Les tentes de Sem

Les tentes de Sem

 

IX, 4

 

2106-2107

 

L'an ensuyvant descouverts par DELUGE,

Deux chefs esleus le premier ne viendra,

De fuyr ombre à l'un d'eux le refuge,

Saccagée case qui premier maintiendra.

 

"descouverts", "déluge", "esleus" et case peuvent renvoyer à l'arche de Noé : refuge.

 

Noé s'appliquant à l'agriculture, commença à labourer et à cultiver la terre, et il planta une vigne. Ayant bu du vin, il s'enivra, et parut nu dans sa tente : Cham, père de Chanaan, le trouvant en cet état, et voyant que ce que la pudeur obligeoit de cacher en son père étoit découvert, sortit dehors, et le vint dire à ses frères. Mais Sem et Japhet, ayant étendu un manteau sur leurs épaules, marchérent en arrière, et couvrirent en leur père ce qui devoit être caché. Ils ne virent rien en lui de ce que la pudeur défendoit de voir, parce qu'ils tinrent toujours leurs visages tournés d'un côté. Noé se réveillant après cet assoupissement que le vin lui avoit causé, et ayant appris de quelle sorte l'avoit traité son second fils, il dit : Que Chanaan soit maudit, qu'il soit à l'égard de ses frères l'esclave des esclaves. Il dit encore : Que le Seigneur, le Dieu de Sem, soit béni, et que Chanaan soit son esclave : que Dieu multiplie la postérité de Japhet, et qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Chanaan soit son esclave (Genèse IX) (Jean-Baptiste Bullet, Réponses critiques à plusieurs difficultés proposées par les nouveaux incrédules sur divers endroits des livres saints, Tome 1, 1835 - www.google.fr/books/edition).

 

L'élection de Japhet et de Sem

 

Si Tristan de Lascagne ne faisait que développer des conceptions somme toute traditionnelles, qui s'apparentaient par leur esprit aux propos tenus par Guillaume de Sauqueville sous Philippe le Bel, dans le courant du XVIe siècle un souffle nouveau vint animer le messianisme politique français. Tout comme en Espagne ou dans le Saint Empire, ce furent les élaborations fantasmagoriques d'Annius de Viterbe qui furent à l'origine de cette évolution. Les idées du dominicain italien exaltant les origines bibliques des divers peuples européens furent répandues en France par l'entremise de son vulgarisateur Jean Lemaire de Belges (1473-v. 1515). Celui-ci rédigea en 1509 son ouvrage Illustrations de Gaule et singularitez de Troye. qui connut au cours du XVIe siècle un grand succès de librairie. L'œuvre eut une influence considérable et contribua à former la pensée de toute une génération d'érudits et d'hommes de lettres.

 

Lemaire de Belges reprit l'idée de l'écrivain italien selon laquelle tous les peuples du continent européen constituaient une grande famille privilégiée par Dieu, car tous étaient issus de la semence de Japhet, fils aîné du patriarche Noé. Ainsi il ne s'agissait plus d'un translatio electionis du peuple de l'Ancien Testament (originaire de Sem) à celui du Nouveau (provenant de Japhet) effectué sur le tard et à un moment historique donné. S'imposait plutôt l'image d'une élection simultanée : les fils favoris du patriarche biblique, Sem et Japhet, avaient bénéficié en même temps d'une bénédiction divine qui les mettait, eux et leurs descendants, sur un pied d'égalité.

 

C'est en Guillaume Postel (1510-1581), qui applique les rêveries messianiques de Jean Lemaire de Belges à la gloire de la monarchie Très Chrétienne, que les idées développées dans Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye trouvent leur adepte le plus enthousiaste et le plus imaginatif.

 

Les fantasmagories françaises furent élaborées en premier lieu pour accroître le prestige d'un mythe de fondation qui baignait dans le surnaturel et le miraculeux – le sacre de Clovis. Le recours aux origines bibliques par Postel et ses adeptes était motivée par la volonté de reculer aussi loin que possible dans l'histoire l'alliance de Dieu avec la nation France. L'élection de Japhet et de sa primogéniture par le patriarche Noé et les évocations des lys dans la Bible préfiguraient l'ultime événement mystique que constituait l'octroi de la sainte ampoule, de la même manière que les révélations de Dieu aux Hébreux annonçaient la révélation du Christ à l'humanité. La légende exaltant la promesse de Noé à son fils aîné Japhet, ancêtre des Gaulois, mettait en valeur un mythe d'élection dénué de toute intervention sacerdotale. La filiation biblique des Gaulois s'inscrivait ainsi dans le mouvement d'émancipation de l'imaginaire politique français de la tutelle ecclésiastique, qui trouva, selon Colette Beaune, son plein épanouissement à l'époque de la guerre de Cent ans. Le patriarche biblique et son petit-fils Gomer s'imposaient sur le devant de la scène comme les premiers détenteurs du rang mystique de la France, précédant ainsi saint Denis et saint Rémi. Ce ne fut pas un hasard si les fantasmagories de Guillaume Postel jouirent d'une seconde jeunesse sous le règne de Louis XIII : le roi symbolisait le retour à l'unité catholique du royaume; il était né et baptisé dans la foi de ses aïeux; il portait l'espoir que le royaume renouerait avec sa vocation ancestrale et confirmerait son attachement aux desseins séculaires de la chrétienté romaine : l'évangélisation de la terre et la croisade. Il semble ainsi que, mis à part la période d'ébullition prophétique du règne de Charles VIII, le moment fort du messianisme politique français fut celui de Louis XIII (Alexandre Y. Haran, Le lys et le globe: Messianisme dynastique et rêve impérial en France aux XVIe et XVIIe siècles, 2016 - www.google.fr/books/edition).

 

"case" : tabernacle et typologie

 

Casa est un mot d'origine prélatine en relation avec le terme qui désignait la toile de tente chez les peuples nomades. Cette origine explique le sens de tente que casa a pris ensuite à l'époque latine. Selon A. Ferdière la casa était, à l'époque gallo-romaine, l'habitation des esclaves en dehors de la ville (Mario Rossi, Les noms de lieux du Brionnais-Charolais: témoins de l'histoire du peuplement et du paysage, 2009 - www.google.fr/books/edition, www.grand-dictionnaire-latin.com).

 

JAPHET, qui dilate, Hist. Sacr., fils de Noé, que les Hébreux & plusieurs modernes croyent être l'ainé, eut pour partage l'Europe & une partie de l'Asie. Son pere, en le bénissant, lui dit: Que le Seigneur dilate Japhet, que Japhet demeure dans les tentes de Sem, & que Chanaan soit son esclave. Gen. IX.27 (Dilatet Deus Japhet et habitet in tabernaculis Sem, sitque Chanaan servus ejus). Cette bénédiction de Noé s'accomplit littéralement, lorsque les Grecs, & après eux, les Romains, porterent leurs conquêtes dans l'Asie & dans l'Afrique, où Sem & Chanaan s'étoient établis; mais dans le sens figuré, elle avoit pour objet cette multitude innombrable de Gentils, que Dieu a appellés à la foi par la grace, & qui, d'étrangers qu'ils étoient, ont été unis & incorporés au petit nombre des Israélites fideles, pour ne faire qu'un troupeau. Japhet eut sept fils, Gomer, Magog, Madai, Javan, Tubal, Mosoch & Tiras. L'Ecriture dit qu'ils peuplerent les isles des nations, & s'établirent en divers pays, chacun suivant sa langue, sa famille son peuple. Gen. X. 5. Sous le nom disles des nations, les Hébreux entendent les isles de la Méditerranée, & tous les pays séparés par la mer du continent de la Palestine (Fortuné Barthélemy de Félice, Encyclopédie, Tome 24, 1773 - www.google.fr/books/edition).

 

Ainsi que le Messie dont elle est inséparable, l'Église est sans cesse annoncée dans l'Ancien Testament comme l'Å“uvre du Messie, comme son royaume, comme l'épouse avec laquelle il doit former une alliance éternelle. C'est elle que Noë entrevoyait déjà quand il annonçait Japhet habitant dans les pavillons de Sem; elle que Balaam semble avoir admirée à l'arrière-plan quand il disait la beauté des tentes de Jacob, des tabernacles d'Israël elle dont le Psalmiste décrit la gloire et les ornements royaux quand il chante la fille de Tyr lui apportant des présents, et ses enfants qui remplacent pour elle les ancêtres qu'elle a quittés et les peuples qui la célèbrent d'âge en âge; elle surtout qui brillait de loin aux regards émerveillés des prophètes comme le royaume du Messie dont l'attente fut la vie du peuple juif, dont l'avènement devait être sa ruine : royaume universel où tous les peuples devaient accourir pour adorer Dieu, royaume éternel qui devait durer autant que les étoiles, royaume unique formé de toutes les nations de la terre (J.V. Bainvel, Histoire du dogme, évolution des idées, Etudes religieuses, historiques et littéraires, Volume 64, Compagnie de Jésus - www.google.fr/books/edition).

 

Le substantif arménien xorš «coin, case, compartiment, repli», dans la Bible, désigne notamment les compartiments de l'arche de Noé destinés à recevoir les espèces animales (Gen. 6,14, rendant gr. "nossia") (Lazard, Grenet,Lamberterie,, Notes bactriennes, Studia Iranica, Volumes 13 à 14, 1984 - www.google.fr/books/edition).

 

"ombre"

 

Car comme l'Arche de Noé tandis que le monde perissoit par naufrage a preserué tous ceux qu'elle auoit receus : ainsi, l'Eglise de Pierre lors que le monde sera embrasé elle preseruera tous ceux qu'elle embrasse. S. Hierosme & sainct Augustin enseignent aussi le mesme. Doncques l'arche de Noé ayant esté vne vraye figure de l'Eglise de Iesus-Christ, nous pouvons former cest argument afin de prouuer la principauté d'vn chef souuerain & visible. Cette arche estoit l'ombre de l'Eglise & auoit Noé pour la regir & gouuerner : il faut donc qu'en l'Eglise qui estoit le corps de cest ombre & l'image de ceste figure nous ayons aussi vn Prince qui la regisse : autrement la figure seroit plus parfaicte que la verité, l'ombre que le corps. Car l'Arche auroit la plus noble et la plus excellente forme de gouuernement qui est la monarchie laquelle seule se trouue au Royaume de Dieu, & n'auroit aucune correspondance auec l'Eglise, son corps neantmoins & son image. Et qui auroit-il de semblable ? quelle conuenance, voire mais quelle chose y auroit-il en l'Eglise qui fust digne d'estre parangonnce à la forme de gouuernement dont l'Arche estoit regie durant le deluge ? He quoy ! ceste Arche qui estoit figure de l'Eglise aura elle esté conduitte d'un seul pere de famille & l'Eglise de Iesus-Christ qu'elle signifioit n'aura-elle pas aussi vn chef pour la gouuerner ? En l'Arche sept personnes tant proches, meres & enfans, maris & femmes auront-elles eu vn chef; & en l'Eglise de la loy de grace, tant de sortes de personnes espars, en toutes les contrées du monde esloignees de tant de lieues, separez par vne si grande distance de Mers & de terres, tant dissemblables en moeurs, tant contraires en humeurs, gouuernez par des loyx humaines si diuerses & repugnantes, n'en auront elles point ? Concluons donc, puis que l'Arche à esté vne vraye figure de l'Eglise & que Iesus-Christ les a toutes accomplies, que comme elle auoit vn chef visible, aussi il est necessaire qu'il en ayt laissé vn en son Eglise (Charles Du Mansel, La principauté de Sainct Pierre et des Papes ses successeurs, prouvée par les figures & Propheties anciennes accomplies par Jésus-Christ, 1605 - www.google.fr/books/edition).

 

Acrostiche : LDDS, Lyddas (en allemand) ou Lydde

 

La ville de Lydda, qui appartenait à la tribu de Benjamin, a été rebâtie par les Benjamites après la captivité. Son premier nom, Lud, qui vient de l'hébreu, s'est conservé dans sa dénomination actuelle : les Arabes l'appellent encore aujourd'hui Loudd. Sous les Grecs et les Romains, elle s'appelait Lydda et Diospolis. Josèphe dit que de son temps Lydda n'était qu'un bourg, mais qu'il était aussi grand qu'une ville. Il en est parlé au livre II des Paralipomènes (VIII, 12), au livre d'Esdras (II, 33), dans Néhémie (XI, 35), dans le livre Ier des Machabées (X, 30, 38; XI, 33) et dans les Actes des Apôtres, à l'occasion de la guérison d'Énée le paralytique par saint Pierre. Témoins de ce miracle, tous ceux qui habitaient à Lydda et à Sarona se convertirent au Seigneur et y formèrent la première communauté chrétienne on croit que Zéno, un des soixante-dix disciples de Notre Sauveur, et dont parle saint Paul (ad Tit. III,12-13), a été le premier évêque de cette ville. Lydda fut réduite en servitude par Cassius, quarante-cinq ans après Jésus-Christ; elle recouvra sa liberté après la bataille de Philippes; mais ce ne fut que pour peu de temps. Le proconsul Cestius marchant sur Jérusalem tomba sur la ville de Lydda, et la réduisit en cendres, pendant que les habitants étaient allés à Jérusalem pour la fête des Tabernacles, n'y ayant laissé qu'une garnison de cinquante hommes. La ville fut rebâtie, Vespasien s'en empara deux ans plus tard, c'est-à-dire l'an 68 de notre ère. Après la destruction de Jérusalem, Lydda fut pendant quelque temps, avec Jabné, le centre de la science talmudique, qui ensuite fut transporté à Sephoris et à Tibériade. Jérusalem étant devenu une ville païenne sous le nom d'Ælia Capitolina, la ville de Lydda eut également son temple de Jupiter et s'appela alors Diospolis.

 

Saint Georges, né à Lydda, fut martyrisé sous Dioclétien, à Nicomédie, où il était en qualité de tribun militaire et de comte de l'empire. Il est en grande vénération en Orient, et les croisés le choisirent pour un de leurs patrons.

 

Selon les auteurs arabes, c'est à Lydda que sera tué l'Antechrist. mais, selon l'opinion la plus commune, ce sera sur la montagne des Oliviers. Nous nous trouvons dans la tribu de Dan, d'où l'Antechrist doit sortir, ainsi que le pensent plusieurs Pères de l'Église. Les succès de l'Antechrist seront prodigieux; il ne se contentera pas de pervertir et de conquérir les âmes, il aspirera à la souveraineté du monde, et il renversera par la violence tous ceux qui s'opposeront à son empire. L'opinion commune est celle que saint Irénée exprime ainsi : «L'Antechrist, au temps de son règne, aura le siége de son empire à Jérusalem, où il s'assiéra dans le temple de Dieu.» (Adv. hær., 1. V, c. XXV). Il établira une religion nouvelle et formera un empire antichrétien. Alors commencera la grande persécution contre le christianisme. Cette persécution sera la plus cruelle de toutes, et elle sera universelle.

 

L'Antechrist alors, comme Simon le Magicien, voudra aussi s'élever dans les airs; il montera sur la montagne célèbre et sainte (c'est-à-dire la montagne des Oliviers, selon plusieurs Pères), il sera précipité et il ne se trouvera personne pour le secourir. Alors Dieu fera descendre du ciel un feu qui dévorera ses ennemis, et le démon qui les séduisait sera jeté dans l'étang de feu de soufre où la bête et le faux prophète seront tourmentés dans les siècles des siècles (Jacques Mislin, Les Saints Lieux, Tome 2, 1876 - www.google.fr/books/edition).

 

Typologie

 

Le report de 2107 sur la date pivot -3044 donne -8195; sur 1509 (fresque du déluge) 913.

 

Cf. la typologie du quatrain précédent IX, 3 avec les "impudiques" Mazorie et Théodora ainsi qu'avec Michel-Ange et ses fresques de la chapelle sixtine.

 

Francesco della Rovere, plus connu sous le nom de Sixte IV, fut le pape qui fit construire la Sixtine entre 1477 et 1483 et, nous l'avons vu, l'oncle de Jules II. Offert à Dieu dès l'âge de 9 ans comme oblat au couvent Saint-François de Savonne, sa ville natale dans laquelle son père était marchand de drap, il gravit les échelons de la hiérarchie franciscaine pour en finir Ministre général avant d'accéder à la papauté en 1471. Outre l'aménagement de la Sixtine et la fondation de sa célèbre chorale, il agrandit la bibliothèque vaticane, qui accueillera entre autres les manuscrits anciens récupérés après la chute de Constantinople, et il restaure de nombreux édifices religieux, construisant un aqueduc et un pont, finançant ses projets en taxant lourdement les très nombreuses prostituées et les prêtres de la ville ayant une concubine (Pierre Lemarquis, L'Empathie esthétique: Entre Mozart et Michel-Ange, 2015 - www.google.fr/books/edition).

 

Le saccage de la "case" ou "tentes de Sem" marquerait la persécution antéchristique des Eglises, par une force extérieure ou par elles-mêmes du fait de leur ambigüité. Si les 27 ans de la guerre de l'"Antechrist trois" du quatrain VIII, 77 commencent à sa date associée on arrive à 2113-2114, ou à celle du VIII, 70 à 2108-2109.

 

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