Perte de la Crète par Venise, comme elle perdit l’Eubée
Perte de la Crète par Venise, comme elle perdit l’Eubée

 

II, 21

 

1646-1647

 

L’embassadeur envoyé par biremes

A mi chemin d’incogneuz repoulsĂ© :

De sel renfort viendront quatre triremes :

Cordes & chaines en Negrepont troussés.

 

Ce quatrain porte manifestement sur la perte de l’EubĂ©e (anciennement « Negrepont Â») par Venise en 1470 alors que sa flotte Ă©tait commandĂ© par l’amiral Nicolo da Canal, ancien ambassadeur, et responsable de la dĂ©faite en raison de son indĂ©cision.

 

Ainsi, comme Venise a perdu l’Eubée, elle perd la Crète, pratiquement pour les mêmes raisons, au cours d’une guerre contre les Turcs qui dura de 1645 à 1669.

 

« En 1645, les forces chrĂ©tiennes rassemblĂ©es comptaient de 60 Ă  70 galères, 4 galĂ©asses et environ 36 galions […] Mais la division des conseils, le mauvais temps et l’incapacitĂ© de s’accorder sur la conduite des opĂ©rations empĂŞchèrent toute intervention dĂ©cisive contre les envahisseurs cette annĂ©e-lĂ  [1]. Â»

 

"Cordes & chaines"

 

Jacques de Lavardin utilise l'expression "armez de cordes & chaines pour lier les Chrestiens" pour qualifier les soldats ottomans de Balladan dans une bataille perdue contre Skanderberg qui meurt 2 ans avant la prise de Négrepont en 1470 (Jacques de Lavardin, Histoire de Georges Castriot: surnommé Scanderbeg, roi d'Albanie, 1576 - books.google.fr).

 

Georges Kastrioti (en albanais : Gjergj Kastrioti), plus connu sous le nom de Skanderbeg (en turc moderne : Iskender Bey), nĂ© le 6 mai 1405 Ă  CroĂŻa de Jean Kastrioti, noble albanais, et d'une mère albanaise Vojsava Kastrioti, et mort le 17 janvier 1468 Ă  LezhĂ«, est un seigneur albanais du XVe siècle, considĂ©rĂ© comme le hĂ©ros national albanais pour sa rĂ©sistance Ă  l'Empire ottoman (fr.wikipedia.org - Skanderbeg).

 

"incogneus" : dangers inconnus de la mer

 

Le TrĂ©sor des Pilotes sur la science des inconnus en mer, les Ă©toiles et les signes du zodiaque, leurs noms et leurs pĂ´les : Kanz al-Maalima wa Dahiratuhum fi ilm al-Maghulat fi al-Bahr wan-nugum, wal-Burug, wa asma'iha wa aqiabiha. Ce poème du mètre Basit compte 72 vers dont 4 constituent un avant-propos sur la mer et ses dangers, et l'orientation par les astres sur terre et sur mer. La conclusion compte 16 vers oĂą Ibn Madjid tout en se louant avec prĂ©somption, avoue ses faiblesses linguistiques et poĂ©tiques. Le reste, 52 vers, se divise en trois parties très inĂ©gales. Une première partie extrĂŞmement courte (4 vers) dit que les Ă©toiles tournent autour de l'axe des pĂ´les cĂ©lestes et se situent dans les deux hĂ©misphères et le zodiaque. La deuxième partie, la plus longue (16 vers) divise les 48 constellations en 21 septentrionales (elle les nomme et donne le nombre gĂ©nĂ©ral de leurs Ă©toiles : 360); 12 zodiacales, non nommĂ©es, de 346 Ă©toiles, et 15 mĂ©ridionales expressĂ©ment nommĂ©es avec 316 Ă©toiles, soit en tout 1025 astres y compris la Chevelure de BĂ©rĂ©nice, classĂ©es en 6 grandeurs. La troisième partie (32 vers) explique les zams, la Tiriffa et les rhumbs et donnent certaines règles pour mesurer quelques Ă©toiles suivant leur position dans le ciel. Elle se termine par la dĂ©finition de l'immobilisation d'un astre et de la graduation en latitude (Ibrahim Khoury, Les poèmes nautiques, Institut français de Damas, 1988 - books.google.fr).

 

Ahmad Ibn Mâdjid est un poète, un navigateur et un cartographe arabe, né en 1432 (ou en 1418 selon d'autres sources) dans la région de Julphar, à Ras el Khaïmah Il a été élevé dans une famille de marin et avait la réputation d'être un expert de l'océan Indien. Il était si célèbre qu'il était considéré comme l'un des plus importants marins arabes. Il serait mort en 1500 (fr.wikipedia.org - Ahmed Ibn Majid).

 

Il était vivant en 1470.

 

Nicolas Canale

 

CANALE (Nicolas), amiral vĂ©nitien, vivait vers la fin du quinzième siècle. Il succĂ©da, en 1469, Ă  Jacques Loredano dans le commandement des troupes vĂ©nitiennes en Grèce; rassembla une flotte de vingt-six galères Ă  NĂ©grepont, avec laquelle il menaça plusieurs Ă®les de la mer ÉgĂ©e; et finit par s'emparer d'Eno, sur le golfe Saronique. C'Ă©tait une ville commerçante, assez riche, habitĂ©e uniquement par des Grecs: les Turcs n'y avaient pas mĂŞme de garnison; nĂ©anmoins, elle fut rĂ©duite en cendres, après avoir Ă©prouvĂ© toutes les horreurs du pillage. Les lieux saints ne furent pas mĂŞme Ă©pargnĂ©s : les religieuses, dont les Turcs avaient respectĂ© les couvents, en furent arrachĂ©es et abandonnĂ©es Ă  la brutalitĂ© des soldats, qui s'enrichirent d'un butin considĂ©rable, et emmenèrent Ă  NĂ©grepont deux mille captifs. Cet affreux et facile triomphe avait anĂ©anti une ville chrĂ©tienne : cependant, la nouvelle du sac d'Éno Ă©tant arrivĂ©e Ă  Rome en mĂŞme temps que celle d'un avantage remportĂ© sur les hĂ©rĂ©tiques de Bohème, le pape Paul II ordonna des actions de grâces pour ces heureux succès. Quoique les pirateries des VĂ©nitiens ne portassent surtout prĂ©judice qu'aux sujets chrĂ©tiens de Mahomet II, ce monarque rĂ©solut de ne pas souffrir davantage de pareilles attaques. Il fit prĂŞcher la guerre sainte, et rĂ©unit Ă  Constantinople une armĂ©e et une flotte formidables. Ces forces se mirent en mouvement le 31 mai 1470. Canale Ă©tait Ă  NĂ©grepont avec trente-cinq galères, quand on l'informa que la flotte turque avait paru près de TĂ©nĂ©dos. Il s'avança par le canal qui sĂ©pare Lemnos et Imbros, et bientĂ´t aperçut la flotte ennemie couvrant la mer de ses navires. Les VĂ©nitiens prirent la fuite, et, profitant de la nuit, se mirent Ă  couvert derrière Scyros, que les Turcs ravagèrent et brĂ»lèrent sous leurs yeux. Canale se pressa de ravitailler Chalcis, et attendit des renforts, qui ne tardèrent pas Ă  lui arriver, avec ordre de tout hasarder pour dĂ©bloquer NĂ©grepont, ville que Mahomet assiĂ©geait avec cent vingt mille hommes, et Ă  laquelle il avait dĂ©jĂ  livrĂ© trois assauts très-meurtriers. L'amiral vĂ©nitien, profitant des courants et d'un vent favorable, laissa arriver sur les chaĂ®nes tendues par les Turcs pour lui fermer l'Euripe, les rompit, et parut, le 11 juillet 1470, en vue de la ville, qui se crut dĂ©livrĂ©e. Mahomet, craignant d'ĂŞtre coupĂ© du reste de son armĂ©e, allait se rembarquer; mais Canale s'aperçut qu'il n'avait Ă©tĂ© suivi que par douze galères et deux vaisseaux : la peur ou un malentendu avait retenu les autres en dehors de l'Euripe.

 

Cependant Candiano, son pilote, les frères Pizzamani, capitaines des vaisseaux, l'exhortaient Ă  venir donner sur le pont de bateaux que les Turcs avaient construit pour unir l'EubĂ©e avec la BĂ©otie, et couper ainsi leurs communications avec la terre ferme. En vain lui dĂ©montraient-ils qu'aidĂ©s par le vent et les courants, ils redoutaient peu la flotte ottomane, entassĂ©e derrière le pont dans un espace oĂą elle ne pouvait manĹ“uvrer, et oĂą le grand nombre de ses bâtiments devenait plus nuisible qu'utile; Canale manqua de rĂ©solution : il dĂ©fendit Ă  son pilote de passer outre jusqu'Ă  l'arrivĂ©e du reste de la flotte, dont il pressait la marche messager par messager. Pendant qu'il attendait, les assiĂ©gĂ©s, toujours les yeux fixĂ©s sur les vaisseaux vĂ©nitiens, dont l'immobilitĂ© les dĂ©sespĂ©rait, eurent un quatrième assaut Ă  repousser sur mer et sur terre. Leur faible garnison, commandĂ©e par Luigi Calvo, fit des prodiges de valeur, et, quoique accablĂ©e de fatigue, tint ferme toute la journĂ©e et toute la nuit du 11 juillet; mais le 12 au matin, le combat ayant recommencĂ© plus furieux que jamais, ils furent enfin prĂ©cipitĂ©s des murailles, et se firent tuer dans les rues jusqu'au dernier. Leurs cadavres, entassĂ©s sur la place Saint-François, furent ensuite jetĂ©s Ă  la mer. Paul Erizzo, provĂ©diteur, s'Ă©tait enfermĂ© dans la citadelle; hors d'Ă©tat de la dĂ©fendre, il la rendit Ă  Mahomet, sous condition d'avoir la tĂŞte sauve. Celui-ci ordonna qu'il fĂ»t sciĂ© en deux, dĂ©clarant qu'il n'avait garanti que sa tĂŞte, et qu'il la lui laissait. Cette boucherie durait encore quand le reste des navires vĂ©nitiens rallia Canale: il Ă©tait trop tard pour sauver Chalcis; mais on pouvait, en attaquant les musulmans dans le dĂ©sordre de leur triomphe, leur faire subir un grave Ă©chec. Canale, rĂ©sistant encore Ă  ses soldats, qui demandaient le combat les larmes aux yeux, prĂ©fĂ©ra se retirer en hâte de l'Euripe. La douleur que causa la perte de NĂ©grepont Ă  Venise fut accompagnĂ©e de la plus violente indignation contre Canale. Son courage n'avaitjusqu'alors jamais paru douteux; mais on prĂ©tendit que, dans cette occasion, la prĂ©sence de son fils sur sa flotte lui avait inspirĂ© une crainte inaccoutumĂ©e. On doit attribuer sa mollesse Ă  une autre cause, car après la chute de Chalcis il ne fit rien pour relever l'affront que l'Ă©tendard de Saint-Marc venait de recevoir pourtant Girolamo Molini, duc de Candie, et Giacomo Veniero, lui avaient amenĂ© de puissants renforts qui mirent sous ses ordres cent galères, armement plus que suffisant pour dĂ©truire la marine turque, mal aguerrie encore. Aussi Mahomet, sentant son infĂ©rioritĂ©, fit-il retirer sa flotte dans les Dardanelles. Nicolas Canale la suivit jusqu'Ă  Scio: lĂ  il assembla un conseil de guerre, et, sur l'avis de ses capitaines, il s'abstint d'attaquer les musulmans, qui se croyaient perdus. Il revint Ă  NĂ©grepont, qu'il tenta de reprendre; mais, ayant mal combinĂ© son attaque, il fut repoussĂ© avec perte. Durant l'action, Pietro Mocenigo arriva, avec ordre de remplacer l'inhabile Canale: cependant il dĂ©clara que, pour ne pas dĂ©ranger des plans combinĂ©s d'avance, il Ă©tait prĂŞt Ă  combattre sous les ordres de Canale, si celui-ci voulait renouveler l'attaque. Canale refusa. Tous deux semblaient redouter la fortune et dĂ©cliner toute responsabilitĂ©. Mocenigo, ayant vainement offert Ă  son prĂ©dĂ©cesseur une occasion de se rĂ©habiliter, prit le commandement de la flotte, montra l'ordre dont il Ă©tait chargĂ© par le conseil des Dix, fit arrĂŞter Canale et l'envoya chargĂ© de fers Ă  Venise, oĂą il fut mis en jugement (1470). Le pape Paul II intervint vivement en faveur de l'arniral vĂ©nitien. François Philelphe, littĂ©rateur et jurisconsulte distinguĂ©, Ă©crivit une apologie qui eut pour rĂ©sultat que Canale ne fut pas condamnĂ© Ă  mort; mais le sĂ©nat le rĂ©lĂ©gua Ă  Porto-Gruero, oĂą il finit ses jours (Nouvelle biographie gĂ©nĂ©rale depuis les temps les plus reculĂ©s jusqu'Ă  nos jours, Tome 8, 1854 - books.google.fr).

 

L'inexpérience (peur de l'inconnu) de Canale a été une des cause de l'échec de la défense de Négrepont (André Clot, Mehmed II: Le conquérant de Byzance, 1990 - books.google.fr).

 

La douleur que causa la perte de Négrepont à Venise, fut accompagnée de la plus violente indignation contre Nicolas Canale. Loin d'encourager ses soldats au combat, il avoit retenu des guerriers plus ardens que lui, et il s'étoit refusé à tenter de rompre le pont de vaisseaux des Turcs, au moment où il auroit pu sauver ainsi la ville. Son courage n'avoit jusqu'alors jamais paru douteux dans les combats; mais on prétendit que dans cette occasion, la présence de son fils sur la flotte, lui avoit inspiré une crainte inaccoutumée. Après la chute de Chalcis il ne fit rien pour réparer l'affront que l'étendard de Saint-Mare avoit reçu. Cependant Jacques Véniero, et d'autres encore, lui avoient amené de si puissans renforts, qu'il avoit enfin réuni cent galères sous ses ordres. Cet armement étoit bien plus redoutable que celui des Turcs, lors même que la flotte de ceux-ci auroit été effectivement composée de quatre cents vaisseaux, comme le rapportent plusieurs historiens. Le sultan avoit réuni tous ceux du commerce, tous ceux qui pouvoient lui servir de transports, et sa flotte mal aguerrie ne savoit ni manœuvrer dans les batailles, ni obéir aux signaux, tandis que les Vénitiens étoient les plus hardis marins de la Méditerranée, parce qu'ils en étoient les plus habiles (J.C.L. Simonde de Sismondi, Histoire des républiques italiennes du moyen âge, Tome 10, 1815 - books.google.fr).

 

"Sel"

 

L'État vénitien, puissant redistributeur de revenus, agit comme le plus gros entrepreneur de son temps. Dans cette fonction il trouve un utile relais dans les banques. De 1448 à 1473, cinq banques vénitiennes avancent plus de 200000 ducats gagés sur les recettes de office du sel. Quand en 1465, à l'entrée de la guerre turque, le sénat somme l'office de débourser environ 230000 ducats, une somme qui dépasse largement les recettes de l'année, l'office se tourne vers les banques pour leur emprunter en anticipation de ses recettes. De même l'office, quand il dispose d'excédents de recettes, crédite ses créanciers, les importateurs de sel, par des virements effectués en banque (Jean-Claude Hocquet, Venise au moyen âge, 2003 - books.google.fr).

 

L'Office du sel fut l'organisme chargĂ© de gĂ©rer, de distribuer le sel importĂ©, de collecter les fonds provenant de sa vente, de les rĂ©partir entre les marchands-importateurs. Les consommateurs financent donc, grâce Ă  l'usage indispensable d'un produit de faible valeur, l'importation de denrĂ©es de haut prix, dont la prĂ©sence simultanĂ©e avec le sel dans les flancs des bateaux abaisse les coĂ»ts de transport. Bien entendu on pourrait objecter que sel et Ă©pices ne voyagent pas sur les mĂŞmes bateaux, ce que tout le prĂ©sent travail dĂ©montre. Mais ce serait oublier les solidaritĂ©s profondes qui unissent nefs et galères. Ces solidaritĂ©s sont illustrĂ©es par le charge- ment des Ă©pices de la rata sur les coques du voyage d'Alexandrie ou de Tana, par le prĂ©lèvement de la taxe de 3 % sur les nolis des galères, afin d'indemniser le capitaine des nefs armĂ©es. Mais ces observations restent superficielles et deux remarques viennent davantage appuyer la force de ces solidaritĂ©s : l'ordo salis impose pĂ©remptoirement aux nefs de frĂ©quenter les mĂŞmes lignes de navigation que les galères; d'autre part les acquĂ©reurs des galères mises aux enchères par l'Etat sont ces mĂŞmes marchands - armateurs qui se partagent la propriĂ©tĂ© des nefs. Il ne leur est donc pas difficile de rĂ©partir leurs nolis, d'Ă©galiser leurs coĂ»ts entre toutes les marchandises qu'ils chargent sur les galères et sur leurs vais- seaux ronds. Sinon, on ne comprendrait pas très bien pourquoi ce sont les coques d'Alexandrie dotĂ©es d'un moteur très Ă©conomique, d'un Ă©quipage rĂ©duit, qui ont besoin de prendre, Ă  cĂ´tĂ© des Ă©pices, du sel pro subventione sua, sauf parce qu'elles accompagnent les galères au moteur très coĂ»teux. Autrement dit, quel que soit le navire utilisĂ© au transport des marchandises de haut prix, nef ou galère, le sel qui ne voyage que sur les vaisseaux ronds subventionne la navigation de ces marchandises. Le rĂ©sultat de cette politique maritime est clair : selon le marchĂ©, les denrĂ©es de grand prix sont compĂ©titives, et Venise est assurĂ©e d'affronter la concurrence dans d'excellentes conditions, et si la concurrence marque le pas, le marchand vĂ©nitien, maĂ®tre des prix, bĂ©nĂ©ficie d'un profit majorĂ©, provenant de la diffĂ©rence entre un prix de vente Ă©levĂ© et un coĂ»t artificiellement diminuĂ© par la rĂ©partition des frets entre la cargaison de denrĂ©es prĂ©cieuses et le lest. Le sel, Ă  toutes les Ă©tapes, sert donc les intĂ©rĂŞts de la classe marchande. Non seulement, il a apportĂ© un concours actif direct Ă  la construction navale , grâce au système des primes et des prĂŞts, non seulement il a contribuĂ© Ă  justifier un emploi Ă©conomique de ces nombreux vaisseaux, Ă  amortir les coĂ»ts très Ă©levĂ©s de leur utilisation, que la masse du fret Ă  transporter ne justifiait pas, mais encore la classe des marchands armateurs tire de la vente du sel des revenus importants, de deux sortes : revenus directs provenant des recettes du sel vendu Ă  la Lombardie et que les marchands accaparent presqu'intĂ©gralement, l'Office du sel ne se rĂ©servant que 20 % des recettes, ou revenus spĂ©culatifs engendrĂ©s par les transactions sur les titres de la Chambre du sel. Le profit des marchands, bien entendu, ne s'Ă©levait pas Ă  80 % des recettes, car il faut tenir compte du coĂ»t de production, de chargement et de dĂ©chargement, des taxes versĂ©es au Prince, maĂ®tre des salines. Le profit s'Ă©levait donc au montant nominal du nolis, du seul nolis, diminuĂ© des annuitĂ©s d'intĂ©rĂŞt qui avaient couru entre l'importation du sel et son paiement, mais augmentĂ© de tous les bĂ©nĂ©fices engendrĂ©s et occultĂ©s par un système de nolis diffĂ©renciĂ©s rĂ©partissant les nolis sur la totalitĂ© des marchandises et du lest. La richesse de la classe marchande de Venise est donc fondĂ©e sur l'exploitation du commerce lointain, africain et surtout asiatique, par un transfert de valeur Ă  Venise, par le transfert de denrĂ©es rares ou rarĂ©fiĂ©es, non substituables, produites dans la lointaine pĂ©riphĂ©rie de la MĂ©diterranĂ©e. [...]

 

Contrairement Ă  l'Office du sel, celui du blĂ© Ă©tait souvent dĂ©ficitaire, en raison de choix politiques opĂ©rĂ©s par l'Etat qui, notamment en temps de guerre, livrait Ă  la population de Venise le pain en-dessous de son coĂ»t rĂ©el et fournissait gratuitement le "biscuit" aux Ă©quipages de la flotte; d'autre part, blĂ© et sel alimentaient deux courants d'Ă©changes de sens contraire : princes et marchands de l'Italie du Nord fournissaient le blĂ© et recevaient le sel, ils Ă©taient donc crĂ©anciers Ă  l'Office du blĂ© et dĂ©biteurs de celui du sel. Ils demandaient et obtenaient un paiement par compensation entre les deux Chambres. Ou bien, ayant livrĂ© du blĂ©, ils demandaient Ă  bĂ©nĂ©ficier d'un accord de troc et qu'on leur fournit du sel pour la valeur de leur crĂ©dit. Les recettes du sel ont Ă©tĂ© encore plus sollicitĂ©es pour l'amortissement de la dette publique, bien qu'en fait huit Offices aient Ă©tĂ© chargĂ©s de ce service dès la fin du XIVème siècle . Mais la guerre entraĂ®nait une telle aggravation de la dette publique qu'il devenait impossible de servir rĂ©gulièrement l'intĂ©rĂŞt de 5 % et de restituer le capital , non pas Ă  son prix d'Ă©mission mais mĂŞme Ă  son cours de marchĂ©. Pour restaurer la confiance et maintenir les cours, l'Etat, dès la fin du XIVème siècle, confia Ă  l'Office du sel le soin de collecter les impĂ´ts, c'est-Ă -dire les emprunts, d'en verser l'intĂ©rĂŞt puis de restituer le capital grâce Ă  ses recettes ordinaires. L'introduction de l'impĂ´t direct ou "dĂ©cime" en 1463, si elle a mis un peu d'ordre dans le système financier, n'a rien changĂ© fondamentalement au aux fonctions de l'Office du sel, car l'Etat, contraint de multiplier les dĂ©cimes, a Ă©tĂ© obligĂ© très vite de distinguer entre dĂ©cimes versĂ©es Ă  fonds perdus et dĂ©cimes remboursables, dont la restitution Ă©tait gagĂ©e sur les recettes de l'Office. Pendant les Guerres d'Italie, Venise a frĂ´lĂ© le dĂ©sastre en 1509, Ă  tel point que le 21 septembre la Seigneurie aux abois crĂ©ait le Monte novissimo Ă  l'Office du sel, Ă  qui dĂ©sormais reve- nait la lourde charge de gĂ©rer directement la dette publique. Auparavant celui-ci s'Ă©tait contentĂ© de transfĂ©rer ses recettes propres auprès de la Chambre des emprunts ou des Gouverneurs des entrĂ©es. Quand Venise put de nouveau respirer librement, que la paix fut revenue la paix qui constitue sans doute la carac- tĂ©ristique dominante de l'histoire de Venise au XVIème siècle, en dĂ©pit de quelques brefs et meurtriers conflits avec les Turcs l'Office du sel prit une part importante Ă  l'extinction de la dette publique.

 

De cette brève description, tirons une première conclusion : de la Guerre de Chioggia (fin du XIVème siècle) jusqu'en 1517, la guerre a Ă©tĂ© quasi permanente et de plus en plus coĂ»teuse : les recettes de l'Office ont Ă©tĂ© constamment sollicitĂ©es pour les besoins de l'Etat. Ces besoins sont prioritaires et tellement urgents que bien souvent l'Office est obligĂ© d'anticiper ses recettes futures (Jean Claude Hocquet, Le Sel et la fortune de Venise, 1978 - books.google.fr).

 

A l'Office du sel il appartenait de financer la politique annonaire de Venise, sa politique de pain Ă  bas prix pour la population civile et les Ă©quipages de la flotte (Jean-Claude Hocquet, Contribution Ă  l'histoire de l'administration financière de Venise au Moyen Age : des salinarii aux provĂ©diteurs au sel, Studi veneziani, Volume 29, 1996 - books.google.fr).

 

"biremes" et "quatre trirèmes"

 

Les premières birêmes furent construites par les Érythréens, suivant Damaste; les trirêmes par le Corinthien Aminocle, suivant Thucydide; les quadrirêmes par les Carthaginois, suivant Aristote; les quinquerêmes par les Salaminiens, suivant Mnésigiton; les vaisseaux à six rangs de rameurs, par les Syracusains, suivant Xénagoras; ceux depuis six rangs jusqu'à dix, par Alexandre le Grand, suivant Mnésigiton; Ptolémée Soter, suivant Philostéphane, en fit construire à douze rangs; Démétrius, fils d'Antigone, à quinze; Ptolémée Philadelphe, à trente; Ptolémée Philopator, surnommé Tryphon, à quarante rangs de rameurs (Pline, Histoire Naturelle VII, 57) (Paul Marie Weyd, Pline, 1897 - books.google.fr).

 

Érythrées une ville d'Ionie située à 22 km au nord-est du port de Cyssos - actuel Çesme - sur une petite péninsule qui s'étend dans la baie d'Érythrée, en face de l’île de Chios. Les ruines de cette colonie grecque sont proches du bourg d'Ildiri. La cité était réputée pour son excellent vin, ses chèvres et son bois. Érythrées a été le berceau de deux prophétesses, des Sibylles, dont l'une, Sibylla, est mentionnée par Strabon comme ayant vécu au début de l'histoire de la ville, et l'autre, Athénaïs, à l'époque d'Alexandre le Grand. Les Sibylles érythréennes présidaient l'oracle apollinien. Érythrées faisait partie de la Confédération ionienne ou Dodécapole ionienne (fr.wikipedia.org - Erythrées (Ionie)).

 

Johannes Philippus, serviteur de Galeazzo Maria Sforza Ă  Venise, lui Ă©crit le 10 aoĂ»t 1470 au sujet de la chute de NĂ©grepont :

 

...et quello di proprio domino Niccolo da Canale Capitanio generale, che fo a dì 11 del passato, mandò quindeci galere per soccorrere la terra, de le quale undeci per non havere capo se retrasseno alamita del camino, quattro sole passaro più oltre, ma ona sola dele quattro animosamente se presentò al ponte facto per el turco da la parte de sopra et andogli cum tanta furia che la conquasso tutto el ponte, et fece tanto terrore a quilli che guardaveno el ponte, che il forcio se buttarono in aqua; per modo ognuno tene che se le quattro galee tutte unite urtaveno el ponte, per esser facto su fuste incatenato, lhaveriano rotto et soccorrevano la terra (Archivio storico lombardo, 1884 - books.google.fr).

 

Niccolo da Canale, capitaine général, envoya, le 11 du mois dernier, quinze galères pour secourir la ville. Onze d'entre elles, sans chef, quittèrent le passage; quatre seulement allèrent plus loin, mais une seule s'approcha hardiment du pont construit par les Turcs et l'attaqua avec une telle fureur qu'elle le brisa entièrement et terrifia tant ceux qui le gardaient qu'ils jetèrent leurs galères à l'eau. Tout le monde croit que si les quatre galères, toutes ensemble, avaient frappé le pont, construit sur des poteaux enchaînés, elles l'auraient brisé et sauvé la ville (traduction google).

 

La galée ou galère fut ce que la trirème avait été pour l'antiquité (Philippe Le Bas, France: dictionnaire encyclopédique, Tome 8, 1842 - books.google.fr).

 

Typologie

 

Le report de 1645 sur la date pivot 1470 donne 1295.

 

La famille Barozzi est une famille patricienne de Venise. Les papes Eugène IV et Paul II étaient apparentés à la famille Barozzi.

 

Andrea Barozzi, consul de Venise à Négrepont en 1258, infligea une défaite à l'armée de Guillaume II d'Achaie au cours de la guerre de succession d'Eubée. Jacopo, son fils, fut recteur de la Canée, de Négrepont (1295) et duc de Candie vers 1301. Sa conquête de Santorin l'entraîna dans un conflit avec les ducs de Naxos qui dura plusieurs dizaines d'années et se solda par la perte définitive de l'île en 1335.

 

Lucas Barozzi défendit avec vaillance la Canée, en juin 1645 lorsque les Turcs débarquèrent en Crète (Gustave Léon Schlumberger, Paulos Lampros, Numismatique de l'Orient latin, 1878 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Famille Barozzi).

 

Francesco Barozzi (latinisé en Franciscus Barocius; né le 9 août 1537 à Candie, auj. Héraklion, en Crète, mort le 23 novembre 1604 à Venise) est un mathématicien et un astronome italien de la Renaissance.

 

Vers 1583, Barozzi fut entendu une première fois par l'Inquisition pour un motif inconnu et fut jugé coupable. En 1587, il fut accusé d'apostasie, d'hérésie, et de pratiques occultes ayant provoqué une tempête en Crète. Reconnu de nouveau coupable, il dut verser 100 ducats et fut condamné à la prison avec sursis.

 

Il est l'auteur de Pronostico Universale di tutto il mondo (Bologne, 1566), traduction d'un recueil d'almanach (de prophéties) de Nostradamus pour les années 1565-1570 (fr.wikipedia.org - Francesco Barozzi).

 

Un voyageur et ambassadeur

 

Parmi les voyageurs de renom, se place Evliya Çelebi qui appartient à l'époque de l'Empire Ottoman. Evliya Çelebi naquit à Istanbul en 1611. Il reçut une éducation et une instruction assez choisies, d'après les critères de son époque. Son père était orfèvre, sous le règne du Sultan Selim II et du Sultan Ahmed I, il fit accueillir son fils Mehmed Zilli au Palais; en 1636, par l'entremise de Melik Ahmed Pacha, un de ses proches, il fut présenté au Sultan Murad IV. Çelebi sut profiter de cette occasion, gagna la confiance du souverain et en 1640, fut envoyé à Bursa comme fonctionnaire. C'est durant les années suivantes, jusqu'en 1680, date de sa mort, que Çelebi, en tant que fonctionnaire du gouvernement ottoman, parcourut les différentes parties de ce vaste territoire. Parfois il compta même parmi les fonctionnaires de l'ambassade. Par ailleurs, Çelebi contribua à certaines campagnes militaires, sous le règne du Sultan Ibrahim I (1640-1648) et celui du Sultan Mehmed IV (1648-1678). C'est grâce à ces expéditions que Çelebi put également parcourir les contrées de l'Europe et de l'Ouest. Çelebi publia ses riches descriptions sous forme de 10 volumes. Plusieurs pays traduisirent les oeuvres de Çelebi et publièrent ces traductions (A. Caferoglu, L'itinéraire onomastique suivi par Evliya Çelebi durant voyage en Bulgarie, Actes Et Mémoires, Volume 1, 1974 - books.google.fr).

 

En 1640, Il visite Bursa, Izmit et part au pays des Abazes. Il suit les cĂ´tes de la Mer noire jusqu'Ă  Anapa oĂą il embarque sur la flotte qui va bloquer Azov. Après la fin du siège, il se rend Ă  Balaklava et rejoint Istanbul. En 1645, il est chef des muezzins de la flotte qui attaque Candie. A son retour, il devient employĂ© des douanes Ă  Erzurum d'oĂą il explore l'ArmĂ©nie. En 1648, Mortedha Pacha l'emmène Ă  Damas, et lui confie des missions Ă  La Mecque, en Egypte, Ă  travers la Syrie et en Asie mineure. Evilya suit ensuite son oncle Melek Ahmed Ă  Oczakow en 1650, puis Ă  Silistre (Valachie) et Ă  Van. Il est envoyĂ© Ă  sept reprises en Perse et dans le Djezireh, passe par Tabriz, Amman, Bagdad, Bassora, Koufa, Ormuz, Mossoul, Tikrit. En 1659, il fait avec son oncle la campagne de Moldavie et de Transylvanie. Celui-ci meurt en 1660, mais Evliya reste dans l'armĂ©e jusqu'en 1664. Il est nommĂ© secrĂ©taire de l'ambassade qui se rend Ă  Vienne sous la direction de Kara Mehmet Pacha. De lĂ , il continue son voyage en Europe qu'il parcourut pendant plus de trois ans : Allemagne, Pays-Bas, Flandre, Danemark, Suède, Pologne, Russie et CrimĂ©e. Il raconte ses voyages jusqu'en 1655 dans le Turikh-i-Seyyah ou Seyahât-Nâme (Histoire ou livre du voyageur) (www.turquie-culture.fr).

 

En 1050 (1640) il visita Brousse, Nicomédie, et partit pour le pays des Abazes. Il suivit les côtes de la mer Noire jusqu'à Anapa; là il monta sur la flotte qui allait bloquer Azof. Après la levée du siége, il se rendit à Balaklava, où il s'embarqua pour Constantinople. Durant le trajet, il faillit perdre la vie, dans un naufrage d'où il échappa avec quatre de ses esclaves. En 1055 (1645) il fut placé en qualité de chef des moezzins sur la flotte qui alla menacer l'île de Candie. A son retour, il fut envoyé comme employé de la douane à Erzeroum, d'où il exécuta diverses excursions, qui lui firent connaître la plus grande partie de l'Arménie (Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, Tome 16, 1856 - books.google.fr).

 

L'attaque de la Crète

 

Le dixiĂ©me de May 1645. on leva l'ancre... La flotte estoit composĂ©e de quatre-vingt & une galeres, en comptant huit galeres de Barbarie, de deux mahones ou galeasses, d'un grand gallion nommĂ© la Sultane, de dix vaisseux d'Alexandrie, de deux vaisseaux de Tunis, de dix navires Anglois on Hollandois, que l'on avoit forcez Ă  servir, & de trois cens saĂŻques ou caramousols, chargez de soldats, de provisions, & de munitions. Les troupes estoient sept mille Janissaires, quatorze mille Spahis environ cinquante mille Timariots, ou autres soldats, & trois mille pionniers. Le rendez-vous general fut Ă  Chio. La flotte y arriva le 17. Avant le dĂ©part l'Ambassadeur de Venise jugea Ă  propos de rendre visite au General de la mer, pour tâcher de dĂ©couvrir le veritable dessein des Turcs. Il fut reçû fort civilement de ce Bacha, qui l'entretint fans paroistre embarrassĂ© : De forte qu'il fut impossible Ă  l'Ambassadeur, de rien penetrer; & ainsi il demeura toĂ»jours incertain, s'il y auroit paix ou guerre. Il manda pourtant au Gouverneur de Candie, Qu'il ne pouvoit pas connoistre le fond de l'entreprise des Turcs; mais qu'en general, voyant que le Capitan Bacha n'estoit pas bien intentionnĂ© pour la Republique, il craignoit que la tempeste n'allast fondre sur le Royaume de Candie; qu'ainsi on devait toujours estre sur ses gardes cependant ne point faire paroistre trop de crainte, ou trop de soupçon; Que sur ce pied, si les Turcs abordoient en Candie, on pourroit leur donner les vivres & les rafraichissemens, qui leur seroient necessaires.

 

La flotte partit de Chio pour Napoli de Romanie. Mais il se leva un vent de Nord si frais, que les galeres furent dispersées, & contraintes de se retirer en divers ports. Les saïques & les caramousols moüilletent l'ancre aux environs de Micone & de Tino. La derniere de ces Isles, qui appartient à la Republique, donna aux Turcs de l'eau douce, & quelques autres provisions, qui se trouverent dans l'Isle. Aprés cela la flotte s'estant reünie, on la vit à la hauteur de Cerigo, Isle qui est à l'entrée de l'Archipel, & appartient aux Venitiens. De la les Turcs firent voile vers le canal de Braccio di Maina. Le lendemain neuf galeres, un gallion, & un brigantin s'approcherent de Cerigo, & envoyerent au Provéditeur, une lettre du Bacha de Rhodes, qui luy demandoit le present ordinaire de caffé & de sucre. En recevant ce present, les Turcs assurerent les Venitiens des bonnes intentions & de l'affection du Grand-Seigneur. Mais un petit bâtiment, charge d'armes & de munitions, donnant dans leur flotte, ils s'en saisirent: ce qui éventa leurs desseins, & fit connoistre leurs veritables intentions. [...]

 

A la fin de May ceux de Carabuso, petite forteresse que les Venitiens avoient en mer, à quelque distance vers l'oüest, découvrirent la flotte des Turcs. Cela donna l'alarme à la capitale de l'Isle, dont les soupçons furent bientost confirmez. Un brigantin sous pretexte d'apporter de Sainte-Maure, des marchandises de Turquie Turquie, avoit fondé la profondeur de aux environs de San-Theodoro, petit rec à la hauteur de la Canée. Ces circonstances faisoient assez connoistre, que le dessein estoit seulement contre le Royaume de Candie. Neanmoins les craintes des Venitiens commencerent à se dissiper, lors qu'ils apprirent, que l'on avoit marqué un second rendez-vous à Navarino, qui est une place fort éloignée de Candie; & personne ne douta, que Malthe ne dûst estre attaquée. Mais au mesme temps on fut detrompé. Le General des forces Turques, ne fut pas plûtost arrivé à Capo-Colona appellé Sunio par quelques-uns, qu'il envoya un brigantin à Constantinople, pour donner avis, qu'il alloit passer en Candie. La Cour Ottomane crut, qu'il n'estoit plus necessaire de feindre, & qu'il falloit declarer hautement la guerre aux Venitiens. Cela se fit, en emprisonnant leur Ambassadeur, & en donnant des ordres à tous les habitans de l'Archipel de tuer, ou de faire des esclaves autant de sujets de la Republique, que l'on en pourroit attraper. Ce qu'il y a à remarquer principalement, c'est que les Turcs entreprirent la guerre contre Venise, avec de plus grandes precautions, qu'ils n'ont accoutumé de le faire, lors qu'ils rompent avec leurs voisins. Avec les derniers, ils frappent au mesme temps, qu'ils menacent. Mais icy ils prennent de grandes mesures, sçachant, qu'ils ne peuvent tenir la mer contre les Vénitiens (Paul Rycaut, Histoire Des trois derniers Empereurs des Turcs: Depuis 1623 jusqu'à 1677, Tome 2, 1684 - books.google.fr).

 

Les îles de Mikonos et Tinos sont au centre de la mer Egée à mi chemin entre les côtes de Grèce et de Turquie.

 

Sur la grande route maritime, entre les cĂ´tes asiatiques et les cĂ´tes europĂ©ennes, nos trois Ă®les de Mykonos, DĂ©los et Syra se prĂ©sentent tout juste Ă  mi-chemin de la traversĂ©e et comme au milieu du pont insulaire : ce sont les gites d'Ă©tape presque forcĂ©s. Aussi, quand les Ioniens, maĂ®tres des deux cĂ´tes, voudront un lieu de foire, de rĂ©union et de culte commun, c'est DĂ©los qui verra les grandes panĂ©gyries de l'hymne homĂ©rique (Victor BĂ©rard, Les PhĂ©niciens et les poèmes homĂ©riques, 1899 - books.google.fr).

 

La marine ottomane pendant la guerre de Crète

 

En cas de nécessité, par exemple pour une expédition nécessitant des effectifs importants, ces escadres venaient renforcer la flotte impériale ce qui les plaçait alors sous le commandement du kapudan pacha. Le plus souvent, elles avaient pour tâche d'assurer la défense d'une zone du domaine maritime ottoman. Ces navires dépendaient de sancak beys des provinces maritimes et insulaires qui avaient dans leurs attributions l'obligation de faire construire, armer et équiper un nombre précis de galères et de les mettre à la disposition de l'État. Au milieu du XVIIe siècle, Rhodes devait en fournir trois, Chypre trois, Nauplie cinq, l'Eubée quatre, Chio deux, Smyrne, une, Naxos une, Coron une et Modon une. [...]

 

Rappelant l'efficacité de Mehmed Sokollu trois quarts de siècle auparavant, l'État ottoman met sur pied, durant l'hiver 1644-1645, une imposante force militaire et navale qui quitte Istanbul le 30 avril 1645. Bien que leur ambassadeur à Istanbul soit très attentif aux mouvements de la marine ottomane, les Vénitiens ont été abusés et croient que les Ottomans ont l'intention d'attaquer Malte. La flotte comprend 72 galères, deux mavnas, un grand kalyon, dix vaisseaux hollandais et anglais affrétés pour l'occasion et environ 250 navires de charge, karamürsels et saykas. Après des escales successives à Chio, à Karystos à la pointe sud de l'Eubée et à Navarin, où les contingents issus du Maghreb, d'Alexandrie, de Roumélie et de l'Archipel, viennent successivement la rejoindre, l'imposante flotte de plus de 350 navires atteint la Crète le 23 juin. Le lendemain 24, l'armée, comprenant 7000 janissaires, 14000 sipahis, 3000 sapeurs et pionniers et 50000 timariotes, commence à débarquer sans incident à 30 kilomètres à l'ouest de La Canée. Après s'être emparés le jour même de l'île de San Todero et de ses forts qui couvrent le port de La Canée, la flotte y pénètre cependant que la ville est investie par la terre. Après une belle résistance, les Vénitiens, laissés sans secours , se résignent à traiter. Ils rendent la ville le 22 août et la quittent, sans être molestés, avec leurs effets personnels le 24 à bord de navires turcs. Cette victoire fêtée avec éclat à Istanbul donne aux Ottomans l'indispensable port d'accueil pour leurs renforts et une base pour la poursuite de la conquête de l'île. Malgré la présence proche de deux escadres importantes, vingt-cinq galères, quatre galéasses et plusieurs vaisseaux à Zante, vingt-trois galères et treize vaisseaux à Suda, en Crète à l'est de La Canée, les Vénitiens ne sont pas intervenus. En fait, ils attendent leurs alliés. Cinq galères du pape, cinq de Toscane, cinq de Naples et six de l'ordre de Malte finissent par se retrouver à Messine le 13 août qu'elles quittent le 25 pour atteindre Zante le 29 où les attend l'escadre vénitienne. L'imposante flotte alliée aligne alors 46 galères, quatre galéasses et dix-huit vaisseaux, et l'on attend encore l'escadre de Suda, mais La Canée est tombée le 22 août et les Ottomans ont renvoyé à Istanbul la majeure partie de leur flotte et de leur armée. Après des hésitations et une timide tentative contre La Canée, les divisions alliées se retirent fin septembre, considérant que la saison est maintenant trop avancée pour les galères. Jusqu'à la mi-octobre, les Vénitiens s'efforceront, seuls, d'intercepter, avec quelque succès, les bâtiments ottomans, notamment barbaresques, qui apportent des renforts en Crète avant de se retirer à Suda et à Corfou. Le déroulement de cette première année de guerre révèle l'importance, la variété et la complexité des tâches à accomplir dans le domaine naval. La priorité des dirigeants ottomans est d'amener en Crète les renforts, en hommes et en matériel, nécessaires à la poursuite de la conquête de l'île et pour cela d'éviter l'affrontement naval décisif. Au contraire, les Vénitiens, ont certes besoin de renforcer leurs garnisons, mais leur principale préoccupation est d'empêcher à tout prix les renforts ottomans d'atteindre l'île et dans ce but ils cherchent à détruire le potentiel naval de leurs adversaires. En outre, les flottes vénitiennes et ottomanes sont des ensembles hétérogènes tant par les types de navires utilisés que par leur provenance politique. En effet, aux côtés d'escadres «métropolitaines», qui constituent le gros de leurs forces, Ottomans et Vénitiens complètent leurs effectifs à l'aide de divisions navales, d'origine étrangère, provinciale ou mercenaire, aussi bien dans les combats que dans le transport, et la coordination entre elles s'avère le plus souvent difficile. En près d'un quart de siècle, la guerre présente donc des constantes certaines qu'il importe de présenter ici. Mais sa durée, sa complexité et son ampleur contraignent les adversaires à repenser d'une part leur stratégie et de l'autre, à accorder à la logistique une importance qu'elle n'avait sans doute pas au départ. Ces efforts d'adaptation aux circonstances témoignent des capacités et des moyens dont disposent Venise et Istanbul pour faire face aux besoins croissants en hommes, en matériel et en argent que nécessite ce conflit qui va durer bien plus que prévu (Daniel Panzac, La marine ottomane: de l'apogée à la chute de l'empire, 1572-1923, 2009 - books.google.fr).

 

La bataille de Nègrepont en 1647

 

Dans la guerre de Crète, les navires d'Alger enregistrent des pertes en 1645 et 1646 et surtout en 1647 lors de la défaite navale de Nègrepont. Les pertes se poursuivent les années suivantes et culminent en 1652 (12 navires «barbaresques o en majorité d'Alger, sont pris ou détruits). Certes les Ottomans versaient des sommes d'indemnisation importantes à la Régence d'Alger mais la disparition de rais aguerris affaiblit la marine d'Alger. De plus, cette mobilisation pour la guerre réduit les activités de course et les corsaires d'Alger étaient poursuivis par la quasi totalité des flottes européennes. Situation que jusqu'ici Alger évitait en jouant des contradictions entre puissances européennes (Lemnouar Merouche, Recherches sur l'Algérie à l'époque ottomane II.: La course, mythes et réalité, 2007 - books.google.fr).

 

Tommaso Morosini avait proposé et réalisé une première tentative de blocus des Dardanelles, qui s'acheva par défaut d'approvisionnement, en eau particulièrement. Après des opérations sans effet près de la Crète, Morosini s'aventura dans le canal de Négrepont, avec son seul vaisseau amiral, en janvier 1647. Attaqué par 45 galères turques, il meurt d'une arquebusade. Son navire sera secouru par le nouveau Capitano Generale da Mar Giovanbattista Grimani, qui succède à l'inexpérimenté Giovanni Cappello. (Guido Candiani, Stratégie et diplomatie vénitienne 1646-1659, Risque, sécurité et sécurisation maritimes depuis le moyen âge, 2008 - books.google.fr).

 

Grimani, ayant rassemblé quarante-un bâtiments, poursuivit les Turcs de station en station, à Négrepont, à Scio, à Mitylène, les obligeant à baisser leurs mâts, pour échapper à sa vue, les attaquant jusque dans leurs rades, les foudroyant jusques dans leurs y ports pénétrant de vive force au milieu d'eux, et leur enlevant des bâtiments sous le feu des batteries de terre. Tout cela n'empêchait pas qu'à la faveur de l'obscu. rité, et de quelques coups de vent, qui écartaient la flotte vénitienne, les vaisseaux turcs ne s'échappassent d'un port pour se réfugier dans un autre, et que le nouveau capitan-pacha, Hussein, ne parvint à jeter des secours et des approvisionnements dans la Canée. Cependant il était bloqué dans le port de Naples de Romanie, et l'armée turque, qui assiégeait les places de l'île, ne pouvait pousser que lentement ses opérations (Pierre-Antoine-Noël-Bruno Daru, Histoire de la république de Venise, Tome 6, 1826 - books.google.fr).

 

Acrostiche : LADC, LADic, Ladik

 

La ville antique de LaodicĂ©e du Lycos (en latin : Laodicea ad Lycum, «LaodicĂ©e au bord du Lycos», «LaodicĂ©e de Phrygie») en Phrygie, près de la Carie et de la Lydie Ă©tait, Ă  la pĂ©riode hellĂ©nistique et romaine, la capitale de la Phrygie en Asie Mineure. Ses ruines sont encore visibles entre le village de Goncali et le quartier d'Eskihisar (en turc : Vieille citadelle) Ă  6 km du centre de Denizli en Turquie.

 

Laodicée comptait une forte communauté juive hellénistique. Au sein de celle-ci, mais aussi à l'extérieur, le prosélytisme chrétien eut rapidement du succès et la ville devint l'une des sept Églises d'Asie citées dans l’Apocalypse.

 

Le thĂ©ologien catholique BarthĂ©lĂ©my Holzhauser (1613 - 1658) a interprĂ©tĂ© le passage des 7 Ă©glises comme les sept pĂ©riodes, avec leurs caractĂ©ristiques propres, de l'histoire de l’Église, depuis sa fondation jusqu'Ă  sa consommation Ă  la fin des temps : 7- Église de LaodicĂ©e : 3,14-22. : Tribulations dernières et règne de l'AntĂ©christ (dĂ©solation) (fr.wikipedia.org - LaodicĂ©e du Lycos).

 

Çelebi en parle longuement dans la relation de ses voyages (Evliya Çelebi, Narrative of Travels in Europe, Asia, and Africa, in the Seventeenth Century, Tome 2, traduit par Joseph Freiherr von Hammer-Purgstall, 1850 - books.google.fr).

 

Dans les annĂ©es qui suivirent Lepante, G. Foscarini, gouverneur de la Crète pour Venise, puis haut dignitaire et mĂŞme candidat malheureux au doganat, chargea l'humaniste et mathĂ©maticien frottĂ© d'occultisme Barozzi de constituer une nouvelle Ă©dition des Oracles de LĂ©on VI en y introduisant des morceaux inspirĂ©s par les besoins de la propagande anti-turque. Ce dernier connaissait G. Klontzas, un des peintres crĂ©tois les plus fameux, contemporain et probablement ami du futur El GrĂ©co. En fait, Barozzi avait donnĂ© deux textes de ses Oracles, l'un est le «Bute», l'autre le Baroccianus 170. En outre, le travail de Barozzi a Ă©tĂ© utilisĂ© par les copistes de deux autres manuscrits. L'objectif que poursuit ici Mme Vereecken est de donner une Ă©dition critique, avec une traduction française, des Oracles dans la de Barozzi, y compris sa traduction latine, et un commentaire. L'humaniste avait laissĂ© un commentaire de son Ĺ“uvre, qui est perdu. Grâce Ă  un manuscrit de Bergame et Ă  la correspondance de Barozzi, J. Vereecken parvient Ă  reconstituer le contexte idĂ©ologique, qu'elle rapproche du mouvement religieux Ĺ“cumĂ©nique appuyĂ© par le pape GrĂ©goire XIII et auquel avait adhĂ©rĂ© Henri III, le roi de France - en juillet 1574, de retour de Pologne, il avait sĂ©journĂ© plusieurs jours au palais de Foscarini : le document annonçait la mort de Mourad III en 1590 et la chute de l'empire turc, relayĂ© par un empereur de Constantinople, qui rĂ©concilierait tous les schismatiques au sein de l'Église romaine. Il rĂ©pète donc le thème des prophĂ©ties illuministes qui ont fleuri en Occident depuis Joachim de Flore au XIIIe s. jusqu'aux voyants du XVIe s., les Campanella, Giordano Bruno et autres Guillaume Postel (Jacques Schamp, Les oracles de LĂ©on le Sage illustrĂ©s par Georges Klontzas. La version Barozzi dans le Codex Bute de Jeannine VEREECKEN et Lydie HADERMANN-MISGUICH, In: L'antiquitĂ© classique, Tome 72, 2003 - www.persee.fr).

 

Barozzi a en effet réalisé une "édition" des Oracula Leonis à l’aide de plusieurs manuscrits donnant des recensions différentes; il a complété le texte en y ajoutant des oracles isolés trouvés dans des recueils apocalyptiques et en a retranché d’autres, qui ne se trouvaient peut-être pas dans les manuscrits dont il disposait, si bien que cette version peut être considérée comme l’œuvre de Barozzi lui-même et non comme une œuvre byzantine. Cet ensemble de vingt-quatre oracles brillamment illustrés par Klontzas se trouve dans plusieurs manuscrits de prestige (dont le codex Bute) et a été édité en 2000. (Marie-Hélène Congourdeau, Les Oracula Leonis, Medioevo latino, Volume 31, 2010 - hal.science).

 

La composition des "Oracles selon Barozzi". Des 24 oracles (appelés figurae par Barozzi), seuls les 12 premiers ont trait aux Oracles de Léon proprement dits. La deuxième partie du texte contient d'autres prophéties (byzantines et autres) que l'on retrouve très souvent dans les mêmes manuscrits que les Oracles. Les Figures 21 à 24 décrivent des scènes eschatologiques connues, à savoir la chute de Constantinople, le règne de l'Antéchrist et le second avènement du Christ. Donc à l'opposé de la rédaction courante, les Oracles selon Barozzi ont une dimension eschatologique et contiennent les scènes finales typiques des apocalypses chrétiennes. Dans la composition du texte et la répartition des prophéties, Barozzi a agi très librement. La division en 24 prophéties (ou mieux en 2x12), qui seule intervient dans son édition, paraît très artificielle. On est d'abord frappé par la longueur très inégale des prophéties, allant de 2 à 47 vers, mais une analyse plus détaillée du texte prouve que Barozzi s'est efforcé d'obtenir une composition et un nombre de prophéties "idéaux". La première moitié contient les Oracles de Léon proprement dits (mélangés à d'autres vers et prophéties); dans cette partie-là, Barozzi a consciemment réduit le nombre des oracles à 12 alors qu'il y en a 15 dans les manuscrits conservateurs. Pour commencer, il a éliminé les deux oracles en prose (conservés même dans les Vaticinia Pontificum) parce qu'ils constituaient un élément gênant par rapport aux prophéties en vers. De plus, il a réuni les oracles XIII et X dans la Figure 10. Dans la deuxième partie du texte, la division en 12 prophéties est tout aussi forcée. Cela se remarque surtout dans les Figures 13 et 14 qui sont consacrées au roi mythique Conon et à son jeune corégent et successeur. Ces prophéties (qui ne portent aucun titre) forment une unité quant à leur contenu et à la représentation iconographique et comptent respectivement 6 et 2 vers. Il n'y avait donc aucune raison de les traiter en tant que figures séparées. Tout porte à croire que le mathématicien Barozzi visa à une composition symétrique basée sur le nombre 12. Nous savons que ce nombre, qui a une grande valeur symbolique dans l'Apocalypse de saint Jean, lui était particulièrement cher. Barozzi aurait donc choisi ce nombre "apocalyptique" comme clé de voûte de la composition de ses prophéties. [...] D'autre part, il faut rappeler l'importance du nombre 12 comme symbole de la plénitude, de la Jérusalem céleste, de l'Église triomphante. Pour Barozzi en particulier, qui s'en réfère à Platon et à Pythagore, ce nombre "parfait" représente l'empire de Jupiter ou l'empire de Dieu (Jeannine Vereecken, Lydie Hadermann-Misguich, Chresmoi tou Leontos tou Sophou eikonographemenoi apo ton Georgio Klontza, 2000 - books.google.fr).

 

Sous le titre de Vaticinia de summis pontificibus et sous le nom de Joachim de Flore, circule une adaptation latine des Oracula, où les empereurs à venir sont devenus des papes à venir. Probablement née dans le milieu des spirituels franciscains, cette adaptation voit dans Célestin V le pape «à la rose et à la faux», dont la rose exprime le caractère angélique et qui par la faux doit purifier l’Eglise. Nous avons ici la naissance de la légende du papa angelicus, qui n’est en réalité qu’un empereur byzantin habillé en pape. Par un curieux retour, cette tradition des papes à venir devait être connue en Orient, puisque l’historien byzantin Laonikos Chalkokondylès, au XVe siècle, évoque «les papes à venir prophétisés par Joachim» (Marie-Hélène Congourdeau, Les Oracula Leonis, Medioevo latino, Volume 31, 2010 - hal.science).

 

On pense à la prophétie de Malachie.

 

Dans les pays grecs sous domination ottomane, les Oracles donnèrent naissance Ă  deux traditions. La première est celle de l’empereur pĂ©trifiĂ©. Cette lĂ©gende post-byzantine est nĂ©e d’une relecture de la chute de Constantinople Ă  la lumière des Oracles. Dans les derniers jours du siège, une rumeur courait par les rues de la ville. Elle nous est rapportĂ©e par l’historien Doukas. La rumeur disait que lorsque les Turcs entreraient dans la ville, «un ange descendu du ciel avec une Ă©pĂ©e au poing donnerait le règne Ă  un inconnu, simple et misĂ©rable, qui se trouverait Ă  ce moment devant la colonne (de Constantin) et lui dirait: "Prends cette Ă©pĂ©e et venge le peuple du Seigneur". Alors les Turcs s’enfuiraient et les Byzantins les poursuivraient et les mettraient en pièces, les chassant non seulement de la citĂ© mais aussi de l’Occident et de leurs rĂ©gions orientales jusqu’aux confins de la Perse au lieu dit Monodendrion»34 Confiants dans cet oracle, beaucoup de Byzantins se rĂ©fugièrent derrière la colonne de Constantin, oĂą ils furent massacrĂ©s. On aura reconnu une version de l’oracle sur le vrai empereur. Après la chute, la lĂ©gende se transforma : l’empereur Constantin XI n’était pas mort sur les remparts de Constantinople, comme on le croyait. Sur le point d’être tuĂ©, il avait Ă©tĂ© emportĂ© par un ange dans une grotte près de la Porte DorĂ©e, oĂą il attendait, changĂ© en pierre, que l’ange vienne le rĂ©veiller. Alors de nouveau tu auras le pouvoir, Ă´ ville aux sept collines. Une seconde tradition substitue, Ă  la liste des empereurs byzantins, la liste des sultans jusqu’à la chute de l’empire ottoman et le rĂ©tablissement de l’empire byzantin. Chacun des oracles est ainsi appliquĂ© Ă  l’un des sultans: la licorne Ă  Mehmet II, le bĹ“uf Ă  Bayazid II, l’ourse Ă  SĂ©lim Ier, l’homme Ă  la faux Ă  Suleyman, etc. Cette croyance, qui entretenait l’espoir d’une prompte libĂ©ration, explique probablement la soudaine profusion de manuscrits grecs des Oracles au XVIe siècle, alors qu’on n’en a conservĂ© aucun de la pĂ©riode antĂ©rieure Ă  la chute (Marie-HĂ©lène Congourdeau, Les Oracula Leonis, Medioevo latino, Volume 31, 2010 - hal.science).

 

Cf. les "poissons demy cuits" plus 'Negrepont" du quatrain II, 3 qui pourraient être en rapport avec l'espérance de la chute des Ottomans.

 

Les Oracula Leonis sont un exemple particulièrement frappant d’interpĂ©nĂ©tration culturelle. Ces textes sont Ă  première vue strictement byzantins : leurs sources remontent au passĂ© paĂŻen et Ă©sotĂ©rique de Byzance; certains furent composĂ©s dans un contexte politique prĂ©cis (peut-ĂŞtre le milieu des empereurs ico noclastes) et lus dans un tout autre contexte (la dynastie des Comnènes); ils amalgament des prophĂ©ties sur les destinĂ©es de Constantinople et des Ă©lĂ©ments de l’apocalyptique byzantine sur le Dernier empereur grec. Ce sont pourtant ces mĂŞmes textes byzantins qui, habillĂ©s de vĂŞtements latins, nourrirent les espĂ©ran ces des spirituels occidentaux espĂ©rant le pape angĂ©lique, tout autant que celles des humanistes vĂ©nitiens attendant la chute de l’empire ottoman. Il n’est pas jusqu’aux RĂ©formateurs qui n’aient vu dans Luther la rĂ©alisation de la prophĂ©tie de l’homme Ă  la faux et Ă  la rose. Plus tard, les combattants de l’indĂ©pendance grecque soutinrent leur espĂ©rance par des chants populaires issus eux aussi des Oracula Leonis. Peu de textes ont eu une fortune aussi longue et aussi diverse. L’Europe est aussi fille de Byzance (Marie-HĂ©lène Congourdeau, Les Oracula Leonis, Medioevo latino, Volume 31, 2010 - hal.science).

 

En ce qui concerne le texte des Oracles, la rĂ©daction bilingue du mathĂ©maticien et hermĂ©tiste Francesco Barozzi, n'offre pas la mĂŞme jouissance que les miniatures au lecteur qui bute sur de nombreux passages obscurs, voire incomprĂ©hensibles, dĂ»s tantĂ´t Ă  l'ambiguĂŻtĂ© du langage oraculaire, tantĂ´t Ă  la nĂ©gligence du savant. En outre, Barozzi a senti le besoin de complĂ©ter les Oracles de LĂ©on, qui datent probablement du IXe siècle, par d'autres prophĂ©ties d'Ă©poques et d'origines diverses. Il voulait , de cette façon, adapter le texte byzantin aux Ă©vĂ©nements historiques et aux attentes eschatologiques de la fin du XVIe siècle. Ainsi les Oracles originels se trouvent noyĂ©s dans la composition hĂ©tĂ©rogène de Barozzi. Dans notre commentaire nous avons dĂ©montrĂ© que les Oracles authentiques appartiennent au genre hermĂ©tique ou mystique; ils ne visaient donc pas Ă  rĂ©vĂ©ler l'avenir mais bien d'autres "secrets". L'intĂ©rĂŞt particulier pour ce texte au XVIe siècle - qui ressort du grand nombre de copies exĂ©cutĂ©es Ă  ce moment-lĂ  - paraĂ®t tout Ă  fait logique Ă  une Ă©poque inquiète oĂą fleurissait l'hermĂ©tisme. Barozzi souligne cet aspect Ă©sotĂ©rique dans sa dĂ©dicace au gouverneur de Crète , Giacomo Foscarini, commanditaire de l'Ă©dition. Malheureusement, l'interprĂ©tation des Oracles, que Barozzi avait l'intention de donner, manque dans le codex Bute et dans son doublet par le texte, le Baroccianus 170, dont un grand nombre de pages sont aussi restĂ©es blanches. On ignore pourquoi le commentaire Ă©laborĂ©, annoncĂ© par Barozzi lui-mĂŞme, n'y a pas Ă©tĂ© intĂ©grĂ© au moment de l'exĂ©cution de ces manuscrits; par la suite, il a pu ĂŞtre confisquĂ© par la censure vĂ©nitienne ou par l'Inquisition lors de la condamnation de l'auteur en tant que magicien et prophète en 1587. Nous avons pu reconstituer l'esprit de cette interprĂ©tation grâce Ă  la correspondance de l'Ă©rudit. Il est apparu que les Ă©lĂ©ments Ă©sotĂ©riques auxquels il se rĂ©fère dans sa dĂ©dicace, Ă  savoir "la science des nombres et des hiĂ©roglyphes", ne faisaient que masquer le vrai message de ses commentaires et le dessein rĂ©el de son Ă©dition : l'appel Ă  la rĂ©sistance contre les Turcs. En effet, les "Oracles selon Barozzi" se sont rĂ©vĂ©lĂ©s un instrument de propagande en vue d'une nouvelle ligue anti-ottomane, dans laquelle le destinataire du codex Bute, Foscarini, et probablement aussi le roi de France, Henri III, devaient jouer un rĂ´le important. Le but ultime de cette ligue aurait Ă©tĂ© la reconquĂŞte de Constantinople et l'instauration d'un souverain universel qui rĂ©unirait les Églises avant la consommation des temps. Ă€ la fin du XVIe siècle, ce genre de rĂŞves utopiques Ă©tait surtout nourri par des philosophes hermĂ©tiques dont plusieurs ont payĂ© très cher, et parfois de leur vie, leurs idĂ©es extravagantes. La condamnation de 1587 devrait sans doute ĂŞtre reconsidĂ©rĂ©e dans ce mĂŞme contexte. La dĂ©couverte toute rĂ©cente du manuscrit de Bergame, autographe de Barozzi, contenant un commentaire abrĂ©gĂ©, n'infirme en rien notre thèse du caractère politique de l'ouvrage. En effet, ce commentaire prĂ©sente, de façon un peu plus Ă©laborĂ©e, les idĂ©es dĂ©jĂ  exprimĂ©es dans les lettres de Barozzi. [...]

 

Le soin, la préciosité et la qualité des peintures du codex Bute, ainsi que les signatures de Klontzas, semblent attester que, dès sa genèse, il fut l'ouvrage commandé par Giacomo Foscarini, probablement au début de son mandat, c'est-à-dire aux environs de 1575. Si la miniature au portrait reste encore quelque peu énigmatique, les armoiries de Foscarini figurées en vis-à-vis et la reliure vénitienne, timbrée des mêmes armes, confirment l'identité du propriétaire et, probablement aussi, l'attachement que portait à ce manuscrit exceptionnel le gouverneur de Crète, ainsi que sa prétention au doganat de Venise (Jeannine Vereecken, Lydie Hadermann-Misguich, Chresmoi tou Leontos tou Sophou eikonographemenoi apo ton Georgio Klontza, 2000 - books.google.fr).

 

Lien avec le quatrain précédent

 

En filigrane, l'Ethiopie apparaît dans la version Barozzi des Oracles de Léon le Sage, par l'intermédiaire des influences du Pseudo-Méthode.

 

Figure 16 Monarchie et union : vv. 1-2 Dans l'Égypte ancienne le faucon était le prince des oiseaux et la manifestation du dieu solaire Horus. Selon les Hieroglyphica d'Horapollon, un ouvrage grec tardif très en vogue pendant la Renaissance, le signe hiéroglyphique de faucon signifie entre autres "dieu", "supériorité" ou "victoire". La juxtaposition du faucon et du cheval dans cet oracle interpolé peut rappeler l'oiseau-cavalier de la Figure 3, intitulé également Monarchie. Notons encore que, sur la miniature, le faucon semble porter un capuchon rouge, détail que paraît confirmer la copie de Bergame; vv. 3-5 Douze : Comme il a été dit plus haut (voir Figures 9 et 12), 12 ans est la durée du règne du roi messianique. Selon le Pseudo-Méthode, celui-ci viendrait de l'Éthiopie et serait un parent lointain d'Alexandre le Grand. Le cheval "libyen", monture de notre empereur au faucon (v. 2), semble donc référer également à ce "roi de l'Éthiopie" de la littérature apocalyptique (Jeannine Vereecken, Lydie Hadermann-Misguich, Chresmoi tou Leontos tou Sophou eikonographemenoi apo ton Georgio Klontza, 2000 - books.google.fr).



[1] F.C. Lane, « Venise, une rĂ©publique maritime Â», Flammarion, 1985, p. 540

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