L’art, le temps et la ruse V, 36 1878-1879 De sœur le frere
par simulte faintise, Viendra mesler rosee en myneral : Sur la placente
donne Ă vieille tardiue, Meurt, le goustant
sera simple et rural. Une lecture simple interpréterait ce quatrain comme l’empoisonnement d’une vieille femme par un frère et une sœur. Compliquons. Les jours de la
Vieille Ces jours sont aussi vus dans le quatrain IV, 44 - Le concile de Paris - 1810-1811. En Ecosse les trois derniers jours de mars sont appelés de même jours d'emprunt. (Borrowing ou Borrowed Days) et, pendant ce temps, les gens superstitieux s'abstiennent d'emprunter ou de prêter, parce que : "March borrowit fra Averill Three days, and they were ill" (Cité par M. Paul Meyer) (Lazare Shaineanu, Les Jours d'emprunt ou les Jours de la vieille. In: Romania, tome 18 n°69, 1889 - www.persee.fr). Not
unnaturally sheep enter very considerably into the lore, legend and tradition
of March in rural England. For instance, there is a superstition found on the
Continent as well as in Scotland to the effect that a shepherd once promised
March three lambs if that month would favour the
flock with fine weather. This offer was accepted, and just, before the close of
the month the lambs were demanded in accordance with the agreement. As,
however, there were only three days to go before the dawn of April, and the
flock had grown big and strong under the propitious conditions shepherd refused
to fulfil his part, of the bargain. Accordingly, March said, “Then know this,
that in the three days I have left, and the three that my sister April will lend me, all your sheep shall die.” There is much
reference to this early tradition in local rhymes throughout English country
districts. So early as 1548, in “The Complaynt of Scotland". [...] There is also all
old-Scotch doggerel, which runs: March said to April: “I see three hogs upon, a
hill, / But lend your three first days to me / And
I’ll be bound to them dee. / The first it shall be Wind and wet; / The next it shall be snow and steel; The third it shall be
sic and freeze. Shall gar the birds stick to the trees." But when the
borrowed days are gone, / The three silly hogs came hirpling hame Avril est encore la sœur (sorella) de Mars en Calabre dans une version italienne de la légende (Luigi Renzo, Sprazzi di Calabria: società storia e cultura, 1994 - books.google.fr). En divers endroits d’Europe, le jour de la Mi-Carême, on sciait en deux un mannequin, appelé selon les régions «Vieille Mère Carême», «Madame Carême», «Mi-Carême», «la Bagorda (la Vilaine)». Ces poupées, explique Van Gennep, étaient de chiffons et de paille, ou en bois : «À la mi-carême, les jeunes gens […] se déguisaient en scieurs de long et en pénitents. Ils habillaient en femme un tronçon de bois, […] puis promenaient cette bûche - la Vieille - dans les rues du village, et enfin la condamnaient à être sciée. […] Puis ils ramassaient la sciure et la jetaient en l’air en disant : “Regardez, elle n’a pas de sang. Comme les autres chrétiens”». L’origine du rite est ancienne et particulièrement floue, de nombreux ethnologues ne s’entendent pas sur la signification attribuée au personnage. Arnold Van Gennep refuse, ainsi que l’envisagent Laisnel, Jeanton et Guillemaut, de voir dans cette « Vieille » une survivance d’Anna Perenna, personnage mythologique de vieille femme qui s’est moqué de la passion que Mars entretenait pour Minerve. Déguisée en jeune épousée, raconte Ovide, le visage voilé, Anna s’est laissé conduire par le dieu de la guerre jusqu’à sa couche. Mars, soulevant le voile, a découvert avec colère à la fois le visage de la vieille femme et la tromperie dont il avait été l’objet. Pierre Saintyves voit dans «cette union du dieu jeune, vaillant et beau avec la vieille Anna […] le mariage du printemps avec l’hiver, de la jeune année avec l’année décrépite. Les quolibets et les railleries que les anciens adressaient à l’année nouvelle qui se laissait tromper par la vieille avaient précisément pour but de provoquer sa colère et, finalement, l’expulsion brutale et définitive de la vieille année». Pierre Saintyves ajoute que dans de nombreuses régions, le jour de la mi-carême, après avoir scié la Vieille en deux, les habitants la noyaient : «C’est dans l’eau que disparaît la vieille année; c’est de l’eau que sort la nouvelle. La vieille reine, fée ou sorcière, a été engloutie par le cours du temps. Du même fleuve va naître la nouvelle reine ou magicienne. Chacun sait, en effet, que le jour de la Mi-Carême est consacré aux blanchisseuses». Van Gennep ne retient pas la version qui fait du rite de la Vieille un rite de la nouvelle année. Il admet que par «Jours de la Vieille ou Jours d’Emprunt, on désigne […] la période de reprise du froid qui se produit soit à la fin de Février et au commencement de Mars, soit à la fin de Mars et au commencement d’Avril» ; ou encore, comme d’autres après lui - c’est en effet la signification la plus couramment admise -, que la Vieille de la mi-carême serait en fait la Vieille de carême que l’on coupe en deux pour signifier que l’on entame la seconde moitié du temps de carême (Véronique Cnockaert, Renée Saccard ou La Vieille de la Mi-Carême, Rite et Littérature, Cahiers électroniques de l’imaginaire n°3, 2005). Anna Perenna, assimilée par certains à la Lune, par d'autres à Thémis ou à Io, fille d'Inachus, ou encore à une des nymphes nourricières de Jupiter enfant. Elle est chez Virgile la fille de Bélos, roi de Tyr, et sœur de Pygmalion et Didon. Elle quitte sa patrie, la Phénicie, et embarque avec sa sœur pour l'Afrique, où elles fonderont Carthage. Selon le livre 4 de l’Enéide de Virgile, elle aurait conseillé à Didon de s'abandonner à son amour pour le prince troyen Enée. Selon Ovide (Fastes livre 3), après la mort de Didon (qui refuse d'épouser Iarbas en se donnant la mort), elle se retire en Italie pour se soustraire aux poursuites d'Iarbas, roi gétule et y reçoit l'hospitalité d'Énée. Mais persécutée par Lavinie, la femme d'Énée, jalouse de sa beauté, Anna Perenna se jette dans les eaux du Numicus, dont elle devient la nymphe. Selon une autre légende, elle vit plus longtemps. Elle est déjà très âgée quand la plèbe de Rome fait sécession et se retire sur le mont Sacré en 494 av. J.-C. Elle passe pour être à l'origine la vieille femme pauvre de Bovillae qui apporta des galettes de sa fabrication aux membres de la plèbe retirés sur le mont Sacré et privés de vivres. Elle vient chaque jour leur apporter de la nourriture, les sauvant de la famine. Par reconnaissance, ils lui bâtirent un temple et lui dressèrent une statue. La fête d'Anna Perenna est célébrée chaque année le 15 mars dans un bois sacré près de Rome (fr.wikipedia.org - Anna Perenna, Ovide, Fastes, Livre III - bcs.fltr.ucl.ac.be). Les ides de mars évoquent l'assassinat de César, or ce jour correspond aussi à la fête d'Anna Perenna, prétexte à de joyeux débordements (Maud Pfaff-Reydellet Maud, Anna Perenna et Jules César dans les Fastes d’Ovide. La mise en scène de l’apothéose. In: Mélanges de l'École française de Rome. Antiquité, tome 114, n°2. 2002 - www.persee.fr). "minéral" Myneral du latin muneralis qui concerne un don (Anatole Le Pelletier, Les oracles de Michel de Nostredame, Tome 2, 1867 - books.google.fr). "minéral" : emprunté au latin médiéval mineralis, dérivé de minera «mine» (minière). 1538 : «tout corps inorganique qui se trouve dans l'intérieur de la terre ou à sa surface» (Estienne, s.v. plumbago) (www.cnrtl.fr). On entend par minéraux, en général, des substances qui croissent sans paroître avoir de vie, et sans qu'on remarque qu'aucun suc visible circule, ou même soit contenu dans des fibres ou veines (M. Lunier, Dictionnaire des sciences et des arts, Tome II, 1806 - books.google.fr). Les roches sont composées de minéraux dans lesquels le silicium joue un rôle important. La principale différence entre une roche et un minéral vient de l'homogénéité du matériau. Un minéral est constitué d'une seule substance, tandis qu'une roche rassemble souvent plusieurs minéraux. Les transformations ont été si nombreuses sur Terre que très peu d'éléments sont à l'état pur. L'or ou l'argent sont des exemples de minéraux faits d'un seul élément. Leur rareté en fait leur prix. Le carbone, sous forme de graphite ou de diamant, de même que le soufre ou le cuivre à l'état pur sont aussi très rares sur Terre. Les minéraux composés de molécules simples sont beaucoup plus communs (André Brahic, Enfants du soleil : Histoire de nos origines, 1999 - books.google.fr). Le monde minéral est liée au fondement de la création du deuxième jour puisqu'il est dit dans l'Historia scholastica : "Deus fecit firmamentum, et tertio factum est firmamentum, non superfluit, quia sicut in domo facienda; primo domus fit in scientia artifìcis, fit etiam materialiter cum levigantur ligna et lapides" (Xavier-Laurent Salvador, De Jacob à San Petronio, quelques héros de pierre dans la légende chrétienne, La pierre dans le monde médiéval, 2010 - books.google.fr). La rosée Commençons par drosos. P. Chantraine dit : "Chez les poètes employé comme métaphore de liquides purs". Disons, liquides biologiques, et on a déjà signalé le lait, le miel, mais aussi le sperme d'après Callimaque et Nonnos. Au pluriel, drosoi désigne les jeunes animaux. Si l'on néglige un moment la forme Agr- du couple Agr-/Agl-, les Cécropides ont en commun de porter un nom en rapport avec la 'rosée'. Selon H. Usener, le nom d'Aglauros serait formé par le rattachement "d'ag(a)Z-(comparer agallein, agalma) à aura : une déesse de l'atmosphère sereine, du ciel clair ". Mais cette étymologie de la racine agi- par ag(a)l- semble artificielle, et il faut certainement lui préférer celle de E. Maas (139), qui fait dériver agi- de l'adjectif aglaos 'brillant , mais aussi 'de prix' (140). Dans Aglauros, il est adjoint à aura, un des noms archaïques de l'eau que l'on rencontre souvent dans les hydronymes et les noms de personnages mythologiques, ainsi les Centaures. Frisk, Chantraine et Carnoy approuvent cette étymologie qui fait de cette Cécropide 'La-donneuse-d'eau-claire'. Les noms des deux autres sont au moins aussi expressifs : Pandrosos est 'La-pleine-de-rosée', 'La-toute-couverte-de-rosée' ; Hersé est 'La-rosée'. Il faut pourtant noter que le nom Hersé ne peut être attique : -rs- aurait dû évoluer en -rr-. Frisk a donc suggéré qu'il s'agisse d'un ionisme ; on a d'ailleurs témoignage d'un culte érythréen d'Hersé. Les trois noms qui les désignent suggèrent la même idée d'une eau fraîche, liquide pur qui couvre les végétaux au matin d'une nuit estivale. Toutes ces filles évoquent cette 'rosée', appelée Ersa par Alcman, et dont il dit qu'elle est fille de Zeus et qu'elle nourrit. On a appelé les Cécropides Tauschwestern, les soeurs de 'rosée'. Si les bœufs sont destinés à Athéna, pour qui sont les moutons ? On applique la règle de Philochore : les brebis sont Vepiboion destiné à Pandrosos. Tout sacrifice d'un boeuf à Athéna - ou plus exactement sans doute à Athéna Polias - doit s'accompagner (ou être précédé?) du sacrifice d'une brebis à Pandrosos. Rappelons que le temenos de Pandrosos jouxte celui d’Athéna. On ne pouvait trouver meilleur animal que le mouton pour la première fileuse-tisseuse. La divinité n'est pas une, mais forme cercle. Il existe en même temps Klotho ou la Pandrosos attique et les Fileuses ; cette multiplication fonctionnelle associe, à Athènes, Pandrosos à ses soeurs pour en faire, comme le dit Hésychios, "les Moires chez les Athéniens". Ce qui caractérise très spécialement le contexte athénien et les noms des princesses qui parlent de 'rosée', c'est que ce sont des filles. On a donc affaire à un fameux paradoxe : les princesses portent le nom d'une humeur fécondante à valeur mâle ! Divinités évidemment féminines, elles sont sexuellement actives, elles fécondent ! Hermès survole Athènes et son attention est attirée par les "chastes jeunes filles (qui, selon la coutume), sur leurs têtes portaient à la citadelle en fête de Pallas, dans des corbeilles couronnées de fleurs, les saints objets destinés au culte... Hersé surpassait les autres vierges dans le cortège, ornement de la procession et de ses compagnes. Sa beauté frappa de surprise le fils de Jupiter" ; il descend sur terre et se rend à la maison qu'occupent les trois sœurs. "C'est pour Hersé que je viens, dit-il à Aglauros, je te demande de favoriser mes amours." Aglauros le regarde avec les mêmes yeux qu'elle avait naguère regardé les secrets cachés de la blonde Minerve, et pour prix de son entremise, elle demande un monceau d'or..."Voilà une nouvelle noirceur à l'âme de celle que, dans ce cas, nous appelons Agraulos. Athéna surprend la nouvelle faute de la Cécropide, s'en va trouver l'Envie pour qu'elle verse en son sein "un virus pernicieux", un cancer qui la ronge, afin que "le bonheur d'Hersé la consume doucement". Tant et si bien que quand Hermès pénètre dans la maison nuptiale, elle ne peut s'y opposer, n'étant "plus qu'une statue exangue, assise. Et la pierre n'était plus blanche : son âme l'avait salie" Dans une citation de Callimaque, il apparaît que c'est Pandrosos qui prend la place d'Aglauros dans un mythe qui présente des analogies avec celui d'Ovide. On y lit : "Pandrosos en pierre, car elle ne lui avait pas donné sa soeur Hersé" (cité par N. Robertson, 1983, 272). Hersé figure dans la généalogie des Kérykes comme épouse d'Hermès et mère de Kéryx. Le portrait de la vieille dans la Grèce antique se précise peu à peu. Elle a beaucoup à voir avec le surnaturel et peut-être est-elle assez souvent bigote. C'est un personnage sombre. La disparition de son (ou ses) époux lui a fait toucher la mort de près, peut-être en a-t-elle tiré une partie de ses dons oraculaires et de sa science de la magie. Elle connaît les formules, les gestes, les chants, les techniques qui font cesser les douleurs, qui permettent de se ménager les dieux, qui agissent même sur les pensées humaines pour réussir les mariages. Enfin, chose rare pour une femme (mais l'est-elle vraiment ?), elle jouit d'une grande liberté, qui lui est d'ailleurs indispensable (Pierre Brulé, La fille d'Athènes. La religion des filles à Athènes à l'époque classique. Mythes, cultes et société, Annales littéraires de l'Université de Besançon, 363, 1987 - www.persee.fr). Athéna est la demi-soeur d'Hermès, les deux issus de Zeus. "rural" Varron compte Anna Perenna au nombre des divinités champêtres, telles que Pales, Cerès, etc. (François Noël, Abrégé de la mythologie universelle, ou, Dictionnarie de la fable, 1805 - books.google.fr). La Vieille et la pierre En Serbie, la Vieille des Jours d'emprunt et son troupeau sont métamorphosés en rocher. Le temps de la fin de Mars ou du commencement d'Avril, lorsqu'il tombe de la neige ou du grésil, s'appelle, chez les Serbes, les jours de la Vieille (Babini dni), les chevreaux de la Vieille (Babini jarci), les petites brebis de la Vieille (Babini kozlici), les jours empruntés de la Vieille (Babini pozaj-menici) et enfin la Vieille avec ses brebis enchaînées (Babini ukovi). On raconte qu'une certaine Vieille avait conduit ses chevreaux dans la montagne. Lorsque le vent du nord siffla et la neige tomba, elle dit : Pre Mar cu! ne boj im te se : tnoji jarcici petoroscici! - «Un pet à Mars! je ne te crains plus, ni mes chevreaux à cinq cornes !» Mars se fâcha et emprunta à Février quelques jours. Il déchaîna la neige et la glace, et la Vieille fut pétrifiée avec ses chevreaux. On rapporte qu'aujourd'hui encore on peut voir, dans une certaine montagne (où cela était arrivé), un rocher formé par la Vieille et par ses chevreaux : la Vieille se tient debout au milieu et les chevreaux autour d'elle. Dans les différentes provinces de la Grèce est très répandue la tradition relative à la «Vieille avec son troupeau», qui, à l'arrivée du printemps, s'écria, orgueilleuse et joyeuse, que ses brebis et ses chèvres n'avaient plus rien à craindre ; mais une rude gelée, qui était encore survenue pendant la nuit, détruisit toutes ses bêtes. Les détails de la tradition varient selon les localités. La version relatée par Chandler, sur le rapport d'un paysan de la plaine de Marathon, dit que l'arrogante vieille fut changée en pierre avec son nombreux troupeau, et qu'une statue de femme sans tête, qu'on aperçoit assise à terre, représente la vieille pétrifiée. On assura en même temps à Chandler que les rochers, dans cette région, vus d'un certain point, auraient l'apparence de brebis et de chèvres dans leur parc (Lazare Shaineanu, Les Jours d'emprunt ou les Jours de la vieille. In: Romania, tome 18 n°69, 1889 - www.persee.fr). Le nom de la Vieille est fréquemment lié à des mégalithes, surtout lorsqu'ils étaient situés à proximité de ces anciennes voies de passage que sont les drailles, et que le toponyme «Vieille morte» soit spécialement attaché à des tombes (dolmens ou tumulus), tandis que les menhirs qui ne recouvrent pas d'ossements sont attribués à des Vieilles vivantes. Ces appellations ne se rencontrent pas seulement en Lozère, des «Vieilles Mortes» sont attestées dans le Puy-de-Dôme, le Tarn, l'Ariège, entre autres départements ; quant aux Pierres de la Vieille elles sont innombrables : qu'il me suffise dc citer par exemple la Maison de la Vieille dans la Haute-Vienne et surtout les nombreuses traces de la groac'h bretonne (A. Soutou, Toponymie, folklore et préhistoire : Vieille Morte, Revue internationale d’onomastique, 1954 - rupestre.on-rev.com). Leo the
Great utilized the pagan art of Rome for Christian art :
the statue of Jupiter was changed into that of St. Peter, and the goddess Anna Perenna became St. Anna Petrona
who is still revered in Campagna Dès le début du XIXe siècle, Charles Victor de Bonstetten a voulu identifier une chapelle située près de Practica (Lavinium) et dédiée à Anna Petronilla avec un ancien temple d'Anna Perenna, sœur de Didon, sur le même bord du Numicius, où elle se précipita, et qui revint, sous la forme d'une vieille femme, nourrir le peuple romain sur le mont Sacré. Bonstetten reconstitue le mécanisme suivant: "le christianisme s'établit, et les chrétiens trouvant dans le désert un temple dédié à Anna Perenna, ce ne pouvoit être qu'Anna, mère de la Vierge, et Anna Perenna sœur de Didon continua d'obtenir les adorations des fidèles, sous le nom chrétien d'Anna Petronilla. Anna Perenna liée à l'eau, puisque noyée dans le Numicius et devenue nymphe, devient "Petronilla" qui est aussi le nom de la fille de saint Pierre. Sa légende a été forgée au VIe siècle par des clercs étymologistes qui, croyant que Petronilla était le diminutif féminin de Petrus, conclurent qu'elle était la fille spirituelle (figlia spirituale) ou même la fille selon la chair de l'apôtre Pierre. Le même procédé donna naissance à une sainte non moins légendaire, sainte Pudentienne, dont le père se serait appelé Pudens. En réalité, le nom de Petronilla ne dérive pas de Petrus, mais de Petronius. Cette filiation étant admise, l'imagination des hagiographes fit le reste. Saint Pierre, la trouvant trop belle et craignant pour sa vertu, obtint de Dieu qu'elle eût un accès de fièvre toutes les fois que ses disciples entraient dans sa maison. Un patricien romain, nommé Flaccus, s'éprit d'elle et voulut la contraindre à l'épouser, en la menaçant, si elle résistait, de la faire mettre à mort comme chrétienne. Elle refusa. Dieu lui fit alors la grâce de la rappeler à lui avant qu'elle eût subi. Flaccus ne la revit que pour assister à ses funérailles. Un oratoire, construit sur son tombeau en 395, fut démoli en 1520. En 755, le pape, Paul Ier, fit transporter ses reliques à Saint-Pierre dans une chapelle qui fut concédée au roi des Francs, Pépin le Bref, protecteur de la papauté. Toutes les fois que Charlemagne venait à Rome, il allait entendre la messe dans cette chapelle. C'est ainsi que sainte Pétronille, fille de saint Pierre, devint la patronne de la France, fille aînée de l'Église (Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien: Iconographie des saints, Tome III, 1959 - books.google.fr). Dans le manuscrit de Leyde, les deux images où la rosée est figurée doivent avoir un réfèrent biblique ou théologique : la récolte de la manne dans un cas et, avec moins de certitude, la conception de la Vierge dans le sein de sainte Anne (ou bien du Christ dans celui de la Vierge). Ces images peuvent prendre un sens alchimique plus ou moins précis - ou ne pas en prendre du tout. De toute façon, c'est surtout la rareté de la représentation iconographique des pluies ou des rosées célestes qui fait qu'il ait valu la peine de s'attarder sur le Codex Vossianus. Isaïe 26 : 19 Vivent mortuitui interfecti mei resurgent[...]/quia ros lucis, ros tuus[...] ; Isaïe 45 : 8 Rorate Cœli desuper, et nubes pluantjustum /Aperiatur terra et germinet salvatorem [...] (Frank Lestringant, Les méditations cosmographiques à la Renaissance, 2009 - books.google.fr). Oui le Ciel a laissé multiplier la vapeur qui s'élevait des larmes et des soupirs de sainte Anne, afin de multiplier la rosée qu'il voulait répandre ; formant de toutes ses vapeurs une abondante pluie, résolvant en grâces et en bénédictions ses chastes Vœux, et lui faisant porter dans son sein, en la personne de Marie, le fruit de ses désirs et de ses prières : Oratio mea in sinu meo convertetur. Jamais mère n'eut de désirs plus purs qu'elle ; mais jamais mère ne donna à sa fille une plus heureuse naissance (Jean-Louis de Fromentières (mort en 1684), Panégyrique de saint Anne, Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, Migne, 1844 - books.google.fr). Anne fut bien cette vieille femme éplorée, se lamentant sur sa stérilité affligeante, qui fut cependant élue pour que s'accomplisse la Prophétie, pour qu'un Lys sorte du trône de Jesse. Le Protévangile de Jacques rapporte les prières incessantes et la joie finale des parents de Marie (Séverin Batfroi, La voie de l'alchimie chrétienne, 2014 - books.google.fr). "placente" placenta («gâteau, galette»), du grec ancien plakoûs, plakountos («galette») de plax («planche») (Anatomie) Organe charnu et spongieux qui est à l’extrémité du cordon ombilical, et par lequel le fœtus s’attache à l’utérus et reçoit la nourriture que lui fournit le corps de sa mère, formé par le chorion du foetus et la décidue de l'utérus maternel (fr.wiktionary.org). Toute la nature cultivée, la terre où sont enfouies les semailles, mais aussi le ventre de la femme, est le lieu d'une lutte pareille à celle qui oppose le froid et les ténèbres de l'hiver aux forces de lumière du printemps, de l'ouverture, de la sortie (hors de la terre, du ventre, de la maison), avec lesquelles l'homme a partie liée. C'est dans cette logique qu'il faut comprendre les fameux "jours de la vieille" et moment de transition et de rupture entre l'hiver et le printemps (ou entre deux mois de l'hiver) (Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, 1976 - books.google.fr). La galette est également offerte à plusieurs divinités rustiques, comme Anna Perenna et Flora. Celle que l'on offrait à Janus portait le nom spécifique de ianual (Dimitrios Mantzilas, Les divinités dans l'oeuvre poétique d'Ovide, 2002 - books.google.fr). Anne s’étoit précipitée dans un fleuve où on l'alloit chercher, & on finissoit par des ris & des quolibets lorsqu’on l'avoit trouvée. Elle parloit donc du fond des eaux: c’est tout aussi vrai qu’il étoit vrai qu’elle s’y étoit précipitée. La fin de l'année étoit regardée comme le passage du Fleuve. C’est ainfi qu’Hercule meurt après avoir traversé l'Evene. Le Tems ou la Nature, étoient eux-mêmes regardés comme un grand fleuve qui s’écoule perpétuellement & qui reçoit sans cesse de nouvelles eaux. Anne qui se précipite dans le fleuve est donc l’emblême de l'année finie & précipitée dans l'Océan ou dans le fleuve immense des Tems. D’ailleurs, au nouvel An on alloit toujours puiser de l’eau aux Fontaines & aux Rivieres : on appelloit cela aller chercher la perdue, l'année qui n’étoit plus. On la retrouvoit puisqu’une autre commençoit, parfaitement semblable à celle-là : cependant la premiere restoit éternellement au fond des eaux puisqu’elle ne revient plus. Aussi ces Romains voyoient très-bien, qui disoient, fuivant Ovide, qu’Anna Perenna étoit la Lune ou la Vache Io, symbole de la Lune. En effet, avec l'année, la Lune recommence son cours; & c'est autant la Fête qu'on célébre alors, que celle du Tems: mais puisqu'Anna est la Lune, ce n’est donc pas une femme. L'explication qu'on donnoit d'Anna Perenna en difant que c'étoit une vieille du fauxbourg de Bouilles qui fournisoit de gâteaux le Peuple Romain, est une autre allégorie qui confirme ce que nous venons de dire. Bouilles est un mot Grec qui fignifie plein ; Anna Perenna représentée comme une vieille, est l'ancienne année, l'année qui vient de finir & qui est remplie, Pleine, révolue : elle fournit au Peuple Romain des gâteaux qu'elle a préparés la veille, parce qu'au jour de l'an, au matin de la nouvelle année, on se régaloit de gâteaux préparés la veille par la vieille année. Vers la fin de la République, cette Fête étoit presqu'entierement abandonnée à la populace ; c'est que depuis long-tems on avoit transporté le nouvel An au Solstice d'hyver: les Gens distingués se souhaittoient alors une vie longue & heureuse , mais la populace recommençoit à l'Equinoxe pour ne pas perdre l'ancien usage , & pour avoir une nouvelle occasion de boire du vin, dans le moment oû il devenoit potable : c'est ainsi qu'on célébre encore aujourd'hui des Fêtes d'habitude, dans des jours où il s'en célébroit autrefois qui ont été transportées à d'autres tems. Macrobe observe cependant que le jour d'Anna Perenna, on offroit des sacrifices publics & particuliers, afin d'obtenir des Dieux une année heureuse suivie de plusieurs autres ; afin qu'on pût heureusement annare perennare (Court de Gébelin, Considéré Dans L'Histoire Civile, Religieuse et Allégorique Du Calendrier Ou Almanach, Tome 4, 1776 - books.google.fr). En Normandie à la Mi-carême, les boulangers fabriquaient une galette, le cheminot, en Belgique c’était le craquelin. "rosée en minéral" : la drosolithe Les Gréco-Romains eux-mêmes rapprochaient la rosée et les gemmes, en raison de leur apparence. Pline rapporte l’existence d’une pierre précieuse appelée par les Grecs «pierre-rosée» (drosolithe), sans doute pour sa couleur et son éclat (Pline, 37, 170 (Jovis gemma candida est, non ponderosa, tenera. hanc et drosolithon appellant). Cf. aussi Isidore de Séville, Etym. 16, 2, 2. La comparaison des gouttes de rosée à des gemmes lumineuses est présente dans la poésie latine : «C'est à peu près ce que nous voyons souvent, aux premiers moments du matin, quand sur l'herbe des prairies, toute perlée de rosée, le soleil levant jette la pourpre de ses rayons » (Lucrèce, 5, 460-462 (trad. H. Clouard) : non alia longe ratione ac saepe uidemus, / aurea cum primum gemmantis rore per herbas / matutina rubent radiati lumina solis). Cf. aussi Lucrèce, 2, 317-319 : «Souvent, en effet, sur une colline dont ils tondent les gras pâturages, cheminent lentement les troupeaux porte-laine, allant çà et là où les appellent les herbes perlées de fraîche rosée» (quo quamque uocantes / inuitant herbae gemmantes rore recenti).) Si l’on ajoute à tout ceci que les Gréco-Romains concevaient aisément que des liquides se transforment en minéraux solides, stables et magnifiques (phénomène de pêxis), il n’y avait pas dans l’explication par la rosée d’idée fondamentalement absurde. Les Méditerranéens ne manquaient pas d’outils conceptuels pour comprendre les changements d’état de la matière. On découvre notamment, chez Aristote, l’idée que la solidification est un processus de «cohésion», ou de «coagulation», par lequel l’élément humide est éliminé. La pêxis peut affecter tout corps, dur ou mou. Quant aux degrés de solidification, ils résultent de l’action de la chaleur sèche ou du froid sur des corps composés d’eau, ou d’un mélange de terre et d’eau : «tantôt c’est la chaleur qui agit en chassant l’humide (…), tantôt c’est le froid, par l’expulsion du chaud avec lequel s’en va l’humide qui s’évapore en même temps (…)». Dans le premier cas on obtient le sel, le nitre, le fromage ; dans le deuxième cas la glace, la neige, le givre etc. (Pierre Schneider, Margarita. Une histoire culturelle, économique et sociale de la perle de l’océan Indien dans l’Antiquité gréco-romaine, halshs.archives-ouvertes.fr, 2013) On retrouve des moutons dont le berger peut être la vieille. L'année Le nom de la déesse est clair : Anna Pérenna incarne l'année qui meurt et se renouvelle perpétuellement (N. Boels-Janssen, Amator elusus : l'Amoureux Mystifié, topos littéraire ou mythe ?, Revue d'études latines, Volume 84, 2007 - books.google.fr). D'où l'intervention des mois d'Avril et de Mars. L'année nouvelle doit à son tour lisser le fil des jours et reprendre la quenouille et le fuseau des mains de la vieille. Et quoi qu'on fasse... le fuseau la blessera, le rouet la liera : c'est leur fonction magique; mais ce ne sera que pour un temps, précisément pendant la durée de cette lutte dont elle devra sortir triomphante, durée de sept, douze, quarante ou cent jours qui, par une transposition coutumière aux contes, est transformée en sept ou cent années. Le nombre rond, chacun le sait, est l'équivalent du nombre sacré. La huitième ou la treizième fée n'est rien autre que la vieille année, désormais hors du cycle des semaines et des mois. La vieille année n'était pas toujours définitivement vaincue dans les combats du nouvel an. Il n'était pas rare que renaissant pour ainsi dire de ses cendres elle recommence la lutte à la veille du printemps. La vieille fée prend alors la figure de la vieille reine; on ne peut méconnaître en tout cas un doublet de la vieille fée dans cette mégère vieillie qui cherche à détruire la nouvelle année et ses enfants. [...] Les jalousies et les inventions atroces de la méchante sorcière ne pouvaient d'ailleurs pas aboutir; la fatalité qui préside au cours des saisons et de l'année mène la danse. La nouvelle lutte se prolongera des Rois jusqu'aux Rameaux et parfois jusqu'à la semaine de la Passion, mais finalement la vieille sera mise à mort, sciée, brûlée et jetée à l'eau durant le cours du Carême. La jeune reine du nouvel an s'est alors transformée, c'est la reine des Cendres ou la reine de la Mi-Carême. Elle se confond avec Cendrillon. Les liturgies saisonnières et les mythes qui les commentent s'enchaînent comme les mois et s'entremêlent comme les jours dans la trame du temps (Pierre Saintyves, Les contes de Perrault et les récits parallèles: leurs origines (coutumes primitives et liturgies populaires), 1990 - books.google.fr). La rime voudrait faintise / tardise ou faintive / tardive. On a "temps tardise", concernant donc le temps qui passe (The Law-French Dictionary Alphabetically Digested, 1701 - books.google.fr). Le terme "tardis" se rencontre l'une des première fois en français dans le roman d'Eneas Alchimie À «l'entrée du second œuvre», l'OEuvre au blanc ou Petit OEuvre, le plus important consiste à extraire l'eau de la pierre, à «tirer l'humidité de la Pierre», le fondement et «la plus importante clef de l'art», à faire «sortir de la pierre une source d'eau vive», à réduire le corps en eau : «l'eau est le corps et l'âme de notre sujet; la semence astrale en est l'esprit» (Limojon de Saint-Didier, Le Triomphe hermétique, p. 154, 160-161, 168, 205) (Louis Lasnier, Les Noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé dans L'influence d'un livre, 2002 - books.google.fr). Lorsqu'on présente la drosolithe au feu elle sue. De même une autre pierre que l'on trouve au Mont Gonio dans le territoire de Carthage, produit du feu l'été et de l'eau l'hiver (Costantino de Notari, Del mondo grande. Libri cinque, 1617 - books.google.fr). Les alchimistes, surtout les "faux", sont des êtres rusés (Alfredo Perifano, Alchimie et Philosophie de la nature chez E. Quattrami, Alchimie et philosophie à la Renaissance: actes du colloque international de Tours, 4-7 décembre 1991, 1993 - books.google.fr). Le Journal des savants du lundi 26 août 1677 rendit compte en ces termes de la publication du Mutus Liber (Rupellæ, apud Petrum Savouret, 1677) : «L'auteur de cet ouvrage était un de ces hommes qui creusent dans la chimère pour se précipiter dans l'indigence. Entêtés de la découverte de leur pierre philosophale, ils ont assez de science pour ce ruiner et n 'en ont pas autant qu'il faut pour voir les bornes de l'esprit humain qui n'atteindra jamais à la transmutation des métaux» (Jacques Lennep, Alchimie: contribution à l'histoire de l'art alchimique, 1985 - books.google.fr). Le Mutus Liber dans ses images parlantes sur la récolte de la rosée, entre le bélier et le taureau - qui correspondent ici, de toute évidence, aux signes zodiacaux - donne une saison précise pour ce travail. Beaucoup se sont mépris sur la signification réelle de cette rosée et n'ont pas hésité à répéter, sans prendre garde à son caractère de similitude, l'opération laborieuse figurée par la quatrième planche du Mutus Liber, où deux personnages sont occupés à tordre, au-dessus d'un large récipient, les linges qu'ils ont exposés à la condensation nocturne. En cela, sans doute, ont-ils été grandement influencés par François du Soucy, sieur de Gerzan, qui, dans son traité, a particulièrement célébré les vertus de la rosée et son rôle capital dans le Grand Œuvre, lors même qu'il eût pris soin de conclure en terminant : «Il me suffit seulement de dire que celuy-la sera tres-heureux qui aura l'intelligence de bien connoistre la vraye Rosée du Ciel...» Il est vrai que nombre de philosophes laissent de même entendre qu'on choisirait vainement une autre matière pour le labeur hermétique. Parmi eux, Hermès Trismégiste, le premier, semble bien désigner la rosée comme étant cette unique chose de laquelle toutes les autres sont nées : «Le Thélème de tout le monde est ici,... Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieure... C'est la force de toute force...» (Eugène Canseliet, Deux logis alchimiques en marge de la science et de l'histoire, 1945 - books.google.fr). Un fait est particulièrement remarquable, dans l'histoire sainte, qui n'est pas sans se rapporter symboliquement, une fois de plus, au Grand Œuvre alchimique : Anne fut stérile durant vingt années, et Joachim se retira au désert pendant quarante jours pour invoquer les grâces du Seigneur. [...] Sur la cinquième planche montrant le labeur alchimique du couple, l'auteur a représenté le fourneau en activité, sur lequel le chiffre 40 est inscrit. Eugène Canseliet affirme dans ses commentaires que l'auteur du «Livre muet» a voulu mettre l'accent sur la durée d'une opération qu'il appelle assation, et qui consiste à soumettre à l'influence du rayonnement lunaire les matériaux choisis pour le Grand Œuvre, que l'on chauffe à feu doux pendant quarante jours (Séverin Batfroi, La voie de l'alchimie chrétienne, 2014 - books.google.fr).Dans la version provençale des Jours de la Vielle, on est entre mouton et vache (Bélier et Taureau). La vieille, à la fin de Février, croyant avoir échappé à l'hiver, nargua Février qui emprunta trois jours à Mars et qui, par un temps affreux, fit périr les brebis de la Vieille ; mais elle regimbait, et c'est pourquoi on appelle ce temps la Ruade de la Vieille (Reguignado de la Viéio). Les brebis perdues, la Vieille achète des vaches et ose provoquer Mars, qui emprunte quatre jours à Avril et fait périr de nouveau le troupeau de la Vieille : de là le nom de jours de la Vache (li Vaqueiriéu) (Lazare Shaineanu, Les Jours d'emprunt ou les Jours de la vieille. In: Romania, tome 18 n°69, 1889 - www.persee.fr). Pygmalion Agraulos ou Pandoros transformée en statue de pierre fait penser à l'inverse à Galatée, statue que le roi de Chypre Pygmalion, confondu parfois avec le roi de Tyr frère d'Elyssa/Didon, a sculpté et il obtient d'Aphrodite qu'elle la rende vivante. Pour chypre cf. quatrain précédent V, 35. Ovide qui donne la première version de la légende ne nomme pas la femme de Pygmalion (Métamorphoses, Livre X). celui-ci la nomme "compagne de sa couche". Héra est surtout définie en tant qu'épouse de Zeus : parakoitis [akoitis], alochos de Zeus. Ces deux noms formés sur koitè et lechos, la couche, le lit, montrent bien que le partage du lit est l'image par excellence qui présente Héra en tant qu'épouse légitime, une épouse aussi définitive que peut l'être la royauté de Zeus (Lydie Bodiou, Véronique Mehl, La religion des femmes en Grèce ancienne: mythes, cultes et société, 2009 - books.google.fr). C'est lors d'une fête consacrée à Aphrodite qui y assiste où l'on sacrifie des génisses que la métamorphose se réalise. Des témoignages littéraires évoquent le sacrifice, à Aphrodite, d’une vache ("bous") par une jeune mariée et celui d’une génisse ("damalis"), à la fois par une courtisane désireuse de récupérer son amant et par des éphèbes sur le point de former un cortège nuptial (Lucien, Dialogues des Courtisanes, 7,1). [...] Une génisse sacrifiée à Aphrodite Ourania attesterait la protection que cette dernière accorde aux vertus du mariage puisque l’animal se déplace sous le joug (Vinciane Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, Chapitre II : Le rituel et ses acteurs, 1994 - books.openedition.org). Aphrodite Ourania est, de l'avis des Anciens comme de celui des Modernes, une déesse venue d'Orient. Elle est «Céleste», c'est-à -dire à la fois divine (dans le sens où à Tégée elle est dite Olympia) et, en tant que fille d'Ouranos, déesse des espaces célestes, de la génération et de la fécondité (Madeleine Jost, Sanctuaires et cultes d'Arcadie, Études péloponnésiennes, Numéro 9, 1985 - books.google.fr). D’après Hérodote, le sanctuaire d’Aphrodite Ourania à Chypre tire son origine de celui d’Ascalon, «comme l’affirment les Chypriotes eux-mêmes». Pausanias, reprenant bien des siècles plus tard cet itinéraire de l’arrivée d’Aphrodite Ourania en Grèce, localise explicitement le "'ieron" chypriote à Paphos, ce qui donne à penser que le sanctuaire mentionné par Hérodote est également le "temenos" de l’Odyssée. Néanmoins, contrairement à l’historien, Pausanias n’établit pas de filiation entre Ascalon et Chypre, même si son témoignage met l’accent sur la communauté de culte. [...] L’essentiel de nos connaissances sur le culte de l’Aphrodite paphienne est réuni dans un bref passage de Tacite (Hist., II, 3, 1-2) : ...La statue de la déesse n’a pas la forme humaine : c’est un bloc circulaire, plus large à la base, qui va se rétrécissant vers le sommet, comme un cône ; la raison en est obscure (Vinciane Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, Aphrodite et l'île de Chypre, 1994 - books.openedition.org). Le second mois de l'année, avril, était-il consacré à Vénus, comme le premier à Mars. D'autant que le mot "feintise" vient du latin "fingere", signifiant premièrement modeler, puis sculpter (ars fingendi, Cicéron, de Oratore Libri III) et ensuite imaginer, donnant fictif et fiction. "simulte" ou "simule" proviennent aussi de la même racine "simulere" (simul, similis) rendre semblable. "simultas" est traduit par rivalité, compétition (Gaffiot). Dans la mythologie grecque, les Propétides sont des femmes vivant sur l'île de Chypre, présentées comme des prostituées ou des sorcières, voire les deux, qui se livrent à des sacrifices humains en dévorant leurs hôtes (notion sacrée à l'époque). La déesse Aphrodite décide de les punir car elles refusent de célébrer son culte et les métamorphose en statues de pierre. Ce mythe, relié à celui de Pygmalion et Galatée, condamne en fait l'indépendance de mœurs des femmes, déjà à l'époque associée à la prostitution ou la sorcellerie (fr.wikipedia.org - Propétides). La généalogie la plus complète, mais non pas forcément la plus sûre, nous est donnée par la Bibliothèque du Pseudo-Apollodore : Hersè, fille du roi d’Athènes Cécrops, a d’Hermès un fils, Céphale, qui d’Éôs [l'Aurore dont les larmes produisirent la rosée à la mort de son fils Memnon] engendre en Syrie Tithon, qui engendre Phaéthon, qui engendre Astynoos, qui engendre Sandocos ; ce Sandocos quitte la Syrie pour aller en Cilicie et y fonde la ville de Celenderis ; il y épouse Pharnacè - ce nom est une restitution –, fille de Mégassarès, roi d’Hyria, et a d’elle Cinyras, qui de Cilicie se rend à Chypre avec des compagnons et fonde Paphos ; Cinyras y épouse Métharmè, fille du roi de Chypre, Pygmalion (Apollodore, Bibliothèque III, 14, 3) (Jean Bérard, La colonisation grecque de Chypre et la date de la Guerre de Troie (article inédit). In: Cahiers du Centre d'Etudes Chypriotes. Volume 38, 2008 - www.persee.fr). Pour Ovide, Cinyras, descendant de Pygmalion, va se trouver au centre d'une histoire d'amour annoncée d'emblée comme abominable et inspirée par les Furies : la passion incestueuse de Myrrha pour son père Cinyras. (10, 298-318). Le fruit de l'inceste est Adonis. Il existe par ailleurs une tradition qui garantit que Pygmalion de Tyr a bien, à un certain moment de son règne, fait figure de roi de Chypre et que Kition a donc pu être sa capitale. On s'est par la suite souvenu de tout cela puisque Timée fait passer fait passer sa Didon-Elissa par Kition dans le voyage qui la mène à Carthage et qu'Appien fait de Pygmalion un frère de Didon, fils, comme elle, de Belus (Edmond Frézouls, La fondation de Carthage, Bulletin de correspondance hellénique, École française d'Athènes, 1955 - books.google.fr). Elissa vit dans la cité de Tyr avec son époux, Acherbas. le prêtre de Melqart, 2ème personnage du royaume et homme fort riche. Le frère d'Elissa, Pygmalion. règne sur la cité et convoite les richesses de son beau-frère. Il l'assassine. Elissa, accompagnée par des dignitaires de la cité, réussit à s'enfuir avec le trésor de son défunt époux, à la suite d'une ruse au détriment de Pygmalion. Le groupe des exilés s'arrêtent un peu à Chypre phénicienne : le grand-prêtre de l'île, prêtre de Junon se joint à leur navigation vers l'occident avec quatre-vingt femmes qu'Elissa prend sur le rivage. Elissa et ses compagnons débarquent sur la côte africaine (Jeanne Ladjili-Mouchette, Pierangelo Catalano, Mohamed Talbi, Histoire juridique de la Méditerranée: droit romain, droit musulman, 2007 - books.google.fr). Didon s'est frappée de l'épée même qu'elle avait reçue d'Énée. Junon, prenant pitié de sa longue agonie, envoie Iris du haut de l'Olympe pour mettre fin à la lutte de l'âme contre la mort; et, comme la reine infortunée ne meurt ni par expiation, ni par une loi de la destinée, mais par sa volonté, en proie à une fureur subite, Proserpine n'a pas encore coupé sur sa tête le cheveu blond, duquel dépend la vie. Iris, semblable à la rosée, descend du ciel, portée sur ses ailes couleur de safran (Ergo Iris croceis per cœlum roscida pennis, Enéide IV, 700), et teinte des mille couleurs du soleil. Son vol s'arrête au-dessus de la tête de Didon, et alors : «Je vais, dit-elle, obéissant aux ordres célestes, porter au roi des Enfers ce cheveu sacré, et je te délivre de ton corps mortel.» A ces mots, elle coupe le cheveu : en même temps la chaleur se retire du corps de la reine et sa vie se dissipe aux vents (Eugène Talbot, Mythologie grecque et mythologie latine: d'après les travaux de la critique moderne, 1890 - books.google.fr). Pygmalion et le
minéral Le composant principal de l'ivoire est une substance minérale, un phosphate de calcium semblable à celui de la dentine et de l'os, sous forme de petits cristaux d'apatite (Bulletin de l'Association pro Aventico, Volumes 27 à 31, 1982 - books.google.fr). À la fin du XIIIe siècle, le Pygmalion du Roman de la Rose sculpte toujours une image d'ivoire («Si fist une ymage d'ivuire»), de même que celui de l'Ovide Moralisé un peu plus tard («Un yvoire blanc entailla»), et que celui de John Marston en 1598 en 1598 (For havingwrought in purestlvorie, /So faire an Image ofa Womans featuré). Mais de bonne heure, dans nombre d'images, la statue change de matériau et devient de marbre. Le burin de Goltzius (1593) laisse imaginer une contradiction entre l'image d'une statue taillée dans la pierre - socle aux arêtes saillantes, maillet, ciseau dans la main du sculpteur - et les vers latins inscrits au-dessous (S[c]ulpsit ebur niueum quod virginis ora gerebat/ Pygmalion, Pygmalion sculpta l'ivoire de neige aux traits d'une vierge. Le tableau de Girodet (1819), qui montre la statue en pleine transmutation, donne à voir des jambes de pierre luisante : albâtre ou marbre ? Son poème glisse de l'une à l'autre matière (Le dieu malicieux se rit de l'impossible : / Il paraît, le bloc cède, et le marbre est sensible. / Emané de ses feux, un fluide éthéré Dans la pierre amollie a déjà pénétré, / S'en empare, y circule et court de veine en veine : / L'idole enfin respire... (Jean Claude Lebensztejn, Pygmalion, 2009 - books.google.fr). Pour Philip Stewart, la substitution du marbre à l'ivoire va de pair avec l'oubli, assez systématique au dix-huitième siècle, du fait que la Galatée d'Ovide vit sa métamorphose dans le lit même de Pygmalion. Dans le cas de ces deux déformations, il s'agit, dit Stewart, d'une «édulcoration» de l'érotisme ovidien. Or il est possible de voir dans cette réécriture de l'histoire classique autre chose qu'un affaiblissement. Le dix-huitième siècle finissant entreprend un travail imaginaire sur le marbre qui participe d'un autre discours, d'un autre régime érotique que celui d'Ovide. Le but de ce travail pourrait bien être de réveiller le désir jusque dans la matière la plus résistante, et de célébrer le plaisir dans le triomphe de la chaleur sur le froid. Il faut distinguer la frigidité marmoréenne, telle qu'elle se développe à cette époque, de la froideur dont il est question dans des textes d'une époque précédente. La froideur fut longtemps, pour un discours libertin, un fait de tempérament. Une typologie des femmes permettait de distinguer en principe entre femmes froides, d'une part, et femmes de tempérament, ou femmes sensibles de l'autre. L'écriture libertine se donne pour tâche de démontrer que les femmes sont sensibles, dans leur très grande majorité, aux plaisirs de la chair. Mais elle ne pourra le faire qu'en reconnaissant l'existence d'une classe de femmes naturellement froides. Ainsi Tullia, dans L'Académie des dames, qui date de 1655, parle de l'ardeur féminine, mais elle fait référence à une classe pour ainsi dire résiduelle, hypothétique. Ce sont les femmes de marbre : « Toutes les femmes, ma chère enfant, brûlent d'un même feu ; et il faut être aussi froid que le marbre & aussi dur que le porphire, pour demeurer insensible à la vue de ce qu'il y a de plus aimable. Car qu'y a-t-il de plus charmant qu'une jeune fille, belle, douillete, blanche, & propre, comme tu es ? (Revue des sciences humaines, Numéros 271 à 272, 2003 - books.google.fr, Gaétan Brulotte, Œuvres de chair: figures du discours érotique, 1998 - books.google.fr). Pierres animées Eusébe, dans les fragmens qu'il nous a conservés de l'Auteur Phénicien Sanchoniaton, dit que le dieu Cœlus inventa les Bétyles, pierres animées; le dieu Cœlus; c'està -dire, le Ciel (Uranus, père de Vénus). Rien ne marque mieux l'origine de ces pierres, qui, selon Damascius descendoient de l'air dans un globe de feu. Eusébe avoit dit plus haut que Bétul étoit un des quatre enfans de ce dieu ; d'où il paroît vraisemblable que Cœlus auroit donné à ces pierres le nom de son fils, pour faire honneur à sa mémoire, ou pour quelque autre raison, que nous ignorons. Les autres anciens Auteurs, qui parlent du Bétyle, comme Priscien le Grammairien, l'auteur de l'Étymologicon & Hésychius , n'en donnent guere d'autre notion , que comme de la pierre qu'avala Saturne. Hésychius n'en dit que cela précisément; ce qui a donné occasion au proverbe contre les gens voraces : Vous avaleriez même un Bétyle. Bochart prétend que Philon de Byblos, en traduisant de Sanchoniaton, Bétyles, pierres animées, trompé par la ressemblance des lettres, a pris le mot, qui, dans la langue originale, signifie animées, pour celui qui signifie ointes ou graissées. Le but de cette prétendue correction a été de rapporter toute la Mythologie des Bétyles à la pierre, que Jacob arrosa d'huile. En effet, Bochart, pour établir une parfaite conformité entre les Bétyles & la pierre de Jacob, n'oublie pas de rappeller l'étymologie du mot Bétyle, proposée déjà par plusieurs Sçavans, qui tirent ce mot de celui de Béthel (François Sabbathier, Dictionnaire pour l'intelligence des auteurs classiques, grecs et latins: tants sacrés que profanes, contenant la géographie, l'histoire, la fable, et les antiquités, 1770 - books.google.fr). Rosée et Pygmalion Pas de rosée chez Ovide par laquelle la statue serait vivifiée. Et quant à ces passions vicieuses et furieuses qui ont eschauffé quelques fois les peres à l'amour de leurs filles, ou les meres envers leurs fils, encores s'en treuve il de pareilles en cette aultre sorte de parenté : tesmoing ce que l'on recite de Pigmalion, qui, ayant basty une statue de femme, de beauté singuliere, il deveint si esperduement esprins de l'amour forcené de ce sien ouvrage, qu'il fallut qu'en faveur de sa rage, les dieux la luy vivifiassent (Livre II, chapitre VIII) (Essais de Michel de Montaigne, Tome 3, 1825 - books.google.fr). De la Rosée que
Dieu répandra pour vivifier les Corps... Esaïe, quand, après avoir commandé aux habitans de la poussiere ae se réveiller & de se réjouir, ajoute, "que la rosée de Dieu (c'est-à -dire, sa vertu vivifiante, se répandant sur les corps morts) sera comme la rosée des herbes & que la terre jettera tous les trépassez (Jean Daillé, Sermons sur le catéchisme des églises réformées, Tome 1, 1701 - books.google.fr). Au livre XXIII de l'Histoire de Rome d'Ammien marcellin, il est question de perle et de rosée dans le chapitre VI consacré à la Perse : (86) La preuve que les perles sont de substance éthérée, et non un produit marin, c’est que de la rosée du matin (guttae matutini roris) elles naissent limpides et parfaitement rondes ; et que la rosée du soir n’en produit que de forme irrégulière, roussâtres ou tachetées. Leur volume dépend encore de la quantité de rosée absorbée par l’huître. Un orage trouble cette fécondation, détériore le germe, ou le fait avorter (Ammien Marcellin, Histoire de Rome, Traduction sous la direction de M. Nisard, Paris Firmin Didot, 1860 - fr.wikisource.org). Dal punto di vista formale, l'espressione ammianea guttae matutini roris riprende e varia matutini aéris semen di Solino (l'aggettivo matutinus, da Ammiano riferito a ros e da Solino ad aér, è presente anche in Plinio, che però lo adopera in riferimento alla claritas del mattino; gutta è in Ammiano termine molto raro, avendo soltanto un'altra occorrenza [cfr. 30, 6 5]; cfr. Colum. 9, 14, 20 ex matutino rore e Calp. ecl. 5, 55 ...matutinae lucent in gramine guttae); con claros... lapillos et teretes Ammiano riprende e amplifica la fonte soliniana, in cui troviamo semplicemente clarior margarita. Non è da escludere che in Ammiano possa aver operato anche il ricordo di un luogo delle Metamorfosi ovidiane: cfr. met. 10, 259-260 ...grata puellis / munera fert (sc. Pygmalion) illi conchas teretesque lapillos; come in Ammiano i lapillos sono definiti teretes e, inoltre, è interessante notare come in Ovidio sia presente anche un riferimento alle conchas (cfr. anche (cfr. anche Plin. nat. 27, 98 lapillos candore et rotunditate margaritarum) (Fabrizio Feraco, Ammiano geografo: la digressione sulla Persia (23, 6), 2004 - books.google.fr). Le terme de coquille est issu du latin classique conchylium via le neutre pluriel du latin vulgaire conchilia. Ce terme est issu du grec ancien kogchulion et désignait des enveloppes calcaires dures, que ce soit des coquilles d'œufs ou de mollusques. La coquille des mollusques est constituée de carbonate de calcium et de matière organique sécrétés par le manteau de l'organisme. On parle de biominéral ou biocarbonate (fr.wikipedia.org - Coquille (mollusque)). Rabelais et la
pierre Au Quint livre, Panurge descend au Temple de la Dive Bouteille et s'arrête à la marche 78, nombre que Rabelais chérit, peut-être celui des cartes du Tarot qu'il désigne comme la trompe. En cette soixante-dix-huitième des cent-huit marches, est un repos où Panurge saisi de frayeur est rassuré par frère Jean. Les hommes courageux reçoivent toujours secours de la divinité. Exemple. Au dixième des travaux d'Hercule, au retour de la quête des bœufs de Géryon, dans le delta du Rhône, le héros est assailli par deux géants fils de Neptune, ancêtres des Ligures. Ayant épuisé ses armes, il s'agenouille et implore son père. Cette figure est celle d'une constellation, l'Agenouillé, Engonasin. Aussitôt pleuvent du ciel des pierres, les pierres que l'on peut voir encore au triangle de la Crau. Ce même triangle réapparaît lors de la guerre des Andouilles. Toutes les andouilles, sous les assauts de Riflandouille et Tailleboudin, sont mortes ou navrées. Paraît alors au ciel un pourceau à ailes de phénicoptère - ailes pourpres - qui projette des pelletées de moutarde. Le phénicoptère ou flamand rose est associé chez Rabelais à la grue. Cette moutarde est pour les andouilles onguent ressuscitatif, véritable sangréal, baume céleste. C'est le saint Graal, sous forme de sang. Rabelais connaît le Graal sous sous cette forme, il l'évoque ailleurs dans une fiasque, un flacon. Ce sangréal est sang réel (ô transsubstantiation : Rabelais réformé !?), ou sang royal, celui du roi des juifs. Les andouilles ressuscitent dans le triangle pétreux du delta du Rhône. L'andouille est phallique, la reine des andouilles est Niphleseth, le sexe masculin en hébreu, comme l'auteur nous le précise. Ainsi chaque fois s'opère la jonction de sexe masculin et du triangle. Quand on interroge Niphleseth sur le pourceau volant, elle répond - le mot est très rare chez Rabelais - que c'est l'idée de leur Dieu tutélaire, Mardi-Gras. Autrement dit, l'idée de Mardi-Gras est apparue au-dessus du triangle du delta du Rhône et a laissé choir du sang gréal, qui n'est autre que moutarde. Epistémon, défiant les andouilles, dans sa terreur, crie non pas Mardi-Gras mais Gradimars. Il y a là inversion en miroir entre les idées et leur projection sur le sol. Rabelais exploite ce thème de la projection des idées dans un triangle dans un de ses passages les plus célèbres, celui des paroles gelées. Lors de cette pêche parolière, Panurge, terrifié, décide de fuir. Pantagruel le rassure en lui disant : «Mais entendons. J'ai lu dans la doctrine d'un philosophe nommé Pétron...». Cet obscur Pétron est généralement identifié à un philosophe pythagoricien du VIe siècle avant Jésus-Christ. Sa doctrine est évoquée dans le traité de Plutarque sur La Cessation des oracles (chapitre 22). Selon Pétron, il existe dans le ciel un triangle équilatéral. Ce triangle est formé de la réunion de cent quatre-vingt-trois mondes. Cela suppose soixante mondes de chaque côté et un monde à chaque sommet. Une fois tous les milliers de siècles, les idées qui sont à l'intérieur de ce triangle tombent sur terre. Rabelais précise : «à la façon dont la rosée chut sur la toison de Gédéon». On verra au livre des Juges comment Gédéon fut désigné par le miracle de la rosée sur la toison. Qu'on lise chez Mireille Huchon les belles pages sur les rapports entre Quart Livre et quête de la Toison d'Or. Mais on n'a pas attendu Rabelais pour associer alchimie et Toison d'Or. L'Ordre de la Toison d'Or fut fondé en 1429 par Philippe le Bon à Bruges. Le mythe d'origine de cet Ordre est très proche de celui de la Jarretière. Pour la Jarretière, Jeanne, comtesse de Salisbury, dansant, perd sa jarretière. Le prince Edouard la ramasse et, alors que tous rient, s'exclame : «Vous serez honorés de la porter». Une maîtresse de Philippe le Bon, dont on connaît encore à  Bruges les descendants, peignait sa toison pubienne. Surviennent les courtisans qui éclatent de rire. Le souverain saisit un des poils : «Vous serez fiers d'en porter autour du cou». Tout ceci est bien sûr antérieur à Rabelais. Toison, en français comme en grec, est ambivalent : mouton ou triangle féminin. Faut-il en ce plaisant «port fendu d'Aphrodite» frapper l'ancre ? Rabelais a détourné les textes, surtout ceux du Nouveau Testament. «Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes» est projet de mariage et de son œuvre : forger homme. Il prend donc un tout autre sens : chute-génération d'hommes-pierre en une toison triangulaire. Dans les Bibles illustrées, la chute de la rosée sur la toison de Gédéon ne préfigure-t-elle pas l'Annonciation ? La fécondation de la Vierge est cette rosée céleste provenant directement du ciel. Mais le jeu prend au mot le nom même de la pierre fondamentale. En fin du Gargantua on nous propose un énigme - on disait ainsi alors - de 108 vers, énigme dont on dit qu'il a été trouvé au fondement de l'abbaye de Thélème (Claude Gaignebet, Pierres vives, La pierre dans le monde médiéval, 2010 - books.google.fr). Mardi gras ouvre la période de Carême. Ce poème de 108 vers s'intitule : "Enigme en prophétie" que Rabelais dit tirée de Mellin de Saint Gelais. Après deux vers d'introduction dignes du grand Villon, il annonce, sur un ton "nostradamien", une prophétie embrouillée dans laquelle on a voulu voir une allusion aux querelles religieuses de l'époque (Bulletin de la Société de mythologie française, Numéros 140 à 143, 1986 - books.google.fr). L'Inscription d'entrée, comme l'Enigme prophétique, la désignent comme le séjour d'une élite qu'une culture vivante préserve de la "créance & estude / De l'ignorante & sotte multitude" (Ch. 58) (Guy Demerson, Cocagne, utopie populaire ?, Belgisch tijdschrift voor philologie en geschiedenis, 1981 - books.google.fr). Thélème est un des éons des ophites dans le traité d'Irénée Contre les hérésies : c'est Théléma. C'est de là qu'il faudrait partir. Il y a cent huit vers. On décrit une sphère formée par 108, la boule du monde. Je ne connais qu'une sphère formée par le chiffre 108, c'est dans le Timée de Platon. Le démiurge forme le monde avec la lettre « khi » qu'il a retournée pour former comme ceci l'écliptique, et l'équinoxial. Cette lettre «khi» est formée des 108 parts, nous dit Platon, 2 fois 54. Voilà pourquoi il y a 108 vers. Nous sommes très exactement comme au tout début de la descente des (combien de marches y a- t-il au temple de la Dive ? 108). C'est la véritable psychogonie platonicienne. Nous restons dans le même registre de bout en bout. Dans le commentaire au Timée de Chalcidius, Rabelais a retrouvé l'étoile Sirius sous le nom de Ak, comme étoile des Mages. Il y a un petit commentaire de Ficin sur l'étoile des mages : dans notre Chalcidius, on trouve le nom de l'étoile des Mages, c'est l'étoile Ac, Sirius (Claude Gaignebet, Discussion, Rabelais-Dionysos: vin, carnaval, ivresse : actes du colloque de Montpellier, 26-28 mai 1994, 1997 - books.google.fr). Le cinquantenaire et le petit Jubilé septénaire jouent dans la régénération intégrale du monde, au moment du balancement, du retournement pivotal et spiralé entre la folie et la sagesse, entre la circulation des âmes et l'éventement du cerveau du fol et l'ingurgitation de l'âme de la fève et du livre pour devenir sage. L'alternance de ce mouvement oscillatoire de l'univers passe par une période de dissolution et de repos chabbatique et jubilaire de la création avant le prochain renouvellement, il est figuré d'après nous par le jeu de la pelote du monde [machine du monde avec lequel le créateur et l'auteur jouent] dans les 108 vers de l'énigme de l'Abbaye de Thélème et dans le mouvement immobile de la Rhombe girante du Tournoi de la Quinte (chap. XXIIII, 785), avec la glose rapportée de Nicolas de Cusa ailleurs évoqué à propos de ses calculs sur la fin des temps fondée sur le rythme des jubilés. Le commencement est un recommencement circulaire, une fin qui se clôt sur elle-même dans le néant contradictoire de Bélimah, le «sans-quoi» paradoxal du chapitre du chapitre XVII du Q.L. et le vide auquel est suspendu le monde kabbalistique comme le corps de saint Pierre pendu dans l'axe central du dôme de saint Pierre, au-dessus du tombeau de la pierre fondamentale érigée à Chinon (Christine Escarmant, La jubilé de 1550, Le Cinquiesme livre: actes du Colloque international de Rome (16-19 octobre 1998), 2001 - books.google.fr). Remplacez le nom d'Esther par celui de la présence divine et vous aurez un résumé du drame cosmique que lit la Cabbale dans ce texte, et qu'elle exprime de façon un peu plus explicite dans certains passages du Talmud. La Shehina est en exil depuis que le peuple d'Israël est en exil. Elle est partie avec lui pour le protéger, nous dit le Talmud. Seul le retour d'Israël sur sa terre et à sa royauté lui rendront sa place. L'annonce du Talmud «qu'il est une Esther céleste et une Esther terrestre» nous donne une triple information. D'abord, Esther - « la cachée » - Ester'ia - la face cachée de la divinité, la divinité cachée - reviendra aux temps messianiques. Ensuite Esther est aussi un astre, et plus précisément une force astrale. Cette Esther reviendra aux temps messianiques. Elle est a priori pure. Enfin il y a donc concomitance d'un personnage terrestre, royal, porteur de messianité mais constamment mis en danger par la concupiscence et la souillure de ce monde, et d'un personnage astral, pur, et force divine de la messianité. De plus, Esther est comparée à Vénus, l'étoile du matin. La description d'Esther par Mordehai dans le Targum comparant Esther à Venus la compare aussi à la rosée du matin. Esther apparaît à la fin de la nuit, avant le lever du jour. Or la nuit est une métaphore filée établie dès la première discussion du premier traité du Talmud - Meémataï, comme synonyme de l'exil d'Israël et de l'exil de la Shehina. Associer l'apparition d'Esther à la fin de la nuit équivaut sémantiquement à l'associer au début des temps messianiques : quand brille l'étoile du matin - quand reviendra Esther - les temps messianiques seront là (Y. Dureau, La prostituée de Babylone : étude d'un thème littéraire, religieux et nationaliste dans la littérature anglaise de la Renaissance, Babel à la Renaissance, actes du XIe colloque de la Société française d'étude du XVIe siècle, Toulon, mars 1997, 2007 - books.google.fr). Il y avait aussi une Vénus céleste (Uranie) et une Vénus terrestre. Platon distingue deux Vénus, la céleste qui n'inspirait que des amours purs et chastes, qui élevaient les cœurs au ciel, et la mère de Cupidon née de la mer. Aphrodite est née d'une "céleste rosée" selon Nonnos dans ses Dionysiaques (Pierre Chuvin, Mythologie et géographie dionysiaques, 1991 - books.google.fr). Thélème de son côté représente un cas liminaire de la référentialité religieuse déceptive dans le corpus rabelaisien. En effet, c'est là qu'elle se déploie dans son aspect extrême, le plus global et le plus pur, puisqu'elle réfère à l'inexistant. L'utopie religieuse et sociale de Thélème, construction antithétique comme frère Jean, représente une description du vide, du non-existant, d'une idée matérialisée dans le langage à travers un réseau étendu de références matérielles avec ou sans ancrage dans le réel. De cette manière, la référentialité trompeuse se libère de ses attaches avec le réel qu'elle feint de refléter, et sa liberté acquise lui permet de recréer ce réel dans un mouvement démiurgique inversé. L'utopie inexistante est d'abord située dans un cadre réel, par quoi sa réalité semble accréditée. La description détaillée qui se poursuit pendant plusieurs chapitres consécutifs l'invente, l'institue, la crédibilise. La demande pleut à Gargantua, et offrit tout son pays de Thélème, jouste la rivière de Loyre, à deux lieues de la grande forest du Port Huault, et requist à Gargantua qu'il instituast sa religion au contraire de toutes aultres. (Garg., 52) La référentialité trompeuse amorce bientôt un détour, et ne suit plus le mouvement qui va imprimer dans le texte un reflet décepteur de la réalité extralittéraire; elle gouverne ce texte, en y faisant inscrire, par la force de son autorité, l'empreinte d'une réalité manquante, inexistante, d'une non-réalité (Vessela Guenova, La Ruse: dans le "Roman de Renart" et dans les oeuvres de François Rabelais, 2003 - books.google.fr). L'art, le temps et
la ruse La technique possède, chez Aristote, son origine absolue qui puise d'abord dans la science poétique, celle qui permet au «troisième monde» de s'exercer, hors de ses expressions théorique et pratique, en une situation bien définie : la scène de théâtre et la tragédie rapportée à ses ressorts. Il y a toujours écart et décalage dans le temps : la fable est l'âme et le principe de la tragédie. Dans celle-ci la reconnaissance, le souvenir, la surprise jouent avec les modèles de la mimesis et de la catharsis et le poète parvient par une cohérence du langage et des signes à représenter la nature de la manière la plus raisonnable mais sans oublier le goût du particulier, de l'écart, l'usage de l'erreur et de la feinte : il y a même des invraisemblances permises, qui relèvent de l'art lui-même. La catharsis, elle, est médication. Dans tous les cas, un temps conventionnel et reconstruit se superpose au temps naturel sans affecter son cours, comme une conception de la ruse, de la feinte, du «coup de théâtre». Cette qualité rusée de la technicité est de tous les temps et de tous les âges, elle puise au cœur même de l'acte, là où celui-ci exploite la science sans s'y réduire, où l'art se mue en expérience enregistrée, «possédée». Il faut «intégrer» à son comportement aussi bien la marche d'un levier que celle d'un ordinateur :m dans tous ces cas, le temps des ruses et des hasards positifs, le temps des contingences trouve sa voie dans le temps rationnel des causalités ordonnées (Jean-Claude Beaune, Le balancier du monde: la matière, la machine et la mort : essai sur le temps des techniques, 2002 - books.google.fr). Typologie Avec comme date pivot -814, fondation de Carthage par Didon, le report de 1879 donne -3507. Si l'on en croit le Grec de Sicile, Timée de Taormine, qui vivait au Illème siècle avant J.-C, Carthage aurait été fondée en 814 avant J.-C, trente huit ans avant la première olympiade. Il est suivi dans ses calculs par Cicéron (De Republica, II, 23, 42), Velleius Paterculus et même saint Jérôme. D'autres, comme Méandre d'Ephèse, préfèrent 819. Certains, comme Justin, tiennent pour 824 (Confluences en Méditerranée, Numéros 17 à 18, 1996 - books.google.fr). Année, selon Bailly et Anquetil-Duperron, de la fondation de l'empire perse. Djemschid, quatrième roi, établit l'année des Perses, de 365 jours (Jean Sylvain Bailly, Histoire de l'astronomie ancienne, depuis son origine jusqu'à l'établissement de l'école d'Alexandrie, 1781 - books.google.fr). Le roi Djemchid, qui, d’après la conjecture bien appuyée de M. Wahl, est le même que l’Achæménès des historiens grecs, régla le premier le calendrier, et établit la fête de New-ruz ou de la nouvelle année (Conrad Malte-Brun, Mélanges scientifiques et littéraires de Malte-Brun: ou choix de ses principaux articles sur la littérature, la géographie et l'histoire, Tome 2, 1828 - books.google.fr). Quant aux Perses, ils assuraient que Djemschid, quatrième roi de la première dynastie, introduisit l'usage de porter l'anneau au doigt pour cacheter les lettres et les actes de l'autorité. C'est ce qui explique pourquoi, dans le livre d'Esther, Aman scelle de l'anneau d'Assuérus, roi de Perse, les missives qu'il écrit à tous les satrapes du royaume pour faire périr les Juifs. Thucydide fait aussi mention du cachet de Xerxès. Ajoutons qu'après la mort de Darius, Alexandre-le-Grand se servait de l'anneau de ce prince pour cacheter les lettres qu'il envoyait en Asie, et scellait avec le sien propre celles qu'il envoyait en Europe (Dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels, Tome 2 : C-CHAUDR, 1881-1891 - gallica.bnf.fr). Rimbaud Nous pouvons encore ajouter quelques images qui se trouvent sur la même ligne thématique: pierre et rosée. En fait, toutes les deux suggèrent respectivement la cristallisation de la terre et de la mer, en offrant ainsi la possibilité de posséder la nature. Pour la pierre, notons simplement que dans «Fêtes de la faim», c'est en même temps la pierre et la fleur que le pseudo-promeneur (qui « fuit » [v. 2]) désire: «Si j'ai du goût, ce n'est guères / Que pour la terre et les pierres» [vv. 3-4], «je cueille / La doucette et la violette» [vv. 22-3]. Quant à la rosée, «Les Chercheuses de poux» nous montre que la promenade peut être bien agrémentée par la fleur mais aussi par la rosée: «Elles (=deux grandes sœurs charmantes) asseoient l'enfant devant une croisée / Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs, / Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée / Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs». [vv. 5-8] (Yasuaki Kawanabe, Une cosmogonie poétique: les poèmes en vers d'Arthur Rimbaud, leur structure thématique et sa métamorphose, 1982 - books.google.fr). Mais c'est juste à ce moment-là que reparaît l'élément hyperbolique: il s'agit de l'acte de la «vieille devant la braise / Qui fait du fil» (Les Répliques de Nina) (Yasuaki Kawanabe, Une cosmogonie poétique: les poèmes en vers d'Arthur Rimbaud, leur structure thématique et sa métamorphose, 1982 - books.google.fr). A l'inverse de la vieille de la légende qui gèle avec son troupeau dans la montagne. Rappelons-nous que «filer» qui donne, à la limite, l'image du «Fileur éternel» du «Bateau ivre», est un élément par excellence hyperbolique à même titre que «se promener». C'est cette réapparition qui rétablit le paysage; car après, c'est la clarté («la flamme illumine, claire» [v. 107]), la fraîcheur («les lilas / Noirs et frais» [vv. 110-111]) et le contact heureux rêvé («Tu viendras, tu viendras, je t'aime!» [v. 113]). Cet exemple nous permet de confirmer que c'est l'élément hyperbolique qui vient équilibrer le paysage intime, qui le sauve de son excès dégradant (Yasuaki Kawanabe, Une cosmogonie poétique: les poèmes en vers d'Arthur Rimbaud, leur structure thématique et sa métamorphose, 1982 - books.google.fr). Les poèmes Antiques et Being Beauteous des Illuminations (1873-1875) ont été interprétés en lien avec Pygmalion de Chypre. On a en effet suggéré que la présence de la neige dans le poème Being Beauteous pourrait tenir, non à la recherche d'un effet de réel, comme on est tenté de le croire, mais à un jeu intertextuel dont l'érotisme ferait alors toute la matière : cette neige pourrait renvoyer, au lieu d'un paysage hivernal, à la blancheur marmoréenne d'une statue, celle créée par le sculpteur Pygmalion dont Ovide développe l'histoire dans les Métamorphoses. Selon cette perspective Rimbaud, dans Being Beauteous, «adopte la passion de Pygmalion» dont on sait que, d'après le mythe, il obtint de Vénus que la statue devienne une femme de chair et put ainsi assouvir son désir. Rimbaud connaissait évidemment Ovide, pilier de la culture latine scolaire, mais indépendamment même d'un rapport aux Métamorphoses qui demeure hypothétique, l'emploi de neige dans un sens érotique ne surprendrait pas dans le contexte du XIX* siècle où cette façon de désigner la Beauté comme objet du désir était loin d'être rare : pleinement socialisée dans le cadre de la langue littéraire, elle était même devenue un instrument majeur du discours érotique en poésie (Yves Reboul, Rimbaud dans son temps, 2009 - books.google.fr). Blanche neige voit Pygmalion partout. Mais "le canon sur lequel je dois m'abattre" peut avoir une signification sculpturale. La critique a compliqué à l'envi l'interprétation du petit poème "Antique" dont le sens paraît globalement clair, ce qui n'enlève rien à son charme fait de suggestions érotiques, fantastiques et d'une musicalité lascive. On y a décelé une version rimbaldienne du mythe de l'Hermaphrodite (à cause du "double sexe"). On a vu dans ce "fils de Pan" ce que les musées appellent "un antique", une statue que Rimbaud aurait vue et voulu décrire ou, tout au moins, un "faux antique" (Pierre Brunel), un "être imaginaire" que le poète, nouveau Pygmalion, "réveille, crée, anime [...] appelle ou rappelle à la vie" (André Guyaux) (abardel.free.fr). La poitrine en forme de cithare du personnage du poème rappelle Cinyras (en rapport avec kinnor hébreu, lyre) qui entra en compétition avec Apollon avec cet instrument, et ayant perdu fut transformé en rocher. Zola On poursuit en littérature. Les vingt volumes de la série familiale des Rougon-Macquart sont publiés par Zola entre 1870 et 1893. Si Renée Saccard, dans la Curée, roman paru en 1871, est bien la «Vieille» du rite, force est d’admettre qu’une métamorphose s’est produite dans son cabinet de toilette. De reine de carnaval, Renée, dont le prénom apparaît tout à coup prémonitoire, renaît en son miroir en Vieille de carême. Devant la glace de l’armoire, la jeune femme, produit du «tapage de l’or et de la chair» s’estompe, puis s’efface, le temps de l’introspection, au profit d’une image quadragésimale d’elle-même. Étant donné les liens symboliquement étroits qui unissent Renée à l’Empire, il est donc intéressant de voir dans la métamorphose en figure de Carême de la reine de carnaval qu’incarnait jusque-là Renée, la transformation de l’Empire en République. Le face à face spéculaire que permet la scène du miroir, offre la possibilité à l’écrivain d’écrire une situation historiquement impossible, c’est-à -dire la simultanéité de deux régimes politiques. En effet, derrière le reflet du visage mort de Renée dans la psyché, c’est le visage d’une République décharnée qui semble dire à l’Empire des profondeurs de l’histoire : « Souviens-toi ». Ainsi, en Renée se rejoignent une fois de plus la petite et la grande Histoire, c’est que dans l’univers zolien, le filtre du sang écrit l’histoire de l’une dans l’ombre de l’autre : «Devant les énormités de sa vie, le sang de son père, ce sang bourgeois, qui la tourmentait aux heures de crise, cria en elle, se révolta». Dans le dossier préparatoire, Zola mêlait déjà sang et mémoire ; «la voix de son origine se réveille en elle, et par son sang elle revient à l’honnêteté bourgeoise». C’est donc aussi une lecture biologique et psychologique de l’Histoire que s’autorise ici l’écrivain naturaliste, en faisant, par figures interposées, de la République le refoulé de l’Empire. Nous pourrions ajouter que Carême l’emporte toujours in fine sur Carnaval, même si ce soir de mi-carême le sursaut moral de Renée (et de l’Empire) est de courte durée (Véronique Cnockaert, Renée Saccard ou La Vieille de la Mi-Carême, Rite et Littérature, Cahiers électroniques de l’imaginaire n°3, 2005). Il y a dans les mots qu'Albine prononce, dans le passage du roman d'Emile Zola La faute de l'abbé Mouret où elle rencontre sur la route Pascal et Serge Mouret, une poésie qui va en amont de l'inspiration pastorale. Cette impression est confirmée lorsque les deux amants découvrent dans le jardin une statue de pierre gisant au fond d'une source, et dont l'eau a effacé le visage. L'intertexte guide alors le lecteur vers un célèbre passage des Fastes où Ovide fait dire à une nymphe : «Amne perenne latens, Anna Perenna vocor.» («Cachée sous un fleuve éternel, je m'appelle Anna Perenna»). Sur la confusion faite par la tradition entre Anna Perenna, sœur de Didon, et Anna Petronilla, cf. Charles Didier, Campagne de Rome, J. Labitte, 1842, p. 223. Comme Roger Ripoll l'a fait remarquer, le temps de ce roman est celui du mythe : c'est particulièrement vrai pour ce qui concerne la deuxième partie. Le passage où Serge et Albine découvrent la statue fait songer à certains tableaux de Poussin (par exemple, Paysage avec Orphée et Eurydice) où, dans les ruines d'un décor antique, les personnages semblent heureux, bien qu'un danger sourd les menace. On trouvait déjà dans La Fortune des Rougon une page analogue : comme les Bergers d'Arcadie, Miette et Silvère, les premiers jeunes héros des Rougon-Macquart, avaient déchiffré leur destin dans la pierre : «Miette avait distingué, sur une des faces, des caractères à demi rongés. Il fallut que Silvère, avec son couteau, enlevât la mousse. Alors ils lurent l'inscription tronquée : Cy gist... Marie... morte... Et Miette, en trouvant son nom sur cette pierre, était restée toute saisie. [...] Elle dit qu'elle avait reçu un coup dans la poitrine, qu'elle mourrait, que cette pierre était pour elle.» (Sophie Guermès, La religion de Zola: naturalisme et déchristianisation, 2003 - books.google.fr). Roman de la création artistique, L'Œuvre, publié en 1886, quatorzième volume de la série Les Rougon-Macquart, pose la question du rapport de l'artiste au monde et de la place qu'il s'y fait. Comme un coup d'œil lancé sur sa carrière, Zola montre que la création artistique est un travail au sens premier du terme, c'est-à -dire au sens de douleur, d'efforts, comme le travail de l'enfantement. Le personnage de Claude Lantier nous rappelle sous certains aspects celui de Pygmalion (Natacha Cerf, Pierre-Maximilien Jenoudet, L'Oeuvre d'Émile Zola (Analyse de l'oeuvre): Comprendre la littérature, 2011 - books.google.fr). Rimbaud, reconnaissant son impuissance à sortir pour autant des catégories chrétiennes et à «changer la vie», avait cessé d'écrire, ne laissant que quelques «illuminations» pour traces de l'ordre nouveau dont il avait rêvé. Zola va au contraire prendre appui sur cet Évangile dévalué pour fonder son nouvel ordre. Pierre voit donc dans l'Évangile une négation de la vie, alors même que le Dieu de Jésus était amour ; les prêtres, comme on l'a vu dans Rome, ont falsifié le christianisme primitif, et il n'est plus possible de bâtir à partir d'un matériau prêt à tomber en cendres. Zola, dans Paris, règle définitivement la question du prêtre - non celle du catholicisme, toutefois qui réapparaît si douloureusement dans Vérité - : Mgr Bergerot est mort avant le début du roman (mais Zola le fait revivre dans Vérité, soit une trentaine d'années après, et mourir une seconde fois !), l'abbé Rose agonise dans la dernière partie, Pierre quitte les ordres (sans qu'on sache rien des formalités dont il doit s'acquitter : l'intérêt est ailleurs pour Zola). Ces trois hommes représentaient le bien par leur pureté et leur sollicitude. Mais tous trois échouent dans leur entreprise charitable. En revanche, l'influence de Mgr Martha, à la vérité moins prêtre qu'homme d'Église intransigeant, ne cesse de s'étendre. Il est possible que le modèle de cet homme placé par Zola à la tête d'un évêché fantôme, celui de Persépolis, soit Mgr Ferrata. Celui-ci était l'ami du cardinal Lavigerie, lui-même archevêque d'Alger et de Carthage, qui s'était chargé, à la demande de Léon XIII, de prêcher le ralliement en novembre 1890 (Sophie Guermès, La religion de Zola: naturalisme et déchristianisation, 2003 - books.google.fr). Lavigerie Charles Martial Lavigerie, qui signe parfois Charles Allemand-Lavigerie, né le 31 octobre 1825 à Huire, en Saint-Esprit (ancienne commune des Landes) et mort le 26 novembre 1892 à Alger (Algérie), est un prélat français. Il est nommé archevêque d'Alger en 1867, ministère qu'il conserve en devenant archevêque de Carthage en 1884. Il est créé cardinal en 1882. Il est le fondateur de la Société des missionnaires d'Afrique (les «Pères blancs») et des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (les «Sœurs blanches») (fr.wikipedia.org - Charles Lavigerie). Pour incarner en Tunisie l'œuvre archéologique de l'Église, le cardinal Lavigerie choisit le Père Delattre, qu'il envoie à Tunis et qui, en 1878, à Carthage, a découvert, sur la colline de Junon, les premiers tombeaux puniques (La Tunisie mosaïque.: Diasporas, cosmopolitisme, archéologies de l'identité, 2000 - books.google.fr). Désormais, grâce à l'arrivée de nouveaux Pères et de novices, le Père Delattre est entouré et aidé dans ses multiples activités : culte, enseignement religieux et civil, tandis que le Collège Saint-Louis - fondé en 1878, puis rebaptisé sous le nom de Collège Saint-Charles (Charles Borromée était le saint patron du Cardinal Lavigerie) - est transféré de Carthage à Tunis (1882). Il sera un peu plus tard laïcisé sur l'ordre de Paris et dénommé Lycée Carnot pour les garçons (quelques filles y furent exceptionnellement admises). La première pierre de a future cathédrale de Carthage est posée le 11 mai 1884, en présence du Cardinal Lavigerie, venu tout spécialement d'Alger, et de Mgr Robert, évêque de Marseille. Peu après, le Père Delattre est nommé archiprêtre de cette future cathédrale. Sur la colline Saint-Louis (Byrsa) et sur les collines voisines, diverses institutions sortent de terre : le Carmel, le Couvent des Sœurs Blanches et celui des Sœurs Grises (ces dernières familièrement appelées «Moniquettes», en souvenir des larmes que Monique, la mère d'Augustin a versées en ce lieu — qui, jusqu'à l'Indépendance, portera son nom - au cours de la nuit de prière qui précéda le départ de son fils pour Rome, puis Milan, où il devait rejoindre saint Ambroise dont l'influence sur sa vie spirituelle fut déterminante) (Charles Nicolle, La Carthage du père Delattre, Précis analytique des travaux, Académie des sciences, belles lettres & arts de Rouen, 1978 - books.google.fr). L'art, le temps et la ruse F. Dagognet accorde à un inventeur du XIXe siècle un rôle exemplaire : E. J. Marey, bricoleur génial, transcripteur de l'automatisme cardiaque. Il fallait pour connaître «l'objet» inventer un appareil adapté. Marey le fit : «l'image de la vie que Marey devait tirer de l'ombre allait aussitôt, comme par nécessité, donner de la vie aux images (d'art) et brusquement les libérer. L'industrie aussi en sera bouleversée». Pourtant Marey ne bouleverse d'abord rien mais invente des ruses. Pour comprendre, il faut fabriquer des machines, des appareils, des «machins», trouver un jeu d'écritures qui rende un phénomène lisible : la théorie de l'animal-machine s'incarne alors selon un moteur animé, un répétiteur des mouvements qui reproduit la vie par l'artifice puis informe la nature. La vie est un mouvement, un tracé, elle suggère à Marey d'inscrire le vol des oiseaux dans son appareil en créant le fusil chronophotographique, la première véritable caméra portative capable d'enregistrer sur un disque unique les différentes phases du mouvement se fondant les unes dans les autres, on se situe entre fusion et morcellement, entre Zénon et Bergson, d'envoyer sur l'animal des rayons au lieu de volumes (on photographie des lignes), de perfectionner le système automatique de l'appareil. Marey est un «artisan du monde moderne» qui sait concilier science et art, qui utilise au mieux les conflits du réel et de la copie, qui conçoit et réalise des appareils permettant de synthétiser les données optiques et les qualités mobiles de l'être vivant ou de l'automobile par une série de mesures qui ne se résume pas à copier le vol mais crée un modèle volant de celui-ci. Son «fusil chronophotographique» fournit 12 épreuves à la seconde ; il est muni d'un mécanisme d'horlogerie automatique, bien proche de résoudre le problème de la réversibilité et de la bande perforée que L. Demeny, son préparateur, a trouvée et qui permettra à Louis Lumière de réaliser sa machine. Il choisit à cet instant la science contre ses propres méthodes technicistes. Mais «l'esprit de la machine culturelle résurrectionniste vient de Marey qui l'a exigée et façonnée». L'art cinétique et cinématographique accomplit ainsi une double fonction : 1) permettre la «résurrection» du mobile et non la simple copie selon le vieux rêve de Zénon, la saisie des phases et images successives du mouvement ; 2) imposer la substitution d'un «autre temps» au temps de la nature, perspective prise sur une synthèse de ces deux temporalités à travers l'épisode majeur du mouvement primordial. Pourquoi, à ce moment revenir à Aristote ? Parce que Aristote sait, dans l'ensemble de sa philosophie, distinguer la techné comme dunamis et approfondissement de la connaissance pratique que nous suggère la matière, de l'épistemé, connaissance théorique et scientifique. En fait la technicité chez Aristote est une pratique du particulier : les faits nous deviennent particuliers par l'expérience et la technique est toujours prise entre l'imitation de la nature qui ne sera jamais parfaite et la reconstruction d'un monde, toujours inachevée. L'art chez Aristote imite la nature, mais agit à la différence de l'art de Platon : l'ouvrier n'a pas à reproduire un ordre idéal. Ce faisant, l'ouvrier fait l'expérience, dans un contexte très marqué par un goût «médical» du réel, de sa capacité à «délibérer», c'est-à -dire à apprécier l'écart entre la fin et sa réalisation effective, à exécuter ce que la nature ne peut elle-même faire, à inventer autrement dit des objets et des instruments qui attestent de la liaison naturelle entre l'art et le hasard, qui témoignent du soin que l'ouvrier doit mettre, contrairement à Platon qui cherche surtout à la supprimer, à assumer la contingence, à préciser ainsi le sens et les limites d'une action anti-naturelle. [...] Pour Aristote, par cet appel à la contingence productrice, le temps de l'artifice s'ouvre au cœur du temps de la nature et une complicité s'établit entre eux, où l'objet technique ou l'objet d'art trouve et retrouve sa signification. Le temps s'est dédoublé ; un troisième monde, celui de la ruse, de la délibération s'est mis en place entre la nature et l'homme. Déjà la tentation est grande de considérer le destin rationnel de l'homme occidental comme ce jeu d'ombres et de lumières que la métamorphose suspensive entretient avec les notions philosophiques décisives, celles que la science du XVIIe siècle tente de prendre en compte : l'ordre, l'infini, le centre. Autant de manières de se rapporter au double cosmos du monde et de soi-même, autant de manières de s'affronter au vide ou au trop-plein en déplaçant des symboles, des tropes et des nombres (Jean-Claude Beaune, Le balancier du monde: la matière, la machine et la mort : essai sur le temps des techniques, 2002 - books.google.fr). Étienne-Jules Marey, né le 5 mars 1830 à Beaune et mort le 15 mai 1904 à Paris, est un médecin et physiologiste français, et un inventeur. Considéré à son époque comme un touche-à -tout atypique, il est l’un des premiers, à partir de 1870, à étudier méthodiquement ce qu’il nomme «la machine animale», c’est-à -dire les mécanismes des différents modes de déplacement et de leurs diverses allures, aussi bien des animaux que des êtres humains (fr.wikipedia.org - Etienne-Jules Marey). En 1872, le physiologiste français, pionnier de la chronophotographie, affirme dans son livre La Machine animale publié à la librairie Germer Baillière que le cheval au galop n’a jamais les quatre fers en l’air au cours des phases d’extension - ainsi que les artistes le représentent depuis des siècles. Muybridge prend connaissance de la polémique sur le galop du cheval par l'intermédiaire d'un client, Leland Stanford, passionné par les chevaux de course, éleveur et entraîneur. En 1878, après de nombreux essais, se soldant parfois par de la casse, Muybridge obtient les fameux clichés qui confirment la théorie de Marey (fr.wikipedia.org - Eadweard Muybridge). |