Anatomie et cannibalisme II, 75 1686 La voix ouye de l'insolit oyseau ; Sur le canon du respiral estage : Si haut viendra du froment le boisseau, Que l'homme d'homme sera antropophage. Paraphrase : Le cri de l'oiseau insolite sur le tuyau de la cheminée ayant été entendu, le prix du boisseau de froment deviendra si élevé que l'homme sera un mangeur d'homme (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - www.google.fr/books/edition). 1686 Le célèbre intendant du Poitou Nicolas Foucaud, se signala tristement par son zèle et sa sévérité dans l'application de la révocation de l'édit de Nantes. Il fit démolir le temple des protestants de Poitiers et s'efforça de les convertir par l'intimidation et la contrainte (1685). Toutefois il se montra disposé à une certaine douceur que le ministre Louvois désapprouva. C'est à son initiative que la ville de Poitiers est redevable de la promenade des Cours, située vis-à-vis la porte de l'abbaye de Saint-Cyprien. Dans le but de subvenir aux besoins des ouvriers pauvres, très éprouvés en 1685-1686 par la cherté du blé, il fit décider sa création par le corps de ville, le 2 janvier 1686 (Bélisaire Ledain, Histoire sommaire de la ville de Poitiers, 2016 - www.google.fr/books). Entre 1680 et 1686, six années de sécheresse accablent le Languedoc et le Midi. Au Nord, vers Paris, où «le blé craint la pluie, mais en général pas tellement le soleil», les récoltes sont proches de la normale et les prix dans la moyenne. À partir de 1690, c'est au tour du Nord de l'Europe d'être affecté par la succession d'années exceptionnellement froides et humides, avant l'échec complet des récoltes de 1693, sans ressenti dans le reste du continent (Patrick Boucheron, Jean-Pierre Devroey, La Nature et le roi, Environnement pouvoir et société à l'âge de Charlemagne (740-820), 2019 - www.google.fr/books/edition). Famine et
anthropophagie Il faut se porter quelques années plus tard pour faire correspondre les deux derniers vers à la période considérée ici. La fin du règne de Louis XIV va être marquée par deux crises gravissimes. Les hivers rigoureux étaient moins à craindre que les printemps et les étés pourris, qui empêchaient les grains de mûrir. C'est précisément ce qui se passa en 1693-1694 quand se produisit la plus grande catastrophe météorologique de l'histoire de France, plus grave que le «grand hyver» de 1709 pendant lequel le royaume compte environ six cent trente mille victimes.. [...] Le setier de blé qui était à 10 livres en juillet 1691 grimpa à 25 en mai 1693 et à 42 en septembre. Si l'on parvint à vivre sur les stocks des années précédentes, une seconde année pourrie, en 1694, créa partout une situation catastrophique. [...] On a parlé de quelques cas d'anthropophagie. Bien plus d'un million de Français disparaissent. Dans une lettre adressée à l'époque, Fénelon écrit sévèrement au roi : «Vous avez détruit la moitié des forces réelles du dedans de votre État, pour faire et pour défendre de vaines conquêtes au-dehors. Au lieu de tirer de l'argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l'aumône et le nourrir ; la France entière n'est plus qu'un grand hôpital, désolé et sans provisions (Jean-Christian Petitfils, Louis XIV (nouvelle édition), 2021 - www.google.fr/books/edition, Jean-Philippe Feldman, Exception française, Histoire d'une société bloquée de l'Ancien Régime à Emmanuel Macron, 2020 - www.google.fr/books/edition). A Paris, rue Saint-Laurent on note un cas supposé de cannibalisme. Le 29 août 1693 on repêche dans un puits le cadavre d'un enfant amputé d'un pied et d'un bras. En pleine famine, alors que le prix du blé a été multiplié par quatre en un an, des rumeurs d'anthropophagie se répandent dans la ville (Serge Garde, Rémi Gardebled, Valérie Mauro, Guide du Paris des faits divers du moyen-âge à nos jours, 2004 - www.google.fr/books/edition). Dans une lettre du même jour de La Reynie à De Harlay on
peut lire : Nous avons eu ce
matin un incident au fauxbourg Saint-Laurent, par l'exposition du cadavre d'un
enfant auquel on avoit coupé un pied et détaché du corps une espaule avec le
bras. Le peuple n'a pas manqué de s'attrouper et de respandre le bruit que
c'estoit un enfant que le père et la mère avoient tué, à cause qu'ils n'avoient
pas le moyen de luy donner du pain. Le commissaire Duchesne, sur cela, a trouvé
heureusement à dire sur-le-champ qu'il sçavoit ce que c'estoit ; que cet enfant
estoit tombé dans un puits, et qu'on l'avoit ainsi mutilé pour couvrir lemanque
de soin et éviter la recherche. Il a faict destourner et cacher ce petit
cadavre dans un lieu secret, et, ce soir, M. de Saint-Laurent le doit faire
enterrer. Le hazard peut avoir donné lieu à cette exposition, et peut-estre
aussi n'a-t-elle pas esté faicte sans malice (Correspondance
administrative sous le règne de Louis XIV, Tome 2, 1851 - books.google.fr). Achille III de Harlay, né le 1er août 1639, décédé le 23
juillet 1712, comte de Beaumont, seigneur de Grosbois, fut conseiller du Roi au
Parlement (1657-1667) puis Procureur général (1667-1689) et enfin Premier
président du Parlement de Paris8. Il épousa le 12 septembre 1667 Anne-Madeleine
de Lamoignon, fille de Guillaume Ier de Lamoignon, qui fut lui aussi Premier
président du Parlement de Paris (fr.wikipedia.org - Achille
de Harlay). Louis Phélypeaux, marquis de Phélypeaux (1667), comte de
Maurepas (1687) et de Pontchartrain (1699), dit aussi le «chancelier de
Pontchartrain», est un homme d'État français né le 29 mars 1643 à Paris et mort
à Pontchartrain-en-Jouars le 22 décembre 1727. Il est ministre d'Etat, du 6 novembre 1690 au 5 septembre 1699,
secrétaire d'État de la Marine et secrétaire d'État de la Maison du Roi. Sa
gestion de son département, longtemps décriée, a été réévaluée par
l'historiographie récente qui montre que, dans une période difficile, il administra
avec compétence un immense département qui réunissait la Marine, le Commerce,
les Colonies, le Clergé, Paris, la Maison du Roi et les finances de l'État. Il
fait réaliser le recensement de la population française de 1693, le premier
après celui de Vauban de 1678 (fr.wikipedia.org
- Louis II Phélypeaux de_Pontchartrain). Louis Phélypeaux,
comte de Pontchartrain, contrôleur général des Finances et secrétaire d'Etat à
la Maison du Roi, chancelier de 1699 à 1714, avait les Académies dans sa
dépendance. En 1691 il avait fait nommer son neveu à celle des Sciences (Simone
Balayé, La Bibliothèque nationale, des origines à 1800, 1988 - books.google.fr). L'Etat fit distribuer du pain dans les quartiers de Paris
en 1693, ce qui attira dans la ville une multitude de miséreux concurrente aux
Parisiens (Casimir
Gaillardin, Histoire du règne de Louis XIV: 3. ptie. La décadence : Guerres de
la seconde coalition et de la succession d'Espagne, Tome 5, 1878 -
books.google.fr). Oiseau insolite Le corbeau blanc est un oiseau insolite à la couleur insolite (« aves insoliti coloris ») (Jacob Theodor Klein, Historiae avium prodromus cum praefatione de ordine animalium in genere (etc.), 1750 - www.google.fr/books/edition). Quant au «corbeau blanc», il s’agit d’un mystérieux oiseau décrit comme tel par le fontainier Claude Denis dans son poème manuscrit du début des années 1670 sur les Grottes, rochers et fontaines [de Versailles] (cf. la citation intégrale du passage relatif à la Ménagerie dans Foucart-Walter, p. 50-53). S’il s’était agi d’un corbeau albinos, il devrait avoir l’iris rouge, ce qui n’est pas le cas : anomalie de la nature ou fantaisie de Boel ? (Pieter Boel, Études d'un casoar et d'un corbeau blanc, 3e quart du XVIIe siècle (1650 - 1675) - collections.louvre.fr). Dès 1663, Louis XIV commença à transformer la Ménagerie de Louis XIII. S'il me semble impossible de préciser quels furent les agrandissements ou modifications apportés aux bâtiments de Louis XIII, il me paraît certain que ce fut alors qu'on construisit cette espèce de tour octogone renfermant une grotte au rez-de-chaussée et un salon au premier étage, ainsi que la galerie qui réunissait le salon au château. Les travaux furent menés activement; en 1665, le curé permit de travailler le dimanche après la messe; en 1668, tout était terminé. Louis XIV avait un nouveau « petit château », décoré de peintures par Errard, de cuivres ciselés par Cucci, de rocailles par Delaunay ; les balustres en marbre de la tour octogone étaient l'œuvre du marbrier-sculpteur Jean Legreu. Mais la nouvelle Ménagerie fut remaniée plus tard, en 1698, et nous ne donnerons sa description qu'après avoir parlé de son entier achèvement. Les animaux, les oiseaux surtout, que Louis XIII y avait rassemblés étaient déjà nombreux. Dès 1672, on en acheta de nouveaux, qu'on fit venir surtout du Levant. Nous trouvons dans le poëme de Denis que la Ménagerie possédait : cygnes, tourterelles du Canada, volailles de toute espèce, poules sultanes, faisans, demoiselles, pélicans, canards d'Egypte, oiseaux de rivière, aigrettes, outardes, autruches, hérons, cigognes, grues, pélicans, paons, hérons, un corbeau blanc. La volière, la plus belle de France, avait un bassin qui régnait dans toute sa longueur. Le colombier renfermait 3000 pigeons. Viennent ensuite : moutons de Barbarie à grosse queue, vaches de Flandre et de Hollande, chevaux, sangliers, cerfs, biches, daims, gazelles, chèvres de Perse, porcs-épics, blaireaux, civettes, chameaux, un éléphant, un renard de Canada, le tout placé dans des loges ou dans des cours gazonnées et ornées de bassins avec jets d'eau. On ne trouve de bêtes féroces à la Ménagerie que plus tard. Denis nous apprend encore que la Ménagerie nourrissait, pour la Bouche du roi, des veaux avec du lait et des jaunes d'œuf. On empaillait les animaux qui mouraient, pour en former une collection. Avant l'achèvement complet des travaux, pendant les fêtes de 1664, Louis XIV mena toute la Cour, le 14 mai, à la Ménagerie, où l'on fut émerveillé du nombre d'oiseaux de toute sorte qui s'y trouvaient rassemblés. Le 10 juillet de la même année, le Roi y fit conduire le cardinal Chigi, nonce du Pape, qui admira aussi la grande diversité d'animaux qu'on lui montra. Le 18 mai 1686, le Doge de Gènes visita la Ménagerie après une promenade sur le Canal (Louis Dussieux, Le château de Versailles, histoire et description, Tome 2, 1881 - books.google.fr). Fascinante Bibliothèque du roi - qui s'étend sur 160 toises de long, sur quatre rues, rue de Richelieu, rue des Petits Champs, rue Vivienne et rue de l'Arcade ainsi que quatre cours - où l'on relève, dans les années 1685, au titre des dépenses insolites, les frais de transport d'animaux curieux, autruche, girafe, corbeau blanc, pélican envoyés de la ménagerie de Versailles et faisant étape à la Bibliothèque où se trouvait le laboratoire de l'Académie royale des sciences, pour étude ou dissection (Françoise Bléchet, Le quotidien et l'insolite à la Bibliothèque du roi au temps de l'abbé Bignon, Le Livre et l'historien, études offertes en l'honneur du Professeur Henri-Jean Martin, 1997 - www.google.fr/books/edition). Louvois projeta de déménager la Bibliothèque place
Vendôme (Louis le Grand alors) qui commença à être bâtie à partir de 1686. La
mort du ministre en 1691 entraîna l'abandon de l'entreprise (Simone
Balayé, La Bibliothèque nationale, des origines à 1800, 1988 - books.google.fr). L'Académie des sciences tenant séance à la Bibliothèque du roi, cette dernière a conservé quelques archives singulières de ses activités. Pourtant dans les années 1680, les budgets des deux institutions tendaient à se dissocier dans les comptes des Bâtiments édités par Guiffrey. Quand des animaux exotiques mouraient à la ménagerie de Versailles, on les portait à la on les portait à la Bibliothèque où les académiciens anatomistes en pratiquaient la dissection. C'est un autre type de source qui nous en informe : les frais de port d'animaux. Sur le premier registre de dépenses de la Bibliothèque royale (1684-1689), qui est aussi premier volume coté du fonds d'archives des Manuscrits, figurent les gages payés aux crocheteurs pour le transport d'animaux de Versailles à la Bibliothèque du roi, ainsi que le paiement des coursiers des coursiers envoyés pour prévenir les académiciens anatomistes, Perrault et le jeune Du Verney, qui a fière allure sur une gravure de Leclerc, élégant jusqu'au chapeau. Ces archives comptables enregistrent aussi les gages du portier et du jardinier, de menus travaux d'entretien des bâtiments, des fournitures, bois, papier et chandelles, les fleurs et la vigne du jardin, la livrée du portier et la rémunération des crocheteurs qui apportent des livres du monde entier aussi bien que des animaux D'aride, ce registre de comptes devient insolite et exceptionnel car les animaux y sont identifiés : [...] le 2 juillet 1685, pour avoir fait avertir Messieurs de l'Académie qu'on avoit envoyé un corbeau blanc de la ménagerie de Versailles... vingt et un sols (Registre de la dépense faite dans la Bibliothèque du Roy depuis le 23 avril 1684 jusqu'au 31 décembre 1689) (Revue de la Bibliothèque nationale de France, Numéros 13-18, 2003 - www.google.fr/books/edition). Le corbeau de Claude Denis peut-être ? Les Grands Corbeaux vivent généralement de 10 à 15 ans mais certains individus ont vécu 40 ans (fr.wikipedia.org - Grand Corbeau). Mythologie Le corbeau blanc est la métamorphose de Lycius, un fils de Clinis, babylonien qui accompagna Apollon en Hyperborée. Le père voulut transplanter le rite du sacrifice des ânes à Babylone. Apollon le lui interdit mais Clinis passa outre si bien que toute sa filiation fut transformée en oiseaux. Lycius devint le messager du dieu solaire (Alfred Weysen, L'île des veilleurs, Tome 1 : Le grand héritage, 1986 - www.google.fr/books/edition). Le moins que l'on puisse dire est que la plaine orientale de la Thessalie, spécialement dans la partie qui s'étend entre Larisa et la bordure montagneuse de l'Ossa et du Pélion, possède - dans la tradition - un riche passé. C'est là en effet qu'il faut situer les légendes des Pélasges, des Centaures et des Lapithes, la mort de Coronis et la naissance d'Asclépios, d'autres récits encore, qui tous ont eu pour cadre le Dotion pedion. [...] Lakéreia avait une autre particularité, semble-il, dont elle a probablement tiré son nom : elle était la patrie de Coronis. Il n'existe pas de tradition plus enracinée au cœur de la Thessalie, ni plus ancienne : Hésiode, Phérécyde, Pindare en sont les témoins. C'est à Lakéreia qu'est né Asclépios, tiré par Apollon du ventre de sa mère quand elle était déjà touchée par les flammes du bûcher funèbre. Coronis, aimée d'Apollon, avait été victime des flèches d'Artémis, dépêchée par son frère pour la punir d'une prétendue infidélité. Elle avait surtout été victime de rapports mensongers : un corbeau avait dénoncé à Apollon les amours coupables de Coronis avec Ischys. La localisation, les acteurs de ce drame mythologique ne sont pas choisis arbitrairement, et il vaut la peine de s'interroger sur les caractères qui les relient les uns aux autres. Une des associations les plus fortes que nous devons relever entre Coronis et Lakéreia tient à des faits de langue et d'onomastique : Coronis en grec est dérivé de "koroni", qui désigne la corneille, oiseau commun, mais dont la tradition a mis en avant certains caractères, en particulier le cri : on trouve déjà chez Hésiode l'expression la corneille «criarde», utilisant un terme qui apparemment vient d'une famille de mots dont il semble que l'on peut faire dériver aussi le toponyme "Asklepios". Dans le mythe de Coronis, d'autres éléments encore entrent en jeu : non seulement l'identification avec la corneille, soulignée par une légende parallèle qui met en scène une Coronis, fille du roi de Phocide Coroneus, transformée en corneille par Athéna parce qu'elle voulait la protéger des entreprises amoureuses de Poseidon, mais aussi et surtout l'association antithétique de la corneille et du corbeau, l'un et l'autre oiseaux bavards et «parleurs», puisque capables d'imiter la voix humaine. Le corbeau est l'oiseau d'Apollon, la corneille - Coronis - est l'objet de son amour ; celui-là dénonce celle-ci en éliminant une rivale : les Anciens avaient noté l'hostilité qui existe entre les deux familles d'oiseaux (Bruno Helly, Le «Dotion Pedion», Lakéreia et les origines de Larisa. In: Journal des savants, 1987, n°3-4 - www.persee.fr). Oiseau parleur, d'où la "voix" du vers 1. La trace sémantique du nom de "corbeau" nous mène jusqu'au grec korôni dont la sémantique insiste d'abord sur la longueur et la force du bec (cf. les dérivés architecturaux français : «corbeau, encorbellement, corbin»), ensuite sur la longévité de la corneille et du cormoran. Les intermédiaires latins sont cornix et corvus («V» et «B» se confondent souvent par identité de son). L'italien a gardé «corvo» et l'espagnol «cuervo». Curieux que cet oiseau ait été appelé ainsi en raison de son croassement. En effet, la racine indo-européenne a donné en sanskrit krosati (il crie), en grec krazô (je crie), en latin crepare (craquer), en anglais raven (corbeau), rook (corneille), ring (résonner), en allemand Rabe (corbeau), Rachen (gueule) (Bernie de Tours, Le mauvais tour de Babel, pérégrinations ludiques au royaume des mots, 2007 - www.google.fr/books/edition). Le corbeau blanc d’Apollon devient noir pour sa punition. Boisseau Un monument répertorié dans les Recherches de Spon nous met sous les yeux Esculape & Hygeïa, ainsi que le porte l'Inscription "ASKLEPIOI SÔTHERI KAI UGEIA". Esculape y est sous la forme d'un serpent avec la tête d'homme. Hygeïa tient de la main gauche une torche, & de la droite un vase dans lequel elle présente à boire ou à manger à Esculape. Ces deux Divinités ont le boisseau sur la tête à la façon des Divinités Egyptiennes, & il est très probable, ainsi que le conjecture M. Spon, que c'étoient chez eux Isis & Serapis, c'est-à-dire, la jeune Isis & Horus son fils. Hygeïa étoit la Déesse de la santé, & la même que la Dea Salus ou la bonne Déesse des Romains (Joseph-François Lafitau, Moeurs des sauvages ameriquains, comparées aux moeurs des premiers temps, Tome 1, 1724 - www.google.fr/books/edition). Joseph-François Lafitau, né et mort à Bordeaux en France (1681 - 1746), est un missionnaire jésuite en Nouvelle-France. Lafitau est un observateur attentif des coutumes amérindiennes. Il fait paraître en 1724 Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, où il tente, en les mettant en parallèle avec celles des sociétés de l’Antiquité, de démontrer que les mœurs des Iroquois ne sont pas aberrantes. Il s’efforce aussi de prouver l’origine commune des Amérindiens et des Occidentaux et d’étayer ainsi le concept d’unité de l'humanité tiré de la Genèse (Adam et Ève, couple initial unique). Il raconte ainsi le mythe amérindien de la création de l'Île de la tortue en y ajoutant des connotations judéo-chrétiennes (fr.wikipedia.org - Joseph François Lafitau). En 1686, les Français furent témoins des combats opposant les Caddoan de l'est du Texas à des Canoatinnos, mais également de l'anthropophagie à laquelle se livraient les premiers avec les prisonniers qu'ils avaient faits (George E. Hyde, Daniel Dubois, Karine Bodson, Les premiers peuples des Plaines, De la période ancienne à l'arrivée des Européens, 2019 - www.google.fr/books/edition). Marmite du pape et
anthropophagie Richard Verstegan zélé catholique anglais réfugié sur continent et agent du roi d'Espagne, surtout connu pour le Theatre des cruautez des hereticques de nostre temps, s'efforce de disqualifier la religion prétendue réformée. Dans un placard de 1585 qui dresse en partie double le portrait allégorique des deux Eglises, il oppose à la catholique et romaine, qui se recommande par l'ancienneté, la succession apostolique, l'universalité et la concorde, la «Synagogue hérétique», qui n'a d'autres titres que la nouveauté, l'intrusion, la particularité et la discorde. Dans le quatrième tableau du volet droit, où est exposée la dernière des quatre «propriétés» de la Synagogue, à savoir la discorde, on aperçoit une assemblée de pasteurs et de laïcs tenant l'Evangile en dextre et le glaive en senestre. Verstegan connaît bien la symbolique protestante et l'usage que Genève a su tirer de l'épître aux Ephésiens, mais il s'emploie à dissocier des symboles que l'adversaire avait confondus. L'Evangile et le glaive ne sont plus liés, comme les composantes d'une arme unique, dès lors identifiés l'un à l'autre, mais séparés. Les deux symboles se croisent, comme l'on croise le fer, pour répandre le sang. De fait, la scène montre, dans l'espace confiné d'une pièce, les préliminaires d'une rixe : les hommes sont en chapeau et en manteau doublé de fourrure, et paraissent quelque peu agités. Parmi eux une femme, une nonne probablement, et un moine, à l'oreille duquel souffle un personnage au profil aquilin, paraissent sur le point de renoncer à leurs voeux, pour mieux paillarder à leur aise. L'un des ministres barbus présente un faciès judaïque et suggère l'identité de la nouvelle «synagogue» avec l'ancienne. Un sizain latin, au-dessous, évoque les discordes de la nouvelle Babylone - ou Babel -protestante : Quod iubet hic, vetat is, vult ille, quod abnuit alter. Bref, c'est un banquet des Lapithes, un festin d'Atrée. On voit combien la référence au repas anthropophage s'est appauvrie Associée au banquet des Lapithes et des Centaures, l'allusion à la ruse criminelle d'Atrée envers son frère Thyeste, lui servant à manger ses propres enfants déguisés en sauce, ne sert plus à désigner qu'un dîner de dupes, qui finira, le cas échéant, par des coups et blessures, au pire, par la révélation d'un crime. La nature de l'aliment ingéré n'est pas en cause, d'autant qu'il serait absurde d'imputer aux calvinistes une conception charnelle de la Cène, eux qui soulignent au contraire le caractère purement symbolique du sacrement. Au passage, et c'est l'objet de la première scène du volet droit du diptyque, qui illustre la novitas de I Eglise de Luther et Calvin, Verstegan rejoint un lieu commun de la critique contre-réformée : les assemblées hérétiques, où l'on boit et mange, hommes et femmes confondus, et où la coupe de vin passe de main en main, sont le prétexte à débauches, comme déjà, selon l'ancienne rumeur, les «synagogues» des Juifs et celles des premiers chrétiens. L'essentiel du propos est perdu : le repas de chair humaine. C'est pourquoi, en renvoyant l'argument à l'adversaire, Verstegan manque sa cible. Une telle riposte est typique, au demeurant, du retournement par les polémistes catholiques de l'arsenal symbolique constitué dans le camp opposé. D'emblée, la composition en diptyque du Typus Ecclesiae/ Typus Synagogae rappelle l'imagerie luthérienne qui opposait, en sens inverse, la vie du Christ à celle du Pape. Dans le Passional Christi und Antichristi mis en images en 1521 par Lucas Cranach et diffusé dans toute l'Europe, les gestes de l'un sont systématiquement mis en parallèle avec ceux de l'autre, en une série de treize vis-à-vis antithétiques : le Pape jouit d'un pouvoir usurpé, alors que le Christ a refusé la couronne ; le Pape préside à un tournoi au Belvédère, pendant que le Christ vit parmi les humbles ; le Pape donne sa pantoufle à baiser aux rois et aux empereurs, au contraire de Jésus qui lavait les pieds de ses disciples. Par l'image, et presque par la seule image, la preuve est faite que le Pape de Rome a inversé la doctrine évangélique : c'est donc, nul n'en peut douter, l'Antéchrist annoncé par l'Ecriture. Il est vrai que, par cette construction en diptyque, Luther et Cranach héritaient eux-mêmes d'un procédé que la Bible des pauvres avait largement divulgué dans les deux derniers siècles du Moyen Age. Autre tentative de retournement du même ordre : au Renversement de la grand marmite répondra un libelle du carme Thomas Beauxamis, s'efforçant de prouver «par le discours de l'escripture saincte et l'expresse parolle de Dieu» que le nom de Marmite convient mieux à la nouvelle Eglise qu'à l'ancienne ce qui est accorder au placard anonyme une confiance bien grande et une foi presque aveugle. Dans tous les cas se perd, en définitive, l'ombre des Cannibales authentiques du Brésil, qui, par le truchement de Villegagnon paré à leur mode, conférait à l'estampe de 1561 son inquiétante étrangeté. [...] Au départ, c'est le thème de la marmite qui unifie ce corpus aux pièces hétérogènes et étroitement solidaires. Le Prologue de la Comédie du Pape malade annonce d'entrée de jeu l'imminence du renversement montré par la gravure : Mais le temps est
venu qu'il faut que les marmites Grasses soyent
mises jus, et ce grand cuisinier En Enfer par Satan
soit mené prisonnier. L'épître au lecteur de La Refutation déclare pour sa part que le seul mobile des actions de Villegagnon est l'appétit de son ventre démesuré, qui l'a contraint à se vouer au Pape, [...] dont la
cuisine bonne Avec le gras
boillon, et les pots de Sorbonne, Peuvent son corps
remplir (par telle marmite Il reçoit en son
choeur colere non petite. A la fin, bien sûr, le tout sera renversé, ou plutôt, transporté outre-mer, «aux Terres neufves», c'est-à-dire dans les solitudes hostiles du Brésil, où, promu amiral de la flotte papale, Villegagnon conduira toute la bande. Marmite nourricière, aux apparences de cloche tutélaire, autour de laquelle se pressent les profiteurs de tous bords et autres affamés chroniques, avides de bénéfices et de «gras morceaux» ; rappel, en marge, du Brésil du Refuge et de son échec sanglant ; retour périodique d'un Villegagnon qui hésite entre la mythologie ancienne et la réalité ethnographique du Rio de Janeiro des années 1550, tour à tour travesti en Polyphème et en Quoniambec, le chef anthropophage ami des Français, autant d'éléments communs à la Refutation de Pierre Richer, à la Comedie du Pape malade et au Renversement de la grand marmite. […] L'écho suscité par l'exécution de trois protestants à la suite de leur condamnation par Villegagnon, répercuté par plusieurs libelles et bientôt amplifié par le Livre des Martyrs de Jean Crespin, se rencontrera jusque dans Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. On découvre par là que le thème du cannibalisme n'est pas étranger à cette scène de bataille autour d'un chaudron. La cuisine satirique des papes prend ici et là des couleurs sanglantes. Les martyrs entassés comme des bûches sous la marmite servent de combustible à une bien étrange préparation. Les trois martyrs que montre la gravure, et dont les âmes sont recueillies par l'ange miséricordieux, ne sont pas sans évoquer les trois victimes de Villegagnon, même si au Brésil ce dernier, pour la liquidation de ses adversaires, préféra l'eau au feu. La proximité, à l'intérieur de la composition, de Villegagnon «emplumassé» et des trois âmes dépouillées s'élevant, mains jointes en prière, vers le soleil divin, placé exactement à l'aplomb du roi d'Amérique, ne doit sans doute rien au hasard. [...] Le plumage à la mode tupinamba métamorphose Villegagnon en oiseau rare. [...] La marmite
dénonce, en même temps que les richesses temporelles de l'Eglise et les profits
fondés sur le trafic des indulgences, le dogme de la transsubstantiation. La
Satyre Cinquieme», en particulier, qui a pour titre le «Banquet papal», associe
dans la même effroyable «cuisine» les flammes du Purgatoire, qui trouvent leur
prolongement dans le supplice du feu réservé aux hérétiques, et
l'anthropophagie sacrée de l'Eucharistie. Elle dénonce une Eglise catholique qui, tout en prétendant gouverner les âmes, ne poursuit d'autre but que la satisfaction de son ventre. La dénonciation de la gloutonnerie ecclésiastique était traditionnelle depuis le Moyen Age, mais elle revêt ici une nouvelle portée, dans la mesure où elle rejoint la malédiction du prophète Ezéchiel contre la ville sanguinaire, marmite remplie de chair et d'os humains, qui bout et rougit sur le feu. En conséquence, «le pape est le Moloch des temps modernes et ceux qui le suivent adorent un dieu de chair et non pas d'Esprit». La marmite sera l'une des images favorites de la satire calviniste jusqu'au début du XVIIe siècle (Frank Lestringant, Le Huguenot et le sauvage : L'Amérique et la controverse coloniale, en France, au temps des guerres de Religion (1555-1589), 2004 - www.google.fr/books/edition). Corbeau blanc et
chair humaine Au commencement des temps, Dieu avait créé le corbeau blanc, et il resta longtemps de cette couleur. Mais un jour il arriva devant Dieu en tenant dans son bec un lambeau de chair humaine. Alors Dieu irrité lui dit : – Va t'en, maudit corbeau ; je t'avais créé blanc ; quitte cette couleur de l'innocence; désormais tu seras le plus noir des oiseaux. Aussitôt le corbeau devint noir comme la nuit, est c'est depuis ce temps qu'il est le symbole de la mort et de la tristesse (Conté en 1883 par Davy, tailleur au Gouray, âgé de 17 ans) (Revue de l'histoire des religions, 1885 - books.google.fr). Toujours en Bretagne, en Ille-et-Vilaine, on dit qu'un corbeau blanc fut envoyé par Noé afin de voir si les eaux se retiraient, mais comme il se mit à croquer les morts, il fut puni et devint noir (Marie-Charlotte Delmas, Dictionnaire de la France mystérieuse, Tome 1, 2016 - books.google.fr). Révocation de
l'Edit de Nantes Le clergé célèbre le jour de la Révocation par des actions de grâce publiques. Dans son oraison funèbre du chancelier Le Tellier (25 janvier 1686), Bossuet s’écrie : «Poussons jusqu’au ciel nos acclamations et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne (…) : Vous avez affermi la foi ; vous avez exterminé les hérétiques, c’est le digne ouvrage de votre règne…» (museeprotestant.org). La suppression des cimetières n'avait pas suffi à l'intolérance du roi, qui se laissa entrainer beaucoup plus loin. Les jésuites obtinrent de la cour la plus polie de l'Europe la publication d'une loi digne de cannibales, savoir la déclaration du 20 avril 1686 (enregistrée le 24 mai), portant que les cadavres de ceux qui dans leurs maladies auraient refusé les sacrements, seraient traînés sur la claie, jetés à la voirie, le procès fait à leur mémoire et leurs biens confisqués. Cette monstruosité fut ainsi qualifiée dans une complainte huguenote qui parlait d'avance le langage de la postérité : ...Ou va par un
forfait nouveau, Forcer des morts
l'asile inviolable, Et les trainant
arrachis au tombeau, En faire au monde an exemple effroyable (Ballet, I, 389) (Orentin Douen, La révocation de l'Édit de Nantes à Paris d'après des documents inédits, Tome 2, 1894 - www.google.fr/books/edition). Constantin de Renneville décrit le martyr de Paul Cardel, protestant enfermé à la Bastille depuis 1685, que le bourreau du nom de Ru "soignait", abandonné du chirurgien Reille : Après quoi cet anthropophage Esculape remettoit la chemise sur ce déplorable Ecorché ; elle sembloit être un cuir tant elle étoit roide de pus & de sang (L'inquisition francoise ou l'histoire de la Bastille par Mr. Constantin de Renneville, Tome 2, 1724 - www.google.fr/books/edition). Constantin de Renneville parle aussi de l'utilisation des cheminées de la Bastille pour la communication entre prisonniers. On parle de tuyau de cheminée (cf. canon). Retour à
l'Académie En anglais "respiral" signifie "respiratoire". Le pluriel "respiraux" désigne des trous dans un écrit alchimique de 1610 décrivant la formation de la pierre philosophale sous forme d'embryon : Le cinquiesme mois Mercure prend la place en ce travail, faizant les trous & respiraux (Henri de Lindhout, Commentaire de Henri de Linthaut sur le Tresor des tresors de Christofle de Gamon, 1610 - books.google.fr). Cette indépendance de l'étage respiratoire et de l'étage
vocal supérieur qui n'exclut pas une synergie de fonctionnement est difficile à
acquérir car elle suppose une parfaite maîtrise musculaire qui ne peut
s'obtenir qu'à la longue (Guy
Cornut, La mécanique respiratoire dans la parole et le chant, 1959 -
www.google.fr). La notion d'"étage" en anatomie apparaît au
moins au XVIIe siècle : Par le millieu de la poitrine passent de haut en bas des
membranes puissantes qui la diuisent & separent en deux, comme vne haye
interiettée. Elles s'attachent fermement par derriere aux rouelles de l'espine:
par deuant av millieu de l'os du brichet, duquel l'extremité inferieure est la
chartilage sise sus la bouche de l'estomach appellée des Grecs
"Xiphoidès", pour la similitude qu'elle a auec l'allumelle d'une
espée: & la superieure est la conionction & application des forcelles. L'vsage de ces membranes (les anatomistes
les nomment le mediastinum), principal & plus grand est faire deux chambres
ou estages en la poitrine, à fin que si on reçoit aucune fois quelque
grande playe en l'une des parties, comme il a esté montré au liure du mouuement
de la poitrine, & du poulmon, se perdant l'action de la respiration en
cette partie là, l'autre chambre demeurant seine, & sans blesseure, au
moins conserue & entretienne la moitié d'icelle. A ceste raison aux grandes
naureures, & penetrantes en l'une des moitiés de la poitrine, l'animal
incotinent ne parle & respire qu'à demi. Mais si tous les deux estages sont transpercés, la respiration &
parole du tout luy est ostée (Galien,
De l'usage des parties du corps humain, livres XVII, 1608 -
www.google.fr/books/edition). "kanon" est en grec un tuyau. Les proportions du corps humain ont été déterminées. La règle établie, le canon (du gr. kanon), est «un système de mesure tel que l'on puisse conclure des dimensions de l'une des parties à celles du tout et des dimensions du tout à celles de la moindre des parties» (Guillaume). Le plus célèbre canon grec est celui de Polyclète, dans lequel la tête était contenue sept fois et demie dans la hauteur totale, ce qui répond à la moyenne du corps. Sa statue du Doryphore (porteur de lances) est établie d'après ce principe. La mesure choisie d'après le sculpteur Guillaume était la palme, c'est-à-dire la largeur de la main à la racine des doigts (Jean Galtier-Boissière, Larousse médical illustré, Volume 1, 1912 - books.google.fr). Une des plus célèbres statues de l'Antiquité, le doryphore de Polyclète, incarne pour la première fois une théorie des proportions, énoncée par le sculpteur dans son traité sur le Canon ou règle des rapports anatomiques, traité que Galien commente en disant que «la beauté du corps est, selon tous les médecins et les philosophes, dans les rapports équilibrés entre ses parties» (Alain Froment, Anatomie impertinente, Le corps humain et l’évolution, 2013 - www.google.fr/books/edition). L'iconographie européenne donne au corps de l'Indien une allure classique selon les canons souhaités par le statuaire grec Polyclète pour la représentation du corps humain. Elle montre des Indiens qui vivent nus. Ces Indiens sont cannibales. Dévoreurs de chair humaine et nus, bien proportionnés et parfois élégants, c'est dans cette contradiction fondamentalement inquiétante que l'Europe les reconnaît parés de ses propres fantasmes (Marc Bouyer et Jean-Paul Duviols, Nus, féroces et anthropophages de Hans Staden, 2015 - www.google.fr/books/edition). De la médecine d’Esculape à l’anatomie il n’y a qu’un pas. Pour le médecin-anatomiste dont le travail commence, simultanément avec les découvertes des terres inconnues en Amérique, à se libérer de plus en plus des interdits socio-culturels concernant la sainteté du corps humain, il ne peut y avoir d'autres limites que celles que pose le corps lui-même en tant qu'objet scientifique. […] Avec la nouvelle conception et conscience du morcellement anatomique dans la deuxième moitié du XVe s. et une lecture plus "littérale” des sources grecques anciennes, c'est en fait un tel corps, exempt des prescriptions religieuses et judiciaires, qui s'offrit à l'œil et au scalpel de l'anatomiste – un corps allégé de tout ce qui lui est étranger. Le progrès en anatomie dépendait entièrement d'une telle relation pure et directe entre corps et regard, objet examiné et sujet examinant. L'anatomie ne pouvait devenir une méthode scientifique sans l'intermédiaire de l'œil et, partant, sans une conception esthétique du corps (entier ou morcelé). [....] L'histoire de l'anatomie est à moitié une histoire de l'œil, et dans cette perspective que l'on vient d'exposer, il ne faut pas s'étonner si la Renaissance a approché le plus près possible anatomie et esthétique, le laid et le beau. La vision des Indiens eux-mêmes relevait d'une optique schizomorphe et d'un imaginaire dualiste, ressuscité au XVIe s. à la suite du satanisme et millénarisme médiévaux, faisant de l'autre une anti-réalité le monstre fantastique, le mal incarné. [cf. le quatrain X, 66 avec son Amérique Antéchrist] Dans la lettrine O du De humani corporis fabrica de Vésale, on se trouve, dans un ouvrage anatomique, devant une scène de décapitation qui de par son aura sauvage et barbare ne laisse pas de doute quant à son origine. Elle rappelle la politique d'extermination des Européens à l'égard des Indiens - point délicat dans une thématique de méthode anatomique et, surtout chez Vésale, dans une approche esthétisante de la dissection. L'imaginaire de la dissection est lié à celui de la clarté et de la pureté de la connaissance (“libido sciendi”). Les méthodes anatomiques à cet égard rappellent les rites anthropophages tels qu'ils figurent dans les représentations de l'autre (Tobias Ortleb, Anatomie et chorographie sur la précision et la découverte à la Renaissance, Dans le sillage de Colomb: l'Europe du Ponant et la découverte du Nouveau Monde, 1450-1650 : actes du colloque international 1992, 1995 - books.google.fr). Publié en 1669, le Nouveau Cours de Médecine de Louis-Henri de Rouvière est le premier manifeste de la médecine cartésienne. Le mécanisme simpliste qu'il professe va se préciser et l'on peut dire que dès cette époque se forme l'école des médecins que le XVIIIe siècle appellera les mécaniciens. Aux «pores» et aux «petits tuyaux» auxquels Descartes recourt sans cesse, ils vont substituer des outils précis que leur fournissent la mécanique et la balistique. «Aujourd'hui, conclut à son tour Dionis, on explique toutes ces actions par une maniere purement mechanique». «Les modernes ont raison de comparer notre corps à une machine, puisqu'il est composé de tant de parties différentes qui font Office de rouës, de leviers, de cordes et de poulies». D'autres y trouvent «tuyaux et liqueurs» et se flattent «qu'en determinant les loix du mouvement de ces fluides, leur pesanteur et leurs forces», ils arriveront «à une connoissance exacte et certaine des differentes fonctions du du corps, c'est-à-dire de l'economie animale». Mais entre tous celui qui a le mieux expliqué le caractère balistique des membres humains, c'est Claude Perrault (1613 - 1688) dans sa Mechanique des animaux (1680). Condorcet même jugeait la thèse un peu trop systématique. L'anatomie détaillée de l'oeil, de la bouche, des organes du mouvement (marche, vol, nage), des armes de défense, des organes de la voix, de la nourriture, du cerveau, du coeur, des poumons, etc., illustrée de planches fort bien gravées est commentée dans un sens mécaniste par une série parallèle de gravures fort curieuses. Au-dessous des muscles du bras, il a représenté un bateau : les haubans figurent les tendons des bras ; à côté des veines, on voit une soupape ; à côté de la valvule tricuspide, une vanne d'écluse fondée sur le même principe ; sous les poumons «un soufflet de maréchal dont la structure a beaucoup de rapport avec celle du poumon des oiseaux». Et celui qui a poussé le plus loin cette ingénieuse assimilation, qui l'a admirée sans réticence, décrite avec précision, c'est Bossuet. La Connaissance de Dieu et de soi-même a été écrite sous l'impression des démonstrations anatomiques de Duverney. [...] Celui-ci faisait des leçons d'anatomie pour le Dauphin et qu'il les recommençaient plus complètes devant ses précepteurs Bossuet, Huet, Cordemoy, le Père de la Chaise et d'autres dignitaires (Henri Busson, La religion des classiques (1660-1685), 1982 - books.google.fr). En 1681, Bossuet écrit son Discours sur l'histoire universelle dans lequel, après avoir exposé sa vision de l'histoire du monde (depuis la Création jusqu'au triomphe de l’Église catholique en passant par la chute des empires antiques), il en cherche la raison dans les desseins de Dieu sur son Église. Il y mêle Providence et références à des sources (aussi bien la Bible et les docteurs de l’Église que les auteurs gréco-latins, comme Hérodote). «On fut étonné, dit Voltaire, de cette force majestueuse avec laquelle il a décrit les mœurs, le gouvernement, l'accroissement et la chute des grands empires, et de ces traits rapides d'une vérité énergique, dont il peint et juge les nations.» Pour le Dauphin, il écrit aussi le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, dans lequel il suit en général la doctrine de René Descartes (fr.wikipedia.org - Jacques-Bénigne Bossuet). Joseph-Guichard Du Verney, ou Duverney, né à Feurs en Forez le 5 août 1648 et mort à Paris le 10 septembre 1730, est un médecin français connu pour ses travaux d'anatomie. Après son doctorat en médecine en 1667, il devient, 7 ans plus tard, recommandé par Bossuet, le professeur d'anatomie du Grand Dauphin. En 1680, il est chargé, avec Philippe de La Hire, d'étudier les poissons du littoral breton. En 1681, il a l'honneur de disséquer un éléphant devant Louis XIV. En 1682, Duverney devient professeur et démonstrateur d'anatomie au Jardin du Roi. Il choisit, pour l'aider pour les préparations et dans ses démonstrations, ses frères Pierre et Jacques-François-Marie. Le titre de démonstrateur d'anatomie fut créé par la suite pour ce dernier. À sa mort, son fils, Emmanuel-Maurice, médecin lui aussi, lui succède au Jardin du Roi. Aux côtés de Claude Perrault (1613-1688) et de Jean Pecquet (1622-1674), il exerce une grande influence sur le renouveau des études anatomiques, qui étaient tombées dans l'abandon Le Traité de l'organe de l'ouïe de Du Verney, paru en 1683, est le premier grand ouvrage d'otologie. La théorie de l'audition de Du Verney, conçue avec l'aide du physicien Edme Mariotte est fondamentalement celle que proposa plus tard, au milieu du XIXe siècle, Hermann von Helmholtz. Une erreur devait toutefois être corrigée : Du Verney croyait que les fréquences hautes résonnaient près du sommet de la cochlée, et les basses près de la base ; c'est Domenico Cotugno, vers 1760, qui corrigea ce point. Duverney fait, au début du XVIIIe siècle, devant l'Académie des sciences de Paris, plusieurs communications importantes sur les systèmes circulatoires et respiratoires de vertébrés à sang froid comme les grenouilles et les serpents. Il a fait avancer la connaissance de la respiration des poissons (1701) (fr.wikipedia.org - Joseph-Guichard Du Verney). En 1686, M. Duverney [...] a fait voir aussi dans un coq vivant, que la voix ne se forme pas vers le larynx, comme dans les autres animaux, mais au bas de la trachée artere, vers la bifurcation. [...] En 1687, MM. Duverney & Mery, disséquerent on oiseau royal, en présence de l'Académie. M. Mery ayant fait apporter des têtes d'aigles, de casoar, de corbeau, &c. fit voir que dans ces animaux, & dans tous les autres oiseaux, il y a un cercle osseux autour de la cornée : ce cercle est la partie antérieure de la sclérotique. Il a fait voir aussi dans l'oeil d'une autruche, que la sclérotique est composée de deux membranes (Joseph-Guichard Duverney, Oeuvres anatomiques, Tome 1, 1761 - books.google.fr). Duverney entra à l'Académie royale des sciences en 1674 ou 1676, et fut le seul anatomiste de l'assemblée jusqu'en 1684 où on lui adjoignit Méry avec lequel il eut de fortes discussions. Méry se plaisait à échaffauder des systèmes alors que Duverney fut toujours attaché à décrire la structure des parties (Encyclopedie methodique, ou par ordre de matières: Médecine, 1792 - books.google.fr). Il eut probablement à connaître la dissection du corbeau blanc de Versailles qui fut envoyé à ces Messieurs de l'Académie en 1685. Acrostiche : à l'envers QSSL "qassal" : mot persan signifant "laveur de mort" (cf. dissection). Le persan, depuis l'établissement de l'islamisme (652, époque de l'invasion des Arabes) s'écrit de droite à gauche) (Jean J. Desmaisons, Dictionnaire Persan-francais, 1908 - books.google.fr). Alexandre le Grand est vainqueur du Perse Darius (cf. le quatrain II, 49). Un corbeau quide Alexandre dans le désert, deux corbeaux lui déconseillent d'entrer dans la ville où il va mourir (Maria Patera, Le corbeau, un signe dans le monde grec, La raison des signes.: Présages, rites, destin dans les sociétés de la méditerranée ancienne, 2011 - books.google.fr). Thèbes, qui réclamait l'honneur d'avoir vu naître tant d'hommes illustres et même des dieux, fut en un seul jour effacée de la Grèce; elle périt après avoir eu les mêmes habitans pendant près de huit cents ans, depuis l'oracle des corbeaux. Jadis les Béotiens ayant été chassés de leur pays par une armée de Thraces et de Pélasges, un oracle leur avait annoncé «qu'ils ne rentreraient en possession de leur territoire qu'après la quatrième génération ; qu'en attendant ils s'arrêtassent à l'endroit où ils apercevraient des corbeaux blancs.» Ils allèrent de la sorte jusqu'à la ville d’Arné, en Thessalie, et comme ils y aperçurent des corbeaux que des enfans avaient enduits de plâtre, ils y demeurèrent. Thèbes fut rasée au son de la flûte, de la même manière que, soixante ans auparavant, Lysandre avait détruit Athènes. Alexandre ordonna cependant que l'on épargnât les temples et les autres édifices consacrés aux dieux (Johann Freinsheim, Histoire d'Alexandre le grand, Tome 1, traduit par Alphonse Trognon, 1828 - books.google.fr). |