Conspiration contre le pape Pie IV

Projet de restitution du Royaume de Naples et Sicile

Conspiration contre le pape Pie IV

 

I, 11

 

1565-1566

 

Le mouvement de sens, coeur, pieds & mains,

Seront d'accord Naples, LĂ©on., Sicille

Glaives, feux, eaux puis aux nobles Romains,

Plongez, tuez, morts par cerveau debile.

 

"Leon." : le point après le mot indique une abréviation, ce qui donne à penser qu'il s'agit de Leontini en Sicile, aujourd'hui Lentini, ville modeste située à mi-chemin entre Catane et Syracuse (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - www.google.fr/books/edition).

 

Gorgias de Leontini

 

Gorgias naquit dans les premières années du ve siècle avant J.-C., à Léontini, petite ville sicilienne située non loin de Syracuse, qui tint presque constamment dans sa dépendance cette faible voisine. Le jeune homme quitta cette étroite patrie; il n'y aurait trouvé ni assez de ressources pour former son talent, ni assez d'occasions de le faire briller. Ce fut dans les grandes cités de la Sicile qu'il alla chercher d'abord des maîtres, puis bientôt un auditoire et de fructueux applaudissemens. Comme nous l'attestent des témoignages dont quelques-uns sont presque contemporains, il fréquenta Empédocle à Agrigente et Tisias à Syracuse. Tisias n'était qu'un avocat et un rhéteur, tandis que dans Empédocle l'antiquité a surtout admiré un philosophe, rival de Pythagore, d'Héraclite et de Parménide, l'auteur d'un poème sur la nature, que Lucrèce a souvent imité, et dont il parle avec enthousiasme. Dès le premier jour, Gorgias subit ainsi une double influence; en lui vinrent se réunir deux courans qui jusqu'alors avaient coulé chacun de leur côté, et qui devaient ensuite séparer leurs eaux pour ne plus se rejoindre. [...]

 

Le dialogue platonicien qui porte le nom de Gorgias avait fait de ce personnage le reprĂ©sentant et le patron mĂŞme de la rhĂ©torique; on en a conclu sans autre examen que, si EmpĂ©docle avait enseignĂ© quelque chose Ă  Gorgias, ce ne pouvait ĂŞtre que la rhĂ©torique. On aurait dĂ» pourtant faire une observation, c'est que dans un passage du dialogue oĂą Gorgias, selon Diogène LaĂ«rte, tĂ©moignait de ses rapports avec EmpĂ©docle, il est question non pas de rhĂ©torique, mais d'opĂ©rations magiques auxquelles le disciple aurait assistĂ© près du maĂ®tre EmpĂ©docle exerça donc sur la forme du talent de Gorgias une influence rĂ©elle et durable; au fond, il y avait entre ces deux esprits bien plus de diffĂ©rences que de rapports. Gorgias n'avait pas la sainte curiositĂ©, la passion du vrai. Son but, c'Ă©tait le succès, sa vĂ©ritable vocation, la rhĂ©torique. Le maĂ®tre dont il relève surtout, dont il fut le brillant successeur, c'est Tisias. Eut-il, comme celui-ci, sa pĂ©riode d'activitĂ© pratique, fut-il avocat et orateur politique ? C'est ce que nous ignorons. Ce qui est certain, c'est que, vers le commencement de la guerre du PĂ©loponnèse, Gorgias jouissait dĂ©jĂ  en Sicile d'une grande rĂ©putation. En 427, les LĂ©ontins, serrĂ©s de près par leurs puissans voisins de Syracuse, se dĂ©cidèrent Ă  implorer le secours d'Athènes, qui avait dĂ©jĂ  plusieurs fois laissĂ© percer le dĂ©sir d'intervenir dans les affaires de la Sicile. Gorgias consentit Ă  couvrir ses concitoyens du prestige de son talent; il fut placĂ© Ă  la tĂŞte des envoyĂ©s qui partirent pour Athènes. On obtint l'envoi d'une escadre commandĂ©e par LachĂ©s, et chargĂ©e de soutenir les Ioniens de Sicile; mais le moment n'Ă©tait pas encore venu oĂą Athènes devait s'engager dans une lutte Ă  fond contre Syracuse et les citĂ©s doriennes : on se borna de part et d'autre Ă  une petite guerre assez mollement conduite et mĂŞlĂ©e de nĂ©gociations. L'importance de cette ambassade est ailleurs : ce fut un vĂ©ritable Ă©vĂ©nement littĂ©raire. Par l'impression qu'elle fit et les souvenirs qu'elle laissa, elle peut se comparer Ă  la mission que remplirent Ă  Rome, du temps de Caton, en l'annĂ©e 156 avant notre ère, le stoĂŻcien Diogène, le pĂ©ripatĂ©ticien Critolaos et l'acadĂ©micien CarnĂ©ade. Ce que CarnĂ©ade et ses collègues reprĂ©sentèrent Ă  Rome, ce fut bien plutĂ´t la philosophie grecque que les chĂ©tifs intĂ©rĂŞts d'Athènes dans une mesquine querelle de frontière; de mĂŞme ce que Gorgias vint apporter Ă  Athènes, ce fut moins une politique et une alliance que le goĂ»t de la nouvelle Ă©loquence sicilienne (Georges Perrot, Les Sophistes grecs, Revue des deux mondes, 1870 - books.google.fr).

 

Ce sont ces concetti et ces jeux qu'il prĂ©tend ironiquement avoir appris chez les sophistes, que ThĂ©ophraste et Denys d'Halicarnasse traiteront d'enfantillages d'adolescents et oĂą ils verront une dĂ©froque théâtrale. Ce style par sa source a un point commun avec les origines intellectuelles de Rome. Gorgias procède d'HĂ©raclite. HĂ©raclite, puissant esprit, maitre original, a vu partout dans le monde l'opposition du rĂ©el et du phĂ©nomène et l'a traduite en antithèses. A Rome, l'antithèse obsĂ©dait la vie publique et la vie privĂ©e  par le jeu des institutions et par la condition des personnes ; sur le comitium et sur le forum se mouvaient de perpĂ©tuelles antithèses. LĂ  le moule de la pensĂ©e se trouvait dessinĂ© par la vie pratique, tandis que dans l'esprit d'HĂ©raclite, il s'Ă©tait formĂ© par une conception philosophique de l'univers : philosophie en Grèce, droit et vie publique Ă  Rome. Mais l'antithèse n'avait pas conduit l'ÉphĂ©sien au delĂ  de ces rencontres sonores que rendaient fatales les flexions de la langue grecque. Si EmpĂ©docle d'Agrigente et Gorgias de Leontini ont subi l'influence d'HĂ©raclite, ils ont dĂ©veloppĂ©, Gorgias surtout, le germe pris Ă  son Ĺ“uvre. Les jeux de mots, les balancements de membres, les Ă©chos, toutes ces figures fondĂ©es sur le parallĂ©lisme, et qu'Aristote dĂ©signe encore par le nom gĂ©nĂ©rique d'Ă©galitĂ©s, loa, constituent une technique que nous avons le droit d'appeler sicilienne. La langue spirituelle et subtile des Siciliens Ă©tait proverbiale. Gorgias a cĂ©dĂ© Ă  un penchant hĂ©rĂ©ditaire en crĂ©ant sa prose Ă  facettes. Faut-il penser que ce style a passĂ© de Sicile en Italie ? Nous n'en avons aucune preuve. Au contraire, les faits connus sont peu conciliables avec cette hypothèse. Livius Andronicus, que ses origines pourraient dĂ©signer comme un intermĂ©diaire naturel entre la Grèce et Rome, est, de tous les vieux auteurs, celui qui parait le moins cultiver ce genre de style. Sa traduction de l'OdyssĂ©e en parait mĂŞme complètement exempte. NĂ©vius et Plaute l'ont, au contraire, pratiquĂ©. Mais NĂ©vius est un Latin de Campanie, Plaute, un Ombrien. Sans doute, les rhĂ©teurs grecs ont ouvert des Ă©coles Ă  Rome ; le sĂ©nat dĂ©cida leur fermeture en 593/161. Mais Plaute Ă©tait mort depuis vingt-trois ans, NĂ©vius depuis quarante ans. Il est peu vraisemblable que, dans leur jeunesse, ils aient eu le temps de frĂ©quenter ces Ă©coles. Il est presque certain, d'ailleurs, qu'elles n'existaient pas encore Ă  cette Ă©poque ; car leur fondation n'Ă©tait sans doute pas ancienne quand on a voulu les fermer. Enfin ce ne sont pas seulement des poètes qui sont familiarisĂ©s avec les ressources du style rĂ©glĂ©. Les auteurs de prières n'avaient pas entendu les leçons de rhĂ©teurs grecs. Les procĂ©dĂ©s du carmen ne sont pas exactement comparables avec les figures de Gorgias. Il n'y a pas que l'allitĂ©ration qui soit originale en latin. On peut en dire autant de la synonymie. En grec, elle est un moyen d'expression entre beaucoup d'autres, et dĂ©jĂ  dans Homère. A Rome, elle est un procĂ©dĂ© rĂ©gulier, surtout en prose, et dans la prose la plus aride, dans les documents religieux et juridiques. La disposition des mots dans le rĂ©citatif latin est fondĂ©e sur leur association, association de sens ou association de fonction syntactique. La phrase rapproche les mots qui se construisent ensemble. Cela n'est pas seulement l'effet de la symĂ©trie, tous les procĂ©dĂ©s employĂ©s concourent Ă  ce rĂ©sultat. Nous avons vu cependant Ennius sĂ©parer dans son invocation aux Muses pedibus de pulsatis, qu'attire l'allitĂ©ration : «Musae quae pedibus magnum pulsatis Olympum.» Il obĂ©it ici Ă  un principe Ă©tranger au carmen italique, Ă  un principe plutĂ´t contraire, qui parait empruntĂ© aux poètes grecs, la dissociation des mots qui s'appellent, dĂ©jĂ  pratiquĂ©e par Homère : "Mega pasin erkos achaioisin" oĂą se trouve le mĂŞme entrecroisement que dans pedibus magnum pulsatis Olympum. Mais cette dissociation est une des règles de la prose de Gorgias Cette phrase a autant de jeux de mots que pourrait dĂ©sirer un Italien, mais les mots qui se font Ă©cho ou s'appellent sont soigneusement sĂ©parĂ©s. Le principe de Gorgias est l'opposĂ© du principe qui règle de carmen. Il n'est appliquĂ© par les prosateurs latins qu'Ă  l'Ă©poque impĂ©riale, sous l'influence du style poĂ©tique. Dans l'arrangement des membres symĂ©triques de la phrase, un autre principe de Gorgias est le nombre des syllabes. Celui des Romains est le nombre des mots. Gorgias interrompt la succession des incises Ă©gales par une incise qui a plus ou moins de syllabes que les autres. C'est le "parison", destinĂ© Ă  produire un effet, amener une pause, Ă©viter la monotonie. Les Romains usent aussi du membre inĂ©gal, mais il est plus court ou plus long d'un ou de plusieurs mots ; ainsi la triple synonymie prohibessis defendas auerruncesque au milieu de membres binaires. La diffĂ©rence des principes marque celle des langues. En grec, quelques syllabes chantĂ©es, les toniques dessinaient une mĂ©lodie plutĂ´t qu'un rythme. En latin, le mot Ă©tait un Ă©lĂ©ment parfaitement dĂ©fini, grâce Ă  l'intensitĂ© qui frappait l'initiale. Peut-ĂŞtre aussi faudrait-il faire la place Ă  un instinct qui, chez tous les peuples, soumet au mĂŞme balancement les formules du  folk-lore. Tandis que les Grecs ont crĂ©Ă© un art indĂ©pendant, Ă  Rome s'est mieux maintenue la continuitĂ© entre les produits spontanĂ©s de la "science du peuple" et les Ĺ“uvres des premiers Ă©crivains. Mais surtout le style du rĂ©citatif latin est un style parlĂ©. Il s'adresse Ă  des auditeurs dont le premier est celui qui parle et qui s'Ă©coute. C'est le style du boniment et de la parade, fait pour le plein air et la gesticulation. MĂŞme Ă  un dieu, l'homme du Midi rĂ©cite un boniment, tout en ayant l'eil sur le compte juste et prĂ©cis. De lĂ , les rĂ©pĂ©titions, les Ă©chos, les alliterations, la symĂ©trie, l'importance du mot, les accumulations de synonymes, la volubilitĂ© de l'expression accommodĂ©e Ă  la volubilitĂ© du dĂ©bit, les jeux et les concetti qui caressent une oreille mĂ©ridionale plus encore qu'ils ne plaisent Ă  la verve italienne (Revue des cours et confĂ©rences, la revue parait tous les jeudis, Volume 24, Partie 1, 1922 - www.google.fr/books/edition).

 

Nous ferons Ă  la thèse de P. Lejay une objection.  Il oublie trop vite la Sicile pour ne parler que de la Grèce. Or est-il interdit de penser que la rhĂ©torique de Gorgias, l'art grec ont consistĂ© prĂ©cisĂ©ment Ă  Ă©purer, Ă  affiner les procĂ©dĂ©s siciliens, excessifs en leur spontanĂ©itĂ© populaire et mĂ©ridionale ? Et en revanche, pourquoi ne pas admettre que les Romains les ont connus et adaptĂ©s aux exigences de leur esprit ? (AndrĂ© Desmouliez, CicĂ©ron et son goĂ»t, essai sur une dĂ©finition d'une esthĂ©tique romaine Ă  la fin de la RĂ©publique, 1976 - www.google.fr/books/edition).

 

Son père, Charmantide de Léontinoi, était orateur. Il avait une sœur, dont on sait seulement qu'elle était la femme d'un nommé Déicrate, et un frère médecin, Hérodicos qu'il ne faut pas confondre avec Hérodicos de Selymbrie. Son frère médecin semble avoir joué un rôle important dans la formation de Gorgias et la genèse de sa pensée : Gorgias l'accompagnait souvent auprès des malades et, lorsqu'ils étaient récalcitrants, parvenait à les convaincre de se laisser soigner, «sans autre art que la rhétorique». Médecine et éloquence constituent justement les deux centres d’intérêt d'Empédocle dont il fut l'élève. C'est durant la 84e olympiade, c'est-à-dire à partir de 444 av. J.-C., qu'il écrivit son Traité du non-être (fr.wikipedia.org - Gorgias).

 

Mouvement des pieds

 

"gorgiase" : ancienne danse (Léopold Favre, Léon Louis Pajot, Georges Jean Mouchet, Dictionnaire historique de l'ancien langage françois de Sainte-Palaye (M. de La Curne de, Jean-Baptiste de La Curne), Volume 6, 1879 - books.google.fr).

 

À propos du sens de la danse, le philosophe portugais déjà cité José Gil écrit pour sa part : La danse construit le plan de mouvement où «l'esprit et le corps ne font qu'un» parce que le mouvement du sens épouse le sens même du mouvement : danser c'est non pas «signifier», «symboliser» ou «indiquer» des significations ou des choses, mais tracer le mouvement grâce auquel tous ces sens prennent naissance. Dans le mouvement dansé, le sens devient action. Mais comme le sens peut être dit de différentes façons, par la parole ou par l'image, par la narrative ou par le geste pur, la danse a recours à ces multiples moyens, les intégrant et les transformant en mouvement. C'est un autre aspect de l'immanence  (Gino Sitson, Santiman et lokans dans le Gwoka, Deux esthétiques musicales inhérentes à l’histoire de la Guadeloupe, 2021 - www.google.fr/books/edition).

 

GYMNASTIQUE MÉDICINALE. (Hist. de la Méd. antiq.) C'était cette partie de la gymnastique qui enseignait la méthode de conserver et rétablir la santé par le moyen de l'exercice. Hérodicus de Lentini, autrefois Léontini, en Sicile, né quelque temps avant Hippocrate et son contemporain, est déclaré par Platon pour être l'inventeur de la gymnastique médicinale, fille de la gymnastique militaire. Hérodicus était médecin, et de plus maître d'une académie où la jeunesse venait s'exercer pour les jeux publics qu'on célébrait en divers lieux de la Grèce avec tant de solennité. Voy. GYMNIQUES (JEUX)

 

Hérodicus ayant remarqué que les jeunes gens qu'il avait sous sa conduite, et qui apprenaient ces exercices, étaient pour l'ordinaire d'une très forte santé, il imputa d'abord ce bonheur au continuel exercice qu'ils faisaient: ensuite il poussa plus loin cette première réflexion qui était fort naturelle, et se persuada qu'on pouvait tirer beaucoup d'autres avantages de l'exercice, si on se proposait uniquement pour but l'acquisition ou la conservation de la santé.

 

Sur ces principes, il laissa la gymnastique militaire et celle des athlètes, pour ne s'attacher qu'à la gymnastique médicinale, et pour donner là-dessus les règles et les préceptes qu'il jugea nécessaires. Nous ne savons pas quelles étaient ces règles; mais il y a de l'apparence qu'elles regardaient d'un côté les différentes sortes d'exercices que l'on pouvait pratiquer pour la santé, et de l'autre les précaution dont il fallait user selon la différence des sexes, des saisons, des maladies, etc. Hérodicus réglait encore sans doute la manière de se nourrir ou de faire abstinence, par rapport aux différents exercices que l'on ferait; en sorte que la gymnastique renfermait la Diététique, cette partie de la Médecine auparavant inconnue, et qui fut depuis très cultivé (Chevalier de Jaucourt, Article «Gymnastique» de L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1757 - agora.qc.ca).

 

Jaucourt semble faire une confusion :

 

Cet Hérodicus, médecin, frère de Gorgias, et comme lui de la ville de Léontium, ne doit pas être confondu avec un autre Hérodicus, sophiste et maître de gymnastique, dont il est question au commencement du Phædrus, et qui était de Selymbria, ville de Thrace (Gorgias, dialogue, 1834 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Hérodicos).

 

L'opinion gĂ©nĂ©rale des Romains est rĂ©sumĂ©e dans Plutarque. Ils pensaient que la gymnastique avait causĂ© la dĂ©cadence des Grecs, que les gymnases et les palestres provoquaient l'oisivetĂ©, la flânerie, les passe-temps inutiles, le dĂ©vergondage des meurs ; qu'au milieu de leurs exercices minutieusement rĂ©glĂ©s, les Grecs avaient dĂ©sappris, sans s'en douter, l'art vĂ©ritable de la guerre, parce qu'ils tenaient plus Ă  ĂŞtre beaux, Ă©lĂ©gants et agiles qu'Ă  ĂŞtre bons fantassins ou bons cavaliers. Il est vrai que les Romains n'avaient pu connaitre les beaux temps de la gymnastique grecque ni la juger Ă  l'Ĺ“uvre comme Ă©lĂ©ment de l'Ă©ducation nationale dans les anciennes rĂ©publiques. Ils oubliaient que c'Ă©taient les pĂ©dotribes du LycĂ©e, du Kynosarges et de l'AcadĂ©mie qui avaient prĂ©parĂ© les hoplites et les admirables cavaliers d'Athènes au Ve et au IVe siècle ; que les mercenaires de l'expĂ©dition des Dix-Mille ainsi que les soldats d'Alexandre avaient tous Ă©tĂ© formĂ©s Ă  l'Ă©cole des vieilles mĂ©thodes. Dans le monde grec pacifiĂ©, l'ancienne gymnastique, qui avait fait jadis ses preuves sur tant de champs de bataille, perdit le caractère utilitaire et patriotique qui eĂ»t pu la faire absoudre aux yeux des Romains. Elle ne servait plus Ă  former des soldats pour la citĂ©. Mais elle Ă©tait devenue, comme de nos jours, une sorte d'hygiène conseillĂ©e par les mĂ©decins contre la surexcitation du système nerveux, destinĂ©e Ă  compenser les effets d'un rĂ©gime trop sĂ©dentaire ou trop intellectuel. Quelques Romains de bonne famille pratiquaient la gymnastique grecque par gout comme Scipion l'Africain. CicĂ©ron et Horace lui demandent uniquement la rĂ©action qui rafraĂ®chit le teint et stimule l'appĂ©tit en activant la circulation, et la dĂ©tente salutaire qui procure un bon sommeil. L'exercice physique devait combiner ses effets thĂ©rapeutiques avec l'usage rationnel des bains et de la "iatraleiptikè". Il n'y avait ni gymnastes ni paidotribes; les hommes âgĂ©s donnaient l'exemple aux plus jeunes ; Caton l'Ancien enseignait lui-mĂŞme la gymnastique Ă  son fils. Quant aux spĂ©cialistes, amateurs de jeux gymniques, candidats Ă  tous les lauriers des grands concours, les Romains les confondaient avec les mimes et les bouffons; sĂ»rement, ils les jugeaient moins amusants. IndiffĂ©rents au cĂ´tĂ© plastique de l'athlĂ©tisme, ils rĂ©prouvaient comme un scandale (flagitium ?) la nuditĂ© complète des habituĂ©s de la palestre et du stade. Le spectacle de la beautĂ©, de la force, de l'adresse, de l'agilitĂ© et des qualitĂ©s corporelles cultivĂ©es pour elles-mĂŞmes ne leur inspirait ni enthousiasme, ni Ă©motions fortes. Il fallait, pour les Ă©mouvoir, l'Ă©talage tragique des grandes douleurs, oĂą leur orgueil trouvait son compte : dĂ©filĂ© de captifs dans les cortèges triomphaux, Ă©gorgement de gladiateurs dans l'amphithéâtre. L'engouement passager de certains empereurs pour les concours gymniques soulevait la rĂ©probation de tous les conservateurs, restĂ©s fidèles aux traditions du vieil esprit romain. Les exercices les plus familiers aux Romains Ă©taient la course, le saut, la lutte, le pugilat simple pratiquĂ© sans cestes, et dont la tradition leur venait probablement des Étrusques, le tir au javelot, le disque, l'Ă©quitation, la natation, le jeu de la balle. Strabon, dĂ©crivant les exercices du Champ de Mars, emploie le mot "gumnozomenĂ´n". Mais il ne semble pas qu'on en doive conclure Ă  la nuditĂ© complète de ceux qui pratiquaient ces exercices, le mot Ă©tant pris dans le sens gĂ©nĂ©ral plutĂ´t que dans le sens Ă©tymologique. Après Auguste et les rĂ©formes sur le recrutement de l'armĂ©e, cette gymnastique cessa d'ĂŞtre un instrument d'Ă©ducation nationale. Elle ne fut plus guère cultivĂ©e que par ceux qui se destinaient spĂ©cialement Ă  la carrière militaire ; les gens du monde ne la pratiquèrent que dans la mesure oĂą l'exigeait leur santĂ©, concurremment avec l'usage des bains. Enfin, la doctrine chrĂ©tienne, en prĂŞchant le mĂ©pris du corps, en proposant l'ascĂ©tisme comme un idĂ©al, acheva la dĂ©cadence des exercices physiques; quant Ă  l'athlĂ©tisme, l'abolition des pompes paĂŻennes lui avait portĂ© le dernier coup (Charles Daremberg, Edmond Saglio, Dictionnaire des antiquitĂ©s grecques et romaines, d'après les textes et les monuments, Tome 2, 1896 - books.google.fr).

 

"cerveau débile"

 

On dit aussi, qu'un homme a le cerveau debile, pour dire, qu'il a l'esprit foible (Le grand Dictionnaire de l'Académie françoise, Tome 1, 1696 - www.google.fr/books/edition).

 

Dans la Lettre à César, on lit "debile cerveau" pour "jeune cerveau" selon la traduction de Pierre Brind'Amour (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - www.google.fr/books/edition).

 

Aussi, sous le rapport de la bienfaisance, les Romains étudiaient les Grecs, mais ne les imitaient pas. Ils jetaient au Tibre les débiles, les invalides, les êtres inutiles, et le mépris de la vie était chez eux au premier rang des vertus. Quelquefois, il est vrai, la politique conseillait des mesures de bonté, et la nature humaine reprenait alors ses instincts de primitive hospitalité qui allaient jusqu'à créer, chez les payens mêmes, des sortes d'infirmeries domestiques appelées valetudinaria (Marius Chaillan, Recherches et documents inédits sur l'Orphanotrophium du pape Grégoire XI à Avignon, 1904 - www.google.fr/books/edition).

 

DAT VENIAM CORVIS, VEXAT CENSURA COLUMBAS.

 

Je hais le coeur pervers, le débile cerveau,

Qui noircit la Colombe & blanchit le Corbeau. (Variétés Morales Et Amusantes, Tirées Des Journaux Anglois, Tome 1, 1784 - books.google.fr, Juvénal, Satire II, traduit par V. Fabre de Narbonne, 1825 - remacle.org).

 

La censure pardonne aux corbeaux et poursuit les colombes. Juvénal (sat. II, v. 63) met ce vers dans la bouche de Lauronie, qui en fait la conclusion d'un énergique plaidoyer en faveur de son sexe, attaqué par les stoïciens (Pierre Larousse, Fleurs latines des dames et des gens du monde: ou, Clef des citations latines que l'on rencontre frequemment dans les ouvrages des écrivains français, 1861 - books.google.fr).

 

La deuxième satire laisse certainement beaucoup à désirer sous le rapport de la clarté comme sous celui du plan, quoi qu'en pensent de savants commentateurs toujours disposés à tout admirer chez leur auteur. Elle est dirigée contre Domitien et l'aristocratie romaine du temps. L'on y attaque évidemment en même temps que Domitien les nobles et les sénateurs de l'époque qui, pour plaire à César, avaient adopté ses meurs. [...] Laronia a raison, est dans son droit quand elle sangle, en plein visage, ces stoïciens de rencontre réclamant contre les autres la sévérité des lois et donnant eux-mêmes l'exemple d'une vie abandonnée aux dernières turpitudes. [...]

 

Le pinceau réaliste de Juvénal reproduit avec une vérité effrayante ces saturnales de la décadence romaine, qui font songer aux nuits de sabbat du moyen âge, ou à certaines mascarades du temps des Valois, de Henri III notamment, telles que nous les a retracées la muse indignée, mais trop libre, du calviniste d’Aubigné. [...]

 

La satire ici n'exagère nullement; elle parle absolument comme l'histoire. Au reste l'exemple, comme toujours, était venu d'en haut. Trente ou quarante ans auparavant, Néron, à bout de crimes et d'abominations, avait osé contracter en face du soleil, en pleine Rome et avec toutes les formalités en usage, une union sans précédent (Auguste Widal, Juvénal et ses satires, études littéraires et morales, 1870 - books.google.fr).

 

Néron, cité dans la Satire VIII, assassina ou empoisonna mère, frère, soeur, épouse, maîtresse, etc. qui fit de plus un poëme sur l'incendie de Troie, et qui, pour mieux peindre ce désastre, fit mettre le feu aux quatre coins de Rome (F. Dubois de Lamolignière, Satires de Juvénal, 1801 - www.google.fr/books/edition).

 

La famille des Flaviens fournit trois Empereurs à Rome, Vespasien et ses deux fils Titus et Domitien. Ce dernier était chauve et il en était si humilié que, s'il entendait reprocher ce défaut à un autre, il prenait l'injure pour lui, et ne manquait pas de s'en venger. Ce "chauve Néron" ("calvo... Neroni", satire IV) signifie que Domitien était un second Néron et qu'il ne différait du premier qu'en ce qu'il était chauve (L.V. Raoul, Satires de Juvénal, 1815 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain IX, 76 et son « Chaulveron Â» qui serait le « chauve NĂ©ron Â», Domitien.

 

"Glaives, feux"

 

La loi PompĂ©ia a Ă©tĂ© portĂ©e l'an 701 de Rome, sous le consulat de PompĂ©e. Le mot parricide, parricidium, est composĂ© de cædes, meurtre, et paris, de son semblable; il signifie le meurtre d'un homme par un homme : il est donc synonyme d'homicide, homicidium, mot venant de hominis cædes ; Parricidium a Ă©tĂ© pris ensuite dans un sens très-restreint : on lui a donnĂ© pour Ă©tymologie patris cædes, meurtre d'un ascendant. Dans la loi PompĂ©ia, on comprend sous la dĂ©nomination de parricide, non-seulement le meurtre du père par un enfant du premier degrĂ©, mais encore celui de la inère , des aĂŻeux, des agnats ou cognats jusqu'au quatrième degrĂ©, du conjoint ou de son ascendant au premier degrĂ©, du patron ou de la patronne, et de l'enfant par sa mère ou par son aĂŻeul maternel. Cette loi ne punit pas le père de famille qui tue son enfant, parce qu'il avait droit de vie et de mort sur les personnes soumises Ă  sa puissance ; mais Constantin le soumet Ă  la peine du parricide. La loi PompĂ©ia punit le plus abominable des crimes par un supplice tout particulier. Celui qui a hâtĂ© la mort, fata properaverit, de l'une des personnes que nous venons de dĂ©signer, qu'il ait commis ce crime ouvertement ou secrètement, ainsi que l'instigateur et le complice, mĂŞme Ă©trangers Ă  la famille naturelle, sont punis de la peine du parricide. Voici en quoi consiste cette peine : «Le criminel ne sera pas frappĂ© d'un glaive; il ne sera pas livrĂ© aux flammes ; il ne subira aucun des supplices ordinaires : il est cousu dans un sac de cuir avec un chien, un coq, une vipère et un singe; ensuite, renfermĂ© dans cette prison Ă©troite et venimeuse, il est jetĂ©, suivant la nature des lieux, dans la mer ou dans un fleuve voisin ; cela, afin qu'il ne jouisse pas de l'usage des Ă©lĂ©ments pendant le temps qu'il lui reste Ă  vivre et que le ciel soit dĂ©robĂ© Ă  ses yeux, et afin que la terre manque Ă  son cadavre.» DĂ©jĂ  du temps de Paul, on n'appliquait plus ce supplice : les parricides Ă©taient brĂ»lĂ©s vifs ou exposĂ©s aux bĂŞtes. Celui qui tue d'autres personnes qui lui sont unies par la cognation ou l'alliance, subit la peine portĂ©e par la loi CornĂ©lia contre les sicaires (Traduction-commentaire des Instituts de Justinien avec le texte latin prĂ©cĂ©dĂ© d'une introduction historique de J.B.C.Picot, 1845 - books.google.fr).

 

Parricide

 

Voyez le mĂŞme exemple citĂ© par l'auteur anonyme de RhĂ©torique Ă  Herennius, liv. I, ch. 14. L'auteur nomme le parricide, le premier qui fut condamnĂ© Ă  Rome, l'an 653 de sa fondation : il s'appelait Malleolus, et avait tuĂ© sa mère. Quintilien donne pour exemple de l'Ă©tat de syllogisme, ou d'analogie, cette question : « La loi condamne Ă  ĂŞtre cousu dans un sac l'homme qui a tuĂ© son père; que faire Ă  un fils qui a tuĂ© sa mère ? » Le supplice Ă©tait le mĂŞme, comme on le voit par la description qu'en fait l'auteur de la RhĂ©torique Ă  Herennius. De mĂŞme, chez nous, le meurtre de la mère est exprimĂ© par le mot parricide (Marcus Tullius Cicero, Ĺ’uvres complètes, Toume 2, 1833 - books.google.fr).

 

La noyade se rencontre dans l'histoire de tous les peuples. Turnus Herdonius d'Aricie, calomniĂ© par Tarquin, «fut, dit Tite-Live (liv. 1, ch. 51), condamnĂ© Ă  pĂ©rir d'un nouveau genre de supplice. On le couvrit d'une claie chargĂ©e de pierres, et on le noya dans les eaux de FĂ©rentina.) «Nos pères, dit CicĂ©ron, ont imaginĂ© un supplice rĂ©servĂ© aux seuls parricides, afin que la rigueur du châtiment dĂ©tournât du crime ceux que la nature ne pourrait retenir dans le devoir. Ils ont voulu qu'ils fussent cousus vivants dans un sac de cuir, et jetĂ©s ainsi dans le Tibre. O sagesse admirable ! ne semblent-ils pas les avoir sĂ©parĂ©s de la nature entière, en leur ravissant Ă  la fois le ciel, le soleil, l'eau et la terre, afin que le monstre qui aurait Ă´tĂ© la vie Ă  l'auteur de ses jours, ne jouit plus d'aucun des Ă©lĂ©ments qui sont regardĂ©s comme le principe de tout ce qui existe ? Ils n'ont pas voulu que les corps des parricides fussent exposĂ©s aux bĂŞtes, dans la crainte que, nourries de cette chair impie, elles ne devinssent elles-mĂŞmes plus fĂ©roces; ni qu'ils fussent jetĂ©s nus dans le Tibre, de peur que, portĂ©s Ă  la mer, ils ne souillassent ses eaux destinĂ©es Ă  purifier toutes les souillures. En un mot, il n'est rien dans la nature d'aussi vil et d'aussi vulgaire, dont ils leur aient laissĂ© aucune jouissance. Qu'y a-t-il, effet, qui soit plus de droit commun, que l'air pour les vivants, la terre pour les morts, la mer pour les corps qui flottent sur les eaux, le rivage pour ceux que les flots ont rejetĂ©s ? Eh bien, ces malheureux achèvent de vivre, sans pouvoir respirer l'air du ciel; ils meurent, et la terre ne touche point leurs os; ils sont agitĂ©s par les vagues, et n'en sont point arrosĂ©s; enfin, rejetĂ©s par la mer, ils ne peuvent, après leur mort, reposer mĂŞme sur les rochers.» (Plaidoyer pour Sextus Roscius, ch. 25 26).

 

L'empereur Justinien, dans ses Institutes publiées en 533, rappelle encore cet antique usage emprunté à la législation des Douze Tables. «Ce ne sera ni par le glaive, ni par le feu, dit-il,

ni par aucune autre peine ordinaire, que le coupable sera puni; mais, cousu dans un sac avec un chien, un coq, une vipère et une guenon, il sera jeté dans la mer ou dans le fleuve voisin, afin que tous les éléments commencent à lui manquer même avant sa mort, que le ciel soit dérobé à ses yeux, et la terre à son cadavre.» (Institut., liv. iv, tit. 18, 6.)

 

On retrouve souvent ce supplice dans notre histoire. Il semble surtout avoir Ă©tĂ© en usage aux quatorzième, quinzième et seizième siècles, souvent pour des dĂ©lits d'une nature assez singulière, comme en fait soi une ordonnance du prĂ©vĂ´t de Paris, publiĂ©e le 25 juin 1493, et dont nous donnons la teneur, parce qu'elle relate un fait assez important et peu connu : «Combien par cy devant ait Ă©tĂ© publiĂ©, criĂ© et ordonnĂ© Ă  son de trompe et cry public par les carrefours de Paris, Ă  ce que aucun n'en pust prĂ©tendre cause d'ignorance, que tous malades de la grosse vĂ©role vuidassent incontinent hors la ville, et s'en allassent les estrangers ez lieux dont ils sont natifs, et les autres vuidassent hors ladile ville sur peine de la bart; nĂ©antmoins, lesdits malades en contempnant lesdits cris, sont retournĂ©s de toutes parts, et conversent, parmi la ville, avec les personnes saines, qui est chose dangereuse pour le peuple et la seigneurerie qui est Ă  prĂ©sent Ă  Paris. L'on enjoint, derechef, de par le roy, et mondit sieur le prĂ©vost de Paris, Ă  tous lesdits malades de ladite maladie, tant hommes que femmes, que incontinent après ce prĂ©sent cry, ils vuident et se dĂ©partent de ladite ville et faubourg de Paris, et s'envoisent lesdits forains faire leur rĂ©sidence ez pays et lieux dont ils sont natifs, et les autres hors ladite ville et faubourgs, sur peine d'estre jetĂ©s en la rivière, s'ils y sont pris le jourd'huy passĂ©, et enjoint-on Ă  lous commissaires, quarteniers et sergents prendre ou faire prendre ceulx qui y seront trouvĂ©s, pour en faire l'exĂ©cution.» (Bibliothèque de poche: CuriositĂ©s des traditions, des moeurs et des lĂ©gendes, Tome 4, 1847 - books.google.fr).

 

Le plus grand nombre des crimes de sang soumis aux tribunaux, avant et immĂ©diatement après la lex Cornelia, sont, on l'a vu, des parricides. La tradition relative Ă  la poena cullei manifeste vigoureusement, par les modalitĂ©s mĂŞmes du supplice, que le parricide est une souillure dont la citĂ© se purifie collectivement, en un rite d'expulsion qui met en cause, rĂ©ellement et symboliquement, l'ensemble de la collectivitĂ©. Mais quels devaient ĂŞtre normalement les formes et les agents de la poursuite ? Peut-on imaginer, Ă  travers quelques textes trop rares et imprĂ©cis, une procĂ©dure d'inquisition ou d'accusation qui permĂ®t d'assurer, sans contradiction majeure par rapport au système de valeurs qui est en cause, une rĂ©pression efficace du crime ? Par quels moyens Ă©chappait-on concrètement Ă  la rĂ©action vindicatoire des parents ? Comment la citĂ© gardait-elle l'initiative de l'action publique ? Nous sommes mal renseignĂ©s sur le rĂ©gime du parricidium avant l'introduction des quaestiones. Les sources s'efforcent de faire accroire que ce type de forfait est d'apparition toute rĂ©cente. Seule la peine du sac intĂ©resse les antiquaires et les annalistes : rien ne nous est dit de la procĂ©dure. Mais nous savons que ce supplice Ă©tait censĂ© s'appliquer aux sacrilèges, et que la trahison ou les crimes d'Ă©tat pouvaient donner lieu Ă  des executions comparables, avec mise Ă  mort par noyade dans les eaux du Tibre (Yan Thomas, Parricidium, MEFRA, Volume 93, Partie 2, École française de Rome, 1981 - www.google.fr/books/edition).

 

Depuis 1565 oĂą, dans ses Castigationes, Joseph Scaliger corrigea parrici quæstores en parricidi quæstores au texte de Paul Diacre, toute la tradition savante a suivi sans broncher son ornière. La correction ne s'imposait-elle pas au regard, tant du nom donnĂ© Ă  nos questeurs par Pomponius et par le Gaius de Lyde, que du rapport oĂą, visiblement, les parrici quæstores sont mis avec les parricides chez Paul Diacre ? Bien plus, n'Ă©tait-elle pas justifiĂ©e par le tĂ©moignage il est vrai tronquĂ©, mais assez Ă©loquent encore du vieux Festus ? En effet, il y a, dans ce qui nous reste de Festus en dehors de l'abrĂ©gĂ© de Paul Diacre, cet autre texte : Quæstores capitalibus, unde... (environ trente-cinq lettres perdues)... cidi appellantur (Festus, p. 258). Or, il paraĂ®t bien difficile de ne pas admettre avec Scaliger et tous les Ă©diteurs que l'avant-dernier mot Ă©tait (pari) cidi ou (parri) cidi, car Festus conserve la forme ancienne du gĂ©nitif en 7 des substantifs en -iu - s et -iu - m, et il emploie parricidi comme gĂ©nitif deux fois. NĂ©anmoins, je me refuse Ă  croire qu'on soit fondĂ© Ă  en dĂ©duire la correction de parrici quæstores en parrici (di) quæstores. Mon objection est bien simple : une dĂ©nomination ne varie pas dans l'ordre des mots dont elle est faite. Si nos questeurs ont Ă©tĂ© dĂ©nommĂ©s parrici (di) quæstores, ils ne sauraient avoir Ă©tĂ© nommĂ©s quæstores parricidi, pas plus qu'un quartier-maĂ®tre n'a jamais Ă©tĂ© dit en français maĂ®tre-quartier. Surtout, ils ne peuvent l'avoir Ă©tĂ© par le mĂŞme auteur, dans la mĂŞme Ĺ“uvre, comme on impute Ă  Festus de l'avoir fait (Philippe Meylan, L'Ă©tymologie du mot parricide Ă  travers la formule "paricidas esto" de la loi romaine, 1928 - www.google.fr/books/edition).

 

La peine du sac

 

Pour expliquer la célèbre loi attribuée à Numa sur le meurtre, la science contemporaine a prêté généreusement au mot paricidas (parricida) une profusion de significations totalement ignorées des romains, alors que pour ceux-ci le problème se présente avec une parfaite simplicité. À leurs yeux, le paricidas est soit le meurtrier d'un proche, soit le meurtrier en général. Dans les XII Tables (9, 4), le parricidium est le meurtre d'un homme quelconque. Les quaestores parricidi sont le tribunal du meurtre ou peut-être les présidents du jury criminel. Ils mènent l'enquête, comme l'indique leur nom (quaerere). On se serait épargné beaucoup de peine si on avait attribué à paricidas dans la prétendue loi royale une portée correspondant à parricidium dans les XII Tables. «Meurtrier» serait ainsi apparu comme le sens premier, et «meurtrier d'un proche» se serait révélé comme un sens dérivé. D'emblée on aurait mis en harmonie le texte de Numa avec le code décemviral.

 

La peine du sac a longtemps contribuĂ© Ă  obscurcir les choses. On a souvent cherchĂ© Ă  expliquer par elle d'une manière ou d'une autre la loi de Numa. Mais Ă  quel type de paricidas se rapporte-t-elle : au meurtrier d'un proche ou au meurtrier ordinaire ? On a longtemps cru que cette peine Ă©tait d'une manière gĂ©nĂ©rale celle du meurtre. Mais un examen plus attentif du problème a rĂ©vĂ©lĂ© que le culleus Ă©tait rĂ©servĂ© au parricide ou matricide, sans qu'on puisse avec certitude l'Ă©tendre aux autres meurtriers d'un proche. Cette peine originale occupe en droit pĂ©nal une place Ă  part. Elle a moins pour fonction de punir le coupable que l'expulser du monde des vivants, en le noyant dans un sac soit dans le Tibre soit en mer avec l'accompagnement d'animaux qui paraissent infernaux. Il ne s'agit pas tellement de priver le suppliciĂ© de sĂ©pulture que d'empĂŞcher son retour: son spectre ne traversera pas l'eau1. Celui qui tue père ou mère est tenu par les romains plus comme un monstre que comme un dĂ©linquant. Aussi a-t-on raison, de nos jours, d'identifier le rituel de la peine du sac Ă  une procurâtio prodigii. Pareillement les hermaphrodites sont jetĂ©s Ă  la mer. Dans les deux cas, on lave la citĂ© d'une souillure. On discute pour savoir si la peine du sac est archaĂŻque ou d'origine plus rĂ©cente. CicĂ©ron l'attribue aux maiores. D'après une opinion assez rĂ©pandue, on pensait aussi Ă  Rome que ce châtiment avait Ă©tĂ© introduit par une loi, mais on s'abstenait d'indiquer la date et l'auteur6. Cette opinion est sans valeur. Il existait sur le culleus un texte normatif partiellement citĂ© par l’auctor ad Herennium (1, 13, 23) et fort bien connu des grammairiens et antiquaires (Cincius et L. Aelius Stilo). Ce texte sans doute de source pontificale a reçu un surcroĂ®t d'autoritĂ©, lorsqu'il fut promu fallacieusement au rang de loi en vertu du lĂ©galisme rĂ©pandu Ă  la fin de la RĂ©publique. Son origine vraisemblablement sacerdotale plaide pour l'antiquitĂ© de la peine, admise par CicĂ©ron. Mais ce rituel cruel n'atteint que les parricides et ne s'applique pas au meurtrier ordinaire. Vains sont les efforts qui cherchent Ă  sous-entendre ce châtiment d'une manière ou d'une autre dans la loi de Numa. Elle traite du meurtre en gĂ©nĂ©ral, non du parricide (AndrĂ© Magdelain, Paricidas. In: Du châtiment dans la citĂ©. Supplices corporels et peine de mort dans le monde antique. Table ronde de Rome (9-11 novembre 1982) Rome : École Française de Rome, 1984 - www.persee.fr).

 

Noyade dans le Tibre

 

Dans les Cas des nobles hommes et nobles femmes de Boccace, la noyade n'est jamais collective, et la composition de cette scène est définie par sa localisation aux abords du Tibre, près de la roche Tarpéienne. Ce châtiment est volontiers illustré dans l'œuvre de Boccace par la mort de Marcus Manlius Capitolinus, consul romain (Barbara Morel, Une iconographie de la répression judiciaire: le châtiment dans l'enluminure en France du XIIIe au XVe siècle, 2007 - books.google.fr, Marcus Manlius jeté dans le Tibre (Boccace, De casibus virorum illustrium, 1467) - utpictura18.univ-amu.fr).

 

Marcus Manlius, dit parfois Capitolinus est un homme politique romain, consul en 392 av. J.-C. Il devient héros de la République romaine après sa participation à la défense du Capitole contre les Gaulois de Brennus. Cinq ans plus tard, Marcus Manlius cherche à gagner les faveurs de la plèbe, ce qui lui vaut d'être accusé de tenter d'établir une tyrannie. Jugé et reconnu coupable, il est exécuté en étant précipité du haut de la roche Tarpéienne.

 

Marcus Manlius est alors considéré comme un des héros du dévouement à la République romaine, à l'instar d'Horatius Coclès ou encore Caius Mucius Scaevola. Cet épisode mythique est relaté en détail dans le cinquième livre de l'Histoire romaine de Tite-Live. Plus tard, Marcus Manlius, ambitieux, est accusé par le dictateur Camille de vouloir se faire roi, ce qui est considéré comme un acte de haute trahison passible de la peine de mort.

 

La légende de Manlius Capitolinus s'est constituée progressivement sur des bases où l'invention romanesque se mêle au folklore pour se fixer définitivement à l'époque de Sylla, auquel a été assimilé Camille, et Marius, auquel a été assimilé Manlius. L'innovation la plus visible serait l'ironie tragique qui fait se dérouler son exécution sur les lieux mêmes de son exploit. Timothy Peter Wiseman a souligné le parallélisme de ces récits et attribue l'invention de ce motif dramatique à l'historien romain Valerius Antias3. Emprunté à la tragédie grecque, ce motif repose sur la notion récente d'un destin tragique subi sans être connu d'avance (fr.wikipedia.org - Marcus Manlius Capitolinus).

 

Pendant l'ambassade de Gorgias à Atrhènes en -427 : EUCLIDE, archonte d'Athènes ; Marcus Manlius, QUINTUS SULPICIUS PRETEXTATUS et Servius CORNELIUS Cossus, tribuns militaires à Rome (Diodore de Sicile, Bibliotheque historique; traduite du grec par A. F. Miot, Tome 3, 1835 - www.google.fr/books/edition).

 

Marcus Manlius Capitolinus Vulso est un homme politique de la République romaine, peut-être consul ou tribun consulaire en 434 av. J.-C. Il est membre des Manlii Capitolini, branche de la gens Manlia. Il est possible qu'il ait également porté le cognomen de Vulso1. Il est le fils d'un Publius Manlius et son nom complet est Marcus Manlius P.f. Capitolinus Vulso (fr.wikipedia.org - Marcus Manlius Capitolinus (tribun consulaire en -434)).

 

Parricide romain

 

Néron (latin : Imperator Nero Claudius Caesar Augustus Germanicus), né Lucius Domitius Ahenobarbus le 15 décembre 37 à Antium et mort le 9 juin 681 à Rome, est le cinquième et dernier empereur romain de la dynastie julio-claudienne ; il régna de 54 à 68 (apr. J.-C.).

 

En 58, Poppée a assuré sa position de favorite de Néron. Elle lui réclame le mariage. Néanmoins celui-ci ne peut avoir lieu car Néron sait qu'Agrippine lui refusera le divorce avec Octavie pour des raisons politiques et qu'il n'aura pas le soutien de Sénèque dans cette entreprise. Redoutant toujours sa mère bien qu'éloignée, il la fait tuer dans la nuit du 19 au 20 mars 59. Sénèque comprenant la catastrophe que présente sur le plan politique ce matricide tente de convaincre le Sénat qu'Agrippine mettait sur pied une conspiration contre son fils, mais la réputation de l'empereur est irrémédiablement entachée (fr.wikipedia.org - Néron).

 

Ainsi, Ă  en croire Dion Cassius, on avait suspendu de nuit Ă  une des statues de NĂ©ron un sac de cuir pour marquer qu'il mĂ©ritait d'y ĂŞtre enfermĂ© [châtiment rĂ©servĂ© aux parricides]. Un enfant fut exposĂ© sur le Forum avec un Ă©criteau portant ces mots : «Je ne t'Ă©lève pas de peur que tu ne tues ta mère.» On pouvait lire dans divers endroits : «NĂ©ron, Oreste, AlcmĂ©on, meurtriers de leurs mères», et entendre des gens rĂ©pĂ©ter ces seuls mots : «NĂ©ron a tuĂ© sa mère.» (LXI, 16.) (GĂ©rard Walter, NĂ©ron, 1955 - books.google.fr).

 

Par opposition Ă  «NĂ©ron, parricide», considĂ©rons la proposition «NĂ©ron fut un tyran» ; pour ĂŞtre rigoureuse, et vraie, il faut la prĂ©ciser ainsi : «Le comportement de NĂ©ron vis-Ă -vis de l'aristocratie sĂ©natoriale, considĂ©rĂ© du du point de vue de celle-ci et jugĂ© en fonction des normes qu'elle admettait, prĂ©senta les mĂŞmes caractères de cruautĂ© et d'illĂ©galitĂ© que ceux que la tradition dĂ©mocratique grecque des Ve-IVe siècles s'est plu Ă  souligner dans le souvenir qu'elle gardait des tyrannoi du VIe» (Henri-IrĂ©nĂ©e Marrou, De la connaissance historique, 2014 - books.google.fr).

 

Au rapport de Tacite, NĂ©ron força plus de quatre cents sĂ©nateurs, et plus de six cents chevaliers Ă  descendre dans l'arène, et Ă  combattre avec les gladiateurs. C'est Ă  ce sujet que SĂ©nèque dit : On se mĂ©nageait autrefois dans ces sortes de combats, mais aujourd'hui rien de plus sĂ©rieux; ce sont de vrais homicides, quelquefois mĂŞme des assassinats (F. Dubois de Lamolignière, Satires de JuvĂ©nal, 1801 - www.google.fr/books/edition).

 

Rhétorique et parricide

 

Les lieux communs ne contiennent proprement que des avis généraux, qui font ressouvenir ceux qui les consultent, de toutes les faces par lesquelles on peut considérer un sujet : ce qui peut être utile, parce qu'envisageant une matière de tous côtez, on trouve sans doute avec plus de facilité tout ce que l'on en peut dire. [....]

 

Ces lieux communs fournissent sans doute une ample matiere de discourir. Ces considerations differentes font que l'on apperçoit plusieurs preuves : & cette methode pourroit rendre féconds les esprits les plus steriles. Je n'examine pas à present si cette fécondité est louable ou inutile. Selon cette. methode, si on parle contre un parricide, on s'étend sur le parricide en général, & on rapporte ce qui est commun à l'accusé, & à tous les autres parricides : & après on descend aux circonstances du parricide : on en represente la noirceur d'une maniere étenduë, par des définitions, par des descriptions, par des dénombremens. Quelquefois Etymologie du noin de la chose sur laquelle on parle, & les autres noms qui ont liaison avec celui-là, donnent sujet de parler, & font trouver de bonnes preuves. On peut discourir long-temps de l'obligation que les Chrétiens ont de bien vivre, en les faisant ressouvenir du nom qu'ils portent. Les grands discours sont grossis par les similitudes, les dissimilitudes, les comparaisons, qui servent à éclaircir une difficulté, & mettre une verité obscure dans un grand jour. En un mot, quand on veut circonstancier une action, rapporter ce qui l'a précedé, & ce qui s'en est ensuivi, les circonstances qui l'ont accompagnée ce qui l'a causé, ce qu'elle a produit : on laisseroit plûtôt ses Auditeurs, qu'on ne manqueroit de matiere (Bernard Lamy, La rhetorique, ou L'art de parler, 1712 - books.google.fr).

 

Suétone, Nero, 52 : «Il (Néron) toucha, dès son enfance, presqu'à toutes les études libérales, mais il fut détourné de la philosophie par sa mère qui la lui représenta comme nuisible à un futur souverain», trad. H. Ailloud. Tacite, Ann., XIII, 2, n'évoque que l'enseignement rhétorique de Sénèque (praeceptae eloquentiae) auprès de Néron (Anne Gangloff, Pouvoir impérial et vertus philosophiques: L’évolution de la figure du bon prince sous le Haut-Empire, 2018 - books.google.fr).

 

Tyran

 

Lors donc que les morts sont arrivĂ©s devant le juge, par exemple ceux d'Asie devant Rhadamanthe, celui-ci les fait approcher de lui et il examine chaque âme, sans savoir Ă  qui elle appartien ; souvent, mettant la main sur le Grand Roi ou sur quelque autre prince ou dynaste, il constate qu'il n'y a pas une seule partie saine dans son âme, qu'elle est toute lacĂ©rĂ©e et ulcĂ©rĂ©e par les parjures et les injustices dont sa conduite y a chaque fois laissĂ© l'empreinte, que tout y est dĂ©formĂ© par le mensonge et la vanitĂ© et que rien n'y est droit parce qu'elle a vĂ©cu hors de la vĂ©ritĂ©, que la licence et la mollesse, l'orgueil et l'intempĂ©rance de sa conduite l'ont remplie de dĂ©sordre et de laideu ;; Ă  ceite vue, Rhadamante l'envoie aussitĂ´t, dĂ©chue de ses droits, dans la prison, pour y subir les peines appropriĂ©es (Platon, Gorgias, 524 e - 252 a).

 

Les Césars illégitimes de Tacite et de Suétone sont des tyrans impies, des souverains contrenature, irrespectueux de leur famille, cruels et arbitraires, lubriques, agioteurs, avilis par le vin et sujets à la démesure (Christian Biet, Œdipe en monarchie, tragédie et théorie juridique à l'âge classique, 1994 - www.google.fr/books/edition).

 

Platon s'inquiétait de ces hommes de pouvoir dont l'intempérance personnelle fonde la tyrannie politique. Archélaos le tyran évoqué dans le Gorgias, est de ceux-là. Néron et Commode, empereurs, illustreront cet esclavage assorti d'un redoutable pouvoir de nuire.

 

Il n'est pas indifférent de considérer qu'il existe deux registres de servitude. La servitude intérieure, qui fait qu'on n'est pas maître de ses pensées, peut être tantôt cause tantôt effet de la servitude extérieure, qui fait qu'on n'est pas maître de ses actions ni même de sa vie. Cause, quand elle renonce à exiger la liberté qui revient à tout homme, et se fait complice de la condition subie. Effet, quand la lassitude d'une existence asservie tend à briser jusqu'aux ressorts de la conscience et du courage (Henri Pena-Ruiz, Le roman du monde, légendes philosophiques, 2001 - www.google.fr/books/edition).

 

Néron est un personnage clé du Discours de la servitude volontaire. Avatar proverbial de la tyrannie, il est cité par La Boétie pour illustrer de façon hyperbolique les vices des mauvais gouvernants (Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (Prépas scientifiques 2016-2017), 2016 - www.google.fr/books/edition).

 

Platon, dans le Gorgias, fait insister les sophistes, interlocuteurs de Socrate, et en particulier Polos sur la puissance de l'art de la parole : «Les orateurs pareils aux tyrans ne font-ils pas pĂ©rir qui qui ils veulent ? ne dĂ©pouillent-ils pas de sa fortune, ne chassent-ils pas hors des citĂ©s qui ils jugent bon de traiter ainsi ? (Gorgias 466 C) (Jean Capelle, Jean Voilquin, Art rhĂ©torique et Art poĂ©tique d'Aristotle, 1944 - www.google.fr/books/edition, Christelle Reggiani, Initiation Ă  la rhĂ©torique, Initiation, Exercices, Synthèses, 2001 - www.google.fr/books/edition).

 

Parricide philosophique

 

Pour mieux comprendre l'enjeu du traitĂ© De la nature ou TraitĂ© sur le non-ĂŞtre Ă©crit par Gorgias et connu par Sextus Empiricus, il faut tout d'abord Ă©voquer le poème de ParmĂ©nide intitulĂ© De la nature : «Ce qui peut ĂŞtre dit et pensĂ© se doit d'ĂŞtre : car l'ĂŞtre est en effet, mais le nĂ©ant n'est pas». Ainsi pour ParmĂ©nide «l'ĂŞtre est et le non-ĂŞtre n'est pas, de plus, et cela est essentiel, la pensĂ©e est la mĂŞme chose que l’être». Ce sont ces deux affirmations ontologiques que Gorgias va littĂ©ralement annihiler. Cette «destruction ontologique des choses» lui attribuera du mĂŞme coup une rĂ©putation injustifiĂ©e de philosophe nihiliste. La logique a très tĂ´t Ă©tĂ© utilisĂ©e contre elle-mĂŞme, c'est-Ă -dire contre les conditions mĂŞmes du discours : Gorgias l'utilise dans son TraitĂ© du non-ĂŞtre afin de prouver qu'il n'y a pas d'ontologie possible : «ce n'est pas l'ĂŞtre qui est l'objet de nos pensĂ©es» : la vĂ©ritĂ© matĂ©rielle de la logique est ainsi ruinĂ©e. Le langage acquiert ainsi sa propre loi, celle de la logique, indĂ©pendante de la rĂ©alitĂ©. Mais les sophistes ont Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s de l'histoire de la philosophie (sophiste a pris un sens pĂ©joratif), si bien que la logique, dans la comprĂ©hension qu'on en a eue par exemple au Moyen Ă‚ge, est restĂ©e soumise Ă  la pensĂ©e de l'ĂŞtre (fr.wikipedia.org - Gorgias).

 

Platon commence donc par montrer la validitĂ© de l'argumentation de Gorgias, et propose un moyen d'en sortir. La participation permet une dĂ©nivellation qui Ă©vite d'appliquer au non-Ă©tant la double nĂ©gation : «est non Ă©tant» signifie que le non-Ă©tant, et avec lui tout ce qui n'est pas (donc l'un dans l'hypothèse envisagĂ©e), possèdent l'ousia consistant Ă  ne pas ĂŞtre. Étant et non-Ă©tant ne s'opposent plus «en soi», mais seulement comme deux rĂ©sultats, celui d'une nĂ©gation double Ă  celui d'une nĂ©gation simple. Gorgias n'a pas seulement forcĂ© le non-ĂŞtre Ă  ĂŞtre, il a mis de la nĂ©gation dans l'ĂŞtre, et comme on sait, pour Platon, elle y restera. Elle ne sera plus pensĂ©e logiquement, comme contraire de l'affirmation, mais ontologiquement, comme mise en opposition d'une partie de l'autre Ă  l'ĂŞtre. Gorgias logicise le discours ontologique et le fait exploser, Platon n'a plus d'autre solution que d'ontologiser la logique, grâce Ă  la participation et Ă  son analyse de la nĂ©gation (Soph., 257 b 1-c 3) Pourtant, si la participation lève en partie la difficultĂ©, ou plutĂ´t permet d'affirmer possible et sensĂ© ce que Gorgias posait comme logiquement impossible parce que contradictoire, la krisis que Platon effectue entre deux sortes d'ousia ne permet pas de distinguer «être» d'avec «ne pas ĂŞtre», mais seulement «étant» et «non Ă©tant» (qui dĂ©coulent de deux participations diffĂ©rentes). Elle ne permet donc pas de rĂ©futer Gorgias, mais seulement, en le rĂ©pĂ©tant, de montrer que l'absurditĂ© ne vient pas de l'assemblage de deux termes possĂ©dant des significations contraires, mais du fait que l'on ne parvient pas Ă  donner un sens au moins Ă  l'un des deux termes. Ă€ s'en tenir lĂ , cependant, se trouverait consumĂ© l'aspect purement logique, formel, verbal, des arguments de Gorgias, qui n'auraient pour but que de rendre manifeste, de façon Ă©tourdissante, le caractère contradictoire du discours qu'il critique, mais n'aurait pas d'autre signification. Il reviendrait alors Ă  Platon de donner un sens Ă  ce que Gorgias aurait simplement Ă©noncĂ© comme non-sens inĂ©vitable. Pour Gorgias (voir MXG, 979 b 13-24), ce sont les opinions contradictoires des mĂ©tĂ©orologues Ă  propos des Ă©tants (peri tĂ´n ontĂ´n) qui servent de point de dĂ©part Ă  son TraitĂ©. C'est la revue des muthoi racontĂ©s par ses prĂ©dĂ©cesseurs qui, dans le Sophiste, conduit Platon Ă  rĂ©itĂ©rer cette question : «que peuvent-ils bien croire rendre Ă©vident quand ils le disent [l'ĂŞtre] ?», «par ce "ĂŞtre", que devons-nous comprendre de votre part ?», «que pouvez-vous bien signifier toutes les fois que vous profĂ©rez "Ă©tant" ?», «que peuvent-ils bien dire en disant "l'Ă©tant" ?». La diffĂ©rence est que lui rĂ©ussirait Ă  rĂ©pondre Ă  cette question, tout en ayant intĂ©grĂ© la leçon de Gorgias : il est impossible de dĂ©terminer l'ĂŞtre indĂ©pendamment du non-ĂŞtre, de le dĂ©terminer tout seul. De l'Ă©tant pas plus que du non-Ă©tant, on ne peut dire : ou bien il est, ou bien il n'est pas, on peut dire seulement : ni il est, ni il n'est pas (Gorgias), il est en n'Ă©tant pas, il n'est pas en Ă©tant (Platon). L'Ă©tant comme le non-Ă©tant peuvent en effet ĂŞtre tous deux sujets de «est» et «n'est pas». «Est» ne peut servir Ă  les dĂ©partager, pas plus que «n'est pas». Les deux textes contredisent la possibilitĂ© de la krisis parmĂ©nidienne, et ce point a Ă©tĂ© abondamment montrĂ© (le plus fortement par Calogero et par B. Cassin). Le parricide (Sophiste 241d) platonicien accompli dans le Sophiste a, pour antĂ©cĂ©dent celui de ParmĂ©nide par Gorgias. Le parricide propre Ă  Gorgias consiste Ă  Ă©tablir que, si le logos peut argumenter Ă  propos de l'ĂŞtre aussi bien qu'il est et qu'il n'est pas, c'est que rien, dans le mot ou l'idĂ©e d'«être», n'exclut ces hypothèses contradictoires. Si on prĂ©fère, l'ĂŞtre est un terme sans rĂ©fĂ©rence - on ne sait pas plus Ă  quoi rapporter ce mot, ĂŞtre, qu'on ne sait Ă  quoi rapporter le non-ĂŞtre, dit l'Étranger Ă  un moment du Sophiste (250 d-e). Mais c'est en mĂŞme temps le mot qui concentre en lui toute illusion de rĂ©fĂ©rence. L'impossibilitĂ© de dissocier l'ĂŞtre et le non-ĂŞtre signifiait pour Gorgias l'Ă©mancipation du logos, la ruine de l'ontologie (Monique Dixsaut, Platon et la leçon de Gorgias, Platon, source des prĂ©socratiques: exploration, 2002 - books.google.fr).

 

L’âge

 

Gorgias de LĂ©ontinoi est nĂ© Ă  LĂ©ontinoi en Sicile (vers 480 av. J.-C.). NĂ© avant Socrate et mort après que celui-ci fut condamnĂ© Ă  boire la ciguĂ« (399 av. J.-C.), tous les doxographes s'accordent Ă  dire qu'il vĂ©cut très vieux : la plupart avancent l'âge de 108 ans (ce qui correspond exactement Ă  27 Olympiades). Gorgias de LĂ©ontium, arrivĂ© au terme de sa vie, fort avancĂ© en âge, fut pris d'une sorte de faiblesse : il se laissa aller doucement au sommeil et se coucha. Comme un de ses familiers s'Ă©tait approchĂ© et l'examinait en lui demandant ce qu'il avait, Gorgias rĂ©pondit : Le sommeil commence Ă  me prendre sous sa garde, comme un frère (fr.wikipedia.org - Gorgias).

 

Galien rapporte qu’un médecin nommé Antiochus, et un grammairien appelé Téléphus, parvinrent à un âge très-avancé en menant une vie extrêmement frugale et en se livrant habituellement à de légers exercices : Téléphus surtout vécut près de 100 ans. Hérodicus, l'un des précepteurs d'Hippocrate, atteignit aussi 100 ans; son frère Gorgias, surnommé le Rhéteur, parvint jusqu'à 107 ans; enfin le plus grand et le plus modeste des philosophes et des médecins de l'antiquité, le vertueux Hippocrate, poussa son intéressante et honorable carrière jusqu'à 109 ans (Étienne Brunaud, De l'hygiène des gens de lettres ou Essai médico-philosophique, 1819 - books.google.fr).

 

Cf. quatrains I, 49 et I, 51 pour la durée d'un "long siècle" de 107 ans.

 

Langue sicilienne

 

MalgrĂ© leur Ă©loignement de la mère patrie, les Grecs de la Sicile, soit Ioniens, soit Doriens, conservèrent leur langage assez pur de tout mĂ©lange pour avoir produit des Ă©crivains admirĂ©s, mĂŞme Ă  Athènes. Cependant, quelques expressions locales, quelques formes particulières usitĂ©es de prĂ©fĂ©rence en Sicile, n'ont pu Ă©chapper Ă  la critique minutieuse des anciens grammairiens, qui ont mĂŞme cru remarquer dans les dernières tragĂ©dies d'Eschyle quelques traces de son sĂ©jour en Sicile ; mais on aurait tort de supposer qu'il s'Ă©tablit un idiome commun Ă  toutes les villes grecques de cette Ă®le. Chacune y conservait le plus fidèlement possible le dialecte de ses fondateurs ; le dorien Ă  Syracuse, Ă  GĂ©la, Ă  MĂ©gare, Ă  Agrigente, etc.; l'ionien dans les colonies chalcidiennes. Dans quelques-unes, oĂą la population Ă©tait mĂ©langĂ©e, comme Ă  HimĂ©ra, il s'opĂ©ra une fusion. L'admiration que Gorgias de LĂ©ontini excita Ă  Athènes, et la faveur qu'y obtinrent d'autres rhĂ©teurs siciliens, montrent que leur style Ă©tait exempt des expressions Ă©trangères dont les oreilles attiques Ă©taient si aisĂ©ment choquĂ©es. [...]

 

M. Samuel Butler (1774 - 1840), évêque de Lichfield, (Notes sur les Euménides (1809 - 1816), v. 623) croit en trouver aussi des traces dans l'Oreste. Toutefois, par ce mot de sicélisme , il ne faut pas entendre des expressions étrangères, mais des acceptions différentes de celles qui étaient usitées à Athènes (Wladimir Brunet de Presle, Recherches sur les etablissements des grecs en Sicile jusqu'a la reduction de cette ile en province romaine par Wladimir Brunet de Presle, 1845 - books.google.fr).

 

MINERVE : - J'appelle la cause. (Aux Euménides.) Je vous défère la parole. C'est à l'accusateur qu'il appartient de parler le premier, et d'énoncer les faits.

 

LE CHOEUR : - Nous sommes plusieurs ; mais nous parlons brièvement. Toi, (Ă  Oreste ) rĂ©ponds exactement Ă  chaque interrogation. D'abord, est-il vrai que tu ayes tuĂ© la mère ?

 

ORESTE : - Je l'ai tuée; je ne le nie point.

 

LE CHOEUR : - Nous triomphons. Voilà déjà notre athlète tombé une fois.

 

ORESTE : - Vous vous vantez ayant qu'il soit terrassé.

 

Dans les combats de la gymnastique, l'athlète qui avait renversé trois fois son adversaire était réputé vainqueur (Pierre Brumoy, Le théâtre des Grecs: Eschyle : Les Perses ; Agamemnon ; Les choéphores ; Les Euménides ; Les Suppliantes, 1820 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain III, 68.

 

Typologie

 

Le report de 1565 sur la date pivot -427 donne -2419.

 

Après la mort de Salé, fils d'Arphaxad, et avant la naissance de Sarug (Lenglet Du Fresnoy, Tablettes chronologiques de l'hist. univers., sacrée et proph., ecclésiast. et civile, depuis la création du monde, jusqu'à l'an 1762, 1763 - books.google.fr).

 

Cf. la typologie du quatrain III, 68 - Folie de Ferdinand VI d'Espagne avec le parricide Oreste.

 

Gymnastique

 

La peine des galères représente une part importante des condamnations pour meurtres en 1546 et 1565. En 1565, des parricides sont envoyés perpétuellement sur des galères.

 

Des peines semblables sont infligées à des parricides ou fratricide. Je me demande si, obscurément, le Parlement de Bordeaux n'est pas en train de constituer une catégorie spéciale, celle des crimes « atroces » qui comprennent la «lèse-majesté», des crimes contre la religion, contre la famille, peut-être le suicide et se caractériseront plus tard non seulement par d'horribles supplices mais aussi par des incapacités et sanctions infligées à la famille du condamné. On a l'impression que la cour passe progressivement de la notion de meurtre qualifié à celle de crimes atroces. Pratique des lettres de rémission. A l'autre extrémité de l'échelle des crimes se pose le problème de l'homicide involontaire ou excusable (Bernard Schnapper, Voies nouvelles en histoire du droit: la justice, la famille, la répression pénale (XVIème-XXème siècles), Droit pénal et société méridionale sous l'Ancien Régime, 1971 - books.google.fr).

 

Vansvieten donne des exemples de guérison de la vérole, par le seul usage des exercices forcés, & nous assure que Fallope (1523 - 1562) a vu des galériens guéris de cette maladie par les travaux les plus violens; il ajoute même que ces sortes de guérisons sont assez connues dans nos galères, dans celles de la Méditerranée surtout. Vansvieten était d'autant plus fondé à nous faire ces détails, qu'il avait su lui même tirer un plus grand parti du moyen qu'ils indiquent (Commen. Boer. in aph. T. V. aph. 1478 , p. 5122, in-4° Edit, Pariis) (M. Tissot, Gymnastique médicinale et chirurgicale ou essai sur l'utilité du mouvement, ou des différens exercices du corps, et du repos dans la cure des maladies, 1806 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Gerard van Swieten, fr.wikipedia.org - Gabriel Fallope).

 

Cet intérêt pour l’utilisation hygiénique des exercices physiques fut par la suite repris par Hippocrate puis par Galien, dans leur conception humorale de la santé. La pratique physique permettait dans ce cas de conserver ou de réhabiliter l’équilibre des «humeurs», constitutif de l’état de santé de l’individu. L’activité physique fut ainsi utilisée comme traitement préventif et curatif des maladies jusqu’au XVIème siècle. En 1569, Mercurialis publiera le premier traité de gymnastique «De Arte gymnastica», sorte d’encyclopédie des exercices corporels et des sciences analysant le mouvement. Les livres IV à VI de cette encyclopédie présenteront par ailleurs les exercices les mieux adaptés à l’entretien ou à l’amélioration de la santé. «La gymnastique, dans cette perspective, devient donc une sorte de médicament, de panacée universelle, pour bien portants ou pour convalescents.» (Gleyse, 2006) (Charlotte Verdot, Influence de la pratique physique sur la qualité de vie en prison: de l’utilisation des activités physiques et sportives comme stratégie d’ajustement spécifique, 2008 - tel.archives-ouvertes.fr).

 

Jérôme Mercurialis (1530-1606), médecin de Forli, reprenant les thèses d'Hippocrate et de Gallien, expurgées de leurs aspects philosophiques, publie De arte gymnastica (écrit en 1565), à Venise en 1569,  qui remet à l'ordre du jour l'intérêt médical de l'activité physique (Le corps en mouvement, Précurseurs et pionniers de l'éducation physique, Commission permanente d'histoire de l'Institut national du sport et de l'éducation physique, 1981 - www.google.fr/books/edition, Mousikè et aretè, la musique et l'éthique, de l'antiquité à l'âge moderne, 2003 - www.google.fr/books/edition).

 

Tyrannie

 

Lorsqu'Henri Estienne fait paraître, en 1566, la traduction en latin par Lorenzo Valla des Histoires d'Hérodote, il accompagne cette édition d'une Apologia pro Herodoto qui se présente comme un véritable plaidoyer pour l'historien grec, défendu en particulier à partir de ce qu'il dit (énonciation et énonciateur). Estienne s'emploie à accréditer la «desmesurée meschanceté» et la «desmesurée sottise» que l'on reproche aux récits du père de l'Histoire. Sans s'intéresser directement à la tyrannie chez Hérodote, sans évoquer par exemple la réflexion sur le pouvoir présente dans l'Enquête, Estienne envisage la question de la tyrannie à travers les exemples de la puissance des souverains perses, jugés invraisemblables. Toujours en 1566, Estienne amplifie ensuite en français son plaidoyer pour Hérodote puisque de quatre-vingts on passe à près de huit cents pages. Dans l'Apologie pour Hérodote, l'historien grec est défendu à partir d'un regard critique jeté sur la société du XVIe siècle : ses Histoires n'ont rien de fabuleux, pourvu que les hommes de la Renaissance sachent déchiffrer avec lucidité ce qui les entoure. Sont ainsi passées au crible les tromperies des marchands, médecins, gens de justice, mais aussi celles des clercs qui, non contents de s'abandonner aux vices communs (avarice, luxure, blasphème, cruauté), ont entretenu le peuple dans l'ignorance et la terreur. La tyrannie change ainsi de visage lorsqu'on passe du texte latin au livre en français, et alors que l'Apologia pro Herodoto réfléchit sur le pouvoir des tyrans anciens, c'est l'Eglise catholique qui, dans l'Apologie en français, incarne le pouvoir tyrannique. Je me demanderai si les deux textes n'opposent pas deux visions de la tyrannie, dans la mesure où lorsqu'il décrit les tyrans antiques, Henri Estienne tend à penser que ce sont les courtisans qui font le tyran, tandis que, dans le le lvre en français, il dénonce l'asservissement du peuple par les pouvoirs tyranniques (Bénédicte Boudou, Visages de la tyrannie dans l'Apologie pour Hérodote d'Henri Estienne, Figures du tyran antique au moyen âge et à la renaissance: Caligula, Néron et les autres, 2009 - books.google.fr).

 

Il-y-a encore une autre raison fort notable pour laquelle plusieurs tiennent pour incroyable ce qui autrement leur seroit aisé à croire. C'est qu'ils font leur naturel juge de ce qui leur est recité : et (comme nous disons communeement) jugent de leur cueur l'autruy. Comme, pour exemple, un Neron croira aiseement un acte cruel qui luy sera raconté, au contraire il semblera incroyable à un Tite. Voire mesmes homme cruel souventesfois aura souspeçon de cruauté où il n'y en aura point. Ainsi en est-il de tous autres vices : combien que le proverbe François ne face mention que d'un, quand il dit, Il semble à un larron que chacun luy ressemble. Ce qui doit aussi estre entendu reciproquement, Qu'il semble à celuy qui n'est point larron, que chacun luy ressemble (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, Tome 1, 1879 - books.google.fr).

 

Montaigne se montra dĂ©vouĂ© Ă  la royautĂ© en mĂŞme temps que fidèle Ă  l'Église catholique. [...] Quant au cardinal de Lorraine, Montaigne, il est vrai, a parlĂ© de lui avec Ă©loge ; mais Ă  quelle occasion et en quels termes ? C'Ă©tait (en rĂ©pondant Ă  un de ces pamphlets huguenots qui couraient et dont il louait le talent) pour mettre le cardinal au-dessous de SĂ©nèque, auquel on l'avait comparĂ© en comparant Charles IX Ă  NĂ©ron ; la louange, on en conviendra, est au moins mitigĂ©e (Alphonse GrĂĽn, La Vie publique de Michel Montaigne: Ă©tude biographique, 1855 - books.google.fr).

 

Un jeune homme de dix-huit ans, Étienne de la Boétie, dans son discours sur la Servitude volontaire ou le contre un, écrit au bruit des supplices ordonnés par le farouche Montmorency, dans Bordeaux, en 1548, trouva d'énergiques et brûlantes paroles pour flétrir la tyrannie mise à la place du gouvernement. Un peu plus tard, Jean Bodin (né en 1550), dans son livre sur la République, c'est-à-dire sur l'organisation de l'État, étudia les différentes formes politiques, et rechercha la meilleure constitution de l'autorité. Le premier de ces ouvrages n'est cependant qu'une longue déclamation; le second, qu'une ébauche incertaine. [...]

 

Pour les sciences, la France a dans ce siècle un grand nom, celui de Viète, qui précéda. en leur montrant la route, Descartes et Newton dans les voies de l'analyse mathématique. Viète, qui, dans les calculs algébriques, désigna par des lettres les quantités connues, fut le véritable inventeur de l'application de l'algèbre à la géométrie (Victor Duruy, Histoire de France depuis l'invasion des barbares dans la Gaulle romaine jusqu'à nos jours, 1892 - www.google.fr/books/edition).

 

Étienne de La Boétie est un écrivain humaniste, un poète et un juriste français né le 1er novembre 1530 à Sarlat, ville du sud-est du Périgord, et mort le 18 août 1563 à Germignan, dans la commune du Taillan-Médoc, près de Bordeaux. À partir de 1558, La Boétie fut l’ami intime de Montaigne, qui lui rendit un hommage posthume dans ses Essais. La Boétie est mort jeune, à l'âge de 33 ans ; Montaigne a vécu jusqu'à 59 ans (fr.wikipedia.org - Etienne de La Boétie).

 

Acrostiche : LSGP

 

La monnaie de compte alors en usage Ă  Venise Ă©tait la lire, qui se subdivisait en 20 soldi de 12 grossi, de 32 piccioli (Jules Sobry, Tenue des comptes du grand livre Ă  l'usage de l'enseignement moyen, 1932 - www.google.fr/books/edition, Edward Peragallo, Origin and Evolution of Double Entry Bookkeeping, 1938 - www.google.fr/books/edition).

 

Si, à la fin du XVe siècle, Pacioli put décrire la comptabilité en partie double c'est grâce au travail des élèves de l'école d'abaque qui, en deux siècles avec une peine ignorée mais féconde, avaient peu à peu substitué aux anciens principes, des conceptions nouvelles, beaucoup plus perfectionnées de sorte que, dès le XIVe siècle, on put affronter les problèmes difficiles de la comptabilité industrielle (A. Fanfani, La préparation intellectuelle et professionnelle à l'activité économique en Italie (XIVe-XVIé siècles), Le Moyen âge, revue d'histoire et de philologie, Volumes 57-58, 1951 - www.google.fr/books/edition).

 

Valentin Mennher ou Valentijn Mennher van Kempten, nĂ© en 1521 Ă  Kempten, mort Ă  Anvers le 9 aoĂ»t 1570 est un mathĂ©maticien allemand du XVIe siècle. Ses livres de comptabilitĂ© et de mathĂ©matiques rĂ©crĂ©atives ont Ă©tĂ© publiĂ©s entre 1550 et 1570-71, date probable de sa mort. Pratiquant l'algèbre de la Coss, versĂ© en gĂ©omĂ©trie et en arithmĂ©tique, Mennher n'est pas uniquement un enseignant de comptabilitĂ©. Son livre d'exercices, imprimĂ© par Gilles Copenius en 1564, comporte notamment une centaine de question, dont les 47 premières de nature arithmĂ©tique, mais aussi des problèmes gĂ©omĂ©triques faisant intervenir les sinus, les triangles sphĂ©riques, leurs applications en gĂ©ographie, en astronomie et la construction de cadrans solaires. Il est un des premiers Ă  montrer l'usage d'une double comptabilitĂ© et prĂ©conise la division du MĂ©morial par nature d'opĂ©rations ; il se situe dans la veine de Luca Pacioli (fr.wikipedia.org - Valentin Mennher).

 

La Coss, Das Coss en allemand, est la forme germanisée de l'italien censo, ou du latin causa, « la chose » ou l'inconnue d'un problème de nature algébrique. C'est également l'abréviation du titre d'un ouvrage de mathématiques de Christoff Rudolff, Behend und Hubsch Rechnung durch die kunstreichen regeln Algebre so gemeincklich die Coss genent werden, (calcul agile et juste par l'ars magna des règles algébriques, autrement appelé la Coss), imprimé en 1525 à Strasbourg. Ce premier ouvrage d'algèbre rhétorique, où intervient une première notation littérale, donna lieu à une école d'écriture, et plusieurs mathématiciens européens (essentiellement allemands), des XVIe et XVIIe siècles, rédigèrent leurs procédures algébriques dans le langage de «la Coss». Par extension, la Coss désigne également cette école algébrique (fr.wikipedia.org - La Coss).

 

C.-G. Dubois («Une algèbre des relations humaines: symbolique des nombres et des rapports numériques dans le Discours de la servitude volontaire», pp. 317-331) montre comment le discours dénonce le pouvoir d’Un sur Tous et l’acceptation complice de ce pouvoir par Tous, remettant ainsi en cause, de manière originale, la supériorité traditionnellement attribuée au principe d’unité (de Platon au christianisme) (Sabine Lardon, Etienne de la Boétie. Sage révolutionnaire et poète périgourdin, «Actes du Colloque International, Duke University, 26-28 mars 1999», Studi Francesi, 2007 - journals.openedition.org).

 

L'algèbre avait été strictement associée pendant des siècles arithmétique commerciale. En dehors de la France algèbre eut donc comme pôle de diffusion les écoles abaque qui s'adressaient aux marchands et elle fut transmise en langue vulgaire. Ce fut notamment le cas pour l'Italie et les pays de langue allemande. Dans ces pays, à partir du début du siècle on assista une relative intégration entre l'algèbre et les mathématiques universitaires tandis que l'ancienne division de l'arithmétique entre arithmétique spéculative et arithmétique pratique avait exclu l'algèbre abaciste décidément plus liée au monde du négoce. En France où les écoles d'abaque étaient restées très rares le premier texte algèbre imprimé fut L'Arithmétique (1520) d'Etienne de La Roche. Il combinait la notation italienne et quelques résultats de Nicolas Chuquet dont ouvrage était resté manuscrit. Le texte de La Roche restait fidèle au contexte commercial. Or la nouvelle percée de ces mathématiques au niveau de la culture supérieure est représentée en France précisément par Peletier grâce son ouvrage Aritmetique (1549). [...]

 

La première fonction de art oratoire en algèbre était selon Peletier de donner les moyens de penser efficacité du texte et en décider. Il employait donc les termes techniques de la rhétorique pour articuler les problèmes organisation des textes qui ne faisaient pas partie de la tradition mathématique classique (Giovanna Cifoletti, La question de l'algèbre. Mathématiques et rhétorique des hommes de droit dans la France du XVIe siècle., Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1995 - mathshistoire.ehess.fr).

 

Le premier, parmi nous, qui écrivit en François sur l’Algèbre, fut Jacques Pelletier, en 1554; son Ouvrage est intitulé l’Algèbre départie, en deux Livres. J'ai dit un peu plus haut que Forcadel, dans fon Arithmétique Françoise, avoit prétendu établir les principes de l'Algèbre ; cependant celui de nos compatriotes, qui, au seizieme siecle, a rendu les plus grands services à l’Algèbre, est Monsieur Viete, Maître des Requêtes. Ce Magistrat, né en 1540, & qui n'est mort qu'en 1603, fixa les signes dont nous nous servons encore aujourd'hui, & détermina que + signifieroit plus,- moins & = égal. L'AIgebre a été fort perfectionnée depuis lui, mais ce ne fut que dans le siècle suivant (Marc Antoine René de Voyer de Paulmy d Argenson, Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, Volume 26, 1782 - books.google.fr).

 

L'ouvrage In Artem analyticen isagoge de 1591 de Viète constitue l'aboutissement du processus qui identifia l'algèbre avec les deux premières parties de la rhétorique inventio et dispositio. Cet ars opère ici en mathématiques mais cela ne fait que souligner que la Dialectique avait une emprise sur les mathématiques, chose conforme non seulement aux projets de Ramus et autres professeurs du Collège royal mais encore aux relations que Platon avait préconisées entre ces deux formes de savoir. Pourtant Viète marque son écart par rapport à ses prédécesseurs en soulignant justement l'autonomie des mathématiques. Grâce à la nouvelle discipline, qu'il fait dériver de l'algèbre "barbare" c'est-à-dire grâce à la logistica speciosa l'ars inveniendi des mathématiques sera un art mathématique (Giovanna Cifoletti, La question de l'algèbre. Mathématiques et rhétorique des hommes de droit dans la France du XVIe siècle., Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1995 - mathshistoire.ehess.fr).

 

Cf. quatrain VII, 40 pour Nicolas Chuquet.

 

Platon doit aux Pythagoriciens le sens de l'importance de la notion de proportion (en grec : analogie) ; cette notion avait été élaborée par Archytas, qui avait créé la théorie des proportions arithmétiques, géométriques et harmoniques ; elle joue un rôle considérable dans la science antique, qui traita par les proportions beaucoup de problèmes que l'on résout aujourd'hui par l'algèbre. Déjà, dans le Gorgias, il se plaît à énoncer, dans le langage des géomètres, que la rhétorique est à la science ce que l'art des soins de beauté est à la gymnastique, la cuisine à la médecine ; et il indique, à la fin du texte que l'univers tout entier est le domaine de la proportion géométrique (Pierre-Maxime Schuhl, L'œuvre de Platon, 1954 - www.google.fr/books/edition).

 

Affaires italiennes

 

Prosper de Sainte-Croix, vulgairement Santa-Croce, cardinal, évêque d'Albano, fils de Tarquin de Sainte-Croix, avocat consistorial, apprit la jurisprudence à Padoue, & fut pourvu à 22 ans d'une charge d'avocat consistorial par le pape Clément VII, puis d'un office d'auditeur de Rote, et enfin de l'évêché de Chisam en Candie, que le pape Paul III lui donna. Dans la suite il fut envoyé nonce en Allemagne, en Portugal, en Espagne & enfin en France, où il s'acquit tant de réputation, que la reine Catherine de Médicis le fit nommer à l'archevêché d'Arles y & lui procura le chapeau de cardinal, de la part du pape Pie IV en 1565. Sainte-Croix travailla utilement en France pour la restitution du royaume de Naples à ses maîtres légitimes, & assura Antoine de Bourbon, que les Espagnols lui céderoient la plus grande partie de cet état, & lui donneroient le royaume de Sardaigne. Antoine Almeida, Portugais, alla même en Espagne de la part du même prince, pour négocier avec les ministres d'Espagne, qui lui promirent la même chose. Mais comme Scrada l'a remarqué judicieusement, les Espagnols étoient trop avides de royaumes, pour en donner avec tant de libéralité. On connut dans la suite qu'ils n'avoient pas dessein d'exécuter ce qu'ils promettoient ; mais seulement de détourner quelques entreprises qui les eussent incommodés (Louis Moreri, Desaint et Saillant, Le grand dictionnaire historique ou Le melange curieux de l'Histoire sacrée et profane, 1759).

 

Le 28 août 1559, Giovanni, neveu du pape précédent Paul IV, avait assassiné sa femme, Violante d'Alife, qu’il suspectait d'adultère. Le procès prit rapidement l'allure d'une vengeance contre la famille de Paul IV et ses anciens collaborateurs. Il se conclut par l'exécution capitale (5 mars 1561) de Carlo, l'ancien cardinal neveu, et de Giovanni, duc de Paliano. Pie IV ne fit rien pour les soustraire à la mort, refusant même les demandes de grâce formulées par Philippe II, par l'intermédiaire de son ambassadeur Francisco Vargas. De ces événements, Marcantonio Da Mula, appelé aussi Marc-Antoine Amulio, fût l'un des témoins les plus perspicaces, livrant un récit très détaillé des péripéties du procès (Daniele Santarelli, La papauté de Paul IV à travers les sources diplomatiques romaines).

 

Elu et couronné en 1560, Pie IV, successeur de Paul IV, pardonna aux Romains les violences commises par eux, lorsqu'à la mort de Paul ils avaient abattu ses armoiries, et qu'ils avaient renversé la statue que, trois mois auparavant, lui avait élevée leur amour. Cependant il voulut que le sénat assistât à la messe célébrée le 17 janvier dans l'église de Saint-Eustache, en expiation de ce tumulte, et que la ville payât les indemnités dues pour les dommages occasionnés dans cette circonstance. Pie IV ne se montra pas aussi clément en faveur de Pompée Colonna: ce dernier avait donné la mort à sa belle-mère, sous le règne de Jules III, et demandait grâce. Pie répondit : «Dieu nous garde de commencer notre règne par l'absolution d'un parricide !» (Alexis-François Artaud de Montor, Histoire des souverains pontifes romains, Tome 4, 1847 - www.google.fr/books/edition).

 

Le crime du parricide était, alors, sous le pontificat de Clément VIII successeur de Pie IV, tellement général en Italie, que le pape n'osa pas empêcher la justice d'avoir son cours. En 1599, Béatrice Cenci fut exécutée sur la place qui a gardé son nom, pour avoir assassiné son père (Aloysius, Souvenires d'un voyage à Rome et en Italie, 1887 - www.google.fr/books/edition).

 

Béatrice Cenci, sa belle-mère et ses frères, condamnés par les tribunaux du pape, avaient été décapités devant la porte de leur palais, et leur sang avait rougi le pavé où l'herbe croissait maintenant (Léo Quesnel, Shelley, Revue politique et littéraire: revue bleue, 1877 - www.google.fr/books/edition).

 

L’année 1565 vit éclore une conspiration contre la vie du pape Pie IV, par Benoît Àccolti et quelques autres visionnaires. Ces insensés s’étaient imaginé que Pie lV n'était pas légitime, et qu'après sa mort on en mettrait un autre sur le saint-siège, qu’on nommerait le Pape Angélique, sous lequel les erreurs seraient réformées et la paix serait rendue à l'Eglise. Fils d'un cardinal, il avoit pour complice Pierre Accolti son parent, le comte Antoine de Canosse, le cavalier Peliccione, Prosper Dettore, & Thadée Manfredi. La conspiration fut découverte, et les fanatiques "insensés" ("cerveau débile") périrent par le dernier supplice. Ce pontife mourut peu de temps après, le 9 décembre 1565, à 66 ans.

 

Matricide

 

Le mot apparaît en 1565 «celui qui a tué sa mère» (Amyot, Plutarque, Œuvres morales, t. XV, p. 345 ds Littré). Empr. au lat. matricida «celui ou celle qui a tué sa mère» (www.cnrtl.fr).

nostradamus-centuries@laposte.net