Le maréchal Frédéric de Schomberg

Le maréchal Frédéric de Schomberg

 

II, 60

 

1675

 

La foy Punicque en Orient rompue,

Gang. Iud. & Rosne, Loyre & Tag changeront :

Quand du mulet la faim sera repue,

Classe espargie, sang & corps nageront.

 

Fraude

 

Le 9 août 1505, on trouva trois pierres, proche le Cap de Roco de Sintra dans le Portugal. Il y avoit sur ces pierres une Inscription Latine en vieux caracteres, qui contenoit une Prophétie. La voici :

 

Sibylla vaticinium occiduis decretum,

Volventur saxa literis, eco ordine rectio,

Cum videas Occidens Orientis opes.

Ganges, Indus, Tagus, erit mirabile visu,

Merces commutabit suas, uterque sibi.

Soli aterno, ac Luna decretum.

 

On prit cela pour un Oracle de Sibylle, & il y eut des Savans qui s'exercérent à l'explication de ces Vers; mais enfin on découvrit que Cajado Poète Portugais en etoit l'auteur & que c'étoit lui qui avoit enterré ces pierres, & qui avoit pris son tems pour les faire déterrer. Fraudem detexit Caspar Varrerius... [...] (Pierre Bayle, Dictionaire historique et critique, Tome 2 : C-J (1697), 1741 - books.google.fr).

 

Pierre Bayle parle quelques lignes plus haut de l'imposture de Paris de Grassis qui fabriqua une fausse épitaphe (commençant par Dis Pedibus saxum...) d'une mule en manière de prophétie destinée à la sienne.

 

Les conventions phéniciennes et la foi punique sont restées, dans l'histoire du droit international, comme synonymes de fraude et de déloyauté (Georges Bry, Précis élémentaire du droit international public, 1910 - books.google.fr).

 

La Popelinère parle de cette inscription en 1582 :

 

Que dira l'on de ces vers sibilins que Jacques Navarchus escript avoir estĂ© trouvez l'an mil cinq cens au derriere du promontoire de la lune (on l'apelle Rochan de Sinna) sur la coste & bord de l'ocean, gravez au carrĂ© pied d'estal d'une colomne, vivant le roy Emanuel de Portugal ? (Anne-Marie Beaulieu, Les trois mondes de Henri Lancelot Voisin de La Popelinière, 1997 - books.google.fr).

 

Dans Paraphrase de C. Galen sus l'exortation de Menodote, aux estudes des bonnes Artz, mesmement Medicine, traduict de Latin en Francoys, par Michel Nostradamus, A Lyon, chés Antoine du Rosne. 1557, le "mirabile" du poème attribué à la Sibylle est remplacé par "mutabile" ("Ganges indus, tagus, erit mutabile visu") et cela se retrouve dans le quatrain (Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 1861 - books.google.fr, Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

Frédéric de Schomberg

 

Frédéric-Armand de Schomberg, dit le maréchal de Schomberg (17 décembre 1615 – 11 juillet 1690), est le plus célèbre des réfugiés huguenots et l'un des militaires français les plus connus à l'extérieur de la France. Il fut le général en chef de l'armée qui installa en 1688 sur le trône d'Angleterre, le prince et premier ministre de Hollande Guillaume d'Orange, lors de la Glorieuse Révolution d'Angleterre.

 

À 17 ans, Schomberg se fait connaître sous les ordres de Frédéric-Henri d'Orange-Nassau puis de Bernard de Saxe-Weimar à la bataille de Nördlingen en 1634. Passé au service de Louis XIII, il se distingue à nouveau, en Franche-Comté contre les Impériaux. De 1639 à 1650, il sert de nouveau Frédéric-Henri d'Orange, puis son fils Guillaume II d'Orange-Nassau. En 1650, il retourne en France, achète la charge de capitaine des gendarmes écossais et participe à la guerre contre l'Espagne. Nommé maréchal de camp en 1652, puis lieutenant-général en 1655 (fr.wikipedia.org - Frédéric-Armand de Schomberg).

 

Portugal

 

L'inclusion de "Rhone, Loyre" dans une partie de l'inscription frauduleuse de Sintra laisse penser à une relation entre la France et le Portugal incarnée dans ces années du XVIIème siècle par Schomberg et par le mariage du roi de Portugal avec une Française.

 

Schomberg aide en 1660 le roi Alphonse VI de Portugal Ă  vaincre les Espagnols lors de la Guerre de Restauration.

 

Frédéric, comte de Schomberg, maréchal de France en 1675, avoit été fait Grand de Portugal, pour récompenser des services éclatans qu'il avoit rendus à cette couronne. Il en avoit tous-les honneurs en qualité de prince de Mertola (Philippe-Henri de Grimoard, Oeuvres de Louis XIV, 1806 - books.google.fr).

 

Le comte de Schomberg passe en Portugal avec beaucoup d'officiers français et réorganise l'armée portugaise. Les victoires d'Almexial près d'Estremos (1665) et de Montes-Claros ou de Villa-Viciosa (1665), remportées sur les Espagnols, assurent l'indépendance du Portugal. Le roi Alphonse, méprisé pour ses vices, est détrôné en 1667 par l'infant Pierre son frère, qui, sous le titre de régent, jusqu'à la mort d'Alphonse, gouverne le royaume avec la reine sa belle-sœur, qui devient ensuite son épouse (Adrien Balbi, Recherches historiques sur le Portugal, I, Journal des travaux de la Société Française de Statistique Universelle, Volume 4, 1834 - books.google.fr).

 

Le Cabo da Roca (le cap de Roca) est le point le plus occidental du continent européen. Il est situé au Portugal, dans le district de Lisbonne dans la municipalité de Sintra, à 42 km à l'ouest de la capitale portugaise. Ses falaises s'élèvent à environ 140 mètres au-dessus de l'océan Atlantique (fr.wikipedia.org - Cabo da Roca).

 

À la suite de sa déchéance, Alphonse est envoyé à Terceira, aux Açores, où il reste jusqu'en 1675. Rentré au Portugal, il demeure au château de Sintra jusqu'à sa mort en 1683 (fr.wikipedia.org - Alphonse VI (roi de Portugal)).

 

Cf. quatrain II, 49 - MĂ©ridien - 1667.

 

Guerre de Hollande et Messine oĂą l'on mangea du mulet

 

La guerre de Hollande se déroule de 1672 à 1678. Elle oppose la France et ses alliés (Angleterre, Münster, Liège, Bavière, Suède) à la Quadruple-Alliance comprenant les Provinces-Unies, le Saint-Empire, le Brandebourg et l'Espagne.

 

Revenu en France en 1668, Schomberg reçoit en fĂ©vrier 1674 le commandement de l'armĂ©e de Catalogne. La dĂ©fense de la frontière n'est assurĂ©e que par de mauvaises milices, et le fort de Bellegarde [cf. « garde Â» du quatrain II, 59] vient de tomber. Schomberg ajoute quinze bataillons, lève douze compagnies de miquelets et fait assurer la garde des places par 1500 bourgeois du Languedoc.

 

A la suite de la révolte de Messine, les Espagnols renforcèrent leur armée de Sicile aux dépens de celle de Catalogne, si bien que M. de Schomberg, se trouvant supérieur en nombre au duc de San Germano, à la fin de mai avait déjà conquis le Lampourdan et était à deux lieues de Gérone, mais finalement, le seul profit de la campagne fut la reprise de Bellegarde, un petit fort sans importance dans les Pyrénées. C'était d'ailleurs tout ce qu'avait demandé Louvois. «Pourvu que l'on reprenne Bellegarde, avait-il écrit le 14 avril, S. M. croira avoir fait une bonne campagne du côté du Roussillon» (Émile Laloy, La révolte de Messine: l'expédition de Sicile et la politique française en Italie (1674-1678), Tome 2, 1929 - books.google.fr).

 

Il entre dans l'Empordan, s'empare de Figueres, d'Empúries et d'un fort dominant Gérone. Puis il revient en Roussillon et reprend Bellegarde le 29 juillet 1675. Il est nommé maréchal de France le 30 juillet.

 

A Perpignan, le comte de Schomberg qui prépare l'expédition sur Messine, déplore de ne pouvoir disposer comme prévu des régiments de La Chau et de Tessé retenus autour de Bordeaux : la révolte des uns desservait celle des autres (Gauthier Aubert, Les révoltes du papier timbré, 1675: Essai d’histoire événementielle, 2019 - books.google.fr).

 

Pendant le blocus de Messine par les Espagnols, la ville fut réduite à la faim.

 

"Quand du mulet la faim sera repue" peut se comprendre "la faim sera repue du mulet" (on mangera du mulet) ou "la faim du mulet sera repue" (le mulet mangera, mais quoi ?).

 

Cependant la famine augmentoit dans la Ville à un tel point que le pain y ayant manqué on ne mangeoit plus que des herbes avec peu de chair. Ce secours ayant encore manqué on fut réduit à cette extrémité de tuer les chiens, les mulets, les chevaux, les chats & de les manger. Après qu'on eut consommé la chair de ces animaux on en vint à manger du cuir qu’on distribuoit par petites piéces, & qu’on faisoit bouillir pour s’en nourrir (Histoire Generale De Sicile, Tome 2, 1745 - books.google.fr).

 

"classe espargie" : Bataille navale

 

La Reine Régente ordonne a Dom Juan, d'aller réduire Messine révoltée ; ce Prince refuse cette commission , à moins qu'il ne soit reconnu pour Infant d'Escale; cependant le Viceroi de Sicile assiège Messine. En février 1675, les Français envoient une escadre commandée par le duc de Vivonne pour soutenir Messine apportant vivres & secours. La Cueva, Général de la flotte Espagnole, est défait par la flotte Françoise à la hauteur de Messine. La Reine fait arrêter ce Général, & donne le commandement à d'autres qui ne furent ni plus habiles ni plus heureux. Messine proclame Louis XIV. Roi de Sicile; il l'eût été en effet, si l'armée Françoise eût mieux secondé les bonnes dispositions des Siciliens.

 

Le Portugal étoit le seul état tranquille au milieu des autres Puissances Chrétiennes. Il ne fut pas même sollicité de prendre part à ces querelles qui divisoient l'Europe (Abrége chronologique de l'histoire d'Espagne et de Portugal, Tome 2, 1765 - books.google.fr).

 

Fin

 

En janvier 1676, il passe à l'armée de Flandre. Il oblige Guillaume III d'Orange-Nassau à lever le siège de Maastricht, que le comte de Calvo défend depuis cinquante jours ; puis prend

Cambrai et Valenciennes. En 1684 il s'empare de Luxembourg. En 1688, Guillaume III d'Orange rassemble une armée de 15 000 hommes, dont 3 000 réfugiés huguenots, encadrée par les français qui ont combattu sous Schomberg depuis des décennies, et ont dû se réfugier en Hollande. Un objectif les unit : chasser Jacques II du pouvoir. Il est atteint, mais la vie sauve est laissée à ce dernier qui fuit en Irlande puis en France, d'où il tentera un débarquement en 1692, lors de la bataille de la Hougue, dans le Cotentin.

 

Le maréchal Schomberg meurt à 74 ans aux côtés de son fils Ménard, en 1690 au moment où il défait les troupes jacobites irlandaises, alliées aux hommes de Louis XIV, à la bataille de la Boyne (11 juillet 1690), près de Drogheda, au nord de Dublin. Après cette victoire, plusieurs centaines de huguenots s'installent en Irlande, à Dublin, alors toute petite ville7. Schomberg y fut inhumé dans la cathédrale anglicane Saint-Patrick. Son monument funéraire érigé en 1731 et l'épitaphe latine rédigée par Jonathan Swift sont toujours visibles.

 

Il a dirigé successivement des armées de six pays : Suède (1634), France (1635), Portugal, Prusse, Hollande et Angleterre, sans jamais renier sa foi protestante, qui amena en 1685 Louis XIV et son nouveau ministre de la défense Louvois à le chasser des honneurs et des fonctions (fr.wikipedia.org - Frédéric-Armand de Schomberg).

 

"foy punique" : jésuites

 

De manière que tout ainsi, qu'anciennement quand on parloit d'un peuple perfide, on nommoit le Carthaginois, dont vint en usage le commun proverbe fides Punica. Aussi pouvons nous dire aujourd'huy le semblable du Jésuite, Fides Jesuitica : & leur attribuer ce que Tite Ltve disoit d'Hannibal : Perfidia plusquam Punica, nihìl veri, nihil sancti, nullus Deûm metus, nullum jusjurandum, nulla religio : Une perfidie plus que Punique, rien de vray, rien de sainct, nulle crainte de Dieu, tout serment, toute Religion  sous pieds (Étienne Pasquier, Le Catechisme des Jesuites ou le mystère d'iniquité, Tome 1, 1677 - books.google.fr).

 

"Orient" : rites chinois

 

Tout semblait se passer dans une relative sérénité jusqu'à ce que deux événements viennent perturber le cours des choses12. En 1631, le dominicain espagnol, Juan-Bautista Morales, débarquant des Philippines en Chine, est consterné par les pratiques qu'il découvre dans les chrétientés chinoises; il porte la question à Rome devant la Propaganda fide qui, en 1645, répond négativement en ce qui concerne la licéité des rites décrits. C'est un autre dominicain espagnol, Domingo Navarrete qui, de retour de Chine, publie en 1676 un livre hostile aux rites chinois et porte ainsi le débat dans le domaine public en Europe. Il en va de même en Inde: à la fin du xvlie siècle, des capucins français de l'enclave de Pondichéry adressent des plaintes à Rome au sujet des rites malabares. J'enjambe les innombrables péripéties de ce double gâchis qui contraignit les missions concernées à patauger durant un siècle dans les dissensions et les coups fourrés. Je passe donc sur les avis divergents rendus par la Propaganda fide en 1645 et le Saint-Office en 1656 concernant le caractère civil ou religieux des rites funéraires chinois ; je passe sur l'intervention malhabile de Charles Maillard de Tournon, le jeune légat pontifical qui, entre 1701 et 1707, avait cru pouvoir régler les deux questions par des décrets cassants, condamnant sous peine d'excommunication ; je ne dis mot de l'intervention de la Sorbonne, saisie en 1700 de la question des rites chinois, si ce n'est pour souligner que cette intrusion jette de l'huile sur le feu d'une autre querelle, celle opposant jansénistes et jésuites. La même année 1700, l'empereur Kangxi, le plus prestigieux de la dynastie mandchoue des Qing, entre en scène et publie un édit certifiant que les honneurs rendus aux ancêtres sont des marques purement civiles de souvenir reconnaissant pour les anciens. C'est dire si les condamnations portées par Maillard de Tournon en 1704 vont enflammer la colère de l'empereur ; un simple envoyé d'un souverain extérieur (le pape) s'autoriserait à contredire sa propre exégèse des rites ! Dès lors, Kangxi imposera à tout nouveau missionnaire en Chine le Piao, un placet impérial accordé aux seuls missionnaires s'engageant à suivre la voie tracée par Ricci. Maillard fut expulsé de Chine en 1707. Je mentionne également la constitution Ex illa die de Clément XI condamnant les rites en 1715 14 et enfin, dernière péripétie, les condamnations finales portées par Benoît XIV : les bulles Ex quo singulari de 1742 pour les rites chinois et Omnium sollicitudinum (1744) pour les rites malabares. Pour la Chine, outre la réprobation des rites et le serinent exigé des missionnaires sur cette question, le théonyme T'ien Chou, peu prisé des lettrés, est imposé par Rome au détriment de l'appellation Tien (le ciel) soupçonnée de diluer la notion de Dieu dans la nature et d'orienter vers un panthéisme larvé. Les conséquences de ces condamnations furent désastreuses : les missions concernées entrèrent dans une phase de déclin. Le coup fut terrible pour les missions de Chine. Les mandarins et les lettrés adoptèrent des attitudes plus hostiles au christianisme ; à la capitale, les missionnaires ne purent se maintenir que dans les fonctions scientifiques ou officielles au Tribunal de mathématique ou d'astronomie.

 

Dans un tel imbroglio de passions et d'arguments contradictoires, il ne suffit pas, si l'on veut expliquer ce rejet des rites, de s'en tenir aux motivations simplistes ou à celles proclamées par les protagonistes. Il serait trop simple de ne retenir que les rivalités entre les ordres religieux : tous les jésuites n'étaient pas partisans des rites et tous les missionnaires des autres ordres religieux n'étaient pas des adversaires résolus. Parmi les causes accidentelles, il faudrait ajouter l'intrusion d'éléments extérieurs comme la querelle entre jésuites et jansénistes et l'avalanche de pamphlets alimentant ces polémiques. Observons par ailleurs que les expériences novatrices des Ricci et Nobili s'opèrent dans le domaine d'influence du Padroado portugais ; s'étendant des côtes de l'Afrique au Japon, ce domaine trop vaste et politiquement morcelé ne permettait pas un contrôle aussi efficace que dans l'empire politiquement plus unifié de l'Espagne. Dans le domaine du Padroado, mais en dehors des régions placées sous la dépendance directe du Portugal, les missionnaires jouissaient d'une liberté plus grande, plus propice aux initiatives et aux innovations. Par contre, le Patronato espagnol, s'exerçant dans des pays soumis directement au pouvoir politique hispanique, n'aurait pas toléré une telle créativité s'écartant des normes de l'époque. S'agirait-il alors d'une simple question de rapport entre centre et périphérie, le Padroado portugais étant moins en mesure de contrôler ce qui se passe dans ses marges que le Patronato espagnol ? Certains, s'appuyant sur le fait que le feu de la querelle fut allumé par des dominicains espagnols (Morales en 1631 et Navarrete en 1676), ont évoqué l'intransigeance de la mentalité ecclésiastique espagnole, attitude de raidissement issue des luttes de la Reconquista dans la péninsule ibérique; celle-ci s'était achevée à l'extrême fin du XVe siècle, mais elle nourrissait encore des fantasmes à l'égard des marranes et la traque des conversos, suspectés d'hypocrisie dans leur adoption de la foi catholique. Il faudrait aussi creuser un paradoxe: c'est peu après le moment où la Congrégation de la Propaganda fade naît à Rome en 1622, en vue de mieux coordonner l'entreprise missionnaire outre-mer, que celle-ci entre dans sa phase de marasme. La création de ce nouveau dicastère romain se voulait un facteur de relance, en amorçant une reprise en main par l'Église catholique du trop de compétences abandonnées aux pouvoirs politiques espagnols et portugais. Pourtant, malgré les efforts - qui ne manquent pas d'intérêt - de la Propaganda Fide en vue de promouvoir en Orient notamment des Églises plus autochtones, le XVIIIe siècle sera globalement une époque de déclin missionnaire. Tous ces éléments sont à verser au dossier. On est cependant en droit de se demander si la raison la plus fondamentale du naufrage des rites chinois et malabares ne serait pas la difficulté de l'Église romaine d'admettre une diversité dans les expressions de la foi et la discipline ecclésiastique (Jean Pirotte, Tourner la page de la Querelle des rites ? - books.google.fr).

 

La démarche du jésuite belge Nicolas Trigault procureur de la mission de Chine est couronnée d'un grand succès à Rome ; il obtient l'appui du général de la Compagnie et celui du cardinal Bellarmin, grand théologien jésuite. Paul V autorise l'usage de la langue chinoise pour la célébration de la messe, pour l'administration des sacrements et enfin pour la récitation du bréviaire, etc.. (pp. 36-46). Trigault repart tout heureux ; il était loin de se douter que le privilège extraordinaire de Paul V ne serait jamais appliqué !

 

Pour la formation d'un clergĂ© du pays, il importait, avant tout, d'avoir des ordinaires du lieu, c'est-Ă -dire des Ă©vĂŞques. En rĂ©alitĂ©, jusqu'Ă  la fin du XVIIe siècle, il y avait eu en Chine un seul siège episcopal : le diocèse de Macao, suffragant de Goa ; ce siège, crĂ©Ă© en 1575, fut vacant de 1633 Ă  1692 (p. 63). Pas un Ă©vĂŞque en Chine, au moins pendant un demi-siècle ! En vertu du «Padroado» portugais concĂ©dĂ© par Rome Ă  la cour de Lisbonne lors de la grande dĂ©couverte maritime, le Saint-Siège avait renoncĂ© au droit de nommer un Ă©vĂŞque ou de crĂ©er un nouveau siège episcopal si la proposition ou le candidat ne lui Ă©taient prĂ©sentĂ©s par le roi du Portugal. Dans cette condition, Rome avait perdu, de fait et de droit, sa libertĂ© d'action et l'Église dans les pays de l'ExtrĂŞme-Orient, notamment les Indes, la Chine, etc. paralysĂ©e, Ă©tait considĂ©rĂ©e par le Portugal comme englobĂ©e dans son monopole national. Pour revendiquer lĂ -bas l'exercice des devoirs pastoraux, des droits de l'Église universelle ainsi que, de la souverainetĂ© du pape, GrĂ©goire XV fonda, en 1622, la S. CongrĂ©gation de Propaganda Fide ; ministère des missions lointaines, il lui revenait de prĂ©parer la crĂ©ation de vicariats apostoliques, dĂ©tachĂ©s des diocèses portugais et sous l'autoritĂ© directe de Rome. Quelle fut l'attitude de ce nouveau dicastère romain Ă  l'Ă©gard du privilège accordĂ© par Paul V Ă  la Chine ? La Propagande apparaĂ®t d'abord sinon hĂ©sitante, au moins très prudente. Il faut attendre jusqu'en 1658, lorsque le Saint-Siège nomma en Indo-Chine et en Chine les premiers vicaires apostoliques français, François Pallu et Lambert de la Motte, pour que le problème de l'Église de Chine revienne alors Ă  l'ordre du jour (Louis Wei, La lutte autour de la liturgie chinoise aux XVIIe et XVIIIe siècles. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 43, fasc. 2, 1965 - www.persee.fr).

 

Le renversement du roi Alphonse VI et les jésuites

 

Les circonstances Ă©taient alors d'autant plus favorables pour le Portugal que maintenant la France lui prĂŞtait ouvertement un concours de plus en plus actif. Elle lui faisait parvenir des subsides considĂ©rables. Schomberg fut autorisĂ© Ă  cĂ©der ses gendarmes Ă©cossais au chevalier d'Hauteville pour la somme de 152,000 livres, et eut du roi promesse formelle qu'une somme Ă©gale serait consacrĂ©e Ă  lui acheter la première seigneurie de cette valeur qui se trouverait Ă  Vendre en France. Au mois d'aoĂ»t, arriva la nouvelle reine, Marie de Savoie, accompagnĂ©e de CĂ©sar d'EstrĂ©es (1625 - 1714), Ă©vĂŞque de Laon, et du marquis de Ruvigny. Le 31 mars 1667, un traitĂ© formel d'alliance offensive est signĂ© entre le Portugal et la France pour dix annĂ©es; aux termes de ce traitĂ©, il fut stipulĂ© que Schomberg resterait en Portugal pendant toute sa durĂ©e, mais que partout cependant il continuerait d'agir sous les ordres des gouverneurs de province. Des intrigues de cour empĂŞchèrent de mettre Ă  profit le moment favorable oĂą l'Espagne Ă©tait occupĂ©e dans les Pays-Bas, et Ă  l'intĂ©rieur en proie Ă  des discordes intestines. Le roi Alphonse de Portugal Ă©tait complĂ©tement incapable, et mĂŞme Ă  moitiĂ© insensĂ©. Il traitait de la manière la plus brutale sa femme, ainsi que son frère cadet, l'infant dom Pedro, que sa mère lui prĂ©fĂ©rait. Le parti de la reine et celui de l'infant firent enfin cause commune contre le roi et le premier ministre Castel-Melhor. Le principal moteur de l'intrigue Ă©tait le confesseur de la reine, un jĂ©suite, le P. de Ville, que la reine avait emmenĂ© avec elle en Portugal. On dit que Schomberg se trouva mĂŞlĂ© Ă  cette affaire; il paraĂ®t cependant avĂ©rĂ© que, malgrĂ© les justes motifs de plainte qu'il avait contre le premier ministre, il refusa d'y prendre une part directe. Il se borna Ă  Ă©crire en France Ă  l'effet de recevoir des instructions sur la conduite qu'il avait Ă  tenir ; et quand la chose se trouva au moment d'Ă©clater, il se retira dans sa province. La conspiration eut pour rĂ©sultat le dĂ©trĂ´nement d'Alphonse VI, la proclamation de l'infant dom Pedro en qualitĂ© de rĂ©gent du royaume, et l'annulation du mariage de la reine, qui se remaria avec dom Pedro. Cette rĂ©volution amena aussi la paix prĂ©cipitamment conclue avec l'Espagne (13 fĂ©vrier 1668), paix imposĂ©e par les grands du royaume malgrĂ© la volontĂ© du gouvernement et les VĹ“ux de la France. Dès lors, la mission de Schomberg en Portugal fut terminĂ©e. Le 6 mai suivant, le vice-amiral d'EstrĂ©es arrivait dans les eaux du Tage avec une escadre chargĂ©e de remmener les troupes françaises, tandis que les Anglais, sous les ordres de FrĂ©dĂ©ric de Schomberg, s'embarquaient Ă  bord de navires de leur nation. Le 8 juin 1668, Schomberg s'Ă©loigna du Portugal, oĂą il laissait les plus honorables souvenirs, et le 14 du mĂŞme mois il dĂ©barquait Ă  La Rochelle (Friedrich BĂĽlau, Personnages Ă©nigmatiques. Histoires mystĂ©rieuses. ÉvĂ©nements peu ou mal connus, traduit par W. Duckett, Tome 2, 1861 - books.google.fr).

 

1674

 

A Rome, les ennemis de la Compagnie remportaient encore une nouvelle victoire. Le préfet des Dominicains espagnols en Chine, le P. Navarrete, relégué à Canton dans la résidence des Jésuites, avait juré en 1667 d'observer l'interprétation du P. Ricci au sujet des rites. La surveillance chinoise s'étant un peu relâchée, il put s'échapper de Canton et s'embarquer pour l'Europe. Il arrivait à Rome en 1673. Oubliant son serment, il agita si vivement son ordre, et ce dernier agita si bien à son tour le monde ecclésiastique que, dès 1674, la Congrégation de la Propagande publiait un décret prohibant complètement les cérémonies chinoises (George Soulié de Morant, L'épopée des Jésuites français en Chine (1534-1928), 1928 - books.google.fr).

 

La Congrégation pour l'évangélisation des peuples (en latin : Congregatio pro Gentium Evangelizatione) est la congrégation de la Curie romaine fondée sous la dénomination de «Sacrée congrégation pour la propagation de la foi» (Sacra Congregatio de Propaganda Fide, dite congrégation de la propagande) par Grégoire XV (fr.wikipedia.org - Congrégation pour l'évangélisation des peuples).

 

En 1674, au cours de la querelle des rites et sous la menace des persécutions locales, suivant la proposition de François Pallu, le Saint-Siège avait nommé un dominicain chinois, Grégoire Lo, connu sous le nom espagnol de Lopez, évêque titulaire de Basilée et vicaire apostolique de Nan-kin. Grégoire Lo fut sacré en 1685 pour remplacer Ignace Cotolendi, mort sur le chemin qui le conduisait en Chine. Rome confia aussi à ce premier évêque chinois l'administration de la mission de Pallu, puisque celui-ci ne pouvait pas, à ce moment, pénétrer lui-même en Chine (Tsing-sing Louis Wei, La Politique Missionnaire de la France en Chine 1842 1856, 1961 - books.google.fr).

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