Verdun V, 87 1915-1916 L'an que Saturne hors de servage, Au franc terroir sera d'eau inundé : De sang Troyen sera son mariage, Et sera seur d'Espaignols circundé Poésie rimée Les Regrets
de Joachim du Bellay réinterprètent le topos de l'exil
ou de la nostalgie (qui s'inspire d'un modèle littéraire avoué : les Tristia d'Ovide - R 10) à travers la typologie
traditionnelle du mélancolique ou du saturnien (selon la belle expression
d'Aristote, la mélancolie visite « ceux qui hantent le pays de poésie »). Le
sonnet programmatique assimile ainsi l'état du poète qui chante et enchante sa
tristesse aux infortunes caractérisant les «enfants de Saturne» tels que les
représente l'iconographie du tempérament mélancolique : la constellation
comprend bien sûr le «pèlerin regrettant sa maison» et l'«adventurier»
(le malcontent traveller décrit par les nosographes), mais aussi le «marinier»
ou le «prisonnier maudissant sa prison». Modulé à travers tout un système de
rimes (âge, naufrage, voyage, orage,
servage), le thème saturnien dissémine de sonnets à sonnets des isotopies
cohérentes : motif de l'incarcération que produit l'exil ou obsession du
naufrage Verdun L'influence de la France augmente dans l'Ouest de la
Lorraine : elle annexe la ville de Toul en 1300, le Barrois mouvant en 1301 et
l'évêché de Toul en 1305. Les Verdunois se placent tour à tour sous la
protection de Gobert VIII d'Apremont
en 1314, d'Édouard Ier de Bar, puis du roi de France Louis X «le Hutin» en
1315, entraînant d'inévitables conflits auxquels se joint Jean de Luxembourg.
Finalement, en 1331, l'Ă©vĂŞque Henri d'Apremont place
la cité sous la garde perpétuelle de la France. Avec la
déclenchement de la guerre de Cent Ans en 1337, le roi de France place la cité sous
la garde conjointe des comtes de Bar et de Luxembourg. En 1374, Verdun
obtient le titre de ville libre d'Empire, placée sous la tutelle directe de
l'empereur. Le sceau de la ville change pour figurer un aigle impérial au lieu
d'une cathédrale. Le Grand-Rempart forme une nouvelle enceinte d'une trentaine
de tours et de trois portes monumentales dont la Porte Chaussée. Le roi de France Henri II s'allie aux princes protestants
d'Allemagne en lutte avec l'empereur des Romains Charles Quint, et devient vicaire
d'Empire et protecteur des Trois-Évêchés. En 1552, il organise le «Voyage
d'Allemagne» (ou «Voyage d'Austrasie»), une expédition militaire sur le
territoire du Saint-Empire. Après avoir pris Metz et Toul sans combattre et
s'ĂŞtre rendu en Alsace, il entre pacifiquement dans Verdun le 12 juin 1552 Au moment oĂą Verdun devenait ville libre ("franc
terroir"), de grandes inondations avaient lieu en France et en Lorraine, cf.
quatrain X, 50 qui parle de déluge et de Saturne. Situé en terre d'Empire depuis 925, l'évêché de Verdun
ressortit à la province ecclésiastique de Trèves, au même titre que les évêchés
de Toul et de Metz. Mais le pouvoir temporel des évêques - le comté épiscopal -
ne coïncide pas avec les limites religieuses du diocèse, dont il couvre
seulement le tiers; il est vrai qu'au-delà de ces limites, l'évêque possède en
outre la châtellenie de Dieulouard, s'étendant de part et d'autre de la
Moselle, en aval de Nancy. Au XIIe siècle, les évêques luttèrent contre les
prétentions des comtes de Bar, qui voulaient rendre héréditaire dans leur
famille la vouerie de l'évêché; avec l'aide des
habitants de leur cité et de l'Empereur germanique, les évêques l'emportèrent :
en 1156, Frédéric Barberousse accorda à Albert de Mercy un diplôme aux termes
duquel les évêques se voyaient concéder le « bénéfice de comté et de marche »
et obtenaient confirmation de leurs droits de ban de péage, de monnayage, de justice; en outre,
ils étaient autorisés à construire des forteresses. Au siècle suivant, les rivalités éclatèrent
entre le pouvoir épiscopal et les et les «citains» de
Verdun; à la fin du XIIIe siècle, en dépit de la charte de paix de 1286, toute
trace de tension n'avait pas disparu entre eux; de plus, les Ă©vĂŞques devaient
ménager les susceptibilités de leur chapitre, devenu une puissance temporelle
non négligeable. A cette date, s'ils n'ont guère à redouter l'intervention du
souverain germanique, qui n'exige d'eux aucune aide militaire et n'exerce plus à leurs dépens aucune de ses
prérogatives en matière de finance ni de justice, ils ne peuvent en revanche
compter sur son appui contre d'éventuels adversaires : «citains»
de Verdun, les comtes de Bar et de Luxembourg, les seigneurs d'Apremont, voire l'évêque de Metz. Leur intérêt est donc de
se trouver un protecteur efficace. […] De son côté, la monarchie capétienne, profitant de
l'éclipse du pouvoir impérial, cherchait à étendre son influence et son
autorité au-delà de ses frontières avec l'Empire, dans une région très divisée
politiquement et dont les habitants, de par leur langue et leur civilisation,
regardaient volontiers vers la France. L'expansion royale s'accéléra avec
l'avènement de Philippe le Bel, marié à l'héritière des comtes de Champagne. De
plus, en 1294, le roi d'Angleterre Édouard Ier, pour défendre son duché de Guienne, avait suscité une vaste coalition groupant, entre
autres, le roi des Romains, Adolphe de Nassau, et le comte de Bar, Henri III,
devenu, à cette occasion, son gendre. Certes, cette série d'alliances n'avait
produit que des résultats dérisoires, mais on pouvait craindre qu'elles ne
devinssent plus efficaces ultérieurement : il fallait au roi de France recruter
lui aussi des appuis et des amis. Adolphe de Nassau perdit son trĂ´ne le 23 juin
1298; son successeur, Albert d'Autriche, inaugura une politique de
rapprochement avec la France : le 8 décembre 1299, il rencontra Philippe IV
dans la prairie de Quatrevaux, près du village de Rigny-Saint-Martin
; à la suite de cette entrevue, le Capétien agit plus librement que jamais dans
la région mosane; en particulier, par le traité de Bruges du 4 juin 1301, le
comte de Bar se reconnut son vassal pour toutes les terres qu'il tenait «en franc alleu, par deça
la Muese, vers le royaume de France»; à la même
époque, l'évêque de Verdun se vit pressé de renoncer, moyennant finance, à ses
droits de seigneurie sur les châteaux de Varennes et de Clermont, qui
passeraient dans la main du roi de France : «Et l'an finera
audit evesque que il quite
le fié, à ce que li Rois ne le tegne de nullui». Quelques mois plus tôt, en novembre 1300, Philippe
le Bel avait pris sous sa garde la cité de Toul, ses habitants et leurs biens;
les clauses contenues dans cet acte sont si proches. [...] En offrant sa sauvegarde Ă l'Ă©vĂŞque de Verdun, la
monarchie capétienne ne cherchait nullement à prendre la défense des pouvoirs
traditionnels contre les bourgeoisies urbaines; la preuve en est qu'Ă Toul
c'est avec les «citains» que Philippe le Bel traita Dans ses Commentaires des dernières guerres en la Gaule belgique en l'an 1552, François de Rabutin
signale "Villefranche, petite villette neufve ou
plustost chasteau au dessoubs dudit Sathenay sur la
rivière de Meuse". La place forte a été construite par Girolamo Marini,
commissaire-général des fortifications en Champagne, à partir de 1545. En 1632,
Stenay est devenue française, l'intérêt militaire de Villefranche a disparu et
ses fortifications sont rasées en 1634 Servage et mariage Les fêtes romaines des Saturnales furent ainsi appelée
"en memoire de Saturne, sous le regne duquel on dit qu'il n'y auoit
point d'esclaues" L'affranchissement changeait complètement la situation du
serf; non seulement celui-ci échappait désormais aux conséquences de la
mainmorte, mais il recouvrait aussi la faculté de résider où bon lui semblait
et de se marier à sa guise; il devenait roturier simple. Les évêques de Verdun arrivèrent ainsi à faire disparaître, pour le
XVIe siècle, le servage sur les terres de la mense épiscopale. Les
populations rurales immédiatement sujettes de l'évèque,
étaient donc particulièrement favorisées: mais fort heureusement les autres trouvèrent dans la coutume
elle-même le moyen de se dégager en partie de la condition servile; le progrès
des mœurs fit le reste. [...] Déjà vers
le XIVe siècle, les biens possédés par le serf pouvaient être affranchis de la
mainmorte par le paiement d'une redevance; c'était un progrès considérable, une
sorte de demi-affranchissement, qui laissait la personne servile simplement
soumise au droit de poursuite en cas de forfuyance et
de formariage. Grâce à cette faculté qui lui était offerte de se libérer de
la mainmorte, elle pouvait désormais disposer à sa guise de ses biens, et,
chose plus importante, les terres dont elle jouissait Ă titre de tenures
serviles, tendaient à perdre leur caractère de concessions provisoires et
toujours révocables, pour se transformer en véritable patrimoine On appelait aussi for-mariage l'amende pécuniaire due par le mainmortable ou
serf à son seigneur, soit pour avoir épousé une personne franche ou foraine,
soit pour obtenir seulement la permission; il fallait de plus avoir obtenu, Ă
peine de 60 sols parisis d'amende, le congé du roi et de ses officiers pour contracter
union avec une personne de condition différente. Le for-mariage
s'estimait suivant les usages locaux à la moitié ou au tiers des biens; dans
beaucoup de coutumes le consentement du seigneur exemptait de l'amende de 60
sols, mais non du prélèvement de ce droit exorbitant. La confiscation des
héritages avait lieu dans ce cas au profit du seigneur, parce qu'on considérait
le for-mariage comme un désaveu tacite de la
mainmorte. Ce droit a été exercé dans
certaines contrées, et notamment dans le pays de Verdun jusqu'en 1789 (Ad. Porcher)
Troyens La légende troyenne a aussi été mise à contribution
lorsque les rois de Franc ont cherché à se porter candidats à l'élection au
trône du Saint Empire. Ainsi, au 16ème siècle, Louis XII choisit comme devise
"venger nos ancĂŞtres troyens", proclamant qu'un lignage comme celui
de Priam a des droits à régner sur le monde. Et Jean Lemaire de Belges, toujours
au 16ème siècle, termine de la sorte le récit imaginaire du triomphe de
François 1er, vainqueur des Turcs, champion de la cause chrétienne et devenu
empereur... (Les Grandes Énigmes. Larousse 1992). Le Monstre d'Italie de Gabriel Syméoni
[cf. quatrain VIII, 66] est la figure allégorique des divers Etats italiens; et
cette conception bizarre a pour but d'engager Henri II à les conquérir, « Les
droits du roi sur l'Italie sont incontestables, puisque, dit-il, les François,
du côté de Francus fils d'Hector, ont pris leur
origine des Troyens, et les Troyens de Dardan,
auparavant seigneur d'une partie des Italies, et que plusieurs villes de la
Lombardie furent fondées par des François qu'on appeloit
Insubres et Senones. C'est pourquoi le roi de France,
arec un pied en Corsègue, et armé par terre et par
mer, se niant sur ce monstre d'Italie, dit: "Fuyez, fuyez, vieux et
nouveaux habitans, ravisseurs de cette province, car
elle est mienne de longtemps. Cette Italie est mon royaume et mon héritage,
délaissé par Dardan et Iasie,
mes progéniteurs" » Le traité de
Cateau-Cambrésis Conclu le 27 mars 1559 après de longs pourparlers, malgré
l'opposition des Guises et grâce aux efforts de Montmorency, le traité de Cateau-Cambrésis, que
l'Ă©clatante reprise de Calais aux Anglais par le duc de Guise (8 Janvier 1558)
a permis, a été fortement critiqué,
comme le montrent quelques sonnets des Regrets
de Du Bellay. La France en effet abandonnait Ă Emmanuel Philibert de Savoie
le Piémont et la Savoie, qu'elle possédait depuis 1536. Bien qu'elle conservât Calais, Toul, Metz et Verdun, cet accord
Ă©tait ressenti par une partie de l'opinion comme un renoncement aux ambitions italiennes
des rois de France C'est la paix entre l'Espagne et la France, suivie de
grandes fêtes et d'un certain tournoi où Henri II fut mortellement blessé Elisabeth, née au château de Fontainebleau le 2 avril
1545, fille du roi de France Henri II, avait exactement quatorze ans deux mois
& deux jours le 22 juin 1559, jour où, en vertu du traité, elle fut mariée
au roi d'Espagne, Philippe II, représenté par le duc d'Albe. Henri II accorda au duc de Savoie la main
de sa sœur Marguerite en même temps qu'il donnait à Philippe II Élisabeth
sa fille aînée. Du Bellay, qui suivait son cousin, participe donc à la
vie romaine, politique et religieuse, troublée à l’époque par les rivalités
espagnole et française dont Les Regrets
nous laissent un tableau satirique Le Cateau est occupé par
l'armée allemande en 1916. Typologie Les guerres contre le Saint Empire dirigé par Charles
Quint, aussi roi d'Espagne, se reproduisent quelques siècles plus tard lors de
la première guerre mondiale. La bataille de Verdun sera pilotée par le général Pétain
depuis Souilly (cf. quatrain X, 50). Un colonel américain, dans le Psychic Magazine, organe du Mystérieux, publié outre Atlantique. Cette
revue, vers la fin de 1915 (novembre), a donné l'horoscope de la guerre, au
moyen des élections. On sait que l'on désigne par ce mot une opération
astrologique ayant pour objet de déterminer une époque, jour ou heure favorable
à une entreprise déterminée. «Pour qu'une attaque réussisse, disait le Psychic Magazine, il faut et il suffit que
l'ascendant soit dans une maison de Mars (le BĂ©lier ou le Scorpion), et que
Vénus, surtout si elle est maîtresse de la septième maison, regarde d'un aspect
bénéfique Mars, maître de l'ascendant. Au moment de l'offensive de Champagne,
Vénus était bien maîtresse de cette maison, et placée dans le cinquième de son
autre domicile, la Balance. Mars était en conjonction plus ou moins serrée avec
cette déesse légère à la changeante demeure, mais en dépit de la géniture de M.
Poincaré, de la nativité du général Joffre, du thème radical de la Révolution
française et de la partie de Fortune du roi d'Angleterre, le grand bénéfique
Jupiter a sauvé Guillaume II». Cette protection, ajoutait le devin du magazine
américain, doit cesser vers le 15
février 1916 : «Peu de temps après, le grand maléfique Saturne, abandonnant sa marche rétrograde,
s'approchera de l'ascendant impérial, pour effectuer son transit sur lui :
il y aura été précédé par le Soleil qui occupera, le 15 juillet 1916, le point
tenu par Mars dans le thème ci-dessus, projetant à cette date l'ombre de la
terre sur le disque de la Lune. Cette dernière étant maîtresse de l'ascendant
du Kaiser, cette éclipse annoncera que les plus grandes calamités contenues en
puissance dans son horoscope seront sur le point de se réaliser» L'entrée en guerre de l'Italie, le 20 mai 1915, aux côtés
de la France, de l'Angleterre et de la Russie renforça l'isolement diplomatique
de l'Espagne. Une nervosité certaine saisit alors la presse et les sphères
dirigeantes du royaume ibérique. Ainsi fut brisée net une tentative du Comité international
d'organiser, avec Lantier et l'abbé Breuil, un cycle
de conférences en Estrémadure et dans la région cantabrique. Le gouvernement
d'Eduardo Dato avait donné de fermes instructions aux
gouverneurs de provinces afin que fĂ»t interdite toute manifestation contraire Ă
la neutralité du pays. Ce revirement italien devait favoriser l'opération
franco-britannique, lancée deux mois auparavant contre les défenses turques du
détroit des Dardanelles. [...] Malgré un ultime effort à la mi-juin, les alliés
furent bloqués. La propagande allemande en tira profit dans les pays neutres :
une victoire, même défensive, était la meilleure publicité possible, mais
l'organisation germanique ne relâchait pas ses efforts. Léon Geoffray demanda, sans grande conviction, des crédits de
propagande supplémentaires à Pierre de Margerie, directeur des Affaires
politiques au Quai d'Orsay. La propagande française "marchait" bien, mais elle avait
besoin d'être singulièrement "étoffée". [...] Le 21 février 1916, à quelques kilomètres au nord de
Verdun, les forces allemandes se lancèrent à l'assaut des fortifications
françaises. Sur un front restreint, un nouvel épisode de la guerre allait être
gravé en lettres de sang... "Les Espagnols sont excités par Verdun ; la
guerre redevient intéressante pour eux". Les "poilus"
résistaient malgré le déluge d'artillerie sur eux déversé. Deux semaines plus
tard, le Portugal entrait en guerre aux côtés des Alliés. L'isolement était,
désormais, total. Paradoxalement, pour le souverain espagnol, cette ultime
défection favorisait ses desseins de médiation en vue d'établir une paix
acceptable pour tous les belligérants. Comme à Verdun, il fallait donc
résister... mais par la propagande. Une commission parlementaire attira
l'attention du gouvernement sur la nécessité d'agir plus activement sur le
"front" de la neutralité espagnole, en augmentant, à Madrid, crédits
et personnels. Avec près d'une année et demie de retard, une véritable
organisation "à l'allemande" allait, enfin, être installée au sud des
Pyrénées |