Libertins

Libertins

 

I, 90

 

1623-1624

 

Bourdeaux, Poictiers au son de la campane,

A grande classe ira jusqu'à Langon,

Contre Gaulois sera leur tramontane,

Quand monstre hideux naistra près de Orgon.

 

"Orgon" : Gorgone

 

L'île de Gorgone se nomme aussi Orgon selon Stéphane de Byzance, cité après l'Orgon provençal sur la Durance par Filippo Ferrari (Filippo Ferrari, Lexicon geographicum, Tome 2, 1670 - books.google.fr - books.google.fr).

 

Le "monstre" serait la définition du nom de Gorgone :

 

Au reste, soient ces Gorgones ou femmes ou monstres hideux, les Poëtes les ont depuis placees parmi les autres terreurs infernales seruans à la vengeance & punition des malfaiteurs; aussi bien que les plus cruels animaux qu'on ait peu imaginer (Natale Conti, Mythologie, c'est à dire Explication des fables, traduit par I. de Montlyard, 1612 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain V, 62.

 

J'ai nommé ailleurs Rutilius Numatianus, poëte gaulois qui vécut longtemps à Rome et nous a laissé un poëme sur son retour dans sa patrie; il y dit, en passant près de l'île de Gorgone :

 

Je déteste ces écueils, théâtre d'un récent naufrage. Là s'est perdu un de mes concitoyens, descendu vivant au tombeau. Il était des nôtres naguère; issu de nobles aïeux, en possession d'une noble fortune, heureux par un noble mariage; mais, poussé par les furies, il a abandonné les hommes et les dieux, et maintenant, crédule exilé, il se complait dans une sale retraite. Malheureux, qui croit au sein de la malpropreté se repaitre des biens célestes, et se tourmente lui-même, plus cruel pour lui-même que les dieux offensé ! Cette secte est-elle donc, je vous le demande, plus fatale que les poisons de Circé ? Circé changeait les corps, maintenant ce sont les esprits qui sont changés ?

 

Sans doute Rutilius était païen; mais beaucoup de gens en Occident l’étaient comme lui, et recevaient les mêmes impressions (François Guizot,Histoire de la civilisation en France depuis la chute de l'Empire romain, Tome 1, 1868 - books.google.fr).

 

La Chartreuse de Saint-Gorgon, dans l'île de la Gorgone, près de l'île de Corse, occupée, au XIe siècle par des Moines Bénédictins, fut donnée aux Chartreux par le Pape Grégoire XI. A cause des fréquentes incursions des pirates algériens, cette Maison fut abandonnée par l'Ordre en 1425, et les biens servirent à doter la Chartreuse de Pise, en 1482. Lorsque le Pape Léon X donna l'île de la Gorgone à la République de Florence, en 1513, il fut spécifié qu'une reconnaissance annuelle serait payée aux Chartreux de Pise, pour leur domaine direct (François A. Lefebvre, Saint Bruno et L'Ordre des Chartreux, Tome 2, 1883 - books.google.fr).

 

Entre la Gorgone, Gargan (tua), saint Gorgon et Galigans, on suspecte des affinités onomastiques et mythiques qui sont autant d'éclats de mythes disloqués et qui renvoient à la structure profonde d'un mythe au moins indo-européen (Philippe Walter, Le Bel inconnu de Renaut de Beaujeu, rite, mythe et roman, 1996 - books.google.fr).

 

Le nom du géant divin Gargan ou Gargantua, ne dérive pas en effet de l'image racine garg qui signifierait gosier, mais d'une racine plus primitive, pré-indo-européenne selon Dauzat, kar ou kal, gar ou gai, signifiant la pierre, et que Dontenville décèle jusque dans le nom de la Gorgone pétrifiante ou celui du substitut chrétien de Gargantua, saint Gorgon (Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire - 12e éd., 2021 - books.google.fr).

 

Iter

 

Une première étape conduit Rutilius à pied de Rome à Ostie. Après quinze jours à attendre la nouvelle lune, commence seulement le voyage en barque par cabotage, en huit étapes :

 

- d'Ostie à Centumcellae (aujourd'hui Civitavecchia), avec un détour pour visiter les thermes taurins ;

- de Centumcellae à Portus Herculis (aujourd'hui Porto Ercole) ;

- de Portus Herculis à un campement de fortune un peu au nord de l'embouchure de l'Umbro (aujourd'hui Ombrone), après avoir contourné le Monte Argentario ;

- du campement de fortune à Falésie (aujourd'hui Piombino), face à l'île d'Elbe, où il arrive vers midi ;

- de Falésie à Populonia ; l'étape est très courte car le trajet, par vent contraire, est fait à la rame ;

- de Populonia à Vada Volaterrana (aujourd'hui Vada), port de Volaterra (aujourd'hui Volterra), en voyant en route la Corse et l'île de Capraria (aujourd'hui Capraia) ; le mauvais temps force la flottille à s'arrêter au moins deux jours ;

- de Vada Volaterrana à une villa nommée Triturrita, près du port de Pise ; Rutilius visite la ville le lendemain, et doit attendre encore plusieurs jours le retour d'un temps favorable ;

- de la villa Triturrita à Luna.

 

L'ensemble du trajet depuis Ostie prend au moins douze jours, mais les indications de durée des haltes imposées par le mauvais temps sont incomplètes : cette partie du voyage a pu durer plus longtemps. Les dates exactes ont été établies par les chercheurs avec des variations sensibles, puisque les indications chronologiques (météorologiques, astronomiques, événementielles) manquent de cohérence ; il convient donc de placer prudemment le voyage dans la seconde quinzaine d'octobre ou au début de novembre 417.

 

Plusieurs références à l’Odyssée permettent à Rutilius d'incarner un nouvel Ulysse : le juif mauvais hôte est comparé à Antiphatès, le roi des Lestrygons cannibales, et la foi du moine de Gorgon aux poisons de Circéa. De la même manière que toutes les aventures d'Ulysse lui rappellent sans cesse sa patrie, toutes les aventures que Rutilius rencontre pendant son voyage le ramènent en pensée vers Rome (fr.wikipedia.org - Rutilius Namatianus).

 

"Gaulois"

 

On ne sait de Claudius Rutilius Namatianus que ce qu'il nous apprend lui-même dans son poème De Reditu suo. Son nom lui-même n'est pas certain, puisqu'un manuscrit donne «Rutilius Claudius Namatianus» ; la forme Namatius a également été suggérée. D'après sa carrière, on peut supposer qu'il naît vers 370. D'origine gauloise, il appartient à une grande famille païenne de propriétaires terriens. Il reçoit une éducation traditionnelle, peut-être en partie à Rome ; il connaît bien la littérature classique, mais ignore peut-être le grec. Suivant son père Lachanius, il mène une carrière de haut fonctionnaire : il est maître des offices (commandant de la garde impériale et chargé des affaires étrangères), peut-être en 412, puis préfet de Rome entre mai et septembre 414. Il effectue à l'automne 417 le voyage en Gaule relaté dans son poème, qui est probablement rédigé pendant son séjour dans sa patrie, en 418 ou plus tard. Aucune information biographique postérieure au poème ne nous est connue et Rutilius ne semble pas avoir écrit d'autre œuvre. Un Rutilius est le dédicataire de la comédie Querolus de la même époque, et l'identification avec Namatianus est vraisemblable (fr.wikipedia.org - Rutilius Namatianus).

 

"Tramontane"

 

La tramontane est un vent que les marins connaissent sur les mers en Méditerranée. Il en est parlé aux alentours de l'Île de Gorgone près de la Toscane (Jean de Thévenot, Relation d'un voyage fait au Levant, Tome 2, 1689 - www.google.fr/books/edition).

 

Une fois arrivés aux ports sur l'Arno de Ponte a Poppi (Casentino) pour le bois de Camaldoli et de Sant'Ellero ou de San Antonio (vallée supérieure de l'Arno) pour celui de Vallombreuse – des points d'abordage faciles car le fleuve était gonflé par ses affluents -, les bois ronds et carrés étaient mis à l'eau puis liés avec des bandes de cuir ou de clématite pour former les radeaux nommés foderi. Les pièces grandes et lourdes alternaient avec d'autres plus petites, plus légères, pour favoriser la flottabilité du tout. Le transport était suivi par les foderatori, des hommes munis de grosses et longues perches qui voyageaient sur les radeaux pour les pousser, et par le navicellaio qui les suivait sur une barque. Les conducteurs étaient recrutés par les moines, surtout parmi leurs gens. Vers 1670, les moines Camaldules disposaient d'une quarantaine d'ouvriers flotteurs. Leur tâche était assez difficile. Souvent les foderi s'échouaient et s'ensablaient eu égard à la nature torrentielle de l'Arno. D'autres obstacles importants, surtout dans le tronçon florentin, étaient les gords, véritables barrages construits au travers du fleuve près des moulins et des moulins à foulon. D'étroites ouvertures réglées par des cloisons (foderaie) permettaient le passage du matériel. La marchandise, à son arrivée à Livourne, à la bouche du port, courait aussi le risque de se perdre en mer. Les journaux du Dépôt racontent un épisode en 1685 : quelques «antenne» flottantes, pendant le passage «du fossé à la mer pour entrer par la bouche [du port] furent portées en haute mer par un coup de tramontane» et ensuite ensuite récupérées près de la côte de la Gorgone, grâce à l'intervention du châtelain de l'île. Pour pallier tous ces risques, les moines enregistraient le bois vendu et faisaient marquer au feu les troncs expédiés utilisant quelques symboles ou numéros progressifs (Forêt et marine, Groupe d'histoire des forêts françaises, 1999 - www.google.fr/books/edition).

 

"campagne" : campana

 

La "campana" latine est une cloche.

 

On attribue communément l'usage des cloches des Eglises à S. Paulin de Nole, d'où on prétend qu'elles ont été appellées Campana du nom de la Province, & Nola du nom de la ville. Mais il est certain que l'usage des cloches avoit des sonnettes d'or au bas de la tunique, pour avertir le peuple lorsqu'il entroit dans le Sanctuaire. Les Perses, les Grecs & les Romains se sont servis de cloches pour appeller le peuple en diverses occasions ; cependant on ne voit pas que l'on s'en soit servi dans l'Eglise pour appeller le peuple avant le tems de S. Paulin, qui le premier établit cet usage : il palla de-là dans les Eglises d'Occident (Pons-Augustin Alletz, Dictionnaire théologique, 1767 - books.google.fr).

 

Le poème de Rutilius est composé dans une époque de production littéraire intense en Gaule : les troubles décrits, qui ont secoué la province, sont confirmés par des passages d'autres auteurs compatriotes contemporains, comme Prosper d'Aquitaine, Paulin de Pella, Paulin de Nole ou Sulpice-Sévère (fr.wikipedia.org - Rutilius Namatianus).

 

Langon

 

Hebromagus était la principale villa de Paulin, plus tard évêque de Nole: c'était un immense domaine ou château grand comme une ville, dont parle le poète Ausone (Epistolae). Il était situé à proximité de la Garonne. Il se trouvait sur la route la plus directe qui menât d'Espagne et de Dax aux bords de la Garonne, ce qui nous conduit sans nul doute au coude formé par la Garonne à Langon. Paulin de Nole parle une fois de sa propriété, mais d'une façon fort vague : il rappelle qu'il l'abandonna en faveur des pauvres de l'Église. Nous placerons volontiers le domaine d'Hebromagus aux alentours de Langon, ce qui nous explique l'affection particulière témoignée par Paulin à l'église de cette ville. Peut-être, puisqu'il s'agissait d'immenses propriétés, – regna Paulini, dit Ausone (Epi., 25, 116), – s'étendait-il de Sauternes et de Budos à Langon et à Preignac (Praemiacum: peut-être le domaine du frère de Paulin, que ce dernier était obligé de traverser pour s'embarquer sur le fleuve). Et s'il m'était prouvé que la localité appelée Paulin dans la commune de Budos est ancienne, je n'hésiterais pas à y placer une dépendance du célèbre domaine de Paulin, évêque de Nole.

 

Alingo, aujourd'hui Langon, n'est connu que par les écrivains du Ve siècle. Nous voyons par les lettres de saint Paulin de Nole que les évêques de Bordeaux avaient une autorité sur les gens de Langon et que Delfinus y fit construire une seconde église, ce qui permet de conclure que Langon dépendait du diocèse de Bordeaux, et peut-être que cette fondation fut faite sur un domaine donné par Paulin à l'église de Bordeaux. Nous voyons par les lettres de saint Paulin de Nole que les évêques de Bordeaux avaient une autorité sur les gens de Langon et que Delfinus y fit construire une seconde église, ce qui permet de conclure que Langon dépendait du diocèse. Nous voyons par Sidoine Apollinaire qu'on s'embarquait à Langon pour se rendre de Bazas à Bordeaux : c'est près de cet endroit en effet que la marée commence à se faire sentir (à Castets), et c'est là que la Garonne prend sa direction dernière. Nous avons vu que Paulin de Nole s'embarquait également près de Langon (Camille Jullian, Archives municipales de Bordeaux, Inscriptions romaines de Bordeaux, Tome 2, 1890 - books.google.fr).

 

On s’embarquait : cf. « classe » du latin classis qui désigne souvent une flotte maritime.

 

Poitiers

 

RUTILIUS NUMATIANUS, (418), fils de Lachapius, préfet de Rome, était Gaulois de nation : c'est ce qu'il y a de certain. Les uns le font naître à Toulouse, mais sans preuves; d'autres, comme dom Rivet, à Poitiers, et je ne trouve pas ses conjectures fort décisives. On peut même tirer une preuve négative du silence de Rutilius sur Poitiers. Combien d'occasions ne devaient pas se présenter à son esprit de parler d'une ville qui devait lui être chère, si elle lui eut donné naissance ? Peut-être en parlait-il dans les vers de son Itinéraire qui nous manquent ; peut être aussi n'en disait-il rien. Quoi qu'il en soit, j'ai cru que dom Rivet, parlant de lui comme d'un savant né à Poitiers même, je ne pouvais me dispenser d'en parler ici. Il composa son poème au commencement du cinquième siècle, sous l'empire d'Honorius. Sa poésie est moins riche, moins élégante que celle de Claudien, son contemporain, elle ne manque pourtant pas de beautés (Jean François Dreux du Radier, Bibliotheque Poitevine: Histoire Littéraire Du Poitou, 1849 - books.google.fr).

 

Dom Rivet écrivait en 1735 :

 

Lachanius étoit pere du Poëte Rutilius. Quelques-uns les ont crus de Toulouse ou du voisinage (Iter 2. v.493). Ils se fondent apparemment, sur ce que Rutilius parlant de Victorin, qui étoit de cette Ville, et qu'il visita en passant à Volterre, il le qualifie son compatriote : mais cette expression ne signifie peut-être autre chose, sinon qu'ils étoient Gaulois l'un et l'autre. On seroit sans doute mieux fondé à faire Lachanius de Poitou ou de Poitiers même; car Rutilius son fils, faisant l'éloge de Pallade fils d'Exuperance, qui étoit de Poitiers, comme nous verrons dans la suite, le nomme l'espérance et l'ornement de sa propre famille, generis spemque decusque mei : ce qui semble marquer que la famille de Rutilius étoit aussi ou de la même ville ou de la même Province. Quoiqu'il en soit, il nous suffit que Lachanius fût Gaulois, tel qu'il étoit en effet (Histoire litteraire de la France, Tome 2 (1735), 1865 - books.google.fr).

 

«Vossius, écrit en effet D. Rivet, croit que c'est à Rutilius (Claudius Rutilius Numatianus, poète du Ve siècle et préfet de Rome) que le poète Flavius adressa la comédie, intitulée le Plaintif de Plaute ou l'Aulularia.» (H. lit. t. II, p. 73). C'est aussi le sentiment de Tillemont qui l'a suivi (Till., Hist. emp., t. V, p. 662, art. 67) (Léopold Hervieux, Les fabulistes latins depuis le siécle d'Auguste jusqu'à la fin du moyen âge: Phèdre et ses anciens imitateurs, Tome 1, 1883 - books.google.fr, Gerard Vossius, De Historicis Latinis libri tres, 1627 - books.google.fr).

 

Gérard Jean Vossius (Voss) (né à Heidelberg en 1577, mort à Amsterdam le 19 mars 1649) était un universitaire néerlandais du XVIIe siècle, qui enseigna l'histoire, la philosophie, la théologie et le grec et publia divers ouvrages sur l'histoire, la rhétorique, la grammaire, ainsi qu'un dictionnaire étymologique. À Leyde, il fit la connaissance de Hugo Grotius, avec qui il entretint toute sa vie des relations d'amitié. Son Historia Pelagiana (1618) permit à ses adversaires de l’accuser d’hérésie et de sympathie envers les Remonstrants : Vossius dut repousser d'une année la publication de cet essai et fut démis de sa chaire au terme du Synode de Dordrecht comme arminien (1618–1619) (fr.wikipedia.org - Gérard Vossius).

 

Cf. quatrain I,85.

 

Typologie

 

Le report de 1623 sur la date pivot 417 donne -789.

 

Le Vandale Genséric s'étant emparé de Carthage en 439, la vierge chrétienne Julie, qui était d'une des meilleures familles de cette ville, fut vendue comme esclave à un marchand de Syrie, nommé Eusébe et païen de religion. Lors d'un voyage commercial pour la Gaule, Eusèbe qui avait emmené Julie avec lui, aborda au Cap Corse où la sainte refusa de sacrifier aux Dieux. Elle fut martyrisée par le gouverneur de l'île de Corse Félix. Son corps fut translaté dans l'île de Gorgone par des moines avertis par les anges de sa mort, puis plus tard à Brescia par le roi Lombard Didier en 763.

 

Elle est fêtée le 22 mai date à laquelle, au XVIIIe siècle, se célébrait une messe qui comprenait une épître dont la leçon était tirée du livre de Tobie dont l'histoire se passe vers -790 sous le roi Assyrien Salmanazar (Jean Croiset, Année chrétienne ou Vie des saints et exercices de piété pour les dimanches, les fêtes mobiles et tous les jours de l'année, Tome 4 (1714), 1855 - books.google.fr).

 

Editions de l’Iter

 

Gaspard de Barth (Barthius en latin ; né le 21 juin 1587 à Küstrin, mort le 17 septembre 1658 à Leipzig) est un érudit du début du XVIIe siècle. Il est le premier en Allemagne à avoir édité Rutilius (fr.wikipedia.org - Gaspard de Barth,k Pasquale Amati, Collectio Pisaurensis omnium poematum, carminum, fragmentorum latinorum, sive ad christianos, sive ad ethicos, sive ad certos, sive ad incertos poetas, a prima latinae linguae aetate, 1766 - www.google.fr/books/edition).

 

The majority of the existing manuscripts of Rutilius come from an ancient manuscript found at the monastery of Bobbio by Giorgio Galbiato in 1493, which has not been seen since comte Claude Alexandre de Bonneval, a general in the service of the Austrian commander, Prince Eugene of Savoy took the manuscript in 1706. For centuries, scholars have had to depend primarily on the three best witnesses to this lost manuscript: a copy made in 1501 by Jacopo Sannazaro (identified by the siglum V, for Vienna); another copy made by Ioannes Andreas (identified by the siglum R, for Rome); and the editio princeps of Giovanni Battista Pio (Bologna, 1520). However, in 1973, Mirella Ferrari found a fragment of the poem, written in either the 7th or 8th century, that preserves the final 39 lines and has forced a re-evaluation not only of the text but of its transmission.

 

The principal editions since have been those by Kaspar von Barth (1623), Pieter Burman (1731, in his edition of the minor Latin poets, where the poem also appears under the title Iter), Ernst Friedrich Wernsdorf (1778, part of a similar collection), August Wilhelm Zumpt (1840), and the critical edition by Lucian Müller (Leipzig, Teubner, 1870), and another by Jules Vessereau (1904); also an annotated edition by Charles Haines Keene, containing a translation by George Francis Savage-Armstrong (1906) (en.wikipedia.org - Rutilius Claudius Namatianus).

 

Libertins

 

L'opposition entre Rutilius païen et hommes d'Eglise tel Paulin de Nole renvoie à la situiation religieuse du début du XVIIe siècle.

 

Pour les libertins de la première moitié du XVIIe siècle (qui suivent ici le modèle fourni par Montaigne), l'Antiquité païenne fournissait une mine de modèles moraux, philosophiques et politiques à opposer à toutes les orthodoxies du monde contemporain. “La vertu des païens”, pour reprendre le titre de l'essai de La Mothe Le Vayer (1588 - 1672), étaient une arme puissante dans la lutte contre les superstitions et les certitudes bien ancrées d'une France très-chrétienne. [...]

 

Si le néo-paganisme est généralement reconnu comme une caractéristique-clé du libertinage érudit - et, plus tard, des Lumières anti-cléricales (qu'on pense, entre autres, à l'ouvrage célèbre de Peter Gay, The Rise of Modern Paganism, premier volume de The Enlightenment, New York, Norton, 1966), il ne s'ensuit pas que l'alliance entre humanisme et libertinage soit sans tensions internes. Roger Zuber a examiné ces tensions dans “Libertinage et humanisme : une rencontre difficile” (XVIIe siècle, no 127, 1980, pp. 163-180). Bien que Zuber reconnaisse “la part qu'ont pu prendre certaines curiosités humanistes dans la montée de l'incroyance” ainsi que l'importance de "l'influence antique" dans la pensée libertine (p.169), il conclut d'une part, que la grande tradition humaniste reste chrétienne dans la première moitié du XVIIe siècle, et, de l'autre, que les libertins avaient plutôt tendance à rejeter "la voie de l'humanisme" (Larry Norman, Fontenelle, Montaigne et les Anciens du Nouveau Monde, Les libertins et Montaigne, Montaigne Studies XIX, 2007 - books.google.fr, XVIIe siècle n° 127, 1980 - books.google.fr).

 

Les libertins de l'âge baroque ont évidemment provoqué la réaction des catholiques zélés. L'incident le plus connu est la condamnation par le Parlement de Paris en 1623 du poète Théophile de Viau (1590-1626), qui avait publié en 1622 un recueil de poésies érotiques intitulé Le Parnasse satyrique. L'incident est occasion pour les catholiques de lancer une gigantesque offensive contre le libertinage. Dès 1623, le jésuite François Garasse (1585-1631) publie La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels, où il prétend avoir démasqué la piété du pyrrhonisme chrétien de Charron et constaté qu'elle dissimulait la plus coupable irréligion. Disciple de Charron, François Ogier (1597-1670), prêtre séculier, réplique à Garasse dans son Jugement et censure du livre de la Doctrine curieuse de François Garasse (1623), où il fustige l'ignorance de son adversaire. Garasse renforce ensuite ses arguments et fait paraître son Apologie du P. Garasse de la Compagnie de Jésus pour son livre contre les athéistes et libertins de notre siècle : Charron y est définitivement taxé d'athéisme. En 1625, Garasse publie une Somme théologique des vérités capitales de la religion chrestienne, où il se livre à une attaque en règle contre les libertins, essayant de discréditer le pyrrhonisme catholique. L'impudence de ses injures lui vaut une réplique cinglante de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran et ami de Jansénius, qui publie en 1626 une monumentale Somme des fautes et fausseté capitales contenues en la somme théologique du P. François Garasse de la Compagnie de Jésus en quatre tomes. Saint-Cyran accusait sa partie de malhonnêtetés diverses et d'hérésies variées, allant du pélagianisme au paganisme en passant par l'arianisme, le luthéranisme et le calvinisme. Il semble que Saint-Cyran ait surtout voulu défendre la légitimité du pyrrhonisme chrétien «La façon dont le scepticisme insistait sur le caractère impénétrable de Dieu, sur les limites de la raison humaine et sur les dangers qu'il y avait à essayer de mesurer Dieu à l'aide de critères humains était garante pour Saint-Cyran d'un saint christianisme augustinien». En affaiblissant notablement l'autorité religieuse, le scepticisme et le libertinage ont contribué à valoriser le rôle de la puissance civile dans le règlement des conflits confessionnels (Michel Figeac, Les affrontements religieux en Europe, du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, 2008 - books.google.fr).

 

Pour Garasse : cf. quatrain X, 29 - Des Vaudois à Saint Rémy de Provence - 2198-2199.

 

La défaite de Théophile fait suite à la mise à l'index des travaux de Copernic en 1616 et à l'interdiction faite à Galilée d'enseigner l'héliocentrismes. L'Église mène alors un combat acharné contre le rationalisme scientifique et la désorganisation de la psyché chrétienne. «Le procès de Galilée, écrit Louise Godard de Donville, était destiné à lui garder le monopole du vrai, fût-ce en matière de lois physiques ; le procès de Théophile tel que le conçoit et le transpose Garasse dans son pamphlet, tend à préserver le monopole de la théologie en matière d'explication psychologique, de réglementation morale, et de foi.» (Le libertin des origines à 1665: un produit des apologètes, 1989) (Pascal Debailly, Théophile de Viau et la poétique du soleil noir, Les oeuvres poétiques de Théophile de Viau: "écrire à la moderne", 2008 - books.google.fr).

 

Acrostiche : BACQ

 

S. Bacq, Bacchus, martyr en Syrie. XII, 150. — 7 octobre.

S. Bacque, Bacchus, martyr en Syrie. XI, 150. - 7 octobre (Paul Guérin, Les petits bollandistes: vies des saints, d'après le père Giry, les grands bollandistes, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres de chaque diocèse et les travaux hagiographiques les plus récents, 1878 - books.google.fr).

 

Saint Bacchus et le dieu Bacchus furent amalgamés ensemble avec le temps, les dieux païens (mineurs et majeurs) devenant des saints chrétiens. Dionysius, latinisation du grec ancien Dionysos, était le prénom de Denis de Paris ; ses compagnons Éleuthère (surnom de Dionysos) et Rustique (venant de la fête des Rustica) ont peut-être été nommés ainsi en raison de leur liaison avec le dieu du vin. Les choix des 7 octobre, pour Serge et Bacchus, et 9 octobre, pour Denis de Paris, peuvent s'expliquer parce que ces fêtes se placent durant les vendanges. Bacchus est la latinisation du grec ancien Bákchos, autre nom du dieu du vin grec Dionysos, et par syncrétisme, le nom du dieu dans la mythologie latine. Le nom du saint explique la raison de son martyre, foulé aux pieds par ses bourreaux, comme les raisins étaient foulés pour être réduits à l'état liquide. Le nom est parfois francisé en Bacche, Bacque ou Bacq (fr.wikipedia.org - Serge et Bacchus de Rasafa).

 

L'église Saint-Benoît-le-Bétourné est une église dédiée aux martyrs syriens Serge et Bacchus et fondée au VIe siècle à Paris, sur la rue Saint-Jacques dans l'actuel 5e arrondissement de Paris. Elle fut détruite en 1831 pour faire place au théâtre du Panthéon, rasé en 1854 pour permettre le percement de la rue des Écoles.

 

La tradition voulait que Denis de Paris (qui en serait le fondateur selon Raoul de Presles) se fût arrêté en ce lieu, après son martyre et sa décapitation, lors de son périple, emportant sa tête coupée dans ses mains... Il aurait alors prononcé une bénédiction en professant le dogme de la Sainte Trinité avant de dédier le lieu au «Benoît Sire Dieu». Par déformation sémantique, il semble acquis que dès le XIIIe siècle que le patronage de l'église passa à Benoît de Nursie. Alors que la tradition exigeait une orientation Est-Ouest, une erreur du maître compagnon architecte-bâtisseur fut de construire le chœur de cette église à l'ouest, ce qui lui valut d'être appelée «le bétourné» (pour «mal tourné», ou «détourné»). Vers 1280-1300, elle est citée dans Le Dit des rues de Paris de Guillot de Paris sous la forme Saint-Beneoit le bestourné (fr.wikipedia.org - Eglise Saint-Benoît-le-Bétourné).

 

La chapelle Notre-Dame-des-Champs, construite au faubourg Saint-Jacques, est l'emplacement où saint Denis avait été arrêté par ordre du préfet romain Sisinius Fesceninus (1re station). Viennent ensuite les seconde et troisième stations, les églises Saint-Etienne-des-Grès et Saint-Benoît-le-Bitourné, édifiées là où Denis aurait prêché, instruit les catéchumènes et célébré l'eucharistie. Puis c'est la quatrième station, l'église Saint-Denis-la-Chartre, à proximité du lieu de l'incarcération. La cinquième station est l'église Saint-Denis-du-Pas où Denis fut mis sur le gril, torturé et condamné. Selon la légende, les soldats, chargés de l'exécuter à Montmartre devant le temple de Mercure, s'arrêtèrent à mi-pente, sur le versant sud et c'est là qu'ils le décapitèrent. C'est la sixième station. La décapitation faite, Denis se releva, prit sa tête dans ses mains, continua à monter la butte, lava son chef souillé à une fontaine, descendit le versant nord pour, finalement, tomber et expirer près d'une pieuse veuve, Catulla, qui l'inhuma (septième station) (Jacques Hillairet, Évocation du vieux Paris, Tome 3, 1952 - books.google.fr).

 

François Villon ou plutôt François de Montcorbier, car Villon n'est qu'un surnom que lui valurent sans doute ses relations avec un vénérable protecteur de sa jeunesse, maitre Guillaume de Villon, prêtre de Saint-Benoît-le-Bétourné, à quelques pas de la Sorbonne, originaire lui-même de Villon, près de Tonnerre, dans l'Yonne - vint au monde à Paris, ou non loin de Paris, vers 1431, sous Charles VII. Sa famille était pauvre. Il fit ses études en Sorbonne, et y obtint même le diplôme de maître ès arts, qui lui permit d'enseigner publiquement les humanités et la philosophie. Mais la misère, le goût des plaisirs faciles, l'entraînèrent à de mauvaises fréquentations. Le libertinage allait de son temps jusqu'à l'escroquerie : il fut de son temps. Un rimeur anonyme put versifier, après sa mort, sous le titre Repues franches de François Villon, tous les mauvais tours au moyen desquels le pauvre étudiant se procurait, pour lui et pour ses compagnons de débauche, des repues franches, c'est-à-dire de bons repas qui ne leur coûtaient que la peine de les dérober. Le 5 juin 1455, maitre François, qui demeurait encore chez maitre Guillaume, est attaqué, le soir, sous le cadran même de l'église Saint-Benoît, on ne sait pour quel motif, par un prêtre nommé Philippe Chermoye, ou Sermoise, et le tue (Alphonse Pagès, Les grands poètes français, notices biographiques, littéraires et bibliographiques, 1883 - books.google.fr).

 

Plus qu'à un libertin moderne, Villon fait penser aux Goliards du XIIIe siècle dont il a et la sensualité et les repentirs. L'esprit critique s'arrête aux frontières dressées par le Magistère enseignant. La nature ne s'enferme pas en elle-même. Le christianisme imprègne encore les hommes et les œuvres. Pour qu'il perde son emprise, pour que l'esprit critique renverse les barrières, pour que la nature se suffise à elle-même, l'Antiquité doit d'abord renaître. Elle renaît en effet. En France et davantage en Italie, l'intérêt pour elle, qui n'avait jamais faibli depuis les temps barbares, s'accroît au XIVe siècle et redouble au XVe. Il se porte d'abord sur les Pères de l'Église autant que sur les auteurs classiques. Puis, progressivement, il se concentre sur ceux-ci. Les humanistes scrutent plus attentivement les oeuvres païennes. Ils en pénètrent mieux le sens et en dégagent plus exactement la portée. Ils découvrent ainsi l'Antiquité. Non pas celle que le moyen âge a imaginée, défigurée ou épurée, mais celle qui a existé. Et, pleins d'enthousiasme pour elle, ils décident de la rappeler à la vie et d'édifier sur elle une nouvelle civilisation (Léopold Genicot, Les lignes de faîte du Moyen Age, 1961 - www.google.fr/books/edition).

 

Prédicateur éloquent, prononça l'oraison funèbre d'Henri IV en l'église Saint-Benoît de Paris, Nicolas Coeffeteau (1574 - 1623) fut nommé  conseiller d'Etat par Louis XIII , puis évêque de Marseille (1621-1623) (Les Bouches-du-Rhône: encyclopédie départementale, 1937 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Nicolas Coeffeteau, Oeuures de R. P. en Dieu F. Nic. Coeffeteau de l'ordre de FF. Prescheurs, 1622 - books.google.fr).

 

Le chef des libertins entretient d'excellentes relations avec plusieurs ecclésiastiques. Les relations de Théophile de Viau avec Coeffeteau sont attestées par un très curieux passage des Mémoires de Marolles. Lorsque Coeffeteau, quelques jours après Pâques, en 1623, voulut donner lecture à ses amis de quelques unes de ses oeuvres, Théophile fut parmi les invités. Comme il avait la voix belle et qu'il lisait agréablement, ce fut lui qui fut le lecteur. Le lendemain, l'audition fut reprise et achevée. Au cours de la conversation Coeffeteau dit en riant à Théophile "de ne plus se commettre avec les moines". Théophile avait donc le droit d'écrire à Garasse : "Quid olim culpaturus eras Coeffetellum, Massiliensem episcopum, mihi aliqua conjunctione morum et non nullo humanarum litterarum commercio familierem ?". Il pouvait même le vanter d'avoir consolé Coeffeteau au moment de se mort : "Ille me paulo antequam excederet vivis, in suam viciniam vocaverat, ut haberet in procinctu studiosum aliquem cujus in couvictu suaviter inter laboris et morbi taedia pius animus relaxaretur" (Antoine Adam, Théophile de Viau et la libre pensée française en 1620 (1935), 2008 - books.google.fr).

 

Selon Émile Benveniste, l'analyse de familles lexicales apparemment inconciliables révèle qu'une unité première et une structure déterminante sont en général susceptibles de rester rémanentes. Cette structure rémanente se rapporte à des institutions sociales. Il s'agit non pas de séparer les choses mais de les unir et de saisir leur mouvement dialectique à partir de ce noyau. Ainsi, dans le chapitre intitulé "l'homme libre" de son Vocabulaire des institutions indo-européennes, Benveniste demande, après inventaire: "Comment expliquer par une racine leudh- "croitre, se développer", un terme collectif "le peuple", puis un adjectif "libre" et, localement, en latin, un nom de divinité Liber et un substantif liberi, "enfants"". Il précise qu'a Rome, le dieu Liber est assimilé à Bacchus. Cela se lit notamment chez Horace et chez Ovide, d'où les chanta médiévaux des Carmin Rumina, parfois évoqués dans les recherches sur le libertinage, semblent entre autres tirer leur inspiration. Rappelons ce vers tiré du chant 196: "ici nul n'a peur de la mort, mais à Bacchus remet son sort; d'abord à qui paye le vin, lèvent un verre les libertins, et un autre pour les captifs..." Les libertini apparaissent comme les serviteurs de Bacchus, c'est-à-dire de Liber, comme les christioni le sont du Christs. Mais Benveniste omet de narrer comment Bacchus ne représente pas seulement une spécialisation dans le domaine de la vigne, avec ce que le vin, quand il est bon, a de conséquences favorables à l'affranchissement des esprits, des langues et des mœurs, mais est aussi la figure du dieu qui se libère de ses chaînes et incite ses fidèles à faire de même avec les leurs. Que l'on voie surtout les Métamorphoses, livre trois, vers 511-534. À l'évidence, un lien génésique entre la détermination juridique et la détermination mythologique se dessine d'emblée (Jérémie Barthas, Retour sur la notion de libertin à l'époque moderne. Les politiques libertins à Florence, 1520-1530, Libertinage et philosophie au XVIIe siècle: Protestants, hérétiques, libertins, 1996 - books.google.fr).

 

Peuple et liberté restent bien des termes intrinsèquement liés, non seulement selon l'étymologie repérée par Benveniste, mais encore selon l'usage courant au début du XVIe siècle. Cri de ralliement, il est porteur d'une signification plus profonde. Ensuite, il semble que ce soient d'abord les ennemis des partisans du peuple et de la liberté qui les désignent comme libertini; d'où il résulte que libertini, au contraire de liberteschi qui parait neutre, serait un diminutif ou un péjoratif tendant à la déconsidération de la part de qui a l'idée de sa propre supériorité. L'emploi parait donc voisin de celui qu'en fait Tacite et de la façon dont il désigne avec mépris les affranchis. C'est ce qui apparaît manifeste dans le mode de dire de Guiccianlini aristocrate pour qui d'ailleurs la liberté apparaît comme un vain nom, toutes formes de gouvernement recelant un élément qui le fait apparaître comme tyrannique. Bonne façon de s'accommoder de l'absolutisme, de le justifier et le défendre (Jérémie Barthas, Retour sur la notion de libertin à l'époque moderne. Les politiques libertins à Florence, 1520-1530, Libertinage et philosophie au XVIIe siècle: Protestants, hérétiques, libertins, 1996 - books.google.fr).

 

Louise Godard de Donville, pour sa part, s'accorde avec Gerhard Schneider sur un point : elle penche pour faire de Calvin l'inventeur du mot (dans sa signification moderne). Mais ce n'est pas aux anciens esclaves romains que le réformateur ferait référence, c'est aux libertins des Actes des apôtres. Calvin est un théologien protestant, commentateur de la Bible, le seul texte qui, pour lui, mérite le titre de source de la foi. Comme la Synagogue des Libertins, la secte de Pocque et Quintin se recrute dans les basses classes A l'instar des libertins qui ont mis à mort Etienne, les quintinistes du XVIe siècle sont des ennemis du christianisme. Adonnés à la luxure, ils sont de condition trop vile pour accéder à la véritable libération, celle de la foi en Christ. En suivant d'anciennes gloses de Bède le Vénérable, ils ne seraient donc libres qu'en apparence  ; ils resteraient "esclaves du péché". Cette interprétation aurait ensuite commandé celle des apologètes des deux confessions rivales dans leur lutte contre le libertinage. A l'inverse de ces deux spécialistes et sans contester la qualité de leurs dossiers documentaires - je ne vois pas de raisons d'accorder une telle responsabilité à Calvin dans la genèse du sens moderne du mot libertin. Rien dans ses textes ne permet de l'affirmer. Ainsi, lorsqu'il écrit que cette «secte se nomme des Libertins», l'expression peut être entendue à la forme réflexive («qui se nomme elle-même des Libertins») ou passive («que l'on nomme des Libertins»). C'est d'ailleurs cette dernière voie qui a été choisie pour la traduction latine réalisée sous le contrôle du réformateur : Haec secta Libertinorum appellatur ! Ce passif n'implique donc aucune désignation de Calvin comme l'auteur de la dénomination (Didier Foucault, Histoire du libertinage, des goliards au marquis de Sade, 2007 - www.google.fr/books/edition).

 

Le projet de Louise Godard de Donville n'est pas de montrer le libertin réel (qui d'ailleurs reste masqué), ni de faire entendre une parole libertine (qui est ambiguë, voire polyphonique, allant de la profession de foi déiste à la profération blasphématoire ou se refusant dans l'aphasie sceptique), mais de faire apparaître sur la scène littéraire un personnage de papier, le libertin figuré dans le portrait-robot établi par les controversistes ou les apologètes, lesquels inventent sa représentation bien plus qu'ils ne la restituent. Ce projet, éminemment original, n'exclut nullement les mises au point savantes et pertinentes concernant la paradoxale fécondité du concept anachronique de libertinage, produit de la critique récente, et offre un état des questions tout à fait actuel et complet à ce sujet. Ce projet audacieux vise à faire comprendre le cheminement mental et la stratégie argumentaire des «persécuteurs», mais n'exclut pas, en creux, la prise en compte du fait que des personnes réelles, que l'on ne s'est pas contenté de brûler en effigie, ont été identifiées à ce personnage fictif. Ce projet se situe donc en amont des polémiques idéologiques ou méthodologiques, dans la lettre des textes du passé, et relève d'une lecture philologique. La première partie du livre de Louise Godard de Donville retrace les origines de la construction de l'Imago du libertin, synthétisée par Garasse en 1623. L'auteur suit les évolutions d'un terme désignant, pour les Latins, le fils d'un esclave affranchi, puis, pour les chrétiens, le sectateur d'une synagogue rebelle, et prenant, de Bède à Calvin, un sens de plus en plus large et de plus en plus péjoratif. L'érudition et la finesse du commentaire lexicographique font de ces pages un historique indispensable pour toute approche ultérieure du libertinage du XVIIe siècle. La seconde partie, la plus importante, analyse la Doctrine Curieuse du Père Garasse, gigantesque et monstrueux acte d'accusation contre un "groupe" défini par deux figures emblématiques: son "chef" actuel, Théophile de Viau, et son inspirateur éternel, Satan. Le réel (Vanini, les débauches et les provocations des "athéistes""ivrognets"), le culturel (les amalgames des hérésies, les analogies tirées d'un bestiaire fabuleux) le surréel (les marques démoniaques) se mêlent pour créer un personnage symbolique: le prototype du libertin. Celui-ci deviendra ensuite une sorte d'étalon à partir duquel on jaugera, jugera ceux qui seront soupçonnés de libertinage. Une suite de chapitres consacrés au "monstre" Théophile, au libertin persécuteur de la foi, au libertin prisonnier de sa licence, complètent cette représentation, grotesque et tragique, judicieusement replacée dans le cadre de la «rhétorique des figures» étudiée par Marc Fumaroli, et, par delà, dans le cadre d'une anthropologie scolastique (Pierre Ronzeaud, Bibliographie : Godard de Donville, Louise. Le Libertin des origines à 1665: un produit des apologètes (Paris, Seattle, Tubingen: Biblio 17, 1989 - earlymodernfrance.org).

 

Libertini

 

Jean-Louis Guez de Balzac a attribué au poète satiriste Turnus en 1663, dans ses Entretiens (liv. IV, chap. IV), un fragment de 30 vers hexamètres qui semble appartenir à un long poëme sur la corruption et les crimes du règne de Néron. Il prétendit l'avoir découvert «dans un parchemin pourri en plusieurs endroits et à demi mangé de vieillesse». Burmann dans son Anthologie latine (t. VI) et Wernsdorf dans ses Poetæ latini minores (t. III) ont été dupes de la supercherie de Balzac, aujourd'hui reconnu comme l'auteur de ces vers (François de Caussade, Histoire littéraire: littérature latine, 1883 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Jean-Louis Guez de Balzac).

 

Ce Turnus, qui a usurpé la gloire de notre Balzac, est un poëte latin du premier siècle de notre ère, qui naquit d'une famille d'affranchis, en Campanie, à Aurunca, patrie de Lucilius et d'autres satiriques célèbres. Ces détails nous sont donnés par l'ancien scholiaste de Juvénal, ad sat. I, v. 20.: Magnus eq. Auruncæ fl. alumnus. «Turnum dicit Scævæ Memoris tragici poetæ fratrem. Turnus hic libertini generis ad honores ambitione provectus est, potens in aula Vespasianorum Titi et Domitiani». Lui aussi devint célèbre dans la satire, poésie nationale chez les Romains; et Martial l'a glorifié avec ce centon de Virgile :

 

Contulit ad satiras ingentia pectora Turnus.

 

De ses satires, que Martial qualifie de nobiles ou fameuses, que vantent Rutilius Numatianus dans son Itinéraire (1, 604 : "Nec Turnus potior, nec Juvenalis erit"), Sidonius Apollinaris, et dont parle au sixième siècle Lydus, il ne nous reste que deux vers, fort altérés et à peu près inintelligibles, qu'on lit dans le scholiaste de Juvénal. Ils viennent manifestement d'une satire où Turnus attaquait Néron, puisqu'il y est question de l'empoisonneuse Locuste

 

Ex qua Cæsareas soboles horrida Locusta

Occidit cura sui verna nota Neroni. (Nouvelle Revue encyclopedique publ. par Firmin Didot freres, Tome 5, 1848 - books.google.fr).

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