Saint Omer et la mort de Charles le Téméraire

Saint Omer et la mort de Charles le Téméraire

 

IX, 81

 

2163

 

Le roy rusé entendra ses embûches,

De trois quartiers ennemis assaillir,

Un nombre estrange larmes de coqueluche,

Viendra Lemprin du traducteur faillir.

 

"Roy rusé"

 

Le "rusé Louis XI" disoit que «qui nescit dissimulare, nescit regnare» (François Eudes de Mézeray, Histoire de France, depuis Faramond jusqu'au regne de Louis Le Juste, Tome 2, 1685 - books.google.fr).

 

"trois quartiers" : Saint Omer

 

Le 5 janvier 1477, la mort de Charles le TĂ©mĂ©raire devant Nancy devient pour Louis XI le signal d'une invasion dans les États de son ennemi : hĂ©ritier naturel du duchĂ© de Bourgogne, proprement dit, puisque c'Ă©tait un fief masculin et que le duc ne laissait qu'une fille, il songe Ă  rĂ©unir Ă  la couronne toutes les autres parties de l'immense domaine de Charles ; mais les Flamands s'effrayent Ă  l'idĂ©e d'une incorporation avec la France; ils se soulèvent et commencent par mettre Ă  mort tous les agents que Louis XI entretient dans le pays (C. MulliĂ©, Fastes de la France, Tome 2, 1859 - books.google.fr).

 

Maximilien avait dĂ©jĂ  adressĂ© au roi de France un manifeste oĂą il se plaignait de la violation des trĂŞves et oĂą il l'accusait d'avoir envahi, contre tout droit et toute justice, les Etats de Marie de Bourgogne. En aoĂ»t 1477, Louis XI se trouvait devant Saint-Omer : il avait fait menacer le sire de Beveren, qui dĂ©fendait vaillamment cette importante forteresse, de mettre Ă  mort son père le grand bâtard de Bourgogne s'il ne lui en ouvrait les portes. «Certes, j'ai grand amour pour monsieur mon père, avait rĂ©pondu le sire de Beveren, mais j'aime encore mieux mon honneur.» Louis XI eut alors recours Ă  un traĂ®tre, qui lui promit de mettre le feu dans trois quartiers de la ville, sans parvenir Ă  exĂ©cuter son projet. Les succès de ses armes semblaient toucher Ă  leur terme : sa flotte avait Ă©tĂ© dispersĂ©e par les navires de Ter Vere et de l'Ecluse, qui avaient prĂ©cipitĂ© dans les flots tous les transfuges qu'ils y avaient dĂ©couverts. Un autre traĂ®tre, le sire de Chimay, Philippe de Croy, qui avait prĂ©cĂ©demment livrĂ© BĂ©thune aux Français, avait Ă©tĂ© fait prisonnier près de Douay et conduit Ă  Bruges, quoiqu'il offrĂ®t une rançon de trente mille couronnes. Au mĂŞme moment, le landgrave de Hesse rejoignait, avec ses reĂ®tres allemands, l'armĂ©e rĂ©unie au Neuf-FossĂ©, qui avait vu toutes les populations voisines se rallier sous ses bannières. Les Flamands, irritĂ©s des dĂ©vastations commises par les chevaucheurs français, dont les excursions s'Ă©tendaient jusqu'aux portes d’Ypres, se prĂ©paraient Ă  aller chercher les ennemis pour les forcer Ă  livrer bataille dans ces plaines oĂą reposaient sous le gazon tant de vaillants compagnons d'armes de Robert le Frison, de Guillaume de Juliers et de Nicolas Zannequin. Louis XI l'apprit: il n'avait jamais Ă©tĂ© disposĂ©, depuis la journĂ©e de MontlhĂ©ry, Ă  compromettre dans un combat de quelques heures le rĂ©sultat des intrigues de plusieurs annĂ©es, et après avoir vainement cherchĂ© Ă  incendier quelques moissons Ă©chappĂ©es au zèle de ses faucheurs, il donna l'ordre Ă  tous les siens de rĂ©trograder jusqu'Ă  TĂ©rouane, et se retira lui-mĂŞme dans cette abbaye de Notre-Dame de la Victoire, que l'un de ses ancĂŞtres avait fondĂ©e en mĂ©moire de la bataille de Cassel (Joseph Bruno Marie Constantin Kervyn de Lettenhove, Histoire de Flandre: 1700 avant J.-C. -1500 après J.-C., Tome 4, 1874 - books.google.fr).

 

"traducteur"

 

Vasco de Lucena, devenu Vasque de Lucène, né vers 1435 au Portugal dans le diocèse de Coïmbre, mort le 31 décembre 1512 à Louvain, est un lettré portugais qui devint homme de cour dans les Pays-Bas bourguignons, traducteur et diplomate (fr.wikipedia.org - Vasque de Lucène).

 

Vasque de Lucène est connu comme traducteur. D'une part, on lui attribue sans certitude une traduction en portugais, intitulée Vida e feitos de Julio Cesar, de la biographie de Jules César en ancien français appelée Li Fet des Romains ; connue par un seul manuscrit conservé à la bibliothèque de l'Escorial, elle est antérieure à 1466 (fr.wikipedia.org - Vasque de Lucène).

 

Cf. VIII, 33 - François II, marquis de Mantoue - 2054.

 

"coqueluche" : chaperon

 

La cuculle couvroit la tête, & on l'appelloit cappa ou chaperon ; mais la mélote étoit une espece de manteau avec un chaperon (Augustin Calmet, Commentaire Litteral, Historique Et Moral, Sur La Regle De Saint Benoît, Tome 2, 1734 - books.google.fr).

 

Pour "coqueluche" provenant du latin cucullus voir VIII, 33 - François II, marquis de Mantoue - 2054.

 

Vasque de Lucêne traducteur de la Cyropédie pour le duc de Bourgogne avait une autre ambition que de complaire à son prince en approuvant ses gestes et ses penchants (fol. I). Son livre, qui donne plusieurs enseignements à tout prince (fol. 6), doit être bien agréable aux seigneurs et aux sujets. car il montre comment joindre et unir les seigneuries par amour et obéissance (fol. 8). Alors que le Téméraire, au comble de la gloire, rêvant de constituer un royaume ininterrrompu des bouches de l'Escaut à la Méditerranée, se séparait avec éclat de son suzerain Louis XI, Vasque de Lucène ramenait son attention vers un problème toujours alarmant, ses relations avec ses propres états; il l'engageait "amer ses nobles et loyaulx subgietz et... se faire d'eux amer, en captant sur toutes les choses leur amour et benivolence" (fol. 6). […]

 

Depuis la bataille de Montlhéry (1465), Charles le Téméraire n'ôtait plus son chaperon quand on parlait du roi de France, mais "se tenoit esgal" à lui. (Ph. Wielant, op. cit., f. IV, p. 53). En mal et juin 1469, mois passés en festivités et en tournois à Gand, au château de Ten Walle, Charles se déclarait "l'ennemy capital du roy de France" (V. Fris, Histoire de Gand, Bruxelles, 1913, p. 142). A Saint-Omer, lors de l'audience du 15 juillet 1470, devant ses ambassadeurs et toute la cour il s'écria à l'adresse de Louls XI du haut de son "pompeux et riche trône" : "Entre nous, Portugalois, nous avons une coustume devers nous que, quand ceux que nous avons tenus a nos amis se font amis a nos ennemis, nous les commandons à tous les cent mille diables d'enfer" (G. Chastellain, éd. citée, t. V, P. 453). R. Bossuat a montré que la traduction des Commentaires de César par Jean Duchesne (1472-1474) est une œuvre de circonstance, composée pour le Téméraire en un moment critique, dans le dessein d'appuyer sa politique et de combattre l'hostilité de l'opinion. Le traducteur tentait de calmer les murmures qui commençaient à s'élever dans la population des villes flamandes (Danielle Gallet-Guerne, Vasque de Lucène et la cyropédie à la cour de Bourgogne, 1470, 1974 - books.google.fr).

 

"Lemprin" : "je l'ay emprins", devise du Téméraire

 

S'il mit Ă  profit, dans l'histoire de Cyrus, la doctrine politique et la science militaire, le duc Charles n'entendit pas la leçon d'humaine sagesse qu'elle contient. Cyrus recherche sans cesse la volontĂ© des dieux pour y conformer sa conduite. et l'interprète directement ; avant toute dĂ©marche il consulte les oracles, examine les prĂ©sages,  ausculte le destin. "Il n'oubioit pas qu'il estoit homme" (L. V. fol. 387). Le duc "mesprisoit tout autre conseil du monde sauf le sien seul. Ses pensees estoient grandes, mais nul homme ne les sçavoit mettre a fin" (Philippes de Commines, MĂ©moires). Les jours de bataille, son âme semblait "enfermĂ©e dans une armure de fer". Ni les pèlerinages et les actes de piĂ©tĂ©, ni le recours Ă  l'astrologie ne lui apprirent Ă  se soumettre Ă  la rĂ©alitĂ©, Ă  contourner les obstacles, Ă  bien peser ses ahanĂ©es. Sa devise "je l'ay emprins" exprime son ambition, comme le surnom de "TĂ©mĂ©raire" que lui donna la postĂ©ritĂ©. A son maitre Jehan Spirinek, grant et expert astrologue en ce temps, qui lui fit savoir que "s'il allait sur les Suisses, comme il Ă©tait dĂ©libĂ©rĂ© faire, il lui en prendrait mal", il rĂ©pondit que "la fureur de son Ă©pĂ©e vainquerait le cours du ciel". Mot sacrilège dans la bouche d'un preux chevalier, mais oĂą s'exprime dĂ©jĂ  une conscience nouvelle, celle qu'un prince de la Renaissance prenait de lui-mĂŞme, confrontĂ© a valeurs paĂŻennes. Il pourchassait la chimère d'ĂŞtre un autre Alexandre dit son contemporain Laurent le Magnifique. Et Philippe de Commynes : "il desiroit grand gloire, qui estoit ce qui le mettoit plus en ses guerres que nulle autre chose, et eust bien voulu ressembler a ces anciens princes dont il a estĂ© tant parlĂ© après leur mort". La gloire qu'il attendait, c'Ă©tait l'apothĂ©ose rĂ©servĂ©e dans leur vie aux conquĂ©rants heureux et qui leur assure le triomphe sur la mort. Cyrus disait que "le travail du prince se rend plus ligier par gloire et par honneur, comme il sache que faine et mange des choses par leur faictes accompagneront ses labeurs au temps futur" (L. I, fol. 79). Mais cette gloire n'est que le rayonnement de sa valeur intime"et se confond avec son "honneur" de chevalier. "Chascun demandera que luy doyez en tout ressembler, lui dit Vasque de Lucène en lui offrant l'exemple de Cyrus, non mye es choses ligieres et communes, mais es vertus hĂ©roĂŻques, royales et tres parfaites, lesquelles prye a Nostre Seigneur qu'il vous veulle octroyer (Prologue, fol. 8-9). Ici la pensĂ©e chrĂ©tienne et la tradition antique se rejoignent. Tout ambigu qu'il fĂ»t, ce dĂ©sir d'hĂ©roĂŻsme et de gloire Ă©tait profond chez le TĂ©mĂ©raire, qui confia un jour Ă  l'ambassadeur de Milan mieux aimer mourir en combattant avec honneur que survivre Ă  une dĂ©faite (Danielle Gallet-Guerne, Vasque de Lucène et la cyropĂ©die Ă  la cour de Bourgogne, 1470, 1974 - books.google.fr).

 

Acrostiche : Ă  l'envers VVDL ou WDL, Wasco da Lucena

 

Vasco, Wasco, en langue basque, signifie homme, dit le dictionnaire de Laramandi (Ă©dition de 1743, sous ce titre pompeux : El imposible vincido, arte della lingua Bascongada, imprimĂ© Ă  Salamanque) (Jules Michelet, Histoire de France, Tome 1, 1834 - books.google.fr, M. Stickler, Der Dekretist Willielmus Vasco und seine Auschauungen ĂĽber das Verhältnis der beiden Gewalten, Études d'histoire du droit canonique, Tome 1, 1965 - books.google.fr) ?

 

Typologie

 

Le report de 2163 sur la date pivot 1477 donne 791.

 

Dans l'Historia succina, André de Marchiennes reprit pour les comtes de Flandre l'ébauche amorcée dans les Genealogiae Aquicinctinae, tout en interpolant à son texte primitif des éléments venus de la Flandria generosa. Or, dans sa présentation de la fondation du comté, ce texte composé à Saint-Bertin se démarquait de la tradition inaugurée à Saint-Pierre de Gand et confirmée dans le Liber Floride de Lambert de Saint-Omer, qui avait «inventé» un premier maître de la Flandre à travers le personnage de Lidéric comte d'Harelbeke fondant le pays de Flandre quasiment ex nihilo en 792. Afin de rappeler aux comtes de la dynastie d'Alsace la fonction de nécropole dynastique de leur monastère, les moines de Saint-Bertin avaient choisi de délaisser la figure de Lidéric et d'exalter celle de Baudouin Bras-de-Fer dont ils possédaient la sépulture. C'est donc cette version qu'adopta André de Marchiennes puisqu'il plaça la fondation du comté à l'époque de Charles le Chauve et qu'il fit de Baudouin Bras-de-Fer, réconcilié avec le roi carolingien après le rapt de Judith, le premier comte de Flandre. Mais, dans la notice élaborée par André, avant ce premier comte, la Flandre avait été gouvernée par des « forestiers des rois des Francs » (Isabelle Guyot-Bachy, La Flandre et les Flamands au miroir des historiens du royaume (Xe-XVe siècle), 2017 - books.google.fr).

 

La prĂ©occupation dynastique de Marie, fille de Charles le TĂ©mĂ©raire, est Ă©galement manifeste dans ses autres commandes, notamment dans la sĂ©rie des comtes de Flandre. Nous ignorons si le programme iconographique de cette gĂ©nĂ©alogie a Ă©tĂ© entièrement copiĂ© ou s’il fut modifiĂ© au cours de l’exĂ©cution des panneaux. Nous ne savons pas non plus si Marie elle-mĂŞme s’est engagĂ©e dans l’exĂ©cution de cette Ĺ“uvre, mĂŞme si certains Ă©lĂ©ments nous le laissent penser. Sur le premier panneau, Marie est reprĂ©sentĂ©e Ă  genoux devant la NativitĂ©. Derrière elle, un ange tient ses armes de mariage, Autriche et Bourgogne. Dans la partie infĂ©rieure sont reprĂ©sentĂ©s le pape Adrien Ier, Charlemagne et LydĂ©ric de Harelbeke, exprimant ainsi la continuitĂ© de la succession des pouvoirs de «grand forestier» jusqu'Ă  Marie. Le dixième panneau est surprenant : y sont reprĂ©sentĂ©s deux couples : Charles le TĂ©mĂ©raire et Isabelle de Bourbon, les parents de Marie, en haut, Marie elle-mĂŞme, avec son Ă©poux, en bas. La position de la duchesse est remarquable : Marie est situĂ©e Ă  la droite hĂ©raldique, soit Ă  la place d’honneur, celle occupĂ©e au-dessus par son père. De plus, au lieu des armes de mariage, elle tient celles de son père, c’est-Ă -dire celles de Bourgogne. Un dĂ©tail surprend : le faucon prĂ©sent sur sa main est «transporté» du sceau. Le sceau de chasse de Marie se substitue donc aux sceaux militaires de ses ancĂŞtres tandis que son faucon remplace leurs armures et Ă©pĂ©es, devenant ainsi le symbole du pouvoir de la jeune duchesse. Marie se fait donc de nouveau reprĂ©senter dans le rĂ´le du «duc» de Bourgogne, souveraine suo jure, successeur lĂ©gitime au trĂ´ne de son père (Olga Karaskova, Le mĂ©cĂ©nat de Marie de Bourgogne : entre dĂ©votion privĂ©e et nĂ©cessitĂ© politique, Le Moyen Ă‚ge, 2011/3 (Tome CXVII) - www.cairn.info).

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