La délivrance attendra

La délivrance attendra

 

II, 80

 

1689-1690

 

Apres conflit du lesé l'eloquence

Par peu de temps se tramme faint repos :

Point l'on n'admet les grands à delivrance :

Les ennemis sont remis à propos.

 

"lésé"

 

Cicéron connaît laesio comme terme technique de la rhétorique («attaque») et s'en sert une fois, de orat. 3, 53, 205. Ce n'est que beaucoup plus tard que le mot resurgit dans la littérature, maintenant en dehors de la terminologie rhétorique et dans un sens général: «lésion, blessure». Ainsi on le trouve par exemple chez Lact., Vulg., Aug., Leo... (Lodewyk Jozef Engels, Observations sur le vocabulaire de Paul Diacre, 1961 - books.google.fr).

 

Comme il est question d'éloquence, restons sur la rhétorique, puisqu'on a encore "propos".

 

"conflit" et "éloquence" : Querelle des Anciens et des Modernes

 

La fin du 17e siècle, à partir des années 1680, est marquée par un esprit de rébellion qui secoue la nouvelle génération des gens de lettres. La Querelle des Anciens et des Modernes débute en 1687, on le sait, avec le discours de Charles Perrault, Le Siècle de Louis le Grand et s'achève en 1716 par La Lettre d l'Académie de Fénelon qui vise à réconcilier les adversaires des deux camps. Dans ce climat de rupture ouverte entre les défenseurs du passé et les amis du présent, H. de La Motte, un écrivain de second rang, né â Paris en 1672 et mort en 1731, prend ouvertement parti pour les Modernes, à l'instar de Desmarets de Saint-Sorlin, de Charles Perrault, de Fontenelle, de Terrasson et de D'Aubignac: l'homme de lettres, académicien depuis 1710, crée une petite révolution au sein du Parnasse français en tirant une adaptation en vers, en 1714, de l'Iliade traduite en 1699 par une brillante helléniste, Mme Dacier, et relance ainsi la machine de guerre entre les deux partis ennemis: dans l'esprit des partisans des Anciens, il s'est rendu coupable d'un double sacrilège en s'en prenant d'abord une respectable érudite, une pieuse officiante du culte d'Homère, en s'avisant en outre de démythifier sans vergogne le génie du premier poète. Outrée de .l'attentat littéraire, perpétré â rencontre du père de la poésie, Mme Dacier, championne inconditionnelle du chantre grec, laisse éclater, en 1714, toute son indignation dans un pamphlet-fleuve de six cents pages, Des causes de la corruption du goût. De son côté, son adversaire croit prévenir les propos diffamatoires de ses contemporains en faisant précéder ses douze chants versifiés d'un traité fougueux, mais partial, le Discours sur Homère (1714), qui fait bien plus scandale que la traduction elle-même, fort appréciée au demeurant par le public parisien…

 

La Querelle des Anciens et des Modernes est particulièrement vive entre 1687 et 1697. La deuxième querelle (1714 - 1716) se termine officiellement sans gagnants ni perdants (Claire Garry-Boussel Houdar de La Motte à la recherche d'une nouvelle conception de la critique, Critique, critiques au 18e siècle, 2006 - books.google.fr).

 

Selon François de La Mothe Le Vayer, à ce moment où il fallait surveiller ses paroles, dans ses Considérations sur l'éloquence française, les états bien gouvernés ont moins d'excellents orateurs - proposition flatteuse pour Richelieu que l'auteur exprime à l'aide de deux comparaisons fort usitées et prisées. [...] Bref, le système politique en vigueur entretient un rapport direct avec l'importance de l'éloquence dans un état, et plus l'éloquence y est nécessaire, utile et récompensée, plus elle s'épanouira. Paradoxalement, selon cette hypothèse, la France ne pourrait pas produire un Cicéron à moins de tomber sous un régime mal dirigé ! Plus la France s'achemine vers la monarchie absolue, moins elle aura d'éloquents. Et de façon corollaire et néfaste, assurément, plus l'État est puissant et autoritaire, moins les orateurs parviennent à le défier dans des discours éloquents.

 

Les avocats furent exclus des affaires criminelles par l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui instaura la procédure inquisitoire et secrète pour les causes pénales et interdit la présence de l'avocat à l'instruction.. Les avocats, même de nos jours, considèrent généralement que les affaires criminelles graves leur offrent l'occasion de grands élans d'éloquence dans le plaidoirie (lorsque l'État tout puissant s'oppose à l'individu, ou quand, jusque très récemment, l'individu risque sa vie), tandis que les affaires civiles (le plus souvent entre particuliers de pouvoir grossièrement équivalent) n'inspirent et ne tolèrent qu'un niveau moyen d'éloquence. Les avocats de l'Ancien Régime n'avaient malheureusement que des affaires civiles à plaider (Dianne Dutton, Théoriciens et praticiens de l'éloquence du barreau: Anciens ou Modernes ?, Religion, Ethics, and History in the French Long Seventeenth Century, 2007 - books.google.fr).

 

Fontenelle nous donne lui-même la clef de sa préférence pour les Latins: "Dans le système que nous avons établi, cet ordre est fort naturel: les Latins étoient des modernes à l'égard des Grecs". On le voit, c'était pour Fontanelle une Opinion systématique ; on reconnaît un critique prévenu quand il parle "de l'éloquence et de la poésie, qui font le sujet de la principale contestation entre les anciens et les modernes, quoiqu'elles ne soient pas en elles-mêmes fort importantes". Mais alors qu'est-ce donc qui peut avoir quelque importance dans cette querelle ? Fontenelle continue: "Les Grecs et les Latins peuvent avoir été excellents orateurs ; mais l’ont-ils été ? pour bien éclaircir ce point, il faudroit entrer dans une discussion infinie et qui.. ne contenterair jamais les partsans de l’antiquité... Je trouve que l'éloquence a été plus loin chez les anciens que la poésie j’en vois une raison assez naturelle : l'éloquence menoit à tout dans les républiques des Grecs et des Romains... La poésie au contraire n'était bonne à rien, et ç‘a été toujours la même chose dans toutes sortes de gouvernements; ce vice-là lui est essentiel" (Théodore Joseph Éléonord Pétrequin, Un Épisode de la Querelle des Anciens et des Modernes, 1860 - books.google.fr).

 

"delivrance"

 

- Début XIIes. «maternité, accouchement» (Lapidaire de Marbode, 778, éd. P. Studer et J. Evans, Anglo-Norman Lapidaries, p. 60)

- ca 1170 «libération (au propre)» (Chr. de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 6052)

- fin XIIe début XIIIes. [ms. XIIIes.] au fig. (Chansons attribuées au Chastelain de Couci, éd. A. Lerond, XIII, p. 115) (www.cnrtl.fr).

 

Le mot «absolutio» était un terme juridique, qui signifiait : délivrance, décharge d'une dette, acquittement (d'un prévenu). Cicéron l'emploie pour exprimer l'idée de perfection, plénitude, contenue dans le grec : "telos", "teleiôsis" = achèvement ("teleioô" = achever) (Marin O. Liscu, Étude sur la langue de la philosophie morale chez Cicéron, 1930 - books.google.fr).

 

"absolutio" : Absolution, délivrance, remission, abolition, décharge, dégagement ; accomplissement, perfection, achevement, derniere main (Dictionnaire universel françois & latin, Tome 3, 1704 - books.google.fr).

 

Accomplissement et Délivrance

 

Chez les protestans, il semble que l’idée de la cour de Rome soit un poison qui les rende furieux ; quelques ministres se prêtent à cette manie et la poussent jusques à l’excès. Je ne sais si vous avez jamais lu un livre fuit par M. Jurieu, intitulé : l’Accomplissement des prophéties, ou la délivrance prochaine de l’église ; ouvrage dans lequel il est prouvé que la papisme est l’empire anti-chrétien, que cet empire n’est pas éloigné de sa ruine, que la persécution présente peut finir dans trois ans et demis ; après quoi commencera la destruction de l’Antéchrist, laquelle s’achèvera dans le commencement du siècle prochain. Ce livre est en deux volumes in-12. L’auteur y a expliqué à sa mode toute l’Apocalypse, et a prétendu démontrer la vérité de son sentiment. Je ne conçois pas comment un homme qui avait du génie, car on ne saurait lui en refuser, a pu donner dans une pareille vision. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’il croyait fermement que Dieu avait fait naître le roi Guillaume pour être l’exécuteur de ses grands desseins et pour détruire les persécuteurs de France. Il s’imagina, dit l’auteur de la Vie de Bayle, qu’il devait lui-même aider à la chose ; et, après avoir rêvé toute une nuit, il se figura avoir trouvé une manière de ponton pour faire débarquer en France autant de soldats qu’on voudrait, en dépit des milices qui seraient sur les côtes.

 

Jurieu est connu par son impétuosité religieuse et ses déclamations en faveur du protestantisme. C’était un homme qui n’écoutait que la passion dans les disputes où il ne fallait consulter que la raison. Il est coupable, aux yeux de la postérité, de s’être joint aux ennemis de Bayle, pour persécuter ce grand homme (Mémoires du marquis Jean-Baptiste de Boyer d’Argens, Chambellan de Frédéric-le-Grand, roi de Prusse, 1807 - fr.wikisource.org, Pierre Jurieu, L'accomplissement des prophéties ou la délivrance prochaine de l'Eglise, Tome 1, 1686 - books.google.fr).

 

Le grand-père de Jurieu, Pierre du Moulin avait lui-même, au début du XVIe siècle, écrit un «Accomplissement des prophéties», et il avait conclu que «la persécution de l'Eglise sous les papes doit finir l'an 1689». Jurieu fit du millénarisme une question essentielle. Selon lui, ceux qui ne veulent pas du règne de mille ans «ce sont ceux qui, en général, ne veulent point du règne de l'Eglise sur la terre, qui prétendent que ses calamités doivent durer jusqu'à la fin du monde et qu'il n'y a point d'autre règne de Jésus-Christ attendu, que celui de gloire dans les cieux ». Cette résolution de principe ne l'empêche pas d'être réservé dans les applications. Il multiplie les protestations : «Cela ne va pas au-delà de l'espérance ou de la conjecture». Il multiplie aussi les nuances : «Je crois qu'il serait difficile de marquer précisément l'année, car Dieu n'y regarde pas de si près. Quelques années de plus ou de moins n'y font rien». Jurieu n'en aboutissait pas moins, par un calcul différent à un résultat analogue à celui, de son grand-père : 1689 sonnerait l'heure de la Délivrance : «Je me suis persuadé que les trois jours et demi (Apoc. XI, 3-11) sont trois ans et demi. Si nous voulons compter ces trois ans et demi depuis la suppression de l'Edit de Nantes, faite au mois d'octobre 1685, la délivrance de l'Eglise arriverait en l'an 1689.» Ce pronostic était écrit le 16-3-1686. Un an plus tard, Jurieu récidivait : «Je n'oserais définir qu'il faille précisément compter la mort des des Témoins depuis la suppression de l'Edit de Nantes, quoique j'aie assez d'inclination à tourner de ce côté là. Et c'est pourquoi, j'espère quelque chose de grand dans l'année 1689.» (Henri Desroche, Les Shakers américains d'un néo-christianisme à un pré-socialisme ? Volume 1 de Bibliothèque internationale de sociologie de la coopération, 1955 - books.google.fr).

 

Pierre Jurieu est né à Mer-sur-la-Loire, dans une famille de pasteurs. Sa mère est la fille de Pierre Du Moulin, premier pasteur du temple de Charenton (1568-1658).Il fait des études de théologie à Saumur puis à Sedan où il obtient son doctorat. En 1674, il est nommé professeur de théologie et d’hébreu à l’académie de Sedan. Mais en 1681, l’académie réformée de Sedan doit fermer sur ordre de Louis XIV et Pierre Jurieu se réfugie à Rotterdam où il va être pasteur de l’Église wallonne (Église protestante de langue française aux Pays-Bas) et professeur à l’École Illustre. C’est là qu’il meurt en 1713 (www.museeprotestant.org).

 

Délivrance des Grands du royaume

 

En dépit des traditions, qu'il s'agisse des lois fondamentales du royaume et de la succession au trône, qu'il s'agisse d'impôts à établir, Louis XIV reste fidèle à sa conception. En aucun cas le Roi de France ne partage, avec les États généraux, l'exercice du pouvoir souverain. Constatant que Louis XIV sent nettement le danger que ferait courir à la doctrine absolutiste la reconnaissance du droit des États, les adversaires de l'absolutisme comprennent eux aussi l'avantage qu'il y aurait pour leur thèse à faire de ce droit. Ceci nous explique l'insistance de Jurieu à invoquer ce qu'il appelle les anciennes traditions de la France. Sur ce point, Jurieu ne fait que reprendre la thèse de François Hotman et des publicistes du XVIe siècle. [...] Ce serait par corruption des anciens usages et par usurpation de la Royauté que le droit des États aurait été réduit à néant. Le septième mémoire des Soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté est consacré tout entier à établir que le droit des États est antérieur et supérieur à celui de la Royauté. Jadis, sous les deux premières races, c'était une coutume constante d'assembler les grands et les députés du royaume. Quand l'assemblée était formée, le Roi s'y faisait conduire sur un char de bois traîné par des bœufs et conduit par un bouvier. Lorsque le Prince était arrivé au palais, les barons et les grands du royaume le prenaient et le plaçaient sur un trône d'or. Il ne faut pas s'imaginer que la simplicité et la rusticité de l'équipage sur lequel le Roi se rendait à l'assemblée doivent être uniquement attribués au temps dans lequel la magnificence de nos jours était entièrement inconnue. Il est clair que l'on voulait faire comprendre au Prince qu'il n'était Roi que dans l'assemblée de ses Etats (Joseph Hitier, La doctrine de l'absolutisme, Annales de l'Université de Grenoble, Volume 15, 1903 - books.google.fr).

 

Aujourd'hui les Grands sont dans une extrême oppression ; toutes leurs Dignitez sont éclipsëes & tous leurs Privilèges abolis. Les titres de Pairs, de Ducs, de Comtes & de Barons, sont de vains noms & des Fantômes creux qui ne signifient rien que ce qu'il plaît à un Maître imperieux. Mais autrefois ces Dignitez étoient ou Souveraines, ou dans une dépendance bornée par les Loix & munie de Priviléges invíolables. Aujourd'hui le Roi est Maître Absolu des biens, de la vie & de la liberté de tous ses Sujets, de quelque qualité & condition qu'ils soyent (Pierre Jurieu, Les soupirs de la France esclave qui aspire à la liberté, 1691 - books.google.fr).

 

Pierre Jurieu, prédicateur éloquent, écrivain, savant théologien, caractère passionné et impérieux. N'est-ce point lui qui avait ose écrire à propos de Louis XIV: «Les rois sont faits pour les peuples et non pas les peuples pour les rois», affirmation qui paraissait, à cette époque, d'une audace inouïe (www.regard.eu.org).

 

Il paroissoit ici une échapatoire pour la Réformation de la France, qui s'est faite fans l'autorité des Souverains : mais le Ministre y fait bien répondre : car, dit Jurieu, premierement, c'est si peu de chose, qu'elle ne doit pas être comparée à tout le reste. Secondement, quoique la Réformation ait commencé en France fans l'autorité des Souverains, cependant elle ne s'est point établie fans l'autorité des Grands ; et, poursuit-il , si les Rois de Navarre, les Princes du sang et les Grands du royaume ne s'en fussent mélés (en se révoltant contre leurs Rois, & en faisant nager leur patrie dans le sang des guerres civiles : c'est Bossuet qui ajoute) la véritable Religion auroit entierement succombé, comme elle a fait aujourd'hui. Ne voilà-t-il pas une religion bien justifiée ? La force & l'autorité sont si nécessaires à la Réforme, qu'au défaut de la puissance légitime, il a fallu  emprunter celle que les armes & la sédition donnent aux rebelles : mais enfin les faits font constans, & les Tolérans n'ont rien à y repliquer (Jacques Bénigne Bossuet, Avertissemens Aux Protestans Sur Les Lettres Du Ministre Jurieu Contre L'Histoire Des Variations: Contenant le sixieme Avertissement, Tome 4, 1747 - ks.google.fr).

 

Si la force et l'autorité de la sainte Inquisition n'était pas nécessaire, pourquoi les catholiques les ont employées pour imposer leur confession ?

 

Jurieu et querelle

 

L'accord entre vérités chrétiennes et fables païennes est bientôt contesté lors de la Querelle des Anciens et des Modernes et de la Querelle d'Homère entre La Motte et Madame Dacier ; controverses portant sur les contenus religieux et historiques, le style, le rapport merveilleux - vraisemblable, mais qui arrivèrent à un accord sur base historique (les Modernes ne niaient pas le caractère de source historique de l'Iliade, ils prétendaient simple ment soutenir la supériorité des temps modernes) et artistique (la fable n'appartient plus au poème épique mais elle se rapproche des genres littéraires nouveaux - notamment de l'opéra - capables de réaliser un équilibre entre merveilleux et chrétien). On entrevoit déjà le changement de perspective. Les pensées de l'abbé Banier, Fréret, Fourmont, Guillaume de Lavaur, Guérin de Rocher, Newton, Cumberland, Dupin soulignent l'association de la fable et de l'histoire, de la philosophie et de la théologie, et réaffirment avec décision la valeur du comparatisme et de l'évhémerisme (Jean Leclerc). Julie Boch remarque qu'en général les auteurs du début du XVIIIe abordent la réflexion sur la fable de façon similaire (méthode rationnelle), selon des points de départ communs (évhémerisme, double religion, consensus universel) et avec la même fin (objectivité), mais que chacun développe sa propre réflexion […] et atteint à une théorisation et à une pensée très personnelle.  C'est le cas des érudits protestants (Binet, Basnage, Jurieu), des érudits catholiques (abbé Houtteville, Dom Calmet, Rollin) et d'une voix singulière : celle de Fréret qui joint méthode cartésienne et érudition traditionnelle. La réflexion est passée des textes sacrés à l'histoire de l'esprit humain. Étape significative où s'insère parfaitement la personnalité de Bayle, penseur représentatif à la fois du comparatisme du siècle classique et de la nouvelle critique du XVIIIe siècle, non sans contradictions et complexités, qui concilie pessimisme calviniste et scepticisme rationaliste. Si d'un côté on condamne l'idolâtrie, la superstition, l'astrologie, les poètes antiques et, surtout, la faiblesse de l'esprit humain, si on affirme la supériorité de l'athéisme ; de l'autre , on assimile cultes païens et christianisme (tombés exactement dans les mêmes erreurs), on admire certains penseurs grecs et latins, et le caractère didactique des fables d'Esope, en continuité avec la tradition érudite Véritable enquête sur le rôle des religions dans l'histoire humaine, le chemin entrepris par Bayle est développé par Fontenelle (les fables ne sont que «l'histoire des erreurs de l'esprit humain», p. 413) et par les rationalistes sceptiques (Compte rendu : Julie Boch, Les Dieux désenchantés. La fable au dix-huitième siècle de Huet à Voltaire (Paris 2002), Studi francesi, Numéros 142 à 144, 2004 - books.google.fr).

 

Notons au passage que la volonté des Modernes de substituer le merveilleux chrétien au merveilleux païen se solde par un échec. La mythologie antique fournissait des figures dont la fausseté ne faisait que confirmer la vérité du christianisme. Manier le merveilleux chrétien était un exercice redoutable et stérile. Comment introduire des éléments fictifs dans une narration biblique, donc des «mensonges» (selon la problématique de l'époque), sans mettre en cause l'historicité des hauts-faits bibliques? C'est ce que démontre Julie Boch dans son ouvrage. Les deux Querelles des Anciens et des Modernes et l'avènement du sujet responsable ouvrent le merveilleux à l'esthétique, donc au plaisir vertigineux de la liberté et de l'autonomie, sous couvert toutefois d'une certaine bienséance qu'assure un propos moralisant. Ce propos d'ailleurs est ambigu quand un Jean de La Fontaine énonce une voire deux morales sans rapport avec le contenu de sa Fable, et ouvre ainsi à une interprétation plurielle. Il en est de même pour Perrault. Et Jean-Paul Sermain d'ajouter que la question de l'imagination est «posée en termes de création scientifique, esthétique et littéraire, et conjointement en termes politiques et moraux : le sujet de l'histoire est un sujet créateur qui ne peut agir que par l'anticipation et l'adhésion symbolique.». L'enjeu est donc de taille. «L'esthétique du fabuleux avait donc radicalement changé : le voile n'était plus allégorique et la fable ne parvenait plus à être tenue pour un équivalent religieux - ni, par là-même politique» renchérit Aurélia Gaillard. Je retiens donc comme un trait spécifique du merveilleux à l'Âge classique la rupture de 1700, à la charnière de la Renaissance et de la modernité. Le merveilleux culturel s'affranchit du religieux - dévotionnel et pédagogique - et accède à l'esthétique et à l'éthique. Je souligne ici l'esthétique de l'écriture, la qualité littéraire de ces contes merveilleux. Quant à l'éthique, sous ses apparences didactiques, elle s'éloigne du prescriptif : elle «aide à mieux vivre», selon la formule de Jean-Paul Sermain. Elle est donc d'essence philosophique (Richard Gossin, Le merveilleux biblique et le merveilleux du conte de l'âge classique, Le conte en ses paroles : la figuration de l'oralité dans le conte merveilleux du Classicisme aux Lumières, 2007 - books.google.fr).

 

Comme il est quatre ou cinq autres reliques de même nature (prépuce) dispersées dans toute l'Europe, doit-on en déduire que le corps de Jésus au Ciel est imparfait ? Certains théologiens affirment qu'il a été reconstitué au paradis, d'autres que cette partie non essentielle est restée sur la terre. En feignant de s'intéresser au détail des discussions savantes engagées par cette question, Jurieu montre d'une façon à la fois efficace et plaisante l'inanité des superstitions catholiques, si semblables aux croyances païennes. L'accumulation des anecdotes, des légendes et des merveilles qui constituent le fonds de la mythologie catholique fait preuve aux yeux du pasteur: de même que Cicéron avait beau condamner les inventions des poètes, on ne pouvait nier que toute la religion de Rome ne fût fondée sur elles, de même le culte de l'Église romaine, quoi qu'en disent ceux qui en récusent les extravagances, est tiré de l'histoire fabuleuse. [...] «On trouverait que la plupart des rêveries du papisme sont descendues des fables païennes», la croyance dans les limbes et le purgatoire notamment. [...] Jurieu constate ainsi dans le seizième préjugé que le catholicisme, de manière générale, est entièrement fondé sur des mythes : la puissance du pape n'est appuyée que sur des fables, le culte rendu à la Vierge également, ainsi que celui des saints, des reliques, des images. La présence réelle, l'adoration du Sacrement, le sacrifice de la Messe, la nécessité de la confession et de l'absolution, et l'établissement des différents ordres de moines dérivent de chroniques et d'histoires fabuleuses. Il y a en somme deux religions dans l'Église romaine : le christianisme, qui n'a rien de fabuleux ni de bas, et le papisme, ridicule amas de fictions sur lequel s'est appuyée l'Église, n'ayant pu trouver d'appui dans l'Écriture sainte (Julie Boch, Les dieux désenchantés: La fable dans la pensée française, de Huet à Voltaire, 1680-1760, 2002 - books.google.fr, Pierre Jurieu, Préjugez légitimes contre le papisme, ouvrage où l'on considère l'Eglise romaine dans tous ses dehors, 1685 - books.google.fr, Pierre Jurieu, Histoire critique des dogmes et des cultes, bons & mauvais, qui ont été dans l'église depuis Adam jusqu'à Jésus Christ, 1704 - books.google.fr).

 

Querelle et Révocation

 

Dès le temps de Descartes, on voyait bien que les gouvernements du nouveau modèle, avec leur pouvoir concentré et leur administration régulière, étaient en mesure d'exécuter leurs plans d'une manière à peu près exacte et qu'ils pouvaient ainsi réaliser l'union de la théorie et de la pratique. D'autre part, la puissance royale semblait infinie; on avait vu, depuis la Renaissance, tant de changements extraordinaires se produire suivant le caprice du souverain - notamment en matière religieuse - qu'on devait croire que rien n'était impossible à la royauté; la science ne pouvait jamais manquer à des princes qui avaient ainsi affirmé la plénitude de leur droit divin; la science devait donc croître toujours en même temps que le pouvoir de ceux qui en avaient besoin pour régner. Après la révocation de l'édit de Nantes, ces considérations étaient encore bien plus fortes qu'au temps de Descartes; la querelle des anciens et des modernes éclata deux ans après ce grand événement qui manifestait, d'une manière si éclatante, l'omnipotence royale (Georges Sorel, Les illusions du progrès: suivi de, L'avenir socialiste des syndicats (1921), 2007 - books.google.fr).

 

"ennemis"

 

La prédication, les lettres, les écrits de ce «battant» ne sont pas dépourvus de la fureur sacrée ni de l'«odium theologicum». Jurieu a beaucoup d'ennemis. Mais il s'est toujours montré d'une très grande générosité envers les réfugiés et toutes les oeuvres de secours (dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr).

 

Controversiste impénitent et emporté, Jurieu polémiqua longuement avec les théologiens catholiques (Bossuet, Arnauld, Nicole, Maimbourg, etc.) avant de se livrer à des querelles tout aussi amères avec ses propres coreligionnaires, au premier rang desquels figurera Pierre Bayle - qu'il connaissait depuis Sedan et qui l'avait protégé à ses débuts. Ses Lettres pastorales - où il expose en passant une théorie de l'origine populaire du pouvoir politique qui le distingue des modérés du Refuge huguenot eurent, lors de leur publication en 1686, une influence certaine pour retenir dans la foi protestante nombre de fidèles qui paraissaient prêts à abjurer sous le poids des persécutions (Jean-Fabien Spitz, Pierre Jurieu, Les fondements philosophiques de la tolérance en France et en Angleterre au XVIIe siècle: Textes et documents, 2002 - books.google.fr).

 

Bayle et Jurieu, tous deux émotifs, ont commencé par être des amis très proches, avant de devenir des ennemis irréconciliables.

 

"L'abbé Dangeau, par exemple, lequel après avoir fait le tour de toutes les religions a trouvé qu'il était à propos de n'en point avoir à soy et d'adopter celle du Roy." [...] "Notre malheureuse étoile veut que le Roy soit nostre ennemi, le premier et le plus grand de nos ennemis ; on peut dire que de l'esprit des ecclésiastiques zélés il a fait son propre esprit. C'est sa volonté qui dirige toute la persécution" (Jurieu, L’esprit de mr Arnaud) (M. Bourlon, Entre cousins germains. Controverse entre les jansénistes et les calvinistes, La Science catholique, Volume 16, 1902 - books.google.fr, Pierre Jurieu, L'Esprit de mr. Arnaud, tire de sa conduite, & des écrits de luy & de ses disciples, particulièrement de l'Apologie pour les catholiques, 1684 - books.google.fr).

 

-  propos: ca 1380 «ce dont on parle, qu'on se propose de traiter dans un ouvrage»

- fin XVe s. à propos «en relation avec les circonstances, de manière opportune»

- 1700, 21 déc. empl. subst. «oeuvre littéraire composée pour une circonstance» (Maintenon, Lett. au duc de Noailles ds Littré). Déverbal de proposer (www.cnrtl.fr).

 

"trame" : tissu

 

Même un admirateur d’Homère comme Fénelon répète que «les dieux d’Homère sont l’opprobre et la dérision de la divinité» (Lettres sur divers sujets[1713], lettre 2,) et que «du temps d’Homère, [la] religion n’était qu’un tissu monstrueux de fables aussi ridicules que les contes des fées» (Lettre à l’Académie, chap. X, 8) (Christophe Martin, «Nos mœurs et notre religion manquent à l’esprit poétique». La poésie des «temps héroïques» selon Montesquieu, Du goût à l’esthétique : Montesquieu, 2007 - hal.archives-ouvertes.fr).

 

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