Vatel

Vatel

 

II, 55

 

1671-1672

 

Dans le conflict le grand qui peu valloit,

Ă€ son dernier fera cas merveilleux,

Pendant qu'Hadrie verra ce qu'il fallait,

Dans le banquet pongnale l'orgueilleux.

 

"valloit" : un duc de Guise fils de Françoise de Valois

 

Henri de Guise mourut le 2 juin 1664, à l'âge de cinquante ans et quelques mois, après être revenu à de meilleurs sentiments. En lui finit la branche masculine de la célèbre maison de Guise, «qui sembloit destinée à périr, du moment que la réconciliation de la royauté et du peuple eut garanti la stabilité du trône et la paix du pays.» Henri a laissé des Mémoires qui ont été traduits en plusieurs langues et qu'on peut lire avec plaisir, si non avec une entière confiance. Après la mort de Henri, le duché de Guise passa à son neveu Louis-Joseph de Lorraine, premier du nom, duc de Guise, de Joyeuse et d'Angoulême, pair de France, prince de Joinville, comte d'Aletz et de Penthièvre, né le 7 août 1650, de Louis de Lorraine, duc de Joyeuse, et de Françoise de Valois. Le nouveau duc fit, en 1667, un mariage illustre en épousant Elisabeth d'Orléans, duchesse d'Alençon, cousine-germaine du roi, l'une des princesses les plus accomplies de son temps. Les noces furent célébrées le 17 mars, dans la chapelle du vieux château de Saint-Germain, en présence de Louis XIV et de la reine. L'année qui suivit son mariage, le duc accompagna le roi en FrancheComté et fut à la prise de Dôle où il se distingua par sa brillante valeur. Il s'était avancé si loin, qu'il ne fallut rien moins que les ordres du roi pour ralentir son ardeur. Il assista, en février 1668, à la réduction de la province. Ce jeune prince qui donnait de si belles espérances fut enlevé par la petite-vérole, à l'âge de 21 ans. Il mourut à Paris à l'hôtel de Guise, le jeudi 30 juillet 1671, et fut inhumé à Joinville, dans le tombeau de ses ancêtres. Cette mort frappa toute la cour. «Les réflexions que vous faites sur la mort de Monsieur de Guise sont admirables, écrivait madame de Sévigné à sa fille, elles m'ont creusé les yeux dans mon mail, c'est là que je rêve à plaisir.» Il n'avait eu de son mariage avec Elisabeth d'Orléans qu'un fils nommé François-Joseph de Lorraine, deuxième du nom, duc d'Alençon, etc., né à Paris le 28 août 1670, quelques mois avant la mort de son père. C'est à l'occasion de sa naissance que madame de Sévigné écrivait encore à sa fille : «Conservez-vous, ma très-chère, songez que la guisarde beauté ayant voulu se prévaloir d'une heureuse couche, s'est blessée rudement, et qu'elle a été trois jours prête à mourir : voilà un bel exemple.» Le jeune prince reçut à la mort de son père le titre de duc de Guise, qu'il ne porta guère, car il mourut au Luxembourg le 7 mars 1675. Ce fut le dernier duc de Guise proprement dit. Le duché revint à Marie de Lorraine, dite Mademoiselle de Guise. Marie, née le 15 août 1615, était le huitième enfant de Charles de Lorraine, et la survivante de sa famille (Louis-Victor Pécheur, Histoire de la ville de Guise et de ses environs, Tome 1, 1851 - books.google.fr, Charles Athanase Walckenaer, Oeuvres de La Fontaine: Oeuvres diverses, Tome 2, 1823 - books.google.fr).

 

"cas merveilleux" : petite vérole

 

En faute de Colocasie, Bardane, Personate et de papier, des feuilletz d'un vieil Sixieme, qui là estoit abandonné, nous fismes nos fauls visaiges, les descoupans un peu à l'endroit des ailz, du nez, et de la bouche. Cas merveilleux. Nos petites caroles et pueriles esbatements achevés, oustans nos faulx visaiges, appareusmes plus hideux et vilains que les diableteaux de la passion de Doué : tant avions les faces guastées aux lieux touchés par lesdits feuilletz. L'un y avoit la picote [petite vérole], l'autre le tac, l'autre la verole, l'autre la rougeole, l'autre gros froncles. Somme celuy de nous tous estoit le moins blessé à qui les dents estoient tombées (Quart Livre, LII) (Oeuvres de Rabelais, collationnées pour la première fois sur les éditions originales, accompagnées d?un commentaire nouveau par MM. Burgaud des Marets et Rathery, Tome 2, 1873 - books.google.fr).

 

"cas merveilleux" peut être rapproché du "cas portenteux" du quatrain II, 76 qui est interprété en rapport avec le Grand Condé ("foudre"), gouverneur de Bourgogne.

 

"Hadrie" : Venise

 

Les Guitaut rencontrèrent Madame de Sévigné lors de l'incendie qui détruisit leur hôtel rue de Thorigny en 1671.

 

Guillaume de Pechpeyrou-Comminges, comte de Guitaut et marquis d'Époisses, est un noble et militaire français, né le 5 octobre 1626 en Quercy et mort le 27 décembre 1685 à Paris. Guillaume prend par la suite part à toutes les victoires du prince de Condé, mais est fait prisonnier à la bataille de Lens. Dès sa libération il regagne Paris, mais son protecteur est lui-même incarcéré, pendant l'épisode de la Fronde (le Grand Condé fut d'ailleurs arrêté par le grand-oncle maternel de Guillaume, François de Comminges de Guitaut). À sa libération, Guillaume retrouve sa place auprès du premier prince du sang et combat pour le compte du roi d'Espagne. C'est seulement en 1659 que de retour en France, Guitaut apporte au roi la soumission de son maître. Au reste le roi d'Espagne, reconnaissant envers Condé, exigea une amnistie totale pour le prince et ses lieutenants (dont Guitaut) (fr.wikipedia.org - Guillaume de Guitaut).

 

Vous saurez, ma petite, qu'avant-hier, mercredi [18 fĂ©vrier 1671], après ĂŞtre revenue de chez Mme de Coulanges, oĂą nous faisons nos paquets les jours d'ordinaire, je songeai Ă  me coucher. Cela n'est pas extraordinaire; mais ce qui l'est beaucoup, c'est qu'Ă  trois heures après minuit j'entendis crier au voleur, au feu, et ces cris si près de moi et si redoublĂ©s, que je ne doutai point que ce fut ici; je crus mĂŞme entendre qu'on parloit de ma petite-fille; je ne doutai pas qu'elle ne fut brĂ»lĂ©e. Je me levai dans cette crainte, sans lumière, avec un tremblement qui m'empĂŞchoit quasi de me soutenir. Je courus Ă  son appartement, qui est le vĂ´tre : je trouvai tout dans une grande tranquillitĂ©; mais je vis la maison de Guitaut toute en feu; les flammes passoient par-dessus la maison de Mme de Vauvineux. On voyoit dans nos cours, et surtout chez M. de Guitaut, une clartĂ© qui faisoit horreur : c'Ă©toient des cris, c'Ă©toit une confusion, c'Ă©toient des bruits Ă©pouvantables des poutres et des solives qui tomboient. Je fis ouvrir ma porte, j'envoyai mes gens au secours. M. de Guitaut m'envoya une cassette de ce qu'il a de plus prĂ©cieux ; je la mis dans mon cabinet, et puis je voulus aller dans la rue pour bayer comme les autres ; j'y trouvai M. et Mme de Guitaut quasi nus, Mme de Vauvineux, l'ambassadeur de Venise, tous ses gens, la petite Vauvineux qu'on portoit tout endormie chez l'ambassadeur, plusieurs meubles et vaisselles d'argent qu'on sauvoit chez lui. Mme de Vauvineux faisoit dĂ©meubler.

 

Vous m'allez demander comment le feu s'Ă©toit mis Ă  cette maison : on n'en sait rien ; il n'y en avoit point dans l'appartement oĂą il a pris. Mais si on avoit pu rire dans une si triste occasion, quels portraits n'auroit-on point faits de l'Ă©tat oĂą nous Ă©tions tous? Guitaut Ă©toit nu en chemise, avec des chausses; Mme de Guitaut Ă©toit nujambes, et avoit perdu une de ses mules de chambre ; Mme de Vauvineux Ă©toit en petite jupe, sans robe de chambre; tous les valets, tous les voisins, en bonnets de nuit. L'ambassadeur Ă©toit en robe de chambre et en perruque, et conserva fort bien la gravitĂ© de la SĂ©rĂ©nissime. Mais son secrĂ©taire Ă©toit admirable; vous parlez de la poitrine d'Hercule; vraiment celle-ci Ă©toit bien autre chose; on la voyoit tout entière : elle est blanche, grasse, potelĂ©e, et surtout sans aucune chemise, car le cordon qui la devoit attacher avoit Ă©tĂ© perdu Ă  la bataille.

 

La petite Vauvineux est Charlotte-Élisabeth de Cochefilet de Vauvineux, mariée en 1679 (voyez la lettre du 6 décembre) à Charles de Rohan, prince de Guémené, et duc de Montbazon en 1689, mourut le 24 décembre 1719, à l'âge de cinquante-sept ans. Elle avait donc neuf ans au moment de l'incendie.

 

L'ambassadeur est probablement il cavaliere Zuanne Morosini, qui donna en 1672 la relation de son ambassade à la cour de France. On conserve aux archives des Affaires étrangères les lettres de créance d'un autre ambassadeur de Venise, nommé Michieli, qui sont datées du 18 mars 1671 (M. Mommerqué, Lettres de Madame de Sévigné : De Sa Famille Et de Ses Amis, Tome 1, 1862 - books.google.fr).

François Michieli est ambassadeur de Venise en France de 1670 Ă  1674. Le logement de l'ambassadeur de Venise, chez lequel Mme de Vauvineux fit porter son mobilier, se trouvait au n° 5 : c'est l'hĂ´tel SalĂ©.

 

"banquet"

 

"pongnaler" (espagnol puñalar) = poignarder, verbe fait sur pongnal (poingnal, poignal) = poignard (Nicot à poignard, GDF et Hug) (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

La marquise de SĂ©vignĂ©, Ă  qui l’un des courtisans invitĂ©s de la fĂŞte raconte le suicide de Vatel, rapporte cet Ă©vĂ©nement dans deux de ses cĂ©lèbres lettres Ă  sa fille, madame de Grignan (lettres du 24 avril et du 26 avril) : «Mais voici ce que j’apprends en entrant ici, dont je ne puis me remettre, et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande : c’est qu’enfin Vatel, le grand Vatel, maĂ®tre d’hĂ´tel de Monsieur Fouquet, qui l’était prĂ©sentement de Monsieur le Prince, cet Ă  huit heures ce matin, que la marĂ©e n'Ă©tait point arrivĂ©e, n'a pu souffrir l'affront qu'il a vu qui l'allait accabler, et en un mot, il s’est poignardĂ©. […] Je ne doute pas que la confusion n'ait Ă©tĂ© grande ; c'est une chose fâcheuse Ă  une fĂŞte de cinquante mille Ă©cus».

 

François Vatel, ou Fritz Karl Watel, né à Tournai le 17 janvier 1631 et mort à Chantilly le 24 avril 1671, est un pâtissier-traiteur, intendant et maître d'hôtel français, issu d'une famille originaire de Suisse. Il a principalement été au service de Nicolas Fouquet, surintendant des Finances, puis du prince Louis II de Bourbon-Condé, le Grand Condé. Organisateur de fêtes et de festins d’exception au château de Vaux-le-Vicomte, puis au château de Chantilly durant le règne de Louis XIV, il est passé à la postérité pour s’être suicidé lors de la grande fête organisée par le prince de Condé en l'honneur de Louis XIV en avril 1671, parce que sa commande de poisson (pour plusieurs centaines de personnes) pour le repas du vendredi 24, jour maigre, n'était pas arrivée à l'heure prévue (fr.wikipedia.org - François Vatel).

 

Pour le dîner du vendredi 24 avril, jour maigre, et de surcroît de carême, Vatel a décidé de ne pas proposer aux invités de poissons de rivière : soit parce qu'ils sont trop communs (saumons, truites), soit parce que leur pêche au mois d'avril est trop aléatoire pour assurer le ravitaillement complet (Vatel aurait cependant pu les conserver dans un vivier comme cela se faisait déjà à l'époque). Vatel a un acheteur habituel à Dieppe, le plus grand port de pêche sur la Manche à l'époque, il avait probablement des acheteurs dans les ports du côté de la baie de Somme, notamment celui d'Ault qui a une excellente réputation, rivalisant avec Dieppe et Boulogne. Il a envoyé des émissaires dans d'autres ports, sans doute pour y acheter de la sole, du turbot et de la barbue, peut-être de la raie, du carrelet ou de la limande, espèces sédentaires et abondantes à cette saison. Des coquillages sont également cités (fr.wikipedia.org - François Vatel).

 

Cf. quatrain II, 53 pour Dieppe.

 

"orgueilleux"

 

Le sentiment de l'humiliation naît de l'orgueil, et l'orgueil se tient souvent humilié pour peu de chose; Vatel se plongera l'épée dans le sein, parce qu'il ne verra point arriver la marée à Chantilly, le jour que Louis XIV y viendra visiter M. le prince (Gaspard Jauffret, Des consolations, ou Recueil choisi de tout ce que la raison et la religion peuvent offrir de consolation aux malheureux, Tome 9, 1797 - books.google.fr).

 

Voir et ĂŞtre vu

 

C'est une page assez inattendue, qu'on rencontre parmi les dĂ©pĂŞches d'office adressĂ©es en 1671 Ă  la Seigneurie. L'ambassadeur Francesco Michieli est allĂ© Ă  Versailles, oĂą se trouve la Cour ; il y a passĂ© la journĂ©e du 12 septembre, afin de traiter des affaires courantes de sa fonction, et le marĂ©chal de Bellefonds, qu'il connaĂ®t et qui est très en sa faveur, le rencontre et l'engage vivement Ă  visiter les jardins. [...] Au cours de cette longue visite, dont la faveur exceptionnelle excite l'Ă©tonnement des courtisans, le Roi conduit son hĂ´te au bord du Canal et lui parle des bateaux qu'on y doit mettre (Pierre de Nolhac, La crĂ©ation de Versailles, 2020 - books.google.fr).

 

Dorénavant, tous les nobles n'eurent plus qu'une idée, être à Versailles, se faire voir du roi, assister à tous les actes de la vie royale. "Qui considérera, dit La Bruyère, que le visage du prince fait toute la félicité du courtisan, qu'il s'occupe et se remplit toute la vie de le voir et d'en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu fait toute la gloire et toute la félicité des saints" (Georges Lacour-Gayet, Lectures historiques, histoire des temps modernes 1610-1789, 1897 - books.google.fr).

 

Acrostiche : DAPD, dapidis de dapes

 

dapes, dapidis : menjar exquisit (Lexicon seu dictionarium in Cathalanum & Castellanum ad omnium studio forum vtilitatem conuersum, 1585 - books.google.fr).

 

Les festins (dapes) sont réservés aux rois, alors que les epulae sont le fait des individus privés. Les délices (deliciae) tirent leur nom de ce que les hommes s'en délectent et les recherchent agréablement (Étymologies de Isidore de Séville, Volume 20 : De penu et instrumentis domesticis et rusticis, 2010 - books.google.fr).

 

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