Gilles Garnier

Gilles Garnier

 

I, 22

 

1573-1574

 

Ce que vivra & n'aiant aucun sens,

Viendra leser Ă  mort son artifice :

Autun, Chalon, Langres & les deux Sens,

La gresle & glace fera grand malefice.

 

Sens

 

On peut lire Erika Cheetham ("The Prophecies of Nostradamus", New York, 1974), qui reproduit une trouvaille de Garancière, (interprète anglais du XVIIème siècle). D'après ceux-ci, il s'agirait dans le quatrain 1-22, d'une opération faite en 1613 dans la ville de Sens, à une femme dont on a fait sortir un embryon, pétrifié depuis des années dans son ventre.

 

Sens, nom de deux villes dans la région de Bourgogne, celle sur l'Yonne étant de beaucoup la plus importante (Vlaicu Ionescu, Jean Phaure, Le message de Nostradamus sur l'ère prolétaire, 1976 - books.google.fr).

 

Sens (dans l'Yonne) était en Champagne et non en Bourgogne comme aujourd'hui. Il existe un Sens et La Farge dans la région de Chalon sur Saône sur le Merdery et un autre Sens toujours

vers Chalon, à l’est, sur la Seille et la Breigne (Antoine Augustin Bruzen de la Martinière, Le grand dictionnaire geographique et critique, Volume 19, 1737 - books.google.fr).

 

Sens et La Farge  est aujourd'hui un hameau de Sennecey le Grand (Saône et Loire) dont les seigneurs au XVIe étaient les Bauffremont (fr.wikipedia.org - Seigneurie de Sennecey-le-Grand).

 

Sens sur Seille a été du diocèse de Besançon.

 

"aucun sens"

 

Afin de mieux comprendre l'exĂ©gèse de Daniel d'Auge, sur le cas du « loup garou Â» Gilles Garnier, on peut d'ailleurs la comparer aux explications offertes par BarthĂ©lemy Aneau dans son Imagination poĂ©tique au sujet de la lĂ©gende de Lycaon.

 

Dans ce livre d'emblèmes publié à Lyon en 1552, l'image du roi d'Arcadie, Lycaon, couronnée du titre «autrement», s'accompagne en effet d'un long poème exégétique:

 

MAIS Qui croiroit que l'humaine nature

Se peult muer en autre creature ?

Et qui croiroit telz cas estre advenuz :

Qu'hommes sousdain fussent Loups devenuz :

CEUX LA desquelz les maisons sont bruslées

Les biens perduz, les substances vollées

Pour leur delict, par le Devorant.

Tant que du tout n'ont rien de demourant :

Sont ilz pas bien en Loups famis changez,

De cruaulté, & de faim enragez ?

(Qui pert le sien (dict on) il pert le sens.

Car fugitifz,& pour leur honte absens,

Contrainctz ilz sont par grand necessité

De viure au bois, bien loing de la cité.

Volleurs, Brigandz deuenuz : qui par champs,

Comme brebis, meurtrissent les marchans.

Amis de nui,& de tous ennemys.

Ainsi L'HOMME EST A LHOMME LOVP FAMIS (H. Campagne, Arrest mémorable contre Gilles Garnier, pour avoir en forme de loup-garou dévoré plusieurs enfants et commis autres crimes : métamorphose et commentaire dans une lettre de Daniel d'Auge, Nouvelle revue du XVIe siècle, Numéros 15 à 16, 1997 - books.google.fr, Barthélemy Aneau, Imagination Poetiqve, Traduicte en vers François, des Latins, & Grecz, par l'auteur mesme d'iceux, 1556 - books.google.fr).

 

Alciat, La Perrière, Corrozet, Cousteau, Guéroult, déplorent eux aussi dans leurs emblèmes les déprédations du fisc, mais la compassion d'Aneau leur manque, car notre auteur comprend - et il note - que c'est la «grand necessité» des malheureux «loups famis» qui les «contrainct» au crime (Greta Dexter, L'Imagination poétique à propos de Barthélemy Aneau, Bibliothèque d'humanisme et Renaissance: Travaux et documents, Volume 37, 1975 - books.google.fr).

 

Boaistuau, Ă©crit licantrope; 1579, Lestai, Ă©crit lycantrope; lycanthrope.

 

Langres

 

Bodin rapporte, dans sa Démonomanie, que Charles d'Escars, évêque de Langres, et pair de France, étant tourmenté d'une fièvre quarte, on lui amena un guérisseur qui, après quelques simagrées, lui dit : «Fiez-vous en moy que vous êtes guary.» C'est la confiance, en effet, qui donne la guérison. L'évêque de Langres n'en eut pas et conserva sa fièvre (Stanislas Escayrac de Lauture, Voyage dans le grand désert et au Soudan, 1858 - books.google.fr).

 

Charles d'Escars, évêque & duc de Langres, abbé de Fontaine-Bese, de Gaillac & de la Crête, etoit fils de Jacques de Perusse, seigneur d'Escars, & d'Anne Jourdain de l'Isle, dame de Merville, &c. sa premiere femme. Il fut évêque de Poitiers, en 1564, après Jean d'Amoncourt, & en 1571 il obtint l'évêché de Langres, où il fit son entrée en 1574. Il avoit reçu l'année précédente à Metz les ambassadeurs de Pologne, qui venoient apporter au duc d'Anjou la nouvelle de son élection, & il fit admirer son éloquence, dans une très-belle harangue qu'il prononça pour lors & qu'on imprima depuis. Le même duc d'Anjou étant devenu roi, sous le nom de Henri III, mit entre les commandeurs de son ordre du saint Esprit Charles d'Escars, en 1578. Ce fut même dans la premiere assemblée ou chapitre qu'il tint, le 31 décembre. C'est ainsi que le roi reconnut le mérite de ce prélat, qui se trouva aux états de Blois, en 1577 & 1588. Il travailla aussi beaucoup pour les avantages de son diocèse, & mourut en l'abbaye de Fontaine-Bese, en 1614. De Thou, hist. Sainte-Marthe, Gall. christ. &c (Louis Moréri, Le Grand dictionnaire historique, Tome 4, 1759 - books.google.fr).

 

Jean Bodin, né en 1529 ou 1530 à Angers et mort en 1596 à Laon, est un jurisconsulte, économiste, philosophe et théoricien politique français, qui influença l’histoire intellectuelle de l’Europe par ses théories économiques et ses principes de «bon gouvernement» exposés dans des ouvrages.

 

En 1573, il est membre de la délégation qui accueille les ambassadeurs polonais venus à Metz saluer leur nouveau roi, Henri, duc d'Anjou. Il rédige à cette occasion la Harangue prononcée par l'évêque de Langres, Charles des Cars.

 

Ayant eu à instruire en tant que juge un procès contre Jeanne Harvilliers, accusée de sorcellerie, il rédige De la démonomanie des sorciers (1580), sorte de guide à l'intention des tribunaux dans lequel il réclame des peines sévères contre toute personne accusée de sorcellerie.

 

À un moment où les procès de sorcellerie battaient leur plein en Europe, Bodin affirme avec des arguments apparemment rationnels la réalité des pactes avec les démons, l’évocation des morts et la copulation charnelle avec les démons. Il croit aux loups-garous, aux assemblées de sorcières, au pouvoir qu'ont certaines personnes de "nouer l'aiguillette" de leurs ennemis pour les rendre impuissants ou de les tuer au moyen de figurines de cire. Il se base sur les aveux «sans question ni torture» de Jeanne Harvilliers, condamnée au bûcher en 1578, ainsi que sur les témoignages d'Abel de La Rüe et de Trois-Échelles, prestidigitateur et sorcier attitré de Charles IX, qui fut pendu. Même s'il voit dans les actes de sorcellerie les agissements du diable, il ne croit cependant pas à l'efficacité des exorcismes. Malgré sa formation juridique, il considère que les "procédures normales visant à protéger les droits des accusés étaient superflues", admet que les juges mentent à l'accusé et estime qu'il n'est guère besoin de plusieurs témoins, un témoin sans reproche de sexe masculin étant suffisant : "Quand il est question des Sorciers, le bruict commun est presque infaillible." Pour identifier les sorciers, il encourage la délation et préconise la torture, l'objectif étant l’élimination en masse des sorciers, afin d'éviter la mainmise de Satan sur le monde. Il s'attaque particulièrement à Jean Wier, auteur d'un important traité sur la question dans lequel il qualifie les magistrats de "cruels bourreaux et bouchers". Bodin le réfute longuement dans la seconde moitié du livre IV, allant jusqu'à l'accuser de couvrir sa propre sorcellerie sous ses dénégations (fr.wikipedia.org - Jean Bodin).

 

"Autun" : Gilles Garnier

 

1574. - Arrest mémorable du parlement de Dole, donné à l'encontre de Gilles Garnier, pour avoir, en forme de loup-garou dévoré plusieurs enfans, et commis autres crimes : Enrichy d'aucuns points pour esclaircir la matière de telle transformation. Imprim. à Paris, par Pierre des Hayes. 1574. - Cité par du Verdier, sans désignation de format. L'incrédulité savante du P. Jacques d'Autun, capucin de Dijon, mort en 1678 : «...L'arrest célèbre rendu au parlement de Dole le 18 de janvier l'an 1574, contre Gille Garnier de Lyon, étoit-ce un songe ? Son histoire tragique auroit-elle été imprimée à Paris, à Orléans et à Sens, si elle n'étoit d'une vérité authentique ? Ce misérable fut arresté et convaincu le jour de saint Michel d'avoir paru sous la forme d'un loup-garoux, et d'avoir emporté une fille de douze ans près du bois de la Serre, dans une vigne du château qui n'est qu'à un quart de lieue de Dole, de l'avoir déchirée de ses mains qui paraissaient des pattes de loup, et d'avoir arraché avec ses dents un bras et une cuisse dont il portoit encore une portion à sa femme ; et un mois après, sous la même figure, il étrangla une jeune fille à dessein de la manger ; mais il en fut empêché par trois personnes ainsi que lui même l'a confessé, et quinze jours après, il égorgea un petit enfant dont il dévora la plus grande partie. Mais comme cette illusion n'est pas toujours extérieure, mais seulement dans l'imagination troublée du sorcier, le même, sans avoir changé de figure, fut vu étrangler un enfant près du village de Perose pour le manger, si ceux qui accoururent à ce spectacle ne lui eussent fait prendre la fuite ; ce qu'il confessa sans y être contraint par la violence des tourments; et, sur sa confession et sur les preuves manifestes de ses crimes, il fut condamné à être brûlé tout vif. La lycanthropie n'est donc pas un effet de l'imagination ou d'une maladie puisque les circonstances qui accompagnent l'illusion sont si véritables, qu'il faut être incrédule pour en douter...» pag. 906.

 

Ce livre dans lequel l'auteur cherche à prouver qu'il y a des magiciens et des sorciers, fut imprimé à Lyon, en 1676, sous l'épiscopat de Camille de Neufville, avec l'approbation de Bedian Morange, docteur de Sorbonne, de l'abbé Deville, vicaire général du diocèse de Lyon, et de Jean Vaginay, procureur du roi. Il est dédié à messeigneurs du parlement de Dijon ; mais alors le savant Bouhier ne faisait pas partie de cette cour, car il n'était pas né, et heureusement pour le crédule capucin, Gabriel Naudé n'était plus de ce monde (Antoine Péricaud, Notes et documents pour servir a l'histoire de Lyon: Sous le règne de Henri III. 1547 - 1589, Tome 1, 1843 - books.google.fr).

 

Daniel d'Auge

 

Daniel d'Auge a donné à Sens une édition de cet arrêt, en y joignant une lettre au doyen de l'église de Sens, qui contient le passage suivant : «Gilles Garnier, lycophile, ainsi l'appellerai-je, estant hermite, prist depuis femme, et n'ayant de quoi sustenter sa famille, tomba, comme est la coutume des malappris, en défiance et tel désespoir, qu'errant par les bois et désertz en cest estat, il fut rencontré d'un fanstome en figure d'homme qui lui promit monts et miracle et entre autres choses de lui enseigner à bon compte la façon de devenir, quand il le voudroit, loup ou léopard à son choix, et pour ce que le loup est une beste plus mondanisée par deça que ces autres espèces d'animaux, il aima mieux estre deguisé en icelle, comme de fait il fut, moyennant un unguent dont il se frottoit à cette fin, comme depuis il a confessé avant que mourir, avec recognoissance de ses péchés.» (Alphonse Rousset, Frédérique Moreau, Dictionnaire géographique, historique, et statistique des communes de la Franche-Comté: et des hameaux qui en dépendent, classés par département: département du Jura, Volume 3, 1855 - books.google.fr).

 

L'Arrest memorable contre Gilles Garnier est fort connu à la fin du XVIe et dans le premier quart du XVIIe siècle : cité par des démonologues comme Pierre Le Loyer, Henri Boguet et Pierre De Lancre, la lettre qui l'accompagne dans l'édition de 1574 a aussi pour fonction de le mettre à la portée d'un lectorat qui ne se compose pas seulement de juristes et d'érudits, comme le montrent ces remarques: Or ne vous semblera pas chose si estrange telle mutation en beste, qui avez leu si heureusement les histoires & anciens monumens des Grecz & Latins, es Philosophes, Theologiens, Medecins & Jurisconsultes, mais pour ceux qui n'ont esté nez sous planettes si favorables je vous deduiray yci en peu de paroles ce que chascun en peult sainement croire.

 

Pour l'imprimeur-éditeur Jean Savine, publier cet arrêt suivi de commentaires revient tout d'abord à exploiter le goût très prononcé des lecteurs du XVIe siècle pour les canards et les Histoires Prodigieuses. La lycanthropie semble d'ailleurs se prêter à ce type de publication, puisqu'on lisait aussi en Angleterre, vers 1590, un ouvrage intitulé A true Discourse Declaring the damnable life of Stubbe Peter, illustré de gravures représentant la transformation, les méfaits et la punition du loup- garou allemand Peter Stump, ces images témoignant clairement de la volonté de popularisation sous-jacente au recueil. Notons enfin à cet égard que Jean Bodin remarque dans sa Démonomanie que l'Arrest contre Gilles Garnier fut imprimé «à Orléans par Eloy Gibier, & à Paris chez Pierre des Hayes, & à Sens» : seul un nombre assez restreint d'ouvrages  fit ainsi l'objet, au XVIe siècle, de multiples impressions. Si la lettre-commentaire de Daniel d'Auge intervient donc dans la fabrication de ce que l'on appellerait aujourd'hui un succès de librairie, elle a aussi pour fonction de répondre à une énigme : celle de la mystérieuse transformation de Garnier. Or la métamorphose, à la Renaissance, pose une série de questions qui relèvent respectivement de la théologie, de l'histoire naturelle, et de la poésie. La mutation procède en effet, selon les théologiens, du pouvoir divin: "Celui seul peut changer la forme des choses à qui la création en appartient" écrit Pierre De Lancre. Exclure toute autre forme de métamorphose revient cependant à méconnaître les incessantes mutations de la nature, mais aussi à désavouer l'autorité des Anciens: les œuvres de Pline, de Platon, d'Ovide, et de Virgile sont remplies d'exemples de transformations «physiques, imaginatives, ou fabuleuses». On comprend donc comment la question de la mutation a pu devenir, pour les écrivains du Moyen Age et de la Renaissance, une véritable bouteille d'encre. En se proposant «d'éclaircir» la transformation de Gilles Garnier, le discours de Daniel d'Auge s'inscrit ainsi dans une tradition herméneutique qui regroupe aussi bien les réflexions de Saint Augustin sur la métamorphose dans La cité de dieu, que les multiples versions «moralisées» des Métamorphoses d'Ovide ou de l'Ane d'Or d'Apulée, ou même certains commentaires de Loys Le Roy sur le Timée de Platon. (H. Campagne, Arrest mémorable contre Gilles Garnier, pour avoir en forme de loup-garou dévoré plusieurs enfants et commis autres crimes : métamorphose et commentaire dans une lettre de Daniel d'Auge, Nouvelle revue du XVIe siècle, Numéros 15 à 16, 1997 - books.google.fr, Pierre Bayle, Dictionaire historique et critique, Tome 1 : A - B, 1740 - books.google.fr).

 

L'Arrest mĂ©morable contre Gilles Garnier, pour avoir en forme de loup-garou dĂ©vorĂ© plusieurs enfants et commis autres crimes, cĂ©lèbre procès de 1574, commentĂ© Ă  l'Ă©poque par Daniel d'Auge, Ă©claire bien les mĂ©canismes d'une persĂ©cution qui doit passer par l'animalisation du prĂ©venu pour ĂŞtre effective. L'accusĂ© est censĂ© avoir commis ses crimes sous forme de loup mais n'a pas Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© dans cette peau. La vĂ©racitĂ© de sa mutation ne fait pourtant aucun doute car ses caractĂ©ristiques, comme ses actes, attestent que cet homme Ă©tait dĂ©jĂ  un loup. D'abord son nom : Garnier. Selon Daniel d'Auge, Garnier et Garou ont la mĂŞme origine, paronomase qui fait que «ce nom est comme fatal aux loups-garoux». D'ailleurs «tous les loups-garoux prĂ©venus par la justice ont presque tous portĂ© ce mesme nom de Garnier ou Grenier» qui les prĂ©disposait Ă  la «lycophilie». Lycaon lui aussi, le tyran d'Arcadie, avait un nom prĂ©destinĂ© (de lukos, loup) : lorsqu'il devient loup, il «garde encore des vestiges de sa forme première» et «reste l'image vivante de la fĂ©rocité», de cet aspect de loup qu'il avait dĂ©jĂ  dans sa configuration humaine. MĂŞme chose pour ledit Garnier, l'homme des bois Ă  l'allure de brute. Mais c'est son comportement alimentaire, plus que son crime, qui trahit sa bestialitĂ© : il a mangĂ© de la chair humaine, «de la chair des cuisses et des bras» de ce garçon, dont il a mĂŞme apportĂ© un morceau Ă  sa femme, et fait acte de cannibalisme. [...]

 

Les transformations d'homme en animal, avons-nous dit, nécessitent une intervention extérieure. Au Moyen Age et à la Renaissance, même si l'individu muté est consentant et a fait un pacte, cette intervention devient celle du diable. Sans lui, la lycanthropie n'aurait pu servir de modèle de persécution. Mais Satan qui agit dans les mutations est la transformation même, capable d'emprunter toutes les formes possibles. La métamorphose n'est plus seulement bestiale : elle est diabolique (Armelle Le Bras-Chopard, Le zoo des philosophes: De la bestialisation à l'exclusion, 2002 - books.google.fr).

 

Daniel D'Auge est interprète de la Poétique d'Aristote en France avant Scaliger par plagiat d'Alessandro Lionardi.

 

"artifice"

 

Comme donc le corps de Bayan estoit rendu invisible par illusion diabolique, aussi semblablement il estoit transformé en loup illusivement par le mesme artifice du diable duquel il estoit esclave.

 

"Singe malicieux", écrit Nynauld, le diable par ses simulacres, fables, artifices, cautelles, illusions, impostures, faux miracles (et la multiplication des termes est significative), fait vaciller le monde dans l'incertitude, crée un trouble  profond dont l'auteur lui - même ne peut totalement se protéger. D'autant que le diable ne se contente pas d'utiliser des «figures» destinées à troubler les sens, mais est capable aussi de «démonstrations», «très fausses», sans doute, mais «vraisemblables», que la moindre brèche lui permet de «peu à peu s'introduire et avoir accès» en l'homme (Jean de Nynauld, De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers (1615), 1990 - books.google.fr).

 

Le vers n'est pas pour autant expliqué.

 

Saint Luc est le patron des artistes, peintres, sculpteurs. "artiste", confondu à Rome et à Athènes avec l'artisan, se dit en latin "artifex" et en grec "technitès" (Edmond Bonnaffé, Causeries sur l'art et la curiosité, 1878 - books.google.fr).

 

Satan rĂ©clame les disciples ("vous"), sans nul doute Ă  Dieu, pour leur faire subir l'Ă©preuve du crible. Ce "criblage" peut ĂŞtre compris de deux manières : faire passer le grain Ă  travers un tamis qui retient les plus gros dĂ©chets ; ou, au contraire, retenir le grain et laisser passer les fĂ©tus et autres impuretĂ©s. Luc a utilisĂ© une mĂ©taphore du mĂŞme type dans la prĂ©sentation de Jean-Baptiste (3, 17) : lĂ , c'est "le plus fort" qui, son van Ă  la main, purifie sur l'aire et rĂ©unit le blĂ© ("sitos" mĂŞme mot qu'ici). Le verbe "siniazĂ´" est tardif et il a sans doute le mĂŞme sens que "sèthĂ´", "passer au crible", "tamiser". Il parait dĂ©river du mot "sinion", qui doit signifier le "crible", le "tamis". Si l'on rapproche ces termes de "sinos", "lĂ©sion", "dommage", ce tamisage ne se fait pas sans une certaine violence. C'est ainsi que les Ă©crivains chrĂ©tiens l'ont compris "secouer", "dĂ©ranger", puis "Ă©prouver", "tester" (François Bovon, L'Évangile selon saint Luc: 19,28 - 24,53, 2009 - books.google.fr).

 

On peut relier Luc à Michel, aux loups garous et à la mélancolie (Le Cercle et la Croix des Prophètes - Les Prophètes et la Croix d’Huriel - Prophètes, Vertus, Fleuves du Paradis et Evangélistes  - nonagones.info, La Croix d’Huriel - La Croix d’Huriel, ses anges et les humeurs - Michel en vert et la mélancolie - nonagones.info).

 

On ne trouve point dans l'Ecriture le mot de Lycantropie, cependant il faut expliquer la nature du mal qui convient à ce mot. Les Lycantropes, c'est ce que nous appellons vulgairement des loups-garous ; ils sont affligez d'une manie melancolique & remplis d'une bile noire, qui se répand dans tout leur corps, qui produit des chancres cachez, & cause des douleurs insupportables & à l'ame ; cette bile ronge jusqu'aux os, défigure tout le visage, le couvre d'ulceres, 8c l'enfle avec beaucoup de difformité ; mais ce qui est encore de plus delorable , cette humeur noire fait tourner l'esprit, & change l'homme en bête. [...] Ce demoniaque dont parle saint Luc au chap. 8. & qui brisaient toutes les chaînes dont on l'attachoit, étoit un vray loup-garou. Mais outre cela il étoit possedé du demon. On appelle loups-garous ceux qu'une violente manie transporte : on en a vû quelquefois dont la bile noire avoit tellement troublé l'imagination, qu'ils croyoient effectivement être changez en loups (François Lamy, Apparat de la Bible, ou Introduction à la lecture de l'écriture Sainte, 1697 - books.google.fr).

 

Lettre sur la virginité de saint Athanase :

 

De mĂŞme qu'il trompe certains en les endoctrinant par lui-mĂŞme, de mĂŞme les filets de celui-lĂ , c'est-a-dire du diable, sont disposĂ©s en nous; et c'est une ruine. Il arrive parfois qu'il entraĂ®ne les hommes Ă  la ruine par le contact avec des individus peu recommandables ; parfois aussi sans le concours d'hommes mauvais, il entraĂ®ne l'homme Ă  sa ruine par les propres pensĂ©es de celui-ci. Au reste, ce fourbe ("technitès") est flatterie et embĂ»ches sous toutes ces formes ; au fond du cĹ“ur de l'homme il conseille des choses Ă  ne pas faire, et lui apprend des choses sans utilitĂ© ; alors l'homme rĂ©flĂ©chit quiètement, se dĂ©cide et entraĂ®ne volontairement sur lui-mĂŞme sa ruine. D'autre part, si l'homme, en constatant ces mauvaises pensĂ©es en son coeur, craint Dieu et s'inspire une bonne pensĂ©e, aussitĂ´t il rejette loin de lui le malfaiteur et ses conseils.

 

"technitès" dans le sens péjoratif (Lidell-Scott-Jones, s.v. III) (Corpus scriptorum Christianorum Orientalium: Scriptores Coptici, Volumes 19 à 20, Université catholique de Louvain, 1955 - books.google.fr).

 

Brind'Amour lie "artifice" au géniteur ou à la génitrice (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

Jean Bodin dit, au sujet des sorcières de Logny en Potez (Ardennes), qu'en matière de sorcellerie qui est un crime de "lèse-majesté divine" (dieu comme créateur, artifex), il devait être admis qu'un père et un fils témoignent l'un contre l'autre (Jean Bodin, La Demonomanie des sorciers, 1598 - books.google.fr).

 

"grand maléfice"

 

Croirait-on que le P. d'Autun qui a fait trois Discours (p. 841 et suiv. de son livre) pour établir que les sorciers ont le pouvoir de faire périr les fruits de la terre, par la grêle ou par la gelée, et qu'on doit les punir s'ils confessent leurs crimes, a ignoré que S. Agobard, évèque de Lyon, au IXe siècle, était auteur d'une homélie dans laquelle ce prélat a combattu cette opinion avec autant d'éloquence que de philosophie ? Voyez de la Gréle et des Tonnerres, par S. Agobard, Lyon, 1841, in-8° (Antoine Péricaud, Notes et documents pour servir a l'histoire de Lyon: Sous le règne de Henri III. 1547 - 1589, Tome 1, 1843 - books.google.fr).

 

Fr. Perreaud, le ministre réformé de Mâcon, place au même rang « ceux qui ont esté accusez d'estre sorciers ou magiciens». Mais son témoignage cède, en intérêt, à celui de Jacques d'Autun. L'incredulité sçavante et la credulité ignorante,  par le P. Jacques d'Autun, prédicateur capucin, est, à notre sens, un des ouvrages les plus curieux qu'aient inspirés les superstitions et les polémiques relatives à la sorcellerie. Non que ce livre ait des qualités  littéraires qui le classent hors de pair. De Lancre est un écrivain très supérieur à Jacques d'Autun et nous regretterons toujours que Michelet n'ait pas souligné la qualité magnifique des pages où ce démonographe, cet impitoyable inquisiteur, décrit le pays de Béarn, qu'il dévasta, ses habitants farouches, renfermés et vindicatifs. La doctrine n'en est pas non plus originale. J. d'Autun se propose de faire voir qu'il y a des Magiciens et des Sorciers ; donne, dans sa seconde partie «les moyens pour les reconnoître» et, pour finir, montre «l'obligation de les punir» (Préface), C'est, à peu de choses près, le plan que suivait Bodin. Mais l'ouvrage est un reflet fidèle de l'état d'esprit bourgeois ou vulgaire dans le dernier tiers du xvIIe siècle. On a dit plus haut de quel réalisme était chargé un conte de Camus comme l'Egyptienne ; or le témoignage de l'évêque de Belley est corroboré par celui de notre capucin. «Il n'est point, écrit-il dans sa préface, de desordre semblable à celui des Assemblees de Village, lorsqu'elles commencent par les murmures sourds d'un interet public, et que des fâcheux accidents quoy que naturels, comme le déreglement des Saisons, donnent occasion à ceux qui n'en sçavent pas la cause, de l'imputer à des Idiots, en les accusant comme coupables, d'un crime qu'ils n'ont pas commis. Ce fut [en] l'an 1644 que la plupart des bourgs et villages de Bourgogne se trouvèrent dans une telle consternation, par le bruit qui s'était répandu que les sorciers étaient la cause des altérations de l'air, que c'étaient eux, qui par des Malefices auoient fait perir les Bleds par la gresle, et les Vignes par la gelee, qu'il n'y auoit plus de seureté publique pour les plus innocents ; chacun, d'une authorité priuée, usurpoit les droits de la justice, les moindres Paisans s'erigeoient en Magistrats, leurs fantaisies et leurs chimeres estoient receuès commes des Oracles, quand ils accusoient quelqu'un de Malefice, sans  faire reflexion, qu'ils confondoient dans les mesmes personnes, les differentes conditions de Temoins et de juges ; ils bannissoient toutes les formalites de la justice, et n'en vouloient point receuoir d'autre, que celle de l'espreuve de l'eau, quoy qu'elle soit reiettée comme trompeuse par les Loix Diuines et Humaines; ils baignoient impunément ces miserables, après leur auoir lié les pieds et les mains, auecque tant de violence, que bien fouuent les corps de ces pauures affligés tous meurtris de coups, ne retournoient sur l'eau qu'apres auoir expiré (Robert Léon Wagner, "Sorcier" et magicien": contribution à l'histoire du vocabulaire de la magie, 1939 - books.google.fr, Jacques de Chevanes (dit Jacques d'Autun), L'Incredulité sçavante et la credulité ignorante, au sujet des magiciens et des sorciers, 1671 - books.google.fr, Sieur de Perreaud, L'Antidemon de Mascon, La Demonologie, ou Discours en general touchant l'existence, puissance et impuissance des Demons et des Sorciers, et des vrais Exorcismes et remedes contre iceux, 1656 - books.google.fr).

 

"Viendra leser Ă  mort son artifice" : Quam necis artifices arte perire sua

 

"ad mortem laedere, necare" : tuer (Septem Linguarum Calepinus, Hoc Est Lexicon Latinum: Variarum Linguarum interpretatione adjecta : In Usum Seminarii Patavini, Tome 2, 1746 - books.google.fr).

 

Le poème des Tragiques, dans l'état où il se trouve aujourd'hui, a sept livres, ayant chacun un titre différent que voici : Misères, Princes, la Chambre dorée, les Feux, les Fers, Vengeances, Jugement. La Chambre dorée peut être considérée comme la réponse d'Aubigné à l'Hymne de la Justice de Ronsard. L'architecture de la Chambre dorée et celle de l'Hymne de la Justice sont strictement analogues. D'Aubigné écrit de la «Chambre Doree», c'est-à-dire de la Grand Chambre du Parlement de Paris :

 

Là voit-on presider Sur un throsne eslevé, l'Injustice impudente. les Lycaons sont les juges dans la Chambre dorée (v. 192).

 

Le bâtiment fait des restes des martyrs dans lequel officient les juges iniques de La Chambre dorée abrite les juges lycanthropes. [...] A la figure de Thyeste dévorant ses propres enfants se surajoute celle du loup-garou, contemporaine de la chasse aux sorcières; ces hommes métamorphosés en bêtes semblent en effet s'être réunis pour un festin digne du sabbat ! De surcroît, le poète, en insistant sur le mélange de barbarie et de raffinement, de réalité triviale du corps et de «fines cruautez», d'animalité et de pensée, met en place une image de l'homme particulièrement monstrueuse et cynique. Ce tableau est d'ailleurs une vision de Dieu lui-même, qui de son «ongle» écarte les pans de ce bâtiment d'os et aperçoit dans la «chambre dorée» cette scène, qui est suivie dans le texte d'une description des allégories des vices, l'injustice, l'avarice, l'ire, la jalousie, vieilles harpies, - faut-il dire sorcières ? -, toutes plus affreuses les unes que les autres. Le regard divin se porte ensuite sur un second édifice :

 

Un funeste chasteau, dont les tours assemblees

Ne mĂ´nstroient par dehors que grilles redoublees,

Tout obscur, tout puant; c'est le palais, le fort

De l'Inquisition, le logis de la mort :

C'est le taureau d'airain dans lequel sont esteintes

Et les justes raisons et les plus tendres plaintes.

LĂ , mesme aux yeux de Dieu, l'homme veut estouffer

La priere et la foy : c'est l'abregé d'enfer. (La chambre dorée, vv. 529-536) (Marianne Closson, L'imaginaire démoniaque en France (1550-1650): genèse de la littérature fantastique, 2000 - books.google.fr).

 

Plus cruel que Phalaris, dit Pline (L. XXXIV, c. 19), Perillus fit pour ce tyran un taureau (d'airain), assurant qu'un brasier allumé dessous feroit mugir l'homme qu'on y enfermeroit.

 

L'Égypte, dit-on, manqua de pluie pour fĂ©conder les terres, qui languirent dessĂ©chĂ©es pendant neuf annĂ©es. Thrasius vint alors trouver Busiris, et lui annonça que le sang d'un hĂ´te Ă©tranger, versĂ© sur les autels de Jupiter, pouvait seul apaiser le dieu. «Tu seras donc, rĂ©pond Busiris, la première victime offerte Ă  Jupiter; hĂ´te de l'Égypte, c'est toi qui vas lui donner de l'eau.» Phalaris fit brĂ»ler, dans les flancs de son taureau d'airain, PĂ©rillus, malheureux inventeur de cet horrible instrument de supplice, qu'il arrosa le premier de son sang. Phalaris et Busiris eurent raison; car il n'est pas de loi plus Ă©quitable que celle qui condamne l'inventeur d'un supplice Ă  pĂ©rir par sa propre invention :

 

Justus uterque fuit : neque enim lex æquior ulla,

Quam necis artifices arte perire sua (L'Art d'aimer) (Œuvres complètes d'Ovide, Collection des auteurs latins, traduit par M. Nisard, 1869 - books.google.fr).

 

L'affaire de Marthe Brossier, cette prĂ©tendue possĂ©dĂ©e ne manque pas de susciter des controverses ; amenĂ©e Ă  Paris, en mars 1599, elle fut, sur l'ordre du Roi, examinĂ©e par des mĂ©decins qui ne dĂ©couvrirent rien de surnaturel dans son cas. D'AubignĂ© lui consacre un chapitre des Aventures du baron de Faeneste, oĂą il Ă©crit: «Les diables de Marthe, qui Ă©taient Belzebut et Ascallot, comme ils sceurent bien dire au Conseiller Matras, qui les interrogeait en Grec, estoient l'un trop praube et l'autre trop jeune pour avoir estudié». Mais les expĂ©riences qu'il nous apporte tĂ©moignent-elles d'une vĂ©ritable critique scientifique et d'une Ă©volution de sa pensĂ©e ? ou fait-il preuve d'une excessive prudence ? TĂ©moin de l'influence des magiciens de Cour en quĂŞte de faveurs royales, et aussi de la sĂ©vĂ©ritĂ© que la Province manifeste Ă  l'Ă©gard des sorciers, il reprend les idĂ©es de Bodin sur le prĂ©tendu pouvoir des sorciers, tout en constatant «que le jugement de ces choses est un grand fardeau Ă  une âme qui aime son salut». Mais il a le mĂ©rite, dans ses Lettres, de nous prĂ©senter la sorcellerie comme une rĂ©alitĂ© plus complexe que celle qu'on pouvait dĂ©couvrir dans ses poèmes. D'oĂą l'Ă©tonnante «mĂ©tamorphose» de la sorcière laide en une jeune et belle sorcière. C'est ainsi qu'il nous propose, dans la quatrième Lettre, l'exemple d'une enquĂŞte scrupuleusement menĂ©e par des juges compĂ©tents sur une affaire de lycanthropie, le coupable s'accusant de crimes qu'il n'avait pas commis. Il souhaite, pour de semblables causes, une juridiction Ă©clairĂ©e, et il rĂ©cuse les «Juges de village» ou les «Prevots» intĂ©ressĂ©s. Pourtant, il ne songe pas Ă  remettre en question les informations qu'il reçoit. La pauvre villageoise de Cartigny, qui rĂ©pond en toutes langues, le confirme dans son idĂ©e que «a marque des vrais et faux dĂ©moniaques est l'usage de toutes les langues» (J. BailbĂ©, Agrippa d'AubignĂ©, Volume 6 de Etudes et essais sur la Renaissance, 1995 - books.google.fr).

 

Acrostiche : CVAL ou l'espagnol "cual"

 

"Cual es tu nombre ? Y el respondiĂł: mi nombre es Legion porque somos muchos" (Luc VIII,26).

 

Dans les formulaires d'interrogatoire contre les juifs "Interrogatio ad iudeos" la question posée d'entrée est "Quod tibi nomen est et congnomen ?" (Antoine Dondaine, Les Heresies Et L'Inquisition, XII-XIII siècles, Archivum fratrum praedicatorum, Volumes 17 à 18, 1947 - books.google.fr, Pierre Zaccone, Histoire de l'Inquisition, des Jésuites et des Francs-maçons, Tome 1, 1852 - books.google.fr).

 

Si dans les Tragiques on fait le compte des victimes de la répression, on s'aperçoit que la liste des martyrs d'Espagne le cède de loin à celle de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne et même de l'Italie. Encore le texte sur les autodafés qui dans «la Chambre dorée» illustre les malheurs de l'Église en Espagne est-il constitué par un ajout tardif, suscité peut-être par la mort de Philippe II. Il apparaît à bien des égards comme une interpolation qui nuit à l'unité du contexte. Sans ce texte, les victimes des iniquités et des cruautés espagnoles auraient été pratiquement passées sous silence. [...] La narration des autodafés espagnols couvre 60 vers (Tr. III, 525-585), contre 255 pour les persécutions en France (IV, 347-602), 252 pour l'Angleterre (IV, 77-329) et 97 pour l'Italie (IV, 613-710). Le Martyrologe de Crespin, dans lequel d'Aubigné prend ses renseignements est beaucoup plus fourni en détails et plus prolixe sur la répression en Espagne (Claude-Gilbert Dubois, «L'Espagne au front.» Remarques sur quelques occurrences des affaires d'Espagne dans les œuvres d'Agrippa d'Aubigné datées de 1616. In: Albineana, Cahiers d'Aubigné, 3, 1990 - www.persee.fr).

 

Le révérend de plus en plus admire

Tous les secrets du ténébreux empire.

Il voit partout de grands prédicateurs,

Riches prélats, casuistes, docteurs,

Moines d'Espagne, et nonnains d'Italie.

De tous les rois il voit les confesseurs,

De nos beautés il voit les directeurs:

Le paradis ils ont eu dans leur vie.

Il aperçut dans le fond d'un dortoir

Certain frocard moitié blanc, moitié noir,

Portant crinière en écuelle arrondie.

Au fier aspect de cet animal pie,

Le cordelier, riant d'un ris malin,

Se dit tout bas : «Cet homme est jacobin.

Quel est ton nom ?» lui cria-t-il soudain.

L'ombre répond d'un ton mélancolique:

«Hélas! mon fils, je suis saint Dominique.»

A ce discours, Ă  cet auguste nom,

Vous eussiez vu reculer Grisbourdon;

Il se signait, il ne pouvait le croire.

«Comment, dit-il, dans la caverne noire

Un si grand saint, un apĂ´tre, un docteur !

Yous de la foi le sacré promoteur,

Homme de Dieu, prêcheur évangélique,

Vous dans l'enfer ainsi qu'un hérétique !» (La Pucelle, Chant V)

 

Il semble que l'auteur n'ait voulu faire ici qu'une plaisanterie. Cependant ce Guzman, inventeur de l'Inquisition, et que nous appelons Dominique, fut réellement un persécuteur. Il est certain que les Languedociens nommes Albigeois étaient des peuples fidèles à leur souverain, et qu'on leur fit la guerre la plus barbare, uniquement à cause de leurs dogmes. Il n'y a rien de plus abominable que de faire périr par le fer et par le feu un prince et ses sujets, sous prétexte qu'ils ne pensent pas comme nous ((Note de Voltaire, 1762) (OEuvres complètes de Voltaire: La pucelle. Petits poëmes. Premiers contes en vers, 1877 - books.google.fr).

 

L'inquisition n'est nullement une invention des mauvais catholiques : elle est évangélique. (Saint Luc, chap. XIX, v. 27) Dans la parabole plus que curieuse contre le détenteur du marc d'argent qui ne l'a pas fait fructifier par le changeur, Jésus dit: «Quant à mes ennemis qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir devant moi.» (Alexandre Weill, Histoires de village, 1860 - books.google.fr).

 

La lutte contre le démon... On ne pouvait attendre moins des héritiers des Rois Catholiques. Charles Quint est sans doute le premier souverain espagnol à se doter d'un arsenal juridique pour intervenir contre les sorciers. C'est ainsi qu'en 1532 il promulgue en Allemagne la Nemesis Caroline, un ensemble de lois visant à légiférer en matière criminelle. Pourtant, il est évident que la chasse aux sorcières n'est pas encore à l'ordre du jour dans l'Empire puisque seulement trois articles sur 219 traitent de problèmes liés à la sorcellerie.'" Cependant, la Nemesis Carolina n'a jamais été appliquée, ni aux Pays-Bas, ni en Franche-Comté. Il faut en réalité attendre 1570 et la promulgation d'une ordonnance par Philippe II pour qu'un pas supplémentaire soit accompli dans la lutte contre les sorciers. Deux autres textes, l'un de 1592, l'autre de 1606 complètent les dispositions de 1570 sans pour autant les durcir à l'extrême. Car la sorcellerie relève en effet d'abord des tribunaux laïcs et ecclésiastiques locaux - en particulier de l'inquisition diocésaine. Celle-ci fonctionne depuis 1247 dans la comté de Bourgogne. Instituée par Innocent IV, son but est alors d'extirper l'hérésie vaudoise de la province. Trois siècles plus tard, sa mission n'a pas changé elle est toujours chargée de lutter contre les hérétiques, c'est-à-dire qu'elle n'instruit que les affaires de "vaudoiseries", les affaires de sorcellerie demeurant du ressort des juges laïcs. En outre, cet inquisiteur diocésain ne peut agir que sous le double contrôle de l'official de Besançon et des juges civils, ce qui limite considérablement ses pouvoirs. Le rôle de l'inquisition diocésaine [...] instruit les dossiers des suspects puis livre ceux-ci au bras séculier qui les juge et les condamne. [...] 

 

Philippe II a  tenté de développer l'inquisition générale en Franche-Comté contre les réformés, mais ses initiatives en ce sens ont traîné en raison de la lenteur que mettent les ordres royaux transitant par les Pays-Bas et surtout en raison de la mauvaise volonté ou plutôt de la force d'inertie que développent les Comtois face aux ordres de leur seigneur naturel. Et, si, au début du XVIIe siècle, la traque des réformés fait place à une chasse aux sorcières quasi générale dans la province, c'est peut-être parce que, dans la seconde moitié du XVIe siècle, le sang ne coule pas en Franche-Comté autant qu'aux Pays-Bas et que le "rand sacrifice" de réformés n'a pas lieu. Cette chasse aux sorcières est sinon encouragée, du moins stimulée par le roi d'Espagne et les Archiducs, à travers l'édit souverain de 1604 "le seul édit répressif provenant du Prince en Franche-Comté", punissant de mort non seulement les sorciers, mais aussi ceux qui assistent à leurs assemblées. La Franche-Comté connaît donc, de 1596 à 1635, toute une série de procès retentissants - se terminant invariablement par de grands bûchers - principalement sur les terres des deux plus grandes abbayes de la comté de Bourgogne, Luxeuil au nord et Saint-Claude au sud où officie le juge Henri Boguet (François Pernot, La Franche-Comté espagnole: à travers les archives de Simancas, une autre histoire des Franc-Comtois et de leurs relations avec l'Espagne de 1493 à 1678, 2003 - books.google.fr).

 

C'est un arrêt du Parlement de Dôle qui condamne au supplice Gilles Garnier (cf. la "chambre dorée" d'Aubigné qui est le Parlement de Paris). L'inquisition avait toute latitude dans l'instruction des procès en sorcellerie, selon Pernot, mais contrairement à ce qu'il dit on ne voit pas en quoi cela est marginal, sachant que la torture y était pratiquée sous l'indication des inquisiteurs, et que l'instruction est un des rouages des procès et leur caution spirituelle. Depuis la bulle Summis desiderantes d'Innocent VIII de 1484, l'inquisiteur peut poursuivre directement le sortilège (Henri Moreau, Eglise, gens d'Eglise et identité comtoise, 2020 - books.google.fr).

 

"double sens"

 

Or d'autant que les gens biens nourris, et ceux qui estoient craintifs auoient horreur d'aller la nuict aux sepulchres, and vser de telles sorcelleries, Sathan trouua pour ceux-là d'autres moyens pour se faire adorer, en se mettant au corps de celles qui alloient aux Temples, parlant en icelles, ce qui aduenoit le plus ordinairement aux vierges, qui estoient ieunes Sorcieres, façonnees à telles impietez, qui ieusnoient and prioient en grande deuotion, en la cauerne d'Apollon, and y dormoient la nuict (car d'autant plus l'impieté est grande, plus elle est couuerte du voile de religion et pieté) puis le Diable entroit au corps d'icelle qui auoit passé ainsi la nuict, and le iour suyuant elle deuinoit les choses, qu'on auoit demandees en paroles & responses qui auoyent quasi tousiours double sens, & s'appelloient telles femmes prestresses Pythiennes, & quelquesfois Sybilles : Ainsi appelle Virgile la Sybille Cumane, laquelle après les prieres faictes à Satan en la cauerne deuient en furie, escumant & parlant nouueau langage: & disoit-on alors, que le Dieu estoit venu en elle. C'est pourquoy en la loy de Dieu, il est dict que la femme sera lapidee qui aura l'esprit Pythonic, qui est appelle "ob" [hébreu]  que les LXXII. interpretes ont tourné engastrimuthon ê epaoidous" comme qui diroit parlant au ventre ou vaisseau, comme font les Sorciers auec leurs bouteilles de verre and bassins (Johannes Bodin, De la demonomanie des sorciers, 1582 - books.google.fr).

 

Pantagruel juge des paroles prophétiques en général, au sortir de l'oracle de la Sibylle de Panzoust, au Tiers Livre où apparaît le mot "amphibologie" (1546) (www.cnrtl.fr).

 

Le rapprochement entre l'homonymie et l'amphibolie tient à une mécompréhension de la nature exacte de l'amphibolie. Aristote croit en effet que l'amphibolie dépend de l'ambiguïté d'un mot, alors qu'elle s'explique en réalité par l'ambiguïté de la structure syntaxique (Louis-André Dorion, Les réfutations sophistiques, 1995 - books.google.fr).

 

Pantagruel, ces motz achevez, se teut assez longtemps, & sembloit grandement pensif. Puys dist à Panurge. L’esprit maling vous seduyt. Mais escoutez. I’ay leu qu’on temps passé les plus veritables & sceurs oracles n’estoient ceulx que par escript on bailloit, ou par parolle on proferoit. Maintes foys y ont faict erreur, ceulx voyre qui estoient estimez fins & ingenieux, tant à cause des amphibologies, équivocques, & obscuritez des motz, que de la briefveté des sentences. Pourtant feut Apollo dieu de vaticination surnommé. Ceulx que l’on exposoit par gestes & par signes, estoient les plus veritables & certains estimez. Telle estoit l’opinion de Heraclitus. Et ainsi vaticinoit Iuppiter en Amon : ainsi prophetisoit Apollo entre les Assyriens. Pour ceste raison le paingnoient ilz avecques longue barbe, & vestu comme personaige vieulx, & de sens rassis : non nud, ieune, & sans barbe, comme faisoient les Grecz. Usons de ceste manière : & par signes sans parler, conseil prenez de quelque Mut. I’en suys d’advis (respondit Panurge). Mais (dist Pantagruel) il conviendroit que le Mut feut sourd de sa naissance : & par consequent Mut. Car il n’est Mut plus naïf, que celluy qui oncques ne ouyt (Tiers Livre, chapitre XIX) (Rabelais, Œuvres complètes (1552), 1870 - fr.wikisource.org).

 

Je ne crois pas que Panurge, se rendant Ă  Panzoust consulter la Sibylle, ait peur des autoritĂ©s thĂ©ologiques qui condamnent les sorciers et de l'Inquisition qui procède contre eux. Car, Ă  l'Ă©poque oĂą Rabelais Ă©crit le Tiers Livre, ces hautes autoritĂ©s ont bien autre chose Ă  faire que de s'occuper d'une «diseuse de bonne aventure» de village ; la Sibylle de Panzoust n'est pas une sorcière, pas plus que toutes les personnes qui, Ă  toutes les Ă©poques (y compris la nĂ´tre), prĂ©disent l'avenir au moyen de techniques diverses - ou prĂ©tendent le faire. La consultation de la Sibylle entre dans le cadre gĂ©nĂ©ral des consultations diverses ordonnĂ©es par Pantagruel sur la question du mariage de Panurge - et Rabelais, comme d'habitude, procède par dĂ©nombrements complets, ou quasi-complets ; il n'y a pas ici plus de sorcellerie que dans la consultation de Triboulet (T.L. XLV et XLVI) ou dans celle des «sors virgilianes» (T.L. XII). Cependant Panurge a peur, et pour plusieurs bonnes raisons ; c'est d'abord qu'il ne connaĂ®t certainement pas la technique utilisĂ©e par cette «vieille», et qui est sans doute une des formes de la pyromancie, mais une forme «rustique», si l'on peut dire, que Panurge, ce citadin, n'a jamais expĂ©rimentĂ©e. Dans l'Ă©tat oĂą il se trouve, il est tout naturel qu'il ait peur, car il se trouve devant un «mystère horrificque» ; d'autant plus «horrificque», d'ailleurs, qu'il sait bien qu'en tout Ă©tat de cause la «vieille» apportera une rĂ©ponse qu'il craint, parce qu'il sait trop bien qu'elles furent les conclusions des consultations prĂ©cĂ©dentes ; d'ailleurs toute espèce de rĂ©ponse lui fait peur : la philautie qui le caractĂ©rise lui fait craindre toute espèce de solution, quelle qu'elle puisse ĂŞtre, qui est extĂ©rieure Ă  lui, mais aussi, Ă  l'intĂ©rieur du cercle de ses propres cogitations, toute amorce de processus qui si peu que ce soit, aurait un autre objet que lui-mĂŞme ; en fait il voudrait bien se marier - et pour cela il craint une rĂ©ponse nĂ©gative - mais pour se marier il faut ĂŞtre deux - et pour cela il craint une rĂ©ponse positive. Je suis donc portĂ© Ă  donner Ă  la peur de Panurge une signification moins actualisĂ©e : l'Ă©trangetĂ©, la rusticitĂ© des procĂ©dĂ©s mantiques de la Sibylle ne font qu'accĂ©lĂ©rer un processus qui se dĂ©veloppe dans l'âme de Panurge depuis qu'il s'est posĂ© la question de savoir s'il devait ou non se marier - ce qu'il craint, c'est la rĂ©alitĂ©, c'est la vie avec tout ce qu'elle implique de ces menus renoncements qui sont justement la condition du bonheur (Gabriel Spillebout, Note conjointe sur la Sibylle de Panzoust, Bulletin, Association des amis de Rabelais et de La Devinière, Volume 3, 1972 - books.google.fr).

 

Souvent devant les quatrains des Centuries, on se trouve devant ce qu’il faut appeler amphibologie, deux sens ou plus.

 

Bauffremont

 

Fils aîné de Jacques de Pérusse, seigneur des Cars, de Juillac et de Ségur, conseiller et chambellan du roi, et de sa première épouse et, Anne Jourdain de l'Isle, François de Pérusse, comte d'Escars, assure la charge de capitaine de cinquante homme d'armes des ordonnances du roi du 15 septembre 1565 au 20 avril 1578. Il est nommé lieutenant général en Guyenne, puis gouverneur de Bordeaux le 26 avril 1565, et enfin conseiller au Conseil d'État et privé du 11 février 1570 au 20 avril 1578. Il est fait chevalier de l'ordre de Saint-Michel en 1561, puis de l'ordre du Saint-Esprit, lors de la première promotion, le 31 décembre 1578. Il épouse, en 1546, en premières noces, Claude de Bauffremont ; et en secondes, Isabeau de Beauville, veuve de Blaise de Montluc. Il meurt le 10 septembre 1595 (fr.wikipedia.org - François de Pérusse des Cars).

 

François de Pérusse est le frère de l'évêque de Langres, Charles. Claudine de Bauffremont était de la branche de Scey-sur-Saône (fr.wikipedia.org - Maison de Bauffremont).

 

Son frère,  Claude de Bauffremont, né en 1552, fut successivement prieur de Fouvent et de Saint-Jôme, abbé d'Assé, de Balerne et de Longuay, trésorier de Saint-Martin de Tours en 1561, et placé en la même année, sur le siége épiscopal de Troyes, après qu'Antoine Caracciole, qui en était évêque, eut apostasié pour embrasser le calvinisme. Les auteurs du temps parlent de Claude de Bauffremont avec éloge, et regardent son élection comme un choix de la Providence, en ce qu'il sut, par ses soins et son zèle, réparer les maux que cette église avait soufferts. Il avait partagé avec ses frères en 1559; et, à la suite de ce partage, il avait fait bâtir, à Scey-sur-Saône, un vaste château où il mourut le 24 septembre 1595 (Jean Baptiste Pierre Jullien de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, 1826 - books.google.fr).

 

L’annĂ©e 1576 marque un tournant dans sa vie. Jean Bodin publie les Six livres de la Republique dont le succès est d’emblĂ©e considĂ©rable. La mĂŞme annĂ©e, Ă©lu dĂ©putĂ© du Vermandois, il siège aux États gĂ©nĂ©raux de Blois en qualitĂ© de dĂ©putĂ© du Tiers États. Son rĂ´le y est considĂ©rable. Le compte-rendu qu’il livre de ces journĂ©es le montre prĂ´nant une rĂ©solution pacifique de la question religieuse, dĂ©fendant les intĂ©rĂŞts du peuple et se prononçant pour l’inaliĂ©nabilitĂ© du domaine royal (dont le roi, selon lui, est seulement usager mais qui appartient Ă  tout le peuple et ne doit en cela ĂŞtre vendu). Alors qu’il Ă©tait jusqu’alors en faveur auprès de Henri III, cette prise de position entraĂ®ne sa disgrâce auprès du roi. Cette situation peut expliquer le compte-rendu anonyme (rĂ©digĂ© Ă  la troisième personne, sans nom d’auteur, ni d’imprimeur) qu’il donne de ces nĂ©gociations : 1577 : Recueil de tout ce qui s’est negotiĂ© en la compagnie du tiers Estat de France, en l’assemblĂ©e generale des trois Estats, assignez par le Roy en la ville de Bloys, au XV. novembre 1576, s. l., s. n., 1577. Il en existe Ă©galement une version latine, toujours anonyme, mais attribuĂ©e par la BnF Ă  Jean Bodin et Claude Bauffremont : Commentarius de iis omnibus quæ in Tertii Ordinis conventu acta sunt, generali Trium Ordinum concilio Blesis a rege indicto ad 15 novembris diem 1576, Rignaviæ, apud Jacobum Sterphen, 1577 (Sabine Lardon, Les Six Livres de la RĂ©publique de Jean Bodin (1576). La première citation des Serments de Strasbourg, Historiographie des Serments de Strasbourg, 2019 - journals.openedition.org).

 

Ce Bauffremont devrait ĂŞtre de la branche de Sennecey.

 

Nicolas de Bauffremont, né en 1520 et mort en 1582, baron de Sennecey, gouverneur d'Auxonne, chevalier du Saint-Esprit, Grand-prévôt sous Charles IX, prit part aux massacres de la Saint-Barthélemy, aux batailles de Jarnac et de Moncontour, et fut orateur et président de la noblesse aux États de Blois (1576). Il épousa Denise Patarin dont il eut Claude qui suit et Georges de Bauffremont (fr.wikipedia.org - Maison de Bauffremont, Werner L. Gundersheimer, The Life and Works of Louis Le Roy, 1966 - books.google.fr).

 

La seigneurie de Visargent Ă  Sens sur Seille Ă©tait aux Brancion pendant 400 ans. Une partie de Sens Ă©tait aux Bouton du Fay (Lucien Guillemaut (1842-1917), Armoiries et familles nobles de la Bresse louhannaise, 1909 - visualiseur.bnf.fr).

 

Sens (Saône-et-Loire, arr. de Louhans, cant. de Saint-Germain-du-Bois) sur la Seille, Moulins, tuilerie. La seigneurie a appartenu aux Bauffremont, aux Lugny, aux Bouton, aux Montcony, aux La Chambre, aux Lantin, et aux Beaumont. Ruines du château de Visargent, propriété des de Vienne, des de Saudon, des de Brancion et des de Clermont-Mont-Saint-Jean. On écrit "Sans" (1498) (La Grande encyclopédie, Tome 29, 1886 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Sens-sur-Seille).

 

Victimes et bourreaux

 

Au terme de la publication de son arrêt de condamnation au feu, un avertissement demande à tous bons catholiques de respecter les commandements de l'Église catholique afin d'éviter que Satan ne parvienne à ses fins maléficieuses. on note donc un retour de satan, mais un Satan qui n'est plus l'objet de la justice divine exercée par les petits enfants. Au contraire, c'est un Satan qui déchire à pleines dents et avec ses griffes acérées les petits innocents, semblables à ceux qui ont lutté contre Satan en enseignant que la violence était le devenir eschatologique d'un royaume souillé et pollué par l'hérésie. L'angoisse est de nouveau à liceuvre à travers une figure carnassière qui donne l'impression de vouloir annihiler ceux qui sont protégés par Dieu, tandis que, parallèlement, le fantasme sorcellaire resurgit... Une crise de l'imaginaire serait ici perceptible, un fantasme de culpabilité, puisque c'est la pureté qui paraît devoir être éradiquée par une sorte d'armée d'ombres lupines proliférantes, simultanément au grand retour de la croyance dans des sabbats dont le roi est Satan, qui revient à l'offensive dans le royaume de France. [...]

 

Si l'on veut aller plus loin que cette seule constatation de l'inhumation d'un fantasme d'innocence conditionnant le salut collectif et de son transfert dans une image d'enfance soit inachevée et imparfaite, soit victimisée et risquant une manducation effrayante par un être composite et donc diabolique, la sainteté de l'enfant bourreau surgit dans un moment clef des conflits de religion, en se fixant sur le roi Henri III, entre janvier et août 1589, dans le contexte de son régicide. Et il faut donc se pencher sur le cas du "puer" Jacques Clément, en se posant la question de savoir dans quelle mesure il s'inscrit dans la continuité ou la discontinuité des petits enfants de la période qui débute avec la mort d'Henri II et semble avoir pris fin dans les massacres et les exaltations mortifères de 1572. [...]

 

Le père Edme Bourgoing rapporte avoir Ă©voquĂ© le cantique de Zacharie, mari de sainte Élisabeth, tout juste entendu Ă  l'office, donnant Ă  comprendre Ă  ClĂ©ment qu'il serait l'enfant prĂ©curseur du Messie. "Et tu, puer, propheta Altissinti vocaberis", "Toi aussi, petit enfant, tu seras appelĂ© prophète du Très-Haut" (Luc, 1, 76). Il envoie ClĂ©ment voir le père Brusseau, qui bĂ©nit la vision : "Souviens-toi de jahel qui accueille sous sa tente le mĂ©chant Sisera et, pendant son sommeil, lui enfonce un clou dans la tempe Ă  l'aide d'un marteau." Tous alors entonnent un chant d'action de grâces. "Comment ne serait-il pas agrĂ©able â Dieu de voir pĂ©rir un roi qui opprime ses sujets et regorge de vices ? Ne serait-ce pas chose sainte et hautement recommandable de le tuer ? Au point que celui qui en viendrait Ă  bout, mĂŞme s'il devait y trouver la mort, serait assurĂ© d'ĂŞtre accueilli au ciel parmi les bienheureux." [...]  D'oĂą un retour au premier plan dans l'histoire des guerres de Religion de la figure de l'enfant et de sa vocation prophĂ©tique. Le parcours rĂ©gicide ne doit-il pas, dans ce contexte, ĂŞtre analysĂ© comme une grande crise de possession progressive, qui, rituellement entamĂ©e par toute une ville, atteint son point de transe en un individu dĂ©terminĂ©, et dont l'issue n'est pas Ă©trangère Ă  un prophĂ©tisme de la justice divine ? Le 29 juillet, après ĂŞtre allĂ© trouver un saint personnage (le père Bourgoing â nouveau ?) qui lui donne son accord, ClĂ©ment est dĂ©peint comme s'enfonçant dans une pĂ©riode de dĂ©sincarnation et de monologue permanent avec Dieu, une pĂ©riode de ravissement et d'amour absolu de Dieu. Le tueur en devenir bascule dans l'extase. [...]

 

Durant les affrontements des guerres de Religion qui déchirèrent la France entre 1562 et 1598, des enfants catholiques âgés de six à douze ans participaient à l'exécution des hérétiques, se faisant ainsi tueurs, massacreurs et tortionnaires (Denis Crouzet, Les Enfants bourreaux au temps des guerres de Religion, 2020 - books.google.fr).

 

 

La vocation prophĂ©tique de l’enfant rĂ©apparaĂ®t dans les CĂ©vennes avec la guerre des Camisards : cf. quatrain II, 97.

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