la nation (Nicolas Gavet, Corrigés des Exercices sur les Éléments de la grammaire française de Lhomond, 1862 - books.google.fr).

 

Nicolas Ier avait commencĂ© Ă  transformer les serfs de la Couronne en fermiers d’Etat. Faut-il comprendre « serfs chasĂ©s Â» au lieu de « cerfs chassĂ©s Â». En droit fĂ©odal l’esclave chasĂ© [1] Ă©tait attachĂ© Ă  la propriĂ©tĂ©, Ă  la terre. Son fils Alexandre II impose une rĂ©forme qui libère tous les serfs de Russie (« oster de servitude Â»). Mais l’insurrection polonaise de 1863, et la tentative d’assassinat contre lui en 1866, fait revenir le tsar aux mesures d’oppression et d’arbitraire.

 

Alexandre se remarie avec la princesse Dolgoroukova, d’une trentaine d’annĂ©e en 1880 et qui avait Ă©tĂ© sa maĂ®tresse auparavant (« ieune pute Â»).

 



[1] Grand Larousse encyclopédique en XX volumes, 1970

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