Siège de Nègrepont

Siège de Nègrepont

 

II, 77

 

1687-1688

 

Par arcs feux, poix & par feux repoussez,

Cris hurlements sur la minuit ouys :

Dedans sont mis par les rempars cassez,

Par canicules les traditeurs fuys.

 

Il est déjà question de chaleur solaire dans le quatrain II, 3 où est mentionnée l'île de Nègrepont.

 

Poix résine

 

On tire de l'isle de Negrepont beaucoup de résine (Hendrik Frieseman, Description historique et géographique de l'Archipel, 1789 - www.google.fr/books/edition).

 

Il ne reste de l'ancienne Chalchis que quelques fragments de marbre blanc dans les murs de plusieurs maisons et mosquées. Il y a pourtant dans la partie du sud les ruines d'un aqueduc avec ses arches qui du temps des Romains amenait l'eau à la ville. On doit remarquer que cette ville a été la résidence d'Aristote, et la patrie du poëte Lycophron, et d'autres hommes célèbres. Les principales villes de Négrepont sont : Karysto, Rovies, 'Oreos et Kastrovata. La population de toute l'ile est estimée à 40,000 habitants suivant les uns, et à 60,000 suivant les autres. Chalchis seule en contient 6,000, Grecs, Turcs et Juifs. Nous ne quitterons pas cette île, la reine de l'Archipel tant par son étendue que par sa fertilité et le rôle qu'elle a joué dans les temps anciens, sans dire un mot de sa constitution physique. Son intérieur est coupé par une chaîne de hautes montagnes de calcaire grossier, dont les sommets sont pour la plupart arides et dénudés; mais les plaines et les vallées sont d'une fertilité extraordinaire, et, année commune, on calcule que les céréales rapportent vingt pour un. Les autres productions de l'île sont : le vin, la laine, le coton, la poix et la serpentine. L'île peut avoir dans sa plus grande longueur 90 milles, 162 kil. environ, et dans sa plus grande largeur, 26 milles, 46 kil 314 (Quétin, Guide en Orient: itinéraire scientifique, artistique et pittoresque, 1846 - books.google.fr).

 

La poix (obtenue principalement par le traitement de la résine) servait à fixer les joints préalablement calfatés au moyen de filasse ou de quelque autre matière d'emballage, puis à recouvrir la surface extérieure entière d'une couche imperméable ; à cet effet, on se servait aussi de cire (François Fuhrmann, Propos de table de Plutarque, 1978 - books.google.fr).

 

D'après Plutarque, on avait l'habitude d'ajouter à certains vins de Grèce ou de Sicile, notamment à ceux de l'ile d'Eubée et de Naxos, une certaine quantité de résine ou bien on enduisait de poix les vases destinés à les contenir (Bouchard, Le vin chez les anciens, Gazette Hebdomadaire de Medecine et de Chirurgie, Volume 4, Numéros 1-52, 1867 - www.google.fr/books/edition).

 

En 1683, Jean II Sobieski fait lever le siége de Vienne, chasse les Turcs. On trouve dans leur camp des munitions de guerre dont de la poix en quantité (50 quintaux) (J.P. à Vaelckeren, Vienne assiegée par les Turcs, et delivrée par les Chrestiens; ou, Journal du siege de Vienne, depuis le 6. de May de l'année 1683, jusqu'au 15. de Septembre de la mesme année, 1684 - www.google.fr/books/edition).

 

Les Viennois utilisaient des feux de poix pour éclairer les mouvements ennemis dans la nuit (Johann von Ghelen, Relation Succinte Et Veritable De Tout Ce Qui S'Est Passé Pendant Le Siege De Vienne, traduit en François par N. I. D. N., 1684 - www.google.fr/books/edition).

 

On ne sait pas si de la poix a été utilisée dans le siège de Nègrepont en 1688. Probablement.

 

Vénitiens et Ottomans

 

Les Vénitiens qui, depuis la perte de Candie, épiaient l'occasion de se venger de la Turquie trop puissante, saisirent le moment où elle était engagée dans une guerre contre l'empereur d'Autriche. Ils avaient jusque-là dévoré beaucoup d'affronts et d'avanies; mais, quand ils apprirent que l'armée ottomane, campée sous les murs de Vienne, avait été défaite par le secours de Sobieski, roi de Pologne, ils n'hésitent plus; ils déclarent la guerre à la Porte, qui n'avait pas coutume de se laisser prévenir, et mettent tous leurs vaisseaux en mer. Dans cette grande occasion, ils rappellent au commandement Morosini qui, depuis la malheureuse issue de la guerre de Candie, subissait, malgré sa gloire, l'ingrat oubli de ses concitoyens. Morosini se vengea comme un grand homme, en redoublant de zèle et de courage. A la tête d'une flotte nombreuse, il se saisit d'abord de Leucade, poste avancé du Péloponèse, et débarque d?ns la péninsule huit mille hommes qui marchent sur Coron. C'était la première fois que l'étendard chrétien reparaissait dans la Grèce depuis bien des années; et, quoique l'ancienne domination de Venise eût laissé de fâcheux souvenirs, la haine du joug musulman ne permettait aucune incertitude dans les voeux des Moraïtes. Toute la péninsule fut ébranlée. Plusieurs évêques correspondaient avec le général vénitien; des paysans, des pâtres de la montagne arboraient les couleurs de Venise; et tout appelait les nouveaux conquérants. Coron fut emporté, après quelques jours de siége, et les Turcs qui l'habitaient passés presque tous au fil de l'épée. Alors, des hauteurs du Taygète, descendirent les Maniotes pour combattre et piller; et leur secours servit à disperser un corps de troupes commandé par le capitan-pacha. Ces premiers succès, poussés par le génie guerrier de Morosini, firent tomber en peu de temps les plus fortes places de la Morée. Dans la seconde campagne, en 1686, les deux forteresses de Navarin, Modon, Argos et Napoli se soumirent aux Vénitiens. C'était une révolution rapide; les Turcs se réfugiaient de toutes parts dans les villes, et les villes capitulaient avec les vainqueurs. L'année suivante, Patràs et Néocastro furent emportés; Lépante et Misitra se rendirent; et le séraskier de la Morée, battu plusieurs fois, n'osa défendre Corinthe; il fit sauter les fortifications de cette ville; incendia les magasins et se retira vers les montagnes de l'ancienne Phocide, en massacrant tous les Grecs qu'il rencontrait sur son passage, et qu'il accusait des maux de l'empire. Morosini, rapidement accouru, s'empara de Corinthe, enlevée aux Turcs et aux flammes. Il était maitre de toute la Morée où les Turcs ne possédaient plus que Malvoisie.

 

Ce général sentit alors le besoin d'étendre ses conquêtes, pour les assurer. Le port d'Athènes et l'île de Négrepont pouvaient seuls garantir la possession du Péloponèse; et, tandis que toutes les forces des Turcs étaient occupées dans la guerrre contre l'Autriche et la Pologne, l'occasion était belle pour enlever la Grèce aux Barbares (Abel François Villemain, Études d'histoire moderne par M. Abel-François Villemain, 1856 - books.google.fr).

 

S'il est vrai ce que l'on mande de Malte, qu'il y a du soulevement dans le Roiaume de Candie, & que le peuple avoit égorgé le Bacha, & que là-dessus la force de la Republique de Venise, jointe aux galeres de Malte, avoit pris la route vers la Canée, c'est une grande afaire pour la Republique s'ils s'en peuvent rendre les maitres, cela leur seroit plus utile, & beaucoup plus profitable que Negrepont : mais l'on ne peut rien dire d'assuré que l'armée ne soit arrivée devant, & aie commencé à canonner & bombarder ; car comme les desseins du Serenissime Doge sont secrets, dificilement peut-on les penetrer ; & l'on n'en parle pour la plupart que par conjecture, en quoi l'on est souvent trompé par les feintes qu'il fait. Comme jusqu'à present toutes les aparences ont été que la premiere attaque se feroit à Negrepont, les Turcs l'ont si-bien cru, qu'ils l'ont renforcé de tout ; & mis en état de se bien défendre, mais ils feront trompés & bien d'autres, si le Doge fait descente dans la Canée, qui est un très bon pais fertile en bled & en huile, & ce qui marque assez la bonté du pais, c'est le grand commerce que les Chrétiens y font continuellement. Nous ne tarderons pas de savoir si les nouvelles de Malte que le Cardinal Pio a receues du Grand Maitre sont veritables; quoi qu'il en soit nous vois là à la veille de voir les premiers effets de la campagne. Il faut que le canon se décharge sur quelque endroit a la saison est déja bien avancée ; mais particulierement de ces côtés là, où les chaleurs sont fort incommodes, & causent de grandes maladies aux troupes qui viennent d'un climat froid auquel elles ne sont pas accoutumées (CONSIDERATIONS POLITIQUES ET HISTORIQUES Sur l'état present des affaires DE L'EUROPE Pour le 16. d'Août 1688, 1688 - books.google.fr).

 

Au commencement de la campagne suivante (1686) le comte de Koenigsmark, général suédois, que la république avait pris à sa solde, joignit ses troupes à celles de Morosini; les armées combinées soumirent successivement Navarin, Modon, Argos, et Napoli di Romania, capitale de la Morée. Ces triomphes répandirent l'allégresse dans Venise. Au mois de juillet 1687, Morosini se mit en mer et força les Turcs à abandonner Patras, chef-lieu de l'Achaïe, le château des Dardanelles sur la côte de Morée et celui qui s'élève sur la côte de Roumélie. Il s'empara ensuite de Lépante, de Castel-Tornèse, de Corinthe et de Misitra. Toutes ces conquêtes rendaient les Vénitiens maîtres du golfe de Corinthe : il ne leur restait plus qu'à s'emparer du port du Lion (le Pirée), que les Ottomans occupaient sur la côte du golfe d'Egine : ce port était celui d'Athènes, la ville des Sages, le séjour des Muses. Une nombreuse garnison défendait les remparts. Morosini confia le commandement du siége à Koenigsmark. Sans respect pour cette patrie des arts, le général suédois soudroya de son artillerie ce qui restait des glorieux monuments de l'antiquité. En peu de jours, toute la ville ne présenta plus qu'une vaste étendue couverte de flammes et de ruines. Dès lors Athènes capitula. Les lions de marbre, qui, en donnant leur nom Ã¥ l'ancien Pirée, paraissaient préposés à la garde de ce port, furent transférés à Venise, où ils ornèrent la porte de l'arsenal. Cette brillante campagne couvrit de gloire le héros vénitien; le sénat fit placer son buste dans la grande salle du palais des doges, avec cette inscription : «Le sénat à Morosini le Péloponésiaque, de son vivant.»

 

Peu de temps après, en 1688, le doge Giustiniani étant mort, Morosini reçut un nouveau témoignage de la reconnaissance nationale : il fut élevé à la magistrature suprême. Ceint de la couronne ducale, il partit du golfe d'Egine pour aller assiéger Négrepont, dont il essaya vainement de s'emparer. Le siége de cette ville fut très-funeste aux chrétiens: la résistance désespérée de la garnison ottomane et le fléau de la peste firent périr le tiers de l'armée des assiégeants. Le brave Koenigsmark lui-même, général d'une brillante valeur, succomba à la contagion, Morosini, obligé de lever le siége de Négrepont, se rendit devant Malvoisie, qu'il se mit en devoir d'attaquer; mais une maladie dont il fut atteint le força bientôt d'aller chercher le repos dans sa patrie, et de laisser le commandement en chef à Cornaro (François Valentin, Histoire de Venise, 1855 - books.google.fr).

 

Dans le journal de Anna Akerhjelm, dame de compagnie de la comtesse, femme de Königsmark, on lit que les Turcs font des sorties tous les soirs, mais sans résultat. Il s'est passé des choses ici qui ne sont arrivées nulle part ailleurs jusqu'à présent. Des Turcs ont déserté et sont venus à nous. Il nous en est arrivé quelques-uns qui racontent qu'ils sont mécontents chez eux, que la solde n'a pas été payée depuis quelques mois, que nos pièces font beaucoup de mal à l'ennemi. Ils assurent qu'il n'y a point de mines pratiquées dans leurs ouvrages, ce à quoi il ne faut pas trop se fier; qui vivra verra. [...]

 

Une nuit, les Turcs firent une sortie et forcèrent les Florentins d'abandonner leur retranchement. Il y a eu là beaucoup de monde tué et blessé. Mais les nôtres sont arrivés et ont refoulé l'ennemi dans la forteresse (Charles Marie Wladimir Brunet de Presle, Alexandre Blanchet, Grèce depuis la conquête romaine jusqu'à nos jours, 1860 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Siège de Negroponte (1688)).

 

"arcs"

 

Ottoman military technology did not appear to be markedly inferior to their European adversaries in the first half of the seventeenth century or perhaps later. They were self-sufficient in the production of cannon and powder into the eighteenth century, but were open to Western influences in their use. The artillery corps numbered some 6,000 men in the 1680s. An Italian renegade who built a great foundry in Istanbul helped modernize the artillery. A Venetian deserter at Negroponte in 1688 improved the process of casting and firing mortars.' If the Venetians routinely melted down Ottoman guns alter capturing them, it was in order to reduce the variety of pieces to a few convenient calibres. Neither did the Ottomans lag behind Western technology in infantry weapons. Their muskets were longer and heavier than the Western ones, and better steel enabled them to use larger powder charges, which made them more accurate at longer range.' These muskets also had a small knife planted in the butt for close combat. By the late seventeenth century, janissaries no longer employed bows, and used muskets and sabres almost exclusively, although sipahis, Tatars and infantry auxiliaries were experienced archers (Gregory Hanlon, European Military Rivalry, 1500–1750, 2020 - www.google.fr/books/edition).

 

"canicule"

 

La canicule est une période de l'année correspondant au temps chaud de la saison d'été, de "canis" chien. Le siège de Nègrepont commence en juillet 1688.

 

Souterrain

 

Pierre Brind'amour suggère un "canalicule" petit tuyau ou souterrain (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - www.google.fr/books/edition).

 

Une autre pratique des sièges, de laquelle les Turcs sont à la fin du XVIIe siècle les spécialistes, est celle des mines. Plutôt que d'ouvrir une brèche dans la fortification au canon, les mines sont une alternative consistant en la formation de tunnels débouchant, sous l'ouvrage visé, à des cavités remplies de poudre explosive. Se développe alors une véritable «guerre de siège souterraine» entre mines et contre-mines, assiégeants et assiégés. Les sources mentionnent les résultats particulièrement atroces de ce type d'affrontements, du fait des conditions difficiles qui les entourent : le manque d'espace dû à l'étroitesse des galeries, la faible lumière des chandelles et l'air vicié, tout est réuni pour des empoignades effroyables à l'arme blanche. Le siège de Vienne par les Ottomans en 1683 demeure un des exemples les plus marquants de cette guerre de siège «souterraine» (Michel Thévenin, «Changer le système de la guerre» : le siège en Nouvelle-France, 1755-1760, 2020 - www.google.fr/books/edition).

 

L'isle d'Eubée n'est separée de terre ferme, que par un petit canal estroit de mer, qu'on appelle Euripe : C'est une mer furieuse de precipitée, laquelle fluant sept fois alternatiues, au cours de recours tous les iours &  toutes les nuicts. Cest Euripe rompt souuent le cours des vents, & retarde les nauires voguans à pleines voiles (Philostrate, De la vie d'Apollonius Thyaneen en VIII livres, traduit par Blaise de Vigenere, 1611 - books.google.fr).

 

Canaliculus

 

"canaliculus" est aussi une partie d'une machine de siège la catapulte :

 

Vitruve décrit deux types de machines de jet. Ces machines appartiennent au modèle de pièce d'artillerie dit «à torsion et à deux bras». Le principe moteur est constitué par deux faisceaux de câbles (nerui torti) (fibres animales, cheveux de femmes), à l'intérieur desquels sont enfilés deux bras en bois (bracchia), reliés à leur extrémité par une corde archère. Entre ces deux faisceaux passe le fût de la machine constitué d'une longue pièce fixe (canaliculus pour la catapulte, climacis pour la baliste), à l'intérieur de laquelle coulisse un curseur (canalis fundus pour la catapulte, chelonium pour la baliste). Ce tiroir porte une griffe (epitoxis) à laquelle est accrochée la corde archère avant le tir. Le tiroir est amené vers l'arrière au moyen d'un treuil (sucula) et entraîne donc avec lui la corde archère, qui elle-même tire les bras et tord les faisceaux de câbles. Lorsque le point de tension désiré est atteint, la griffe est soulevée au moyen d'un petit levier (manucla), elle libère la corde archère qui revient violemment à sa position première, entraînant vers l'avant le projectile qui avait été au préalable posé sur le tiroir (Jean Soubiran, Louis Callebat, De l'architecture de Vitruve, Volume 10, 1960 - www.google.fr/books/edition).

 

Avec la poix et les remparts, le quatrain décrit un siège. La catapulte situe l'époque dans un passé antique ou moyenâgeux.

 

Dans les chansons de geste, la catapulte sert à la guerre psychologique en propulsant dans les lignes ennemies les cadavres, les têtes d'adversaires ou de traitres. La Chanson de Simon de Pouille (Abilant) ou les Enfances d'Ogier sont des exemples (Jean-Claude Vallecalle, Remarques sur l'emploi des machines de siège dans quelques chansons de geste, Mélanges de langue et littérature françaises du Moyen Âge offerts à Pierre Jonin, 1979 - www.google.fr/books/edition).

 

Mais dans le quatrain il s'agit de fuite.

 

Déroulement du siège de Nègrepont

 

Ceint de la couronne ducale, Morosini partit le 8 juillet du golfe d'Égine, pour aller assiéger Négrepont. Six mille hommes défendaient cette place, Il assiége environnée de bonnes fortifications, qui avaient déja, dans les temps antérieurs, soutenu tour-à-tour les efforts des Turcs et des Vénitiens. Morosini débarqua à-peu-près quinze mille hommes ; le comte de Königsmarck commença l'investissement, éleva cinq batteries, et obligea les assiégés à se renfermer dans leurs murailles. Malheureusement le siége était à peine entamé, que la peste se manifesta dans le camp, et moissonna un tiers de l'armée. Le comte de Königsmarck lui-même y succomba, après s'être illustré dans ces deux dernières campagnes. On lui donna pour successeur Charles-Félix Galléas, duc de Gadagne, dans le Comtat-Venaissin; c'était un général de réputation, qui avait servi sous le maréchal de Turenne. Mais, pour reprendre les opérations du siége avec quelque vigueur, il fallut attendre des renforts. Le séraskier de l'île saisit ce moment pour attaquer dans ses lignes cette armée épuisée par la maladie : repoussé une première fois, il recommença le combat, et pénétra jusque dans le camp vénitien; ce ne fut que par les efforts du désespoir, et avec une perte considérable, qu'on parvint à l'éloigner. Quatre mille hommes étant arrivés de Venise, Morosini fit donner un assaut, le 20 août 1688. Un ouvrage extérieur, vaillamment défendu, fut emporté ; il en coûta quinze cents hommes aux Turcs, et la moitié moins aux Vénitiens. Mais de si rudes combats anéantissaient une armée déja languissante. Elle s'obstina encore, pendant un mois et demi, à battre le corps de la place. Enfin, lorsqu'on y eut fait une large brèche, et qu'une mine eut comblé le fossé, en y renversant la contrescarpe, on tenta un nouvel assaut. Les troupes albanaises et dalmates s'élancèrent sur la brèche; il y eut des soldats qui parvinrent jusques sur le rempart; ces efforts furent infructueux. Cette partie de la muraille était trop escarpée, pour que de la brèche on pût descendre dans la ville, et trop découverte, pour que la position fût tenable: il fallut abandonner l'attaque, et Morosini se décida à ordonner le rembarquement. Obligé de renoncer à Négrepont, il se reporta devant Malvoisie (Pierre-Antoine-Noel-Bruno Daru, Histoire de la republique de Venise, Tome 5, 1821 - books.google.fr).

 

Le séraskier de la province étoit campé avec six mille hommes à Thèbes, à quatre lieues de Nègrepont, & de là il faisoit entrer pendant la nuit des secours dans la place (Histoire universelle: depuis le commencement du monde jusqu'a present, Tome 33, 1771 - books.google.fr).

 

Du turc serasker («chef d’armée»), lui-même du persan sarlashkar («chef d'armée, général»), composé de sar («tête, chef») et de lashkar («armée») pour le turc, composé de ser («tête») et de asker («armée») (fr.wiktionary.org - sérasquier).

 

Acrostiche : PC DP, la mort

 

(in) pace depositus (Giovanni Battista Vermiglioli, Lezioni elementari di archeologia, Tome 2, 1824 - www.google.fr/books/edition).

 

Dante ne pouvoit parler avec mépris d'une puissance qui avoit favorisé l'arrivée de Henri VII; d'une puissance qui possédoit déjà la côte orientale de l'Adriatique, toute l'ile de Candie, une partie de celle de Négrepont, et plusieurs ports de la Morée; d'un Etat, enfin, qui prenoit à bon droit le titre de Seigneur du quart et demi de l'empire romain (Artaud de Montor, Histoire de Dante Alighieri, 1841 - books.google.fr).

 

L'arsenal de Venise était une de ses merveilles il fut son plus glorieux, son plus utile monument; et les flottes qu'il construisit, en combattant, en repoussant l'invasion permanente des Turcs, sauvèrent la civilisation de l'Italie et du midi de l'Europe. Il n'est aujourd'hui qu’un magnifique témoignage de la décadence de Venise. Combien il diffère dans sa solitude de cet arsenal peint si admirablement par le Dante, qui a fait entrer dans sa description les termes techniques de marine, et les a rendus harmonieux, poétiques, imitatifs, tant ce prodigieux génie sait tout dire !

 

Quale nell' Arzanà de Veneziani

Bolle l'inverno la tenace pece

A rimpalmar li legni lor non sani

Che navicar non porno ; e'n quella vece,

Chi fa suo legno nuovo, e chi ristoppa

Le coste a quel che più viaggi fece;

Chi ribatte da proda, e chi da poppa,

Altri fa remi, ed altri volge sarte,

Chi terzeruolo ed artimon rintoppa. 

 

(Inf., cant. XXI. Ces vers sont à peu près intraduisibles; il faudrait pour les rendre un ingénieur de la marine grand poète, et M. Ch. Dupin n'a encore fait jusqu'ici que de la prose. Voici le sens des vers du Dante : «Tel, dans l'arsenal de Venise, bout, l'hiver, poix tenace, afin de radouber les vaisseaux qui ne peuvent naviguer; ici l'on répare à neuf un vaisseau; là on rapproche et l'on resserre les flancs de celui qui a fait plusieurs voyages; l'un va de la poupe à la proue et de la proue à la poupe; d'autres fabriquent des rames, roulent des cordages, ou dressent l'artimon et les autres voiles.»).

 

La population de l'arsenal, qui était alors de seize mille ouvriers, n'était plus, au XVIIe siècle, que de trois mille, et vers la fin de la république, que de deux mille cinq cents, auxquels étaient adjoints, pour travaux extraordinaires, les artisans et facchini de la ville; sous l'administration française, elle s'est élevée quelque temps jusqu'à trois mille cinq cents; elle n'est guère aujourd'hui que de douze cents. A l'entrée sont les deux lions colossals de marbre. enlevés d'Athènes par Morosini, mais qui, disent les savans, ne sont plus antiques; lions qui seraient aujourd'hui plus libres s'ils fussent restés au Pyrée, et qu'Athènes eût fait partie de la Grèce (Antoine Claude Pasquin Valery, Voyages historiques et littéraires en Italie, pendant les années 1826, 1827 et 1828, ou, L'indicateur italien, Tome 1, 1831 - books.google.fr).

 

Dans la Ve bolge qu'il compare à l'arsenal de Venise, à cause de la poix épaisse qui ruisselle de tous côtés, se trouvent enfoncés Bonturo Bonturi, le faussaire le plus infâme de Lucques ; Ciampolo, le domestique infidèle du bon roi Thibaud, et leurs compagnons de fraude. La poix gargouillante les cuit, et dans l'entre-temps, Malebranche, Graffiacane, Rubicante, Ciriatto et autres hideuses figures de démons, répondant aux noms les plus hizarres, les écorchent et les accrochent par leurs cheveux bitumineux avec leurs griffes et des défenses de sanglier qui sortent des deux côtés de leurs bouches (Tito Zanardelli, Dante et ses précurseurs, 1896 - books.google.fr).

 

Malebranche, Griffes maudites : C'est le nom général des démons de la cinquième enceinte où sont punis ceux qui ont trafiqué de la justice, «lesquels, dit le vieux Grangier, ont griffes et ongles de lyon (Œuvres de Dante Alighieri: la divine comédie, traduit par Auguste Brizeux, Etienne Jean Delécluze, 1886 - books.google.fr).

 

On sait qu'un philosophe très-doux, très-modeste, très-judicieux, et point jaloux, a eu le secret d'enduire les hommes de poix-résine, pour les empêcher de tomber malades ; qu'il disséquait des géants pour connaitre la nature de l'âme, et qu'il prédisait l'avenir : de tels hommes pourtant en ont imposé. (Id., 1775.) Le philosophe que, dans cette note, Voltaire (écrivant ses notes sous le nom de M. de Morza) appelle ironiquement très-doux, très-modeste, très-judicieux, et point jaloux, est Maupertuis (Dialogue de Pégase et du Vieillard, Œuvres complètes de Voltaire, Tome 10 : Contes en vers. Satires. Épîtres. Poésies mêlées, 1877 - books.google.fr).

 

Le philosophe oratorien Nicolas de Malebranche (1638 - 1715) parle de la poix dans sa recherche de la vérité pour contester les définitions Aristote (Oeuvres de Malebranche, Recherche de la vérité, Tome 2, Jules Simon, 1846 - www.google.fr/books/edition).

 

Le culte égyptien semble avoir connu une large diffusion à Érétrie en Eubée ; une stèle datant des années 200 a.C. présente une liste importante de fidèles ayant apporté leur contribution soit pour la célébration du culte, soit pour des travaux effectués au sanctuaire ; et la liste de ceux qui célèbrent le rite du "nauarchein" au Ier siècle a.C. ne comprend pas moins de 94 noms. Parmi ces derniers figurent plusieurs théophores, surtout dérivés d'Isis : Isigénès, Isidoros, Isidora, Isiasa ; c'est là une preuve supplémentaire de la popularité d'Isis à Érétrie. Il ne fait guère de doute en effet que le sanctuaire ou en tout cas le culte - n'ait été consacré en premier lieu à la déesse, même si Sarapis et Anubis lui ont été assez vite associés, ainsi que d'autres synnaoi apparus plus tardivement ; alors que la présence d'Harpocrate à partir du Ier siècle a.C. est facilement explicable, celle d'Osiris est plus surprenante : on doit constater que, à Érétrie comme à Thessalonique - et le cas se produit en Égypte également - Osiris et Sarapis non seulement ne sont pas confondus, mais peuvent recevoir un culte soit commun, soit distinct, comme s'ils représentaient des entités tout à fait différentes. On a vu que le culte d'Érétrie devait présenter des aspects très égyptiens, ou du moins égyptisants. [...]

 

Est-ce d'Érétrie que le culte égyptien s'est propagé à la ville voisine et rivale de Chalcis ? A Chalcis en tout cas les témoignages de ce culte sont un peu plus tardifs (Françoise Dunand, Le Culte D'Isis Dans Le Bassin Oriental De LA Mediterranee, Le Culte D'Isis En Grece, 1973 - www.google.fr/books/edition).

 

La momification dans l'Égypte antique s'inscrivait dans un rituel funéraire. En Égypte antique, la conservation du corps était un symbole très important. La destruction de celui-ci représentait un risque très grave. Les Égyptiens croyaient en l'immortalité. La mort, chez les Égyptiens, représentait la séparation entre le support matériel et les éléments immatériels : le ba qui correspond à la personnalité, l'ânkh qui représente le souffle vital et le ka l'énergie vitale. Il fallait donc que le ba et le ka, au réveil de sa nouvelle vie, puissent réintégrer le corps, préalablement conservé. «La momification avait comme but principal de purifier et de rendre divin le corps pour que celui-ci devienne un Osiris» (fr.wikipedia.org - Momification en Egypte antique).

 

Mathiol s'accorde bien que du Bitume seul, & du Pissasphaltum naturel & artificiel, les anciens en conseruoient & embausmoient les corps des trespassez : puis que des drogues susdi&tes les corps se peuuent embausmer & preseruer de corruption trouue il si estrange que les Poix liquides extraictes de Pin, Sapin, Pinasse, Melesse, Suye, Cyprés, Géneure, & autres ne puissent faire le semblable ; & veu aussi que luy mesme recite par authorité de Galien & de Paulus Ægineta qu'en deffaut de Bitume est requis substituer la Poix liquide. Je dis d'auantage pour maintenir le dire de Belon estre bon & valable, que Dioscoride attribue les mesmes vertus & proprietez à la Poix liquide, à la Suye, & en son huile dicte Pisseleon, qu'il fait à la Poix du Cedre ditte Cedria, à la Suye, & à son huile ditte Cedreleon. [...] Ledit Belon outre l'experience qu'il à ne l'a escrit qu'auec authorité de Dioscoride qui dit : on met la Poix liquide aux medicamens corrosifs auec grand effect. Or tels medicamens corrosifs, comme la poix liquide, le Cedria, l'Alun, le Sel, le Nitre, la Chaux, le Sandaraca, l'Orpin, la cendre grauelée, & autres semblables operent és corps vifs, avec rongement, bruslement, & mordication violence : és corps morts ils operent desseichans toutes les humiditez du corps, pour la vertu de leur siccité & altriction. Et par ainsi on sale les corps de sel pour les dessecher & garder de corruption. Voyla que dit Galien des medicamens qu'il nomme Septica, c'est à dire, putrefians les corps vifs & dessechant les morts. Et ce qui a faict que les anciens Grecs & Latins ont donné le bruict au Cedria de conseruer les corps morts & non autres poix, ce a esté qu'il n'y auoit que les Syriens & Ægypciens qui embausmoient les Trespassez, & pour les conseruer les embausmoient de Cedria, qui est la poix liquide extraicte du Cedre du mont Liban de Syrie, duquel ils ont quantité, & point de Pins ny Pessés pour faire la poix, comme a bien noté Theophraste: Et combien que les Grecs &  Latins eussent quantité de poix & de plusieurs sortes d'arbres, & ne leur ont iamais attribué la vertu du Cedria, qui est de preseruer les corps morts : c'est que les vns les brusloient, & les autres les enterroient ; & par ainsi entre toutes les poix, il n'y auoit que la poix du Cedre, dite Cedria, qui fust en bruict vsage. Or pour retourner à nostre Momie, il faut noter qu'il y a grande difference entre celle des anciens & la nostre : car ses Squelettes & Anatomies seches & noires qui sont apportées pour le iourd'huy de Syrie & d'Æygpte pour & au nom de la vraye Momie, n'est celle des anciens, car ces corps ainsi noirs & dessechez sont falsifiez des Syriens & Ægyptiens par le souhait du gain qui prouient de la vente de celles Anatomies, ainsi bien dessechées au deffaut de ne pouuoir recouurer des corps & confitures des anciens Sepulchres. Et ne faut suiure l'opinion de la plus part de nos Medecins modernes, qui pensent que telles Anatomies entieres qu'on void à Venise, Lyon, & de la distribuées foubs le nom de Momie par toute l'Europe, ayent esté tirées des Sepulchres, ains sont corps de pauures & indigences personnes morts, lesquels apres auoir esté euentrez, sont remplis & farcis par le dedans de pissasphaltum, puis cousus: Et par le dehors, bras, iambes, & autres parties du corps & des le sommet de la teste iusques a la plante des pieds, font oingts & enduits du mesme Pissasphaltum : Puis ayant enuclopé ces corps ainsi parez d'vn vieil linçeul, les mettent cuire & secher au four, iusques a ce qu'ils cognoissent l'humidité du corps estre consommée, & le Pissasphaltum desseche. Voyla comment nous nous deuons assurer des medicaments & drogues composées qui passent par les mains de ces inhumains & Barbares Mahometains ennemis de nostre Foy & Religion, ne raschans qu'a nous decepuoir & tromper ; parquoy le Medecin Chrestien doit doresnauant aduiser & s'abstenir de faire vser par bouche de celles Momies qui se trouuent par les boutiques des drogueurs & Apoticaires, s'ils ne veulent encourir la mesme & semblable inhumanité de ceste brutalité Turquesque (Les Oeuvres de Iacques et Paul Contant pere et fils divisees en cinq traictez, Tome 4, 1628 - www.google.fr/books/edition).

 

Médecine sympathique

 

On nommait mumie «certaine liqueur odorante et de consistance de miel», recueillie dans les anciens tombeaux de l'Égypte. Au début, on ne fouilla que les sépultures des rois et des grands personnages, et alors la mumie administrée en boisson opérait des guérisons merveilleuses. Mais, onsuite on s'avisa d'ouvrir les cercueils de pauvres diables « qui estoient morts de ladrerie ou de peste, pour en tirer la pourriture cadavéreuse qui en distilloit et la vendre pour vraie et légitime mumie». (Jehan de Renou, médecin de Henri IV). Ce que voyant, les apothicaires se mirent à fabriquer de la mumie à Paris même. Le médecin Claude Dariot (1859) nous enseigne tout au long comment se préparait la mumie liquide, la mumie sèche, et aussi le produit de la pulvérisation du crâne humain, remède souverain contre l'érysipèle et la gravelle (Lyon médical, organe officiel de la Société médicale des hôpitaux de Lyon et de la Société médico-chirurgicale des hôpitaux de Saint-Etienne, Tome 69, 1892 - books.google.fr).

 

Inescation : Procédé de médecine occulte qui consistait à donner à un animal la maladie d'un homme, puis on tirait de cet animal les principes dont on faisait des préparations pour obtenir la guérison du malade. Ce terme dérive de Esca (nourriture) parce que c'était par la nourriture qu'on inoculait la maladie à l'animal. Toute la médecine Pastorienne, toute les préparations hypodermiques, en un mot, la sérothérapie tire son origine de l'Inescation. Il ne faut pas confondre ce procédé de médecine occulte avec le transfert ou la transférence, qui est tout autre chose (Ernest Bosc (1837-1913), Glossaire raisonné de la divination, de la magie et de l'occultisme, 1910 - gallica.bnf.fr, LE GRAND DICTIONNAIRE DES ARTS ET DES SCIENCES, Tome 3 : A-L, Académie des sciences (France), 1695 - www.google.fr/books/edition).

 

Le processus surtout employé par les disciples de Paracelse pour guérir les maladies fut le traitement de l'od extériorisé, ou la transplantation de la mumie . C'était ce qu'on nommait Transplantatio morborum . On se disait que l’Od (on le nommait «esprit vital» au moyen âge), pénètre par tout le corps, et qu'ainsi tous les produits expulsés du corps (appelés mumies), en sont pénétrés. [...] L'esprit vital de la mumie reste en relation avec celui du corps et on peut constater que cette relation subsiste même à distance. [...] Si l'on met la mumie en rapport avec un corps qui possède des qualités salutaires, c'est-à-dire dont l'Od peut influencer favorablement l'Od du malade, l'esprit vital malade du patient est consumé par l'esprit vital sain avec lequel il a été affilié. Toutes les méthodes de la transplantation ont pour but principal, d'abord de stimuler l'esprit vital souffrant; ce sont ensuite les différents lieux de transplantations qui décident de l'effet produit sur la mumie. On peut faire agir sur la mumie certains corps minéraux (nous rappelons ici les poudres sympathiques et l'onguent des armes, du moyen âge); on peut dessécher la mumie à l'air, on peut la brûler, la jeter à l'eau, selon que la maladie l'exige. On peut également donner la mumie comme nourriture aux animaux, ou bien la transplanter dans des arbres; en ce cas la mumie participe à la croissance des animaux ou des arbres et, par là, la force magnétigue de la mumie se détache et revient régénérée vers l'organisme malade. Les animaux et les plantes peuvent régénérer cet Od implanté en l'unissant au leur; ou bien ils l'attirent en eux, absorbent la maladie et en délivrent ainsi le malade (L'Initiation, revue philosophique indépendante des hautes études, Volumes 23-24, 1894 - books.google.fr).

 

L'od est à rapproché du pneuma de Galien.

 

Voici, par ailleurs, comment Pline, après avoir évoqué les sympathies et antipathies des plantes entre elles, ou avec les animaux, parle de celles qui réunissent et opposent diverses substances. C'est une sorte de «proto-chimie» mâtinée de cuisine. Qui plus est, cette proto-chimie sert à expliquer la médecine. (Ici, les propriétés naturelles sont désignées par le mot vis qui, en latin, signifie à la fois «force», «puissance» et «essence», soit un terme équivalent du grec dynamis, qui désigne aussi bien la «puissance» aristotélicienne que la «faculté» galénique).

 

Les choses insensibles [inanimées], même les plus petites, ont aussi leurs contraires. Les cuisiniers dégagent les viandes du sel dont elles sont imprégnées, avec de la fleur de farine et l'écorce fine du tilleul. Le sel ôte la fadeur des choses trop douces. Les eaux nitreuses ou amères sont corrigées avec de la polenta, au point qu'on les rend potables en deux heures; pour la même raison on met de la polenta dans les chausses à vin. La même propriété [vis] appartient à la craie de Rhodes et à notre argile. Voici des exemples d'affinité: l'huile emporte la poix, parce qu'elles sont l'une et l'autre de nature grasse. L'huile se mêle à la chaux, parce que toutes deux sont ennemies de l'eau. La gomme est enlevée par le vinaigre, l'encre par l'eau pure. Enfin il est une infinité d'autres sympathies et antipathies que nous aurons soin de mentionner en leur lieu. De là est née la médecine (HN, L. XXIV, 1, 3).

 

Galien lui-même a recours à cette sorte de sympathie ou antipathie entre les substances. Ainsi, il explique que les différentes parties du corps attirent l'aliment qui leur convient, de la même manière que l'aimant attire le fer, soit une «explication métaphorique» très simple de la faculté attractrice. Il y a sans doute une bonne part de «physico-chimie» empirique, voire populaire, dans l'idée que les différentes substances (et donc les différentes parties du corps) ont certaines facultés naturelles (idée qu'on retrouve dans la magie antique, mais aussi dans la pharmacie égyptienne, puis grecque). Et cette «physico-chimie» empirique et populaire se mêle aux physiques plus savantes, comme l'aristotélicienne et la stoïcienne, ou à des doctrines alchimiques, sans que la cohérence soit toujours parfaite. [...]

 

Chez Galien (et donc bien avant Descartes), les fonctions biologiques et les fonctions psychologiques ont tendance à se séparer. Seules celles-ci restent vraiment inhérentes à une âme (l'encéphalique, dite hégémonique) ; les âmes cardiaque et hépatique étant mentionnées mais sans qu'elles aient une fonction biologique bien définie. C'est dire qu'on voit s'esquisser ce qui deviendra le dualisme cartésien : une âme encéphalique chargée des opérations intellectuelles et sensori-motrices (via un pneuma psychique chez Galien, et via des esprits animaux chez Descartes), et un corps dont la physiologie échappe à toute espèce d'âme et ne dépend plus que de principes naturels (facultés naturelles chez Galien, principes mécaniques chez Descartes). On s'est beaucoup moqué des facultés naturelles de Galien (cf., chez Molière, la vertu dormitive de l'opium). C'est un peu facile, et c'est surtout ne pas voir en quoi ces facultés sont importantes dans l'histoire de la biologie et de la médecine. Elles naturalisent la vie : ce qui était effectué par l'âme et le pneuma chez Aristote, l'est maintenant par des facultés peut-être occultes et mystérieuses, mais naturelles, déterministes et indépendantes de l'âme.

 

Cette esquisse d'une physiologie non machinique a été complètement occultée par la comparaison de l'animal à une machine, qui est devenue le paradigme de la biologie mécaniste (alors qu'elle n'était qu'une métaphore et, pour Descartes lui-même, une conception provisoire). Et, comme elles n'ont jamais été développées ni par leur auteur ni par ses successeurs «mécanistes», la physiologie et l'embryologie cartésiennes sont restées séparées et inarticulées. L'animal-machine devint ainsi le paradigme de la physiologie mécaniste, et il l'est resté jusqu'à nos jours. Restait, irrésolu, le problème de sa formation.

 

«La philosophie ayant compris l'impossibilité où elle était d'expliquer mécaniquement la formation des êtres organisés, a imaginé heureusement qu'ils existaient déjà en petit, sous la forme de germes, ou de corpuscules organiques. Et cette idée a produit deux hypothèses qui plaisent beaucoup à la raison. La première suppose, que les germes de tous les corps organisés d'une même espèce, étaient renfermés, les uns dans les autres, et se sont développés successivement. La seconde hypothèse répand ces germes partout, et suppose qu'ils ne parviennent à se développer, lorsqu'ils rencontrent des matrices convenables, ou des corps de même espèce, disposés à les retenir, à les fermenter et à les faire croître. La première hypothèse est un des grands efforts de l'esprit sur les sens. Les différents ordres d'infiniment petits abîmés les uns dans les autres, que cette hypothèse admet, accablent l'imagination sans effrayer la raison. Accoutumée à distinguer ce qui est du ressort de l'entendement, de ce qui n'est que du ressort des sens, la raison envisage avec plaisir la graine d'une plante ou l'oeuf d'un animal, comme un petit monde peuplé d'une multitude d'êtres organisés, appelés à se succéder dans toute la durée des siècles. Les preuves qui établissent la division de la matière à l'indéfini, servent donc de base à la théorie des enveloppemente» (Charles Bonnet, Considération sur les corps oragnisés, 1762). [...]

 

Si ce n'est qu'une mécanisation partielle et locale du galénisme, la théorie de l'animal-machine était l'application biologique du mécanisme à la fois la plus aisée et la moins perturbatrice, tant d'un point de vue scientifique que religieux. D'un point de vue scientifique, elle s'accordait parfaitement à la mécanique galiléo-cartésienne et à la mode des automates (lesquels fournissaient une métaphore commode), et elle conservait le principe «organe-fonction» qui était le fondement de la physiologie depuis Galien. D'un point de vue religieux (car ces «mécanistes» étaient loin d'être des mécréants, un Malebranche les représente mieux qu'un La Mettrie), elle s'accordait très bien avec les thèses augustiniennes (notamment celle de la création divine, voulant que Dieu ait tout créé au début du monde), thèses que le protestantisme et le jansénisme avaient revivifiées (d'une certaine manière, la préformation est la version biologique de la prédestination). Elle s'accordait également avec la théologie naturelle du XVIIIe siècle, et elle conserva des adeptes jusqu'au début du XIXe malgré les travaux d'embryologie (notamment ceux de Caspar-Friedrich Wolff, en 1759) qui montraient son caractère fallacieux, et malgré de nombreuses critiques plus théoriques. Si bien que, finalement, c'est cette théorie de la préformation qui devint le complément embryologique de la physiologie de l'animal-machine, elle-même considérée comme le paradigme de la biologie mécaniste. Au point où nous en sommes, on est donc passé d'une autonomie de l'être vivant qui est tout entier sous le contrôle d'une âme, tant pour ce qui concerne sa biologie que sa psychologie (Aristote), à une soumission totale de cet être aux lois universelles de la mécanique pour ce qui concerne la biologie, et où seul le domaine psychologique reste sous la coupe d'une âme libre (Descartes). Ce qui équivaut à une disparition de la vie, au profit des seuls domaines physique (la substance étendue) et psychologique (la substance pensante) (André Pichot, Expliquer la vie, De l'âme à la molécule, 2011 - google.fr/books/edition).

 

Malebranche accueillit l'inclusion des germes. «Il ne paraît pas déraisonnable de penser qu'il y a des arbres infinis dans un seul germe, puisqu'il ne contient pas seulement l'arbre dont il est la semence, mais aussi un très grand nombre de semences, qui peuvent toutes renfermer dans elles-mêmes de nouveaux arbres et de nouvelles semences d'arbres, lesquelles conserveront peut-être encore dans une petitesse incompréhensible, d'autres arbres, & d'autres semences aussi secondes que les premières, & ainsi à l'infini. De sorte que, selon cette pensée, qui ne peut paroître impertinente & bizarre, qu'à ceux qui mesurent les merveilles de la puissance infinie d'un Dieu avec les idées de leurs sens & de leur imagination, on pourroit dire dans un seul pépin de pomme, il y auroit des pommiers, des pommes, & des semences de pommiers pour des siécles infinis ou presque infinis dans cette proportion d'un pommier parfait à un pommier dans sa semence» (Auguste Eymin, Médecins et philosophes, notes historiques sur les rapports des sciences médicales avec la philosophie depuis le VIe siècle avant J-C. jusqu'aux premières années du XIXe siècle, 1903 - www.google.fr/books/edition).

 

PCDP : Pars - Caput - Dogma – Pagina (Bartolomeo Castelli, Jakob Pancraz Bruno, Bartholomaei Castelli Lexicon medicum Graeco-Latinum, 1713 - www.google.fr/books/edition).

 

Bartolomeo Castelli was a 16th-century scholar known for his studies in philosophy and medicine. While teaching at Messina in 1598, he published his ‘Medical Lexicon’ which gained instant, wide-spread popularity. Castelli based his lexicon on the teachings and practices of fellow French physician Gorraeus (i.e. Jean de Gorris) (www.barnebys.fr).

 

Opera, Definitionum Medicarum libri XXIIII. Paris: Societatum Minimam, 1622. - 2 parties en un volume in-folio, (6 ff.), 716 pp. ch. 722, (1 f.); (2 ff.), 166 pp., (1 f.). Veau brun, double filet doré en encadrement sur les plats, dos à nerfs orné, tranches jaspées (reliure de l'époque). Édition estimée, dédiée à Louis XIII, des œuvres du médecin calviniste Jean de Gorris (1505-1577). Elle fut publiée par le petit-fils de l'auteur, le médecin ordinaire de Louis XIII Jean de Gorris (158.-1662). La première partie de l'ouvrage constitue les Définitions de médecine; il s'agit de l'œuvre la plus importante de l'auteur donnant la définition des termes grecs de médecine. Dans cette édition près de la moitié des définitions sont de Jean de Gorris, petit-fils de l'auteur (www.ader-paris.fr).

 

Important, d'une certaine manière, pour la diffusion de la pensée galénique fut le Lexicon medicum de Bartolomeo Castelli (Messina, 1598), qui connut de très nombreuses rééditions mises à jour et augmentées. La pensée scientifique du XVIIe siècle était donc bien équipée pour connaître et pratiquer Galien (Jean Robert Armogathe, La nature du monde, science nouvelle et exégèse au XVIIe siècle, 2007 - www.google.fr/books/edition).

 

Les causes occasionnelles sont une hypothèse imaginée par l'école cartésienne pour expliquer les rapports de l'âme et du corps ; Dieu lui-même excitant, à l'occasion des phénomènes de l'âme, dans notre corps les mouvements qui leur correspondent, et faisant naître, à l'occasion des mouvements de notre corps, les idées qui les représentent ou les passions dont ils sont l'objet ; cette hypothèse provient de la difficulté que ces philosophes trouvaient à expliquer comment les deux substances, âme et corps, pouvaient agir l'une sur l'autre (dictionnaire.sensagent.leparisien.fr).

 

Une difficulté subsistait encore, et pour joindre deux natures d'essences aussi différentes, transmettre les ordres d'une âme qui tenait les rênes du gouvernement sans sortir de son palais, plus que jamais des mandataires étaient utiles. Le cartesianisme les trouvait sans peine dans les esprits de l'ancienne physiologie. Ils devinrent les messagers dociles de l'âme et furent chargés de porter le mouvement par tout l'organisme. Au lieu des esprits naturels, vitaux et animaux, il ne resta que les esprits animaux.

 

Malebranche versait dans les causes occasionnelles, l'âme, d'après ce philosophe, ne jouant plus qu'un  éventuel. Descartes lui-même se tint à l'abri de ces exagérations. La sensation parvient à la glande pinéale sans les esprits animaux, grâce à une impression mécanique sur les nerfs, et les mouvements de la glande pinéale ébranlent les esprits. Les adversaires de cette physiologie disaient, à bon droit, que si l'âme spirituelle consent à des rapports avec les esprits animaux, qui sont de la matière, ces esprits sont inutiles, et l'âme peut tout aussi bien communiquer avec les organes. C'est ainsi que raisonna Stahl ; mais l'animisme a considérablement modifié l'âme de Descartes, quoi qu'on en ait dit.

 

Mais il n'est pas inutile de faire savoir ce que pensaient encore des esprits les galénistes du XVIe et du XVIIe siècle. L'article "pneuma" du glossaire classique de Jean Gorris, publié en 1564, et réédité par son fils en 1622 dit en réduction : Le corps humain est formé de solides, d'humeurs et d'esprits .Les esprits ne partagent pas le sort des autres substances naturelles. Ils sont les compagnons inséparables de la chaleur innée, et participent de son origine et de sa destinée. Partout où il y a de la chaleur,  se trouve aussi l'esprit. Leur association intime et indissoluble peut les faire tenir pour une seule et même chose. L'un comme l'autre s'appelle «la nature», «l'architecte», «l'âme», «ou leur instrument», le principe des actions vitales. Cet esprit est chaud, par nature, ou en raison de son commerce avec la chaleur innée. Léger et subtil, il s'insinue partout avec la chaleur, il se répend avec impétuosité. Les esprits sont les ta évoquarta, impetum facientia d'Hippocrate, serviteurs de la nature. Comme la chaleur naturelle, l'esprit est simple, mais, suivant son siège ou les actes auxquels il subvient, il se divise en trois classes très différentes. De même que chaque partie jouit d'une chaleur naturelle qui lui est propre, elle possède un esprit, qui lui est départi au début de la vie, et se renouvelle de celui qui est fabriqué par les organes principaux. Nous avons en nous autant d'esprits innés qu'il y a de natures et de chaleurs différentes. Les esprits s'alimentent à une triple source : l'esprit naturel dans le foie, l'esprit vital dans le cœur, et l'esprit animal dans le cerveau (Auguste Eymin, Médecins et philosophes, notes historiques sur les rapports des sciences médicales avec la philosophie depuis le VIe siècle avant J-C. jusqu'aux premières années du XIXe siècle, 1903 - www.google.fr/books/edition).

 

Aristote, une île

 

A la mort d'Alexandre le Grand, accusé d'impiété, Aristote déclara qu'il ne vouloit pas exposer la Philosophie à souffrir un nouvel affront. Il partit d'Athenes, & se retira à Calchis dans l'isle d'Eubée. Il y passa quelques années, & y mourut enfin de maladie, étant plus que sexagénaire (Melanges tires d'une grande Bibliotheque, Tome 13, 1781 - www.google.fr/books/edition).

 

Aristote y finit ses jours; mais je ne puis croire, sur la foi de je ne sais quelle chronique, qu'il se précipita dans l’Euripe, par dépit de ne pouvoir comprendre les causes de son reflux. L'histoire naturelle a bien assez d'un martyr dans Empédocle. Je me figure seulement que quand, accusé d'impiété par les Athéniens, Aristote choisit l’Eubée pour sa retraite, sa préférence fut déterminée surtout par les richesses apparentes et cachées de cette île, par ses mines, sa végétation, et par ses phénomènes si attrayants pour le "secrétaire et le confident de la nature". C'est ainsi que le désigne Suidas, et je n'en veux pas savoir davantage. Maintenant, je me demande si toute la science d'Aristote suffirait pour venir à bout d'une autre énigme originaire de l'Eubée, et plus difficile à deviner encore que les reflux de l'Euripe. Je veux parler de deux de ses fleuves, le Ciréus et le Niléus. «L'eau de l'un,» dit Strabon, «teint en blanc les moutons qui en boivent; l'autre les rend noirs.» Mais, comme le géographe a oublié de nous dire lequel des deux est le fleuve blanchissant, il y a risque de se tromper, sur sa foi, du tout au tout, ou, pour mieux dire, du blanc au noir. «Les bergers du pays, ajoute sérieusement Sénèque, quand ils veulent de la laine brune, savent qu'ils ont là gratis le teinturier.» A la bonne heure; mais, quant à moi, je craindrais d'autant plus de me tromper de couleur, que je viens de lire un auteur indigène, un certain Antigone, natif de Caryste même, en Eubée, lequel, dans la métamorphose opérée par les deux fleuves, substitue les femmes aux moutons. Je serais, je l'avoue, inconsolable, si, quand je commande à l'eau du Niléus ou du Ciréus une femme blanche comme Hélène, ils allaient me livrer une négresse du Congo (Marie-Louis-Jean-André-Charles de Martin du Tyrac Marcellus, Episodes litteraires en Orient, Tome 2, 1851 - books.google.fr).

nostradamus-centuries@laposte.net