Politique antiprotestante de Louis XIVII, 121639-1640Yeux clos, ouverts d’antique fantasie, L’habit des seulz seront mis à néant : Le grand monarque chastiera leur frenesie : Ravir des temples le tresor par devant. "fantasie"
Le terme "fanatique" se rencontre en français avec une autre orthographe et des doublons liés à cette orthographe, puisqu'il est parfois écrit
(comme s'il dérivait du grec) «phanatique», que l'on trouve chez Calvin, et peu après en français on le rencontre sous cette forme «phanatique» chez Rabelais, dans le Cinquième Livre, comme synonyme d'enthousiaste,
d'inspiration poétique. Une orthographe, disons fantaisiste, qui coexiste avec l'orthographe conforme à l'étymologie. On a la même étrangeté en anglais puisque l'on trouve «phanatik», en 1533, une des premières apparitions
du terme en cette langue, selon une graphie que l'on rencontre encore chez Jonathan Swift. Et l'on relève cette orthographe, en latin, ce qui est pour le moins bizarre, chez Luther lui-même qui écrit
«phanaticus». D'où vient donc cette drôle d'orthographe, surprenante à l'âge de l'humanisme ? Une remarque à propos de la traduction en français, faite par Calvin de son Institution de la religion chrétienne
(d'abord rédigée en latin), nous éclaire. Dans le chapitre qui s'intitule, dans la version française, «Du gouvernement des magistrats», Calvin dénonce les «fanatici» pour leur rejet de l'autorité politique, ce
qu'il rend en français par «les fantastiques». Ainsi, l'orthographe de fanatique écrit phanatique vient d'une fausse étymologie qui, pourtant, dit une partie de la vérité de la notion.
Car, ainsi écrit, «phanatisme» apparaît comme dérivé de «phantasia», la «représentation» en grec, dont la racine est «phos», la lumière; par cette étymologie abusive,
phanatisme prend place dans la série phénomène, fantaisie, fantôme, fantasme. Le phanatique, le fantastique est en proie à son phantasme, c'est un visionnaire, un illuminé, un halluciné.
Ainsi, au début du XVIIe siècle, Shafestbury écrira-t-il : «Fanatisme est un ancien mot qu'utilisaient les Anciens dans son sens original pour ceux dont l'esprit est transporté par une "apparition".»
On ne s'étonnera pas que le terme «fanatique» connaisse un usage qu'on pourrait qualifier de prépsychiatrique quand il est appliqué au XVIIe siècle aux camisards lors de leurs révoltes,
accompagnés de phénomènes de prophétisme convulsionnaire. Dans la même période, il est, du reste, appliqué avec une nette valeur péjorative aux nouveaux quiétistes proches de Fénelon
(Roger Arnaldez, Les puissances de la langue, Le Genre humain, Numéros 21 à 23, 1990
- books.google.fr). Les Camisards livrent une guérilla anticléricale qui comporte un prophétisme original que l'on ne retrouve que parmi les anabaptistes hollandais
et allemands des années 1520-1530 ainsi que des non-conformistes anglais et des «enthousiastes» (Schwärmer) allemands des années 1640
(David El Kenz, Claire Gantet, Guerres et paix de religion en Europe : XVIe -XVIIe siècles, 2008
- books.google.fr). Luther appelait les dissidents (unitariens et autres) les Schwärmer (enthousiastes) et Calvin «les fanatiques»
(Georges Tavard, La Trinité, 1991
- books.google.fr,
Daniel Roche, Les circulations dans l'Europe moderne : XVIIe-XVIIIe siècle, 2011
- books.google.fr). "Yeux clos"
Les Grecs appellent phantasia, visio, la faculté de se représenter les objets absents avec tant de fidélité, qu'on croit les voir comme si on les avait sous les yeux. Plus cette représentation est vive plus on
excelle à peindre les passions; aussi dit-on qu'un homme a beaucoup d'imagination lorsqu'il rend avec vérité toutes les circonstances d'une action et jusqu'aux divers sons de voix qui l'ont frappé. Il ne tient
qu'à nous d'obtenir cette faculté, c'est de le vouloir
(Institution oratioire de Quintilien, Volume 3, 1831
- books.google.fr). La phantasia est ce qui met les choses sous les yeux les yeux fermés
(Jocelyn Benoist, Logique du phénomène, 2016
- www.cairn.info). Répandu dans l'Antiquité, le concept de frénésie apparaît régulièrement lorsqu'il est question de faire la distinction entre réalité, vision, illusions et hallucinations, comme c'est le cas par exemple chez
Jamblique ou Grégoire de Nysse. C'est le vocabulaire grec de la phantasia qui conduit à un débat de ce genre, car il recouvre à la fois les notions de voir, de rêver, d'imaginer et d'être fou
(Jean-Daniel Kaestli, Claire Clivaz, Expérience des limites dans la litt&rature chrétienne, Le corps, lieux de ce qui nous arrive: approches anthropologiques, philosophiques, théologiques, 2008
- books.google.fr). "temples"
"fanatique" du latin "fanum" (temple) : Il s'est dit ensuite de ceux qui, se croyant animés d'une faveur divine, faisaient autour des temples des extravagances religieuses et croyaient prédire l'avenir
(Grand dictionnaire français-italien et italien-français: Partie française-italienne, Tome 1, 1838
- books.google.fr). "trésor"
Dans le De anima d'Aristote (III, III), la phantasia (de «phainein», apparaître, dont l'étymon est «phôs», la lumière) s'inscrit dans un schéma
continuiste en prolongeant la sensation et en anticipant le travail de la noesis. Elle dĂ©signe le «mouvement produit par la sensation en acte» («motus factus a sensu»), mouvement intĂ©rieu rdu perçu au pensĂ©, du sensible Ă
l'intelligible. Faculté intermédiaire, «elle n'est ni un point de départ effectif, ni un point d'aboutissement légitime : seconde et dérivée par rapport à la sensation, elle est préliminaire par rapport à l'activité de
l'intelligence, qui doit la reprendre sous son contrôle». De fait, c'est le jugement qui chez le Stagirite décide de la fiabilité de la mimesis, de l'image ressemblante, bref du vraisemblable.
La Somme théologique la réutilise comme espèce dépendant de l'âme sensitive, produisant les images des objets extérieurs (phantasmata), à partir desquelles l'intellect peut abstraire. Activité de
production mais également de conservation puisque la phantasia, proche en cela de la mémoire, est comme «un trésor des formes reçues par les sens» selon saint Thomas : «est enim, phantasia sive imaginatio quasi
thesaurus quidam formarum per sensum acceptarum.» Au Moyen-Âge les choses se compliquent d'ailleurs avec l'apparition du doublet phantasia/imaginatio, termes tantôt synonymes comme dans
l'extrait de la Somme théologique, tantôt différenciés chez Avicenne par exemple, qui identifie la phantasia au sensus communis tandis que l'imaginatio compose et divise les images.
(Olivier Guerrier, Quand "les poètes feignent" : "fantasie" et fiction dans les Essais de Montaigne, 2002
- books.google.fr). "habit... néant" : sans chemise sans pantalon
Des sectes nudistes apparaissent au XIVe siècle. Les Turlupins seront excommuniés par Grégoire IX en 1370 et exterminés par le roi de France
Charles V en 1372. Leur grande prétresse Pieronne Daubenton serat brûlée place aux Pourceaux le 2 juillet. En 1528 un visionnaire Jean-David Joris écrit un livre des Merveilles dans lequel il écrit que l'état de nudité
et l'anéantissement des sentiments de honte sont des moyens utiles pour accéder à la perfection. Quintin et Pocques, protégés par la reine Marguerite, sont condamnés par Calvin dans un article : "Contre la secte
phantastique et furieuse des Libertins qui se nomment spirituels"
(Marc-Alain Descamps, Le nu et le vĂŞtement, 1972
- books.google.fr). Charles V peut être le "grand monarque" comme il peut être le "grand régent" du quatrain III, 15.
Typologie
Le report de 1640 sur la date pivot 1372 donne 1104.
On fait remonter les Adamites aux gnostiques Valentin et Carpocrate. Selon leurs détracteurs, ils s'adonnaient à toutes les licences
(Encyclopédie, ou dictionnaire universel raisonné des connoissances humaines, Tome 1, 1770
- books.google.fr). Tanchelin, Tanchelme ou encore Tanchelm d'Anvers, né en Zélande à une date inconnue et mort (assassiné) en 1115 à Anvers (Duché de Brabant) est un prédicateur
illuminé, un prophète "communaliste" du début du XIIe siècle, connu surtout pour son opposition au clergé indigne. Il fut condamné comme hérétique
(fr.wikipedia.org - Tanchelin). Ses opposants le présentent comme un Adamite
(François Xavier de Feller, Biographie universelle, Tome 5, 1839
- books.google.fr). Les Camisards
Ce
quatrain fait suite au précédent, décrivant le règne de Louis XIV - prophétie
dans la prophétie. La grande affaire de Louis XIV, outre les guerres qu’il
mènera, est la lutte contre les protestants, qui voudront abolirent le
monachisme (« seulz » : traduction du grec
« monachos » donnant moine en français) et qui parfois pillèrent le
trésor des églises catholiques (« temples » au sens poétique
d’églises). Pour
le premier vers je me réfère à Pierre Brind’Amour qui explique que c’est au
cours de transes dignes de l’Antiquité que les yeux s’ouvrent [1]. Or
le prophétisme protestant est illustré en particulier lors de la guerre des
Camisards (1702-1704) par des expériences extatiques provoquant des transes. |