Mazzini

Mazzini

 

V, 28

 

1872-1873

 

Le bras pendu & la jambe liée,

Visage pasle, au sien poignard caché,

Trois qui seront jurés de la meslée,

Au grand de Gennes sera le fer lasché.

 

"Grand de Gennes"

 

Giuseppe Mazzini, né le 22 juin 1805 à Gênes et mort le 10 mars 1872 à Pise, est un révolutionnaire et patriote italien, fervent républicain et combattant pour la réalisation de l'unité italienne. Avec Giuseppe Garibaldi, Victor-Emmanuel II et Camillo Cavour, il est considéré comme l'un des «pères de la patrie» (fr.wikipedia.org - Giuseppe Mazzini).

 

Carbonari

 

Mot Ă  mot : trois conjurĂ©s, dont les noms, mĂŞlĂ©s avec d'autres (de la meslee), auront Ă©tĂ© tirĂ©s au sort par leurs complices (Anatole le Pelletier, Les Oracles de M. de Nostredame, Tome 1, 1867 - books.google.fr).

 

On pense naturellement au Triumvirat qui dirigeait les Carbonari italiens : cf. quatrain V, 7.

 

En 1827, Mazzini est membre des carbonari dont il devient, en 1830, un véritable dirigeant. Il est poursuivi par la police piémontaise pour ses idées et ses activités, ce qui lui vaut d'être emprisonné à Savone, la même année. N'étant pas en mesure de prouver sa culpabilité, la police de Savoie le contraint à choisir entre la résidence surveillée dans une petite ville du Piémont ou l'exil. Mazzini préfère affronter l'exil et en février 1831, il part en Suisse, puis à Lyon et enfin à Marseille où il entre en contact avec les groupes de Philippe Buonarroti et avec le mouvement saint-simonien alors diffus en France. Il commence une analyse de l'échec des émeutes dans les duchés et les légations pontificales de 1831 et pense que les groupes carbonari ont échoué surtout en raison de la contradiction de leurs programmes et l'hétérogénéité de la classe qui en fait partie et qu'il n'avait pas été possible de réaliser une amplification du mouvement insurrectionnel en raison de l'étroitesse des projets politiques des différentes provinces, il en avait été ainsi lors des émeutes de Turin de 1821 quand les tentatives de fraternisation avec les Lombards avaient échoué. Enfin il fallait renoncer, comme en 1821, à rechercher l'appui des princes et, comme dans les émeutes de 1830-1831, l'aide des Français.

 

Mazzini organise en 1831 un mouvement politique appelé Giovine Italia inspiré par le socialisme et qui s'appuie sur la jeunesse. Il prend une orientation prophético-religieuse, la devise de l'association est «Dieu et peuple». Son but est l'union des États italiens en une seule république avec un gouvernement central comme la seule condition possible pour la libération du peuple italien des envahisseurs étrangers (fr.wikipedia.org - Giuseppe Mazzini).

 

"Visage pasle"

 

Mazzini a participĂ© et soutenu tous les mouvements insurrectionnels en Italie qui se sont avĂ©rĂ©s pour leur grande majoritĂ© des Ă©checs mais son action a eu pour effet d'Ă©branler les petits États de la pĂ©ninsule et d'inquiĂ©ter les plus grands comme le Royaume de Sardaigne, puis le Royaume d'Italie Ă  partir de 1861, la France et l'Empire d'Autriche dont Metternich, Premier ministre autrichien, dit de lui : «J'ai dĂ» lutter avec le plus grand des soldats, NapolĂ©on. Je suis arrivĂ© Ă  mettre d'accord entre eux les empereurs, les rois et les papes. Personne ne m'a donnĂ© plus de tracas qu'un brigand italien : maigre, pâle, en haillons, mais Ă©loquent comme la tempĂŞte, brĂ»lant comme un apĂ´tre, rusĂ© comme un voleur, dĂ©sinvolte comme un comĂ©dien, infatigable comme un amant, qui a pour nom : Giuseppe Mazzini» (fr.wikipedia.org - Giuseppe Mazzini).

 

"poignard"

 

Si les Carbonari organisaient des attentats contre leurs adversaires politiques, l'inverse se produisait aussi. Mazzini fut visé par une tentative d'assassinat par les services de Napoléon III dans les années 1860 (Paul Gérin, La Police impériale, 1875 - books.google.fr).

 

Au début de 1833, Mazzini organise sa première insurrection qui a comme foyers révolutionnaires Chambéry, Turin, Alexandrie et Gênes. Il envisage l'assassinat de roi Charles-Albert et compte sur une vaste adhésion de l'armée. Mais avant même le début du soulèvement, la police des Savoie, en raison d'une rixe survenue entre les soldats de Savoie, découvre et arrête plusieurs des conjurés qui sont durement poursuivis car la loyauté de l'armée envers Charles-Albert est le fondement de la sécurité de son pouvoir (fr.wikipedia.org - Giuseppe Mazzini).

 

Mazzini connaissait Pianori et Orsini qui attentèrent à la vie de Napoléon III. On l'accuse d'avoir commandité l'assassinat du duc de Parme Charles III (Jean-Yves Frétigné, Giuseppe Mazzini, Père de l'unité italienne, 2006 - books.google.fr).

 

Entre Nubius et Mazzini telle Ă©tait donc la diffĂ©rence : Mazzini, rĂ©publicain et unitaire, voulait procĂ©der par les prises d'armes, les agitations et le poignard; Nubius, pour qui la machine constitutionnelle n'est qu'une machine de guerre contre l'Église, peut-ĂŞtre seulement un devant de cheminĂ©e pour masquer le feu qui couve, Nubius, veut par des voies souterraines, mener la mine jusque sous la Chaire de Pierre et la faire sauter. Qu'on l'entende encore dĂ©velopper son plan de grand capitaine : "Le catholicisme, dit-il, n'a pas plus peur d'un stylet bien acĂ©rĂ© que les monarchies, mais ces deux bases de l'ordre social peuvent crouler sous la corruption; ne nous lassons donc jamais de corrompre. Tertullien disait avec raison que le sang des martyrs enfantait des chrĂ©tiens. Il est dĂ©cidĂ© dans nos conseils que nous ne voulons plus de chrĂ©tiens" (Joseph Épiphane Darras, Histoire de l'Église, Tome 4, 1886 - books.google.fr).

 

"Mort"

 

Le 7 février 1872, Mazzini réussit à venir sous le faux nom de Giorgio Brown à Pise. Malade depuis quelque temps, il vit caché dans la maison de Pellegrino Rosselli jusqu'au jour de sa mort, le 10 mars alors que police du Royaume d'Italie est sur le point de l'arrêter à nouveau. La nouvelle de sa mort se répand rapidement, bouleversant l'Italie. Le lendemain de sa mort, le Parlement approuve à l'unanimité un ordre du jour de condoléances mais aucun parlementaire ne prend la parole dans la crainte de mettre Victor-Emmanuel II et le gouvernement dans l'embarras. Son corps est embaumé par le scientifique Paolo Gorini, accouru spécialement de Lodi. Une foule immense assiste aux funérailles qui se tiennent l'après-midi du 14 mars dans la ville toscane, et accompagne le cercueil vers le train à destination de Gênes où il est enterré au cimetière de Staglieno (fr.wikipedia.org - Giuseppe Mazzini).

 

"bras" et "jambe" : la machine angélique

 

Victor Hugo portera un jugement accablant sur la situation dans le royaume de Naples en 1860 : «Le royaume de Naples [...] n'a qu’une institution, la police. Chaque district a sa «Commission de bastonnade». Deux sbires, Ajossa et Maniscalco, règnent sous le roi ; Ajossa bâtonne Naples, Maniscalco bâtonne la Sicile. Mais le bâton n'est que le moyen turc ; ce gouvernement a de plus le procĂ©dĂ© de l'inquisition, la torture. Oui la torture. Ecoutez. Un sbire, Bruno, attache les accusĂ©s la tĂŞte entre les jambes jusqu'Ă  ce qu'ils avouent. Un autre sbire, Pontillo, les assied sur un gril et allume du feu dessous ; cela s'appelle le «fauteuil ardent». Un autre sbire, Luigi Maniscalco parent du chef, a inventĂ© un instrument ; on y introduit le bras ou la jambe du patient, on tourne un Ă©crou, et le membre est broyĂ© ; cela se nomme la «machine angĂ©lique». Un autre suspend un homme Ă  deux anneaux par les bras Ă  un mur, par les pieds au mur de face ; cela fait, il saute sur l'homme et le disloque. Il y a les poucettes qui Ă©crasent les doigts de la main : il y a le tourniquet serre-tĂŞte, cercle de fer comprimĂ© par une vis, qui fait sortir et presque jaillir les yeux. Quelquefois on Ă©chappe ; un homme, Casimiro Arsimano, s'est enfui ; sa femme, ses fils et ses filles ont Ă©tĂ© pris et assis Ă  sa place sur le fauteuil ardent. [...] Messieurs, il y a un jeune homme de vingt ans qui fait ces choses-lĂ . Ce jeune homme s’appelle François II. Cela se passe au pays de Tibère.[... ] Il fallait dĂ©livrer ce peuple ; je dirais presque il fallait dĂ©livrer ce roi. Garibaldi s'en est chargé»( Victor Hugo, Discours du 14 juin 1860 au meeting de Jersey pour Garibaldi et l'Italie, (s.l.n.d.), pp. 1-2) (Marx, Engels, Sur l'expĂ©dition des Mille en 1860, traduit par Georges Saro - chroniquesitaliennes.univ-paris3.fr).

 

Acrostiche : LVTA, luta

 

"luta" pluriel de "lutum", boue (Gaffiot).

 

Mazzini. Mort Ă  temps, s'il est mort : car il a jouĂ© plus d'une fois au petit bonhomme vit encore, ce grand bonhomme de la DĂ©mocratie; mais, s'il est rĂ©ellement et dĂ©cidĂ©ment mort, bĂŞte et venin, il a bien choisi son moment pour disparaĂ®tre. Il n'Ă©tait qu'en retard d'un cercueil ; mais, au fond, il Ă©tait dĂ©jĂ  mort, mort sur pied. Ce Vieux d'une Montagne qu'on ne gravissait plus ; cette idole d'une DĂ©mocratie athĂ©e maintenant Ă  tous les genres de dieux, ce tranquille Jupin, non plus assemble-nuages, mais assemble-assassinats, qui trĂ´nait lĂ -bas, dans sa brume anglaise, favorable Ă  tous les coquins, et qui, comme OEnone dans l'oreille de Phèdre, soufflait le crime dans l'oreille des peuples, mais prudemment, lui ! avec une sarbacane de longueur, Ă©tait tombĂ© Ă  l'Ă©tat de vieille idole Ă©gyptienne, aux mains sur les genoux, gardant pour ses besoins personnels ses petits papyrus, qu'il lançait autrefois dans l'espace; momifiĂ©, momie, n'ayant plus droit qu'au coup de chapeau Ă  l'enterrement qui passe, - et on le lui donne en ce moment, — et tout cela depuis quel temps, Ă” DĂ©mocratie ?... Depuis qu'Ă  la place du poignard qui fait trop peu de besogne Ă  la fois et qui expose son homme, nous avons le pĂ©trole fait pour la main des femmes et les pelotons d'exĂ©cution Ă  l'heure, comme des fiacres ! Ce Damoclès de rois, dont l'Ă©pĂ©e ne tomba sur le front de personne, Mazzini, fut longtemps sinistre, et c'est bien quelque chose. On raconte prĂ©sentement Ă  sa gloire qu'un jour il Ă©pouvanta ce hĂ©ros Ă  lunettes, le sieur Cavour, tremblant Ă  sa vue, sur les jambes, comme un cheval effrayĂ© : beau spectacle ! Mazzini eut l'honneur d'ĂŞtre le lièvre terrible de cette grenouille Ă©pouvantĂ©e. Et pourtant, pour les hommes d'action, pour les hommes poilus, il n'Ă©tait — lâchons tout ! qu'un blagueur. Il n'aurait pas beaucoup pesĂ© dans la main d'un Corse, d'un de ces Corses qui cuirassaient l'Empereur contre les savetiers du poignard. Oh ! pour blaguer, il blaguait très bien, — et majestueusement, avec des airs d'encyclique, volĂ©s Ă  l'Église, en sa qualitĂ© d'Italien ; mais le pĂ©trole et les pelotons d'exĂ©cution ne sont pas des blagues. Et voilĂ  ce qui a tuĂ© Mazzini, ce fainĂ©ant du poignard, sans avoir cu besoin de le passer par les armes. Pauvre Mazzini, exĂ©cutĂ©, du coup, comme un archevĂŞque ou comme un bourgeois ! VoilĂ  ce qui a dĂ©trĂ´nĂ© et jetĂ© au rancart, sans cĂ©rĂ©monie, cette vieille guenille de roi et de pape dĂ©mocratiques ; car il a Ă©tĂ© pape et roi Ă  sa manière, dans le carnaval politique contemporain, cet avocat, qui, pendant quarante ans, Ă” Betise humaine ! es-tu assez plate ! s'est assis insolemment sur l'opinion publique comme sur sa mule et qui l'a fait aller sous lui ! Et cependant, abominablement mĂ©diocre, quoique abominablement pervers, ce n'est pas il faut le reconnaĂ®tre le premier ou le dernier goujat venu, que Mazzini. Malheureusement pour lui, hĂ©las ! ce n'est pas un goujat. Il est, après tout, au milieu des siens, et quand on le compare, un monsieur. Il est quelqu'un, un aristo, pour parler comme elles, insupportable Ă  toutes les canailles, dans un temps donnĂ©, et ce temps est venu. Les lacs de fange ne permettent pas qu'on soit un obĂ©lisque, mĂŞme de boue. Les canailles, ces Mazzini multiples, qui ne conseillent pas l'assassinat de loin, mais le rĂ©alisent de près, ne souffrent pas de Mazzini seul : pas plus de Mazzini solitaire que de pouvoir unitaire ; car l'unitĂ©, c'est ce qui fait le plus d'horreur Ă  ces multiplicitĂ©s effroyables ; et elles ont raison, puisqu'elles sont le nombre, acĂ©phale, brutal, Ă©touffant. Pour elles, il faut ĂŞtre comme elles, la bĂŞte aux mille pieds. Les canailles, ces intĂ©ressantes soeurs cadettes de la DĂ©mocratie, et qui ne veulent, pardieu ! pas de droit d'aĂ®nesse, les canailles, ces monstres anonymes qui ne s'appellent pas plus Mazzini que Robespierre, et qui ne sont personne, n'entendent, sous aucun prĂ©texte, qu'on soit quelqu'un, le plus mince, le plus maigre quelqu'un, fĂ»t-ce Robinson dans son Ă®le, et sans Vendredi ! Ces ĂŞtres sans tĂŞte qui ont coupĂ© la tĂŞte aux rois pour les rendre Ă©gaux Ă  elles, - et je le comprends, c'Ă©taient des ogres qui mangeaient tout ! — ne respectent pas davantage celle du plus Petit Poucet parmi tous les Petits Poucets ! Tarquin dĂ©capitait les pavots ; elles dĂ©capiteraient les pissenlits. La DĂ©mocratie, la niaise aĂ®nĂ©e, croyait Mazzini un colosse. Gobe-mouche, qui a avalĂ© cette montagne comme une hostie, et, comme une pierre, l'a gardĂ©e sur son gĂ©sier d'autruche. Mais les spirituelles soeurs cadettes, ces canailles auxquelles, si Dieu ne s'en mĂŞle, appartient l'avenir, ont, Ă  la lueur de leur pĂ©trole, montrĂ© l'insignifiance de proportions et l'impertinence de cette ombre de grand homme, la bouffonne terreur de Cavour ! Et elles l'ont effacĂ© en l'Ă©clairant. 17 mars 1872 (Jules Barbey d'Aurevilly, Dernières polĂ©miques, 1891 - books.google.fr).

 

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