Mort de Mazarin

Mort de Mazarin

 

II, 42

 

1661-1662

 

Coq, chiens, & chats, de sang seront repeus

Et de la playe du tyran trouvé mort :

Au lict d'un autre jambes & bras rompus.

Qui n'avoit peur mourir de cruelle mors.

 

"le lit d'un autre"

 

Anne d'Autriche, tous les soirs, reste en tête à tête avec lui, souvent plus d'une heure. La Cour attendait pour se retirer la fin de cette conférence dite le Petit Conseil, à la fois secrète et publique, toutes portes restant ouvertes. Il n'en faut pas davantage pour que toutes portes soient ouvertes aux commérages où les intrigues déjouées, la malignité féminine, la jalousie masculine, les ambitions déçues des deux sexes mêlent leurs venins. Un bruit rase le sol, s'enfle, emplit la Cour et la ville : Mazarin est l'amant de la Régente. C'est dans la chambre même de la Reine et jusque sur son lit une pluie de billets anonymes, parfois orduriers. Quand elle se promène dans les rues de Paris, elle entend fredonner des chansons sur le même thème. Un jour, à Notre-Dame, pendant qu'elle assiste à un service, «une bande de femmes du peuple se jette à ses pieds, criant qu'elle dissipait le bien de son pupille, qu'elle avait chez elle, un homme qui prenait tout». C'est une frénésie de haine et de mépris contre cet homme qui arrive par les femmes, bien que, d'après la rumeur publique, «il n'aime pas les femmes» (Mazarin, Auguste Félix Charles de Beaupoil de Saint-Aulaire, 1947 - books.google.fr).

 

"chats"

 

Monsieur il ne s'en faire de dire,

Il faut estendre vostre Empire

Sur ces matoux et chats fourrez

Ou desplaisir vous en aurez ("Le roi hors de page")

 

Ces matous et chats fourrés : les parlementaires. L'expression est empruntée à Rabelais, Le Cinquième Livre, XI. Cette désignation ironique et dépréciative fait allusion au costume porté par les parlementaires lors de la rentrée de la Saint-Martin et pour les cérémonies royales (lit de justice, funérailles des souverains notamment) : une robe de velours rouge doublée d'hermine (Hélène Duccini, Faire voir, faire croire, l'opinion publique sous Louis XIII, 2003).

 

Cf. I, 84 - Assassinat de Concini ordonné par le jeune Louis XIII - 1619.

 

"chiens"

 

Je ne sçaurois laisser passer votre temerité, quand vous auez voulu entreprendre sur la liberté de Messieurs du Parlement, vous auez bien manqué d'adresse en ce ren contre, vous croyez peut-estre que c'estoient des juges de la rotte de Rome, que la pourpre d’yn Cardinal éblovit, leur pourpre éclatte bien d'auantage, & vous de?iez vous ressouuenir d'vn certain mot que vous dist xnjour, Bautru, lorsque vous voyez qu'il faisoit tant d'honneur à vn Conseiller des Enquestes, & luy en demandit la raison, il vous dit, qu'il flattoit le chien qui le pourroit mordre quelque iour: Pensez-vous qu'il soit Prophete, il y a bien des chiens dans la meutte qui le prendront bien-tost aux fesses : Mais puisque nous sommes sur ce propos, que pensez-vous que le Parlement fasse de vos Conseillers qui vous ont si bien conduit, on peut bien dire, que les oublieux vous ont conduit dans le precipice, quelque bonne lanterne qu'ils ayent pû auoir, mais ils se fauveront ces matois, & vous, vous y perirez (La Lettre d'un secrétaire de S. Innocent à Jules Mazarin, [Signé C. J, 1649 - books.google.fr).

 

"Coq"

 

Le coq gaulois peut apparaître comme le maître du monde. À l'époque des guerres d'Italie, François Ier trouvé dans le coq une image qui lui a particulièrement plu, mais c'est surtout pendant le règne de Louis XIV qu'il triomphe. À Versailles, le coq est fréquemment montré, le Roi Soleil a pour attribut un coq qui salue le lever. À cette époque, le coq commence à devenir l'image de la nation. Le soleil est le roi et le coq est la nation qui entoure le roi, qui le salue, l'admire. Louis XIV demande même à Lebrun de créer un ordre français à côté des ordres doriques, corinthiens et autres, qui ferait alterner les fleurs de lys et le coq. Le projet de Lebrun est retenu et on le voit encore à Versailles dans la Galerie des Glaces (Jean-Noël Jeanneney, Le récit national: Une querelle française, 2017 - books.google.fr).

 

«On ne parle plus de la mort de Mazarin, écrivait Guy Patin dès le 9 mars ; Il est passé, il a plié bagage ! Il est en plomb, l'éminent personnage ! mais on parle de son lestament.»

 

«On dit que la Reine mère (Anne d'Autriche) n'est pas fachée de la mort de Mazarin, ni le duc d'Anjou, et que le Roi les a querelles.»

 

«Le Roi défendit, dans le Louvre, que personne n'eût à dire du mal de Mazarin. Il n'en faut donc pas parler ni en mal, de peur de déplaire au Roi, ni en bien, de peur de mentir. On commence à débiter ici des épilaphes contre lui.» (Guy Patin 15 mars 1661.)

 

L'opinion publique parut se consoler en apprenant que cet homme n'était point naturalisé Français ; cela semblait une honte de moins pour la France. Dès que Mazarin eut rendu l'âme, la reine (Anne d'Autriche) se donna un train des plus beaux et de fort beaux chevaux; elle ne s'épargna ni les fêtes, ni les pompes, ni les courses, ni les distractions de tout genre. Le roi ne garda pas longtemps le deuil et ne se fit faute, au bout d'une semaine, ni de ballets, ni de nouvelles amours. Les jésuites se réjouirent de la mort du cardinal : ils avaient à se plaindre de ce que cet incrédule les laissait faire, sans trop les aider; ils espéraient mieux de l'administration nouvelle. Ils jetèrent les hauts cris, en apprenant qu'il avait donné 400,000 livres aux théatins pour le mettre en paradis; on disait en riant qu'ils l'y auraient mis pour la moitié (Etude physiognomonique sur Anne d'Autriche et mazarin, Revue complémentaire des sciences appliquées à la médecine et pharmacie, à l'agriculture, aux arts et à l'industrie, Volume 4, 1858 - books.google.fr).

 

"jambes et bras"

 

Il en était venu par tout côté de ces Italiens, tels que les Gondi, les Alberti, Strozzi, et plus tard les Mazarini, Les pamphlets populaires s'attaquaient spécialement aux ultramontains; les parlementaires s'adressaient à la population de Paris pour la soulever contre ces étrangers qui envahissaient les palais de la reine : «Comment, Parisiens, si vous avez tant soit peu de courage, supportez-vous tels outrages ? comment pouvezvous souffrir que de tels couyons viennent vous braver ainsi ? Pardieu, tuez-les donc sans respect; jetez-les dans le feu avec toute leur race et si quelqu'un s'opposoit à votre pieux dessein, est-ce que vous n'avez pas les armes à la main ? frappez, tranchez et d'estoc et de taille, et romper bras et jambes à de telles canailles».

 

Hélas! si vous avez tant soit peu de courage,

Devez-vous, mes amis, supporter tel outrage,

Souffrir que tels coyons vous viennent ainsi braver?

Non, pardieu, vous devez sans respect les tuer,

Les jeter dans le feu, eux et toute leur race,

Punissans, valeureux, leur téméraire audace;

Et si quelqu'un s'oppose à votre saint dessein,

N'avez-vous pas hardis les'armes à la main ?

Chassez, frappez, tranchez et d'estoc et de taille,

Et rompez jambes et bras à de telle canaille (Pamphlet adressé aux Parisiens, 1611) (M. Capefigue, Richelieu, Mazarin, la fronde et le règne de Louis 14, Tome 1, 1835 - books.google.fr).

 

Guy Patin donne des inidcations sur la maladie et la mort de Mazarin, dans sa correspondance avec Falconnet.

 

"playes"

 

On se souvient de l'étrange épisode que raconte à ce propos, dans ses Mémoires, le jeune Brienne. Un jour que la reine mère était venue visiter le cardinal et lui demandait comment il se portait : «Très mal, madame», lui répondit-il en découvrant ses jambes, décharnées, livides, couvertes de taches blanches et violettes», et en ajoutant, non sans une certaine ostentation: «Voyez, madame, ces jambes qui ont perdu le repos en le donnant à l'État». «On aurait dit Lazare sortant du tombeau» (Régis de Chantelauze, Portraits historiques: Ph. de Commynes, Grand Condé, Mazarin, Frédéric II, Louis XV et Marie-Thérèse, 1887 - books.google.fr).

 

27 juillet 1660. «Son Éminence se porte mieux, mais on dit que ses jambes s'exténuent fort, undè metuenda videtur species cujusdam hydropis. (Ce qui paraît menacer de quelque espèce d'hydropisie.)... Un homme de qualité m'a aujourd'hui demandé : Les eaux de Bourbon sont-elles bonnes pour Son Éminence ? Je lui ai répondu : Comme le vin émétique au feu duc d'Orléans (Gaston, frère de Louis XIII)... Je viens d'apprendre qu'il (Mazarin) est encore pis qu'hier, tant pour sa gravelle, que pour ses hémorrhoïdes et son exténuation, tant des jambes que des cuisses, que est via ad hydropim (ce qui mène à l'hydropisie). Sur quoy je brise».

 

10 septembre. «On dit que le cardinal Mazarin est fort attristé de ce qu'on lui a prédit par son horoscope qu'il n'a plus que cinq mois à vivre (L'horoscope ne s'était trompé que d'un mois)».

 

28 janvier 1661. «Je viens d'apprendre qu'il est fort faible et que dès qu'il a mangé, sa fièvre luy redouble... il a les pieds enflés, et les jambes et le reste du corps en grande exténuation : symptômes mortels» (Etude physiognomonique sur Anne d'Autriche et mazarin, Revue complémentaire des sciences appliquées à la médecine et pharmacie, à l'agriculture, aux arts et à l'industrie, Volume 4, 1858 - books.google.fr).

 

Joie

 

L'histoire, qui n'a pas fait la moindre mention de l'oraison funèbre du Mazarin, a pris plaisir de graver, à la place, tous ces bons mots sur sa tombe. Voici ce qu'en ont recueilli Mme de Motteville et Guy Patin :

 

Enfin le Cardinal a terminé son sort!

François, que dirons-nous de ce grand personnage ?

Il a fait la paix, il est mort,

Il ne pouvoit pour nous rien faire davantage.

 

Mazarin sortit de Mazare

Tout aussi pauvre qu'un Lazare,

Réduit à la nécessité ;

Mais par les soins d'Anne d'Autriche

Ce Lazare ressuscité

Est mort comme le mauvais riche.

 

Je n'ai jamais pu voir Jules sain, ni malade;

J'ai reçu mainte rébuffade,

Dans sa salle et sur le dégré.

Mais enfin je l'ai vu dans son lit de parade;

Et je l'ai vu fort à mon gré.

 

C'est le commencement d'un rondeau que Miron fit courir dans Paris, à la mort du cardinal de Richelieu (Voyez Lettre à Belin, du 15 mai 1643).

 

Julius occubuit tandem; res mira, tot inter

Carnifices, furem vix potuisse mori.

 

TRADUCTION:

 

Jules entin est mort, ce dont je ne le blâme;

Mais je m'étonne, à ce propos,

Qu'entre les mains de neuf à dix bourreaux

Un brigand ait eu tant de mal à rendre l'âme.

 

Occidit miserum stibii repetita ministrum

Potio : quàm felix hæc medicina fuit!

 

TRADUCTION :

 

Quand l'Éminence Mazarine,

Eut pris l'antimoine deux fois,

Il n'en fut pas besoin de trois :

Quelle excellente médecine !

 

Enfin, et c'est celle que l'on a le mieux retenue :

 

Cy gist l'Éminence deuxième,

Dieu nous garde de la troisième !... (Etude physiognomonique sur Anne d'Autriche et mazarin, Revue complémentaire des sciences appliquées à la médecine et pharmacie, à l'agriculture, aux arts et à l'industrie, Volume 4, 1858 - books.google.fr).

 

Pour l'antimoine : cf. II, 37.

 

"cruel mors" : morsure

 

"Elle guarist de la dent serpentine / Le mors cruel" (Belleau, Pierres précieuses, Pierre sanguinaire, II, 256) (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

Les Mazarinades posent un problème à leur tour : elles tirent le burlesque vers la parodie satirique, pour ridiculiser l'adversaire. Or, la satire mord en effet, tandis que le burlesque est exempt de telles intentions méchantes, selon d'Assoucy en tout cas : «dans le païs Burlesque, au lieu que la Satyre n'a pour tout sel que sa malignité et son coup de dent, il faut que ce sel se trouve par tout, et que le bon mot se rencontre à chaque pas» (Klara Csuros, Variétés et vicissitudes du genre épique de Ronsard à Voltaire, 1999 - books.google.fr).

 

Charles Coypeau d’Assoucy, dit Dassoucy, né le 16 octobre 1605 à Paris, où il est mort le 29 octobre 1677, est un poète, mémorialiste, compositeur et joueur de théorbe français. Émule de Paul Scarron dans le genre de la poésie burlesque, il fut l'ami de Chapelle, de Cyrano de Bergerac et de Molière. Musicien voyageur, il parcourut pendant quinze ans la France et l'Italie. Son incrédulité et son goût revendiqué pour les jeunes garçons le conduisirent à plusieurs reprises en prison (fr.wikipedia.org - Charles Coypeau d'Assoucy).

 

Acrostiche : CEAQ, Ceaque

 

Dans un célèbre chapitre des Essais (II, 3), Montaigne évoque cette coutume des habitants de l'île de Céos. Loin de s'en émouvoir, il y voit l'exemple même d'une fin de vie raisonnable (Émile Durkheim, Le Suicide (Livre II), 2014 - books.google.fr).

 

Les habitants de l'ile de Céos, dans l'archipel grec, s'empoisonnaient aussitôt qu'ils avaient dépassé l'âge de soixante ans (Pierre Egiste Lisle, Du suicide, statistique, médecine, histoire et législation, 1856 - books.google.fr).

 

Aux productions de l'ile, autrefois très-lucratives, il faut joindre encore la soie et l'apprêt artificiel inventé à Céos de tissus et d'étoffes fines de cette matière, qui plaisaient beaucoup aux femmes romaines d'une époque éloignée de l'austérité des moeurs antiques. Delà les reproches sévères de Lucrèce (De rerum natura, liv. IV, vers 1118 à 1124):

 

Languent officia, atque ægrotat fama vacillans;

Unguenta et pulchra in pedibus Sicyonia rident...

Et bene parta patrum fiunt anademata, mitræ :

Interdum in pallam, ac Melitensia, Ceaque vertunt.»

 

Nous ne connaissons pas exactement la qualité de ces soieries fines presque transparentes. Varron aussi les avait citées comme un produit de cette île; c'est ce que rappelle Pline (Hist. Nat. lib. IV, sect. xx, tom. I, pag. 210, édit. de Harduin) (Peter Oluf Brondsted, Voyages dans la Grèce, accompagnés de recherches archéologiques, et suivis d'un aperçu sur toutes les entreprises scientifiques qui ont eu lieu en Grèce depuis Pausanias jusqu'à nos jours, Tome 1, 1826 - books.google.fr).

 

L'incroyable désordre des finances, pendant la minorité de Louis XIV, avait frappé de mort l'industrie et le commerce : les travaux des manufactures s'étaient arrêtés, même avant la Fronde, et ils ne reprirent peu à peu qu'au sortir de la guerre civile, en 1653. Une adresse des six corps des marchands de Paris, présentée au roi en 1654, montre que les manufactures françaises étaient dès lors en état d'envoyer à l'étranger une quantité considérable de marchandises : toiles, serges et étamines de Reims et de Châlons, futaines de Lyon et de Troyes, bas de soie et de laine de l'Ile-de-France et de la Picardie, soieries de Tours et de Lyon, castors de Paris et de Rouen, et toute espèce d'articles de mercerie, de quincaillerie et de pelleterie. C'était le commerce d'importation qui avait aidé cette reprise de l'industrie nationale; mais les résultats qui s'annonçaient d'une façon si avantageuse, trompèrent cruellement les espérances des marchands et de leurs commanditaires. Ainsi, le cardinal Mazarin eut à se repentir d'avoir écouté les conseils de Colbert, qui le poussait à favoriser la fondation de deux compagnies pour le commerce dans les Échelles du Levant et sur les côtes d'Afrique. Ces deux compagnies ne réussirent pas, et Mazarin perdit pour sa part plus de 600,000 livres. Il était assez riche de tout ce qu'il avait pris, durant huit ou neuf ans, dans ses partages secrets avec Fouquet, qui se chargeait d'écumer les finances, pour ne pas s'affliger d'une perte aussi minime, puisque sa fortune particulière s'élevait à plus de vingt-cinq millions au moment de sa mort (9 mars 1661). Le legs qu'il fit de tous ses biens à Louis XIV n'était donc qu'une restitution posthume : «Je vous dois tout, Sire, avait-il dit au roi en mourant, mais je crois m'acquitter, en quelque manière, en vous donnant Colbert.» Colbert s'empressa de justifier cette recommandation testamentaire, et Mazarin eut à peine rendu le dernier soupir, qu'il mit entre les mains du roi une somme de quatre millions comptants que le cardinal avait thésaurisés dans sa maison de Vincennes. Ce fut là l'origine de la faveur de Colbert auprès de Louis XIV (Paul Lacroix, XVIIIe siècle, institutions, usages et costumes, France, 1590-1700, 1880 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain II, 36 ("Mais ses rapines tost le troubleront").

 

La rupture ouverte de l'Espagne et de l'Angleterre fut suivie d'un traité de paix et de commerce entre l'Angleterre et la France (3 novembre 1655). On y avait stipulé la libre importation des lainages et soieries d'Angleterre en France et des lainages, soieries et vins de France en Angleterre ; l'abolition des droits d'entrée et de sortie exigés des navires dans certains ports ; l'abolition de certaines cautions exigées des négociants français en Angleterre. De part et d'autre, on devait se traiter comme les étrangers les plus favorisés (Henri Martin, Histoire de France, Tome XII, 1858 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain II, 37 - Les Angalis à Mardyck - 1658-1659.

 

La satire de Simonide de Céos aux Mazarinades

 

Dans le monde grec ancien, la satire est représentée par Archiloque, Simonide d'Amorgos, et Ménippe avec ses OEuvres mêlées de prose et de vers, imitées dans la suite, à Rome, par Varron, dans ses Satires Ménippées, et par Pétrone, dans son Satiricon; en France, au seizième siècle, par les auteurs de la Satire Ménippée (Auguste Henry, Cours critique et historique de littérature à l'usage de tous les établissements d'instruction secondaire, 1890 - books.google.fr).

 

C'est comme poète ïambique que Simonide d'Amorgos nous est principalement ou plutôt exclusivement connu, et ici même encore l'a-t-il échappé belle. En effet, pendant longtemps, les deux fragments considérables que Stobée nous a conservés, furent donnés à son homonyme de Céos, le grand lyrique. L'erreur venait d'Henri Estienne qui, le premier, dans son édition de Pindare et des huit autres lyriques (1560), imprima les ïambes en question à la suite des fragments de Simonide de Céos, comme s'ils eussent été de cet auteur. H. Estienne a rendu d'immenses services aux lettres anciennes et particulièrement aux lettres grecques, et l'on ne saurait prononcer son nom qu'avec reconnaissance. Cependant il faut bien avouer que dans l'impétuosité, la furia francese avec laquelle il publiait volume sur volume, la critique ne répondait pas toujours à la bonne volonté, ni l'honnêteté non plus, comme nous le verrons au chapitre d'Anacréon. Le grand helléniste se payait quelquefois de raisons assez légères, comme celle qu'il apportait ici-même, pour se justifier d'avoir donné les ïambes au poète lyrique plutôt qu'au poète ïambique: c'est que, disait-il, l'auteur de ces fragments était désigné sous le nom de Simonide tout court, et qu'alors c'était le plus célèbre des deux Simonides qu'il fallait entendre. Comme si du moment qu'on citait des ïambes, il n'allait pas de soi que l'auteur fùt le poète ïambographe et non pas le poète lyrique! Malgré les protestations de quelques savants contemporains, comme Fulvius Ursinus, Barthius, l'autorité qui s'attachait au grand nom d'H. Estienne l'emporta, et dans tous les recueils publiés au XVIe siècle, au XVIIe, les ïambes de Simonide d'Amorgos restèrent sous le nom de Simonide de Céos.

 

L'écho des ïambes d'Archiloque pouvait donc parfaitement se faire entendre à Amorgos. Mais, soit différence de caractère, soit effet de l'âge, soit plus probablement encore infériorité de talent, Simonide est loin de porter dans sa satire la vivacité personnelle, le trait malin, passionné d'Archiloque. Il eut à se plaindre d'un certain OrodÅ“cide et voulut se venger de lui, comme son modèle s'était vengé de Lycambé. Mais ses ïambes étaient émoussés, la pointe n'en était point trempée dans cette bile amère, dans cette «bave enragée» qui rendait mortelle la moindre piqûre d'Archiloque. Simonide n'arriva point à donner à son ennemi l'immortalité de l'infamie : OrodÅ“cide n'est point connu, tandis que Lycambé est universellement tympanisé. La vraie vocation de Simonide était ailleurs: il créa la satire générale, celle qui, laissant de côté les individus, s'en prend aux vices eux-mêmes et les attaque, pour ainsi dire, sous la forme anonyme. Des deux grands fragments qui nous restent de ce poète, l'un nous présente le premier exemple connu de ces réflexions tristes, sombres, sur la destinée de l'homme qui finiront par devenir un lieu commun, mais qui, sous la plume de Simonide, ont une frappante sincérité d'amertume (Hugène Nageotte, Histoire de la poésie lyrique grecque, Tome 1, 1888 - books.google.fr).

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