ConquĂŞte de la
Franche-Comté par Louis XIV
II, 58
1673-1674
Sans pied ne
main, par dent ayguë & forte,
Par globe au
fort, de porc & laye nay :
Pres du
portail desloyal se transporte :
Silene
luit : petit, grand emmené.
On peut reconnaître dans l’expression « porc & laye nay » un jeu de mot
sur la ville franc-comtoise de Port-Lesney (voir quatrain I, 89) qui se trouve
à proximité de Lons-le-Saulnier sous les remparts de laquelle le vicomte
d’Apremont échoue alors qu’en 1674, pendant la guerre de Hollande, les Français
envahissent la province. L’annexion par la France sera reconnue par la paix de Nimègue
signée en 1678.
On peut reconnaître dans le « desloyal » Dom Juan de Watteville
qui, ayant pu entrer dans la ville franc-comtoise de Gray déguisé en colporteur
avec le Marquis d’Yenne (« près du
portail… »), conseilla la capitulation de la
ville, mais en 1668. Louis XIV donnera
« 2000 pistoles à Dom Juan de Watteville – version 1668 des 30 deniers de
Judas, estimeront les patriotes convaincus de sa félonie ».
Cette année 1674, il est rappelé de Paris par le roi alors au siège de
Besançon, arrive à Gray mais n’ira pas plus loin par peur des patriotes.
Le dernier vers semble résumer succinctement le
projet fait par des comploteurs soutenus par l’Espagne et la Hollande d’enlever le
dauphin et si possible le roi
(« petit, grand emmené »).
« Le moment est venu, le pays n’en peut plus, cette guerre lui coûte trop
cher. La Bretagne,
la Guyenne, la Normandie surtout
gronde. La ville de Rouen vient d’être taxée d’une nouvelle contribution
exceptionnelle et les Normands, écrasés d’impôts s’agitent. Tout est prêt. Le
comte de Monterey, gouverneur des Pays-Bas espagnols, a promis son aide, la Hollande n’attend que ce
moment pour entrer en action ».
Le complot est découvert et les conspirateurs sont
arrêtés et exécutés, en particulier le chevalier de Rohan, pris le 11 septembre
1674 et décapité le 27 novembre.
Franciscus van
den Enden
Franciscus van den Enden, latinisé en Affinius, né
autour du 5 février 1602 à Anvers et exécuté par pendaison à Paris le 27
novembre 1674, est un philosophe originaire des Pays-Bas espagnols. C'est
durant les années 1660 qu'émerge la réputation d'athée de Van den Enden.
Celui-ci adopte la devise : intus ut libet, foris ut moris est, ce qui
signifie «en dedans penser ce qu'on veut, en dehors obéir à l'usage», en vertu
de quoi il dissimule sa libre pensée sous des dehors catholiques.
Le philosophe ouvre Ă Paris une nouvelle Ă©cole de
latin, située à Picpus, où il reçoit les visites du janséniste Antoine Arnauld
et de Gottfried Wilhelm von Leibniz. Son école s’appelle l’Hôtel des Muses. Il
héberge un jeune militaire, Jean Charles du Cauzé de Nazelle. Son pensionnat
abrite également les réunions destinées à préparer le complot de Latréaumont du
nom de son principal instigateur, et dont la direction est confiée au chevalier
Louis de Rohan. La rébellion vise à établir en Normandie une république
inspirée par les idées de Van den Enden. C'est aussi par l'intermédiaire de ce
dernier que les conjurĂ©s sollicitent l'appui du gouverneur espagnol Ă
Bruxelles, le comte de Monterrey. En revenant d'une mission auprès de celui-ci,
le 17 septembre 1674, Van den Enden apprend l'arrestation du chevalier de
Rohan, dénoncé par Cauzé de Nazelle à Louvois. Latréaumont est tué en ripostant
lors de son arrestation. Van den Enden tente alors de fuir mais les autorités
françaises le rattrapent et le conduisent à la Bastille. Le vieux philosophe
(il a alors 72 ans) est interrogé et torturé à plusieurs reprises. Dans ses
interrogatoires, il expose non sans fierté ses idées sur la république
démocratique dont il prônait l'instauration. Le 27 novembre 1674, alors que les
autres conjurés, tous nobles, sont décapités, Van den Enden, roturier, est pendu
dans la cour de la Bastille (fr.wikipedia.org
- Franciscus van den Enden).
Acrostiche : SPPS
SPPS : sacris publicis praesto sunt (René Cagnat, Cours d'épigraphie latine,
1889 -Â www.google.fr/books/edition).
Le collegium
tibicinum Romanorum qui sacris publicis praesto sunt («collège des auletes
romains qui sont de fonction aux sacrifices publics») était une institution
très ancienne.
La présence de joueurs de flûte pendant les sacrifices est attestée par des
documents iconographiques (Théodore
Gérold, Histoire de la musique des origines à la fin du XIVe siècle, 1936 -
www.google.fr/books/edition).
Ils étaient tenus et regardés de la manière la plus
honorable ; on les favorisait extrĂŞmement et ils aspiraient aux plus
hautes charges de l'Ă©tat (Carlo
Blasis, Code complet de la danse, 1830 - www.google.fr/books/edition).
Marsyas était un Silène phrygien qui ayant trouvé et
ramassé les flûtes rejetées par Athéné provoqua Apollon à entrer en lice avec
lui. Il fut convenu entre les deux rivaux que le vainqueur pourrait à volonté
disposer du sort du vaincu. Les Muses furent choisies pour juger du talent des
deux musiciens. Dès que ceux-ci eurent commencé à jouer, l'un de la lyre ou de
la cithare, l'autre de la flûte, Apollon changea de mode et commanda à Marsyas
d'en faire autant. Mais comme le jeu des flûtes ne permettait point ce
changement, le Silène fut obligé de s'avouer vaincu, et Apollon l'ayant attaché
à un pin, l'écorcha tout vif ou bien emprunta pour ce supplice le ministère
d'un Scythe (Charles
Lenormant, Jean Joseph Antoine Marie de Witte, Elite des monuments
ceramegraphiques; materiaux pour l'histoire des religions et des moeurs de
l'antiquite, Tome 2, 1857 - books.google.fr).
Affinius van den Eden, le philosophe du Latréaumont
d'Eugène Sue (1840), finit lui aussi en martyr. En dépit de l'irréalisme et de
la démesure (que l'auteur souligne à l'envi) de son idéal de «société libre»,
il a entrepris de donner un corps vigoureux - le peuple - à «l'âme de ses
veilles». Il échoue, et meurt sous la torture des sbires du roi-soleil. Faute
de pouvoir inscrire sa doctrine dans le corps populaire, le philosophe expose
le sien au bourreau. Le corps martyrisé - christique - du philosophe à la fois
signifie son Ă©chec : la non-incarnation de la philosophie dans le peuple,
et symbolise son aspiration : l'incarnation de la philosophie dans le
peuple.
Affinius van den Enden a été le maître de Spinoza,
qui du reste apparaît dans le roman. Sue s'inspire ici de La vie de B. de
Spinoza » de Jean Colerus (cf. par ex. Oeuvres complètes de Spinoza, R.
Caillois, M. Frances et R. Misrahi, Pléiade, 1954, Appendice, p. 1509 et sq) et
peut-être de l'article « Spinoza » du dictionnaire de Bayle.
Les véritables acteurs de l'histoire, ignorant toute
philosophie, transforment en victime, en nouveau Socrate, en nouveau JĂ©sus,
celui qui aurait pu les Ă©clairer (Georges Navet,
Le philosophe et ses diables. Les romans du philosophe sous la Monarchie de
Juillet. In: Littérature, n°86, 1992. Littérature et philosophie -
www.persee.fr).
Dans cette Athènes où l'on rend hommage à la beauté,
dans la vie quotidienne comme dans l'art, dans une culture oĂą le vertueux est
appelé "beau et bon" (kalas kagathos), Socrate est passablement laid.
Ménon le compare à un poisson torpille et Alcibiade, dans Le Banquet de Platon, à un silène. Celui-ci, dans la mythologie
grecque, est le sage éducateur de Dionysos, représenté comme grotesque, chauve,
le nez camus, avec un ventre proéminent. Mais le silène est aussi, chez le
potier, une statue en bois de facture grossière, creuse, qui recouvre et
protège une œuvre précieuse. Alcibiade
poursuit sa comparaison au niveau moral. Le "silène Socrate" renferme
le "satyre Marsyas". Ce dernier avait acquis la maîtrise de la flûte
inventée par Athéna, au point de défier Apollon et sa lyre, en suscitant la
vengeance du dieu. Platon ne met pas l'accent sur cette triste fin, mais il
file la métaphore : les propos de Socrate sont des "chants divins qui
ont le pouvoir d'enchanter les cœurs". Ses discours ressemblent exactement
à des silènes qui s'ouvrent. "Grotesques, tels sont les mots dont il
enveloppe sa pensée... Il parle d'âne bâté, de forgerons, semblant dire
toujours les mĂŞmes choses dans les mĂŞmes termes, prĂŞtant Ă rire aux lourdauds
ignorants." Mais qu'on pénètre à l'intérieur, ils renferment un sens que
n'ont point tous les autres. Ils sont les plus divins et les plus riches images
de vertu. De grande portée, ils embrassent tout ce qu'il convient d'avoir
devant les yeux pour devenir honnĂŞte hommeÂ
(Maryvonne
David-jougneau, Socrate dissident: Aux sources d'une Ă©thique pour l'individu-citoyen,
2017 - books.google.fr).