Mendosus - Ronsard

Mendosus – Ronsard

 

IX, 45

 

2136-2137

 

Ne sera soul jamais de demander,

Grand Mendosus obtiendra son Empire,

Loing de la cour fera contremander,

Pymont, Picard, Paris, Tyrron le pire.

 

Langue française et régionalisme

 

Au XVIe siècle, les grammairiens et les poètes recommandaient expressément de faire des emprunts aux dialectes Montaigne aussi, avec son bon sens ordinaire, avait dit : "C’est aux paroles à servir et à suivre ; et que le gascon y arrive, si le françois n’y peut aller" (Essais I, 25). Au grand siècle, tout change : les sévères puristes protestent vivement contre "la contagion des dialectes", et contribuent ainsia créer l’unité définitive de l’idiome français. La lutte contre les dialectes (ou patois) est surtout soutenue par Malherbe, Vaugelas et Balzac à ce dernier, tout est suspect de "gasconisme" : sur chaque mot d’un provincial, il consulte l’oreille d’un Parisien, et "peu s’en faut que la Touraine, si proche de Paris, ne lui en paraisse aussi éloignée que le Rouergue". Même Mlle de Gournay l’adversaire déclarée de Malherbe, parle sur la question des dialectes comme un disciple de Vaugelas : "Nous autres purs Francois devons destordre et redresser, non pas suivre les barragouins... Le noeud de la question, en cela, pour des gens considérez, git seulement a sçavoir si ces dictions se prononcent uniformément, non pas en Picardie, en Vendosmois, en Auvergne, en Anjou, mais a Paris et a la Cour, c’est-à-dire en France ; pour ce que un escrivain ne doit pas estre le poete angevin, savergnac, vendosmois ou picard, ouy bien le poète français". On constate pourtant l’adoption d’un certain nombre de mots patois. Exemples : aubergine, avalanche (suisse), batinde, bécharu, brique-bois, bercail, bourrique, brandade, cabrer, calumet, cargaison, chat, chalet (suisse), charade, chavirer, claque, crétin (suisse), crevette, dame-jeanne, espadrille, flaque, galoubet, gimblette, hercher, nougat, ortolan, pecque, etc. (Kristoffer Nyrop, Grammaire historique de la langue française, Tome 1, 1914 - books.google.fr).

 

Marie de Gournay Écouter (née Marie Le Jars), née le 6 octobre 1565 à Paris et morte le 13 juillet 1645 à Paris, est une femme de lettres française des XVIe et XVIIe siècles et «fille d’alliance» de Michel de Montaigne, dont elle publia en 1595 la troisième édition des Essais, augmentée de toutes les corrections manuscrites du philosophe (fr.wikipedia.org - Marie de Gournay).

 

Vendosme

 

Mendosus est Ă©crit Vendosme, (par un anagrammatisme).

 

Chavigny a mis en évidence les quatrains où son idole parlait de la victoire de "Mendosus" (Vendosme) sur (les) "Norlaris" (Lorrains) (Jean Paul Barbier, Ma bibliothèque poétique, 1973 - books.google.fr).

 

Dubellay est Angevin, Ronsard Vendomois, enfin Rabelais est Tourangeau.

 

Pierre de Ronsard est un Gentilhomme du Vendômois, né dans le Château de la Poissonnière, au Village de la Couture en la Varenne du bas Vendômois, le Samedi onzième jour de Septembre de l'an 1524, mort le vingt-sept Décembre dans son Prieuré de saint Cosme lès Tours, dans la chambre du fameux Berenger l'an 1585. Ronsard possédé encore aujourd'hui le titre de Prince des Poètes François qui ont paru jusqu'à Malherbe (Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs. Par Adrien Baillet. Revûs, corrigés, & augmentés par M. de la Monnoye de l'Académie françoise, Tome IV, 1722 - books.google.fr).

 

BĂ©renger de Tours (Beringerius Turonensis) (nĂ© en 998 Ă  Tours - mort en 1088) Ă©tait un thĂ©ologien français du Moyen Ă‚ge, dont les idĂ©es furent condamnĂ©es pour hĂ©rĂ©sie par le concile de Tours de 1050, Ă  l'occasion duquel elles furent rĂ©futĂ©es par Lanfranc du Bec. Sa doctrine eucharistique, fondĂ©e sur une lecture de Ratramne de Corbie qu’il confond avec Jean Scot Érigène, met en cause la « prĂ©sence rĂ©elle Â» et le rĂ©alisme eucharistique tel que le comprennent ses contemporains Ă  la suite de Paschase Radbert. Son enseignement entraĂ®ne une controverse eucharistique avec Adelman, Ă©colâtre de Liège, Abbon de Fleury et Lanfranc. DĂ©noncĂ© comme hĂ©rĂ©tique en 1050 au concile de Tours, Ă  la suite duquel il est condamnĂ© par le pape LĂ©on IX, parce qu'il niait la «prĂ©sence rĂ©elle». Il est par la suite Ă  nouveau condamnĂ© par les conciles de Rome et Verceil et contraint en 1059 Ă  professer une formule de foi eucharistique rĂ©digĂ©e par Humbert de MoyenmoĂ»tier. CondamnĂ© par pas moins de quatorze conciles, il ratifie une nouvelle profession de foi en 1079 au concile de Rome, Ă©crite par Guitmond, ÉvĂŞque d'Aversa. ExilĂ© sur l’île Saint-Cosme (ancienne Ă®le en aval de Tours aujourd'hui rattachĂ©e Ă  la rive gauche de la Loire Ă  hauteur de La Riche) Ă  la demande du pape GrĂ©goire VII, il meurt en paix avec l’Église Ă  l’âge de 90 ans (fr.wikipedia.org - BĂ©renger de Tours).

 

En latin, "mendosus" signifie défectueux. L'école de Malherbe trouvera dans la poésie de Ronsard beaucoup de défauts, ce qui peut indiquer la date de rédaction de ce quatrain.

 

Un jugement de Chapelain est éclairant à cet égard. Dans une lettre à Balzac datée de 1640, il expose sa conception de la poésie ronsardienne : Ce n'est pas que je ne lui trouve bien des défauts hors de ce feu et de cet air poétique qu'il possédait naturellement, car on peut dire qu'il était sans art et qu'il n'en connaissait point d'autre que celui qu'il s'était formé lui-même [...] galimatias, barbarismes et paroles de grimoire [...] vers étranges et inintelligibles [...] défaut de jugement [...] c'est un maçon de poésie et il n'en fut jamais architecte (Prosper Blanchemain, Pierre de Ronsard, Causeries du lundi, Volume 12, 1857 - books.google.fr).

 

"soûl"

 

Ja du prochain hyver je prevoy la tempeste,

Ja cinquante et six ans ont neigé sur ma teste,

Il est temps de laisser les vers et les amours,

Et de prendre congé du plus beau de mes jours.

J'ay vescu, Villeroy, si bien, que nulle envie

En partant je ne porte aux plaisirs de la vie;

Je les ai tous goustez, et me les suis permis

Autant que la raison me les rendoit amis,

Sur l'eschaffaut mondain jouant mon personnage

D'un habit convenable au temps et Ă  mon age. [...]

 

Pour néant la prudence est guide des humains :

L'invincible destin luy enchesne les mains,

La tenant prisonnière, et tout ce qu'on propose Sagement,

la fortune autrement en dispose.

Je m'en vais soûl du monde ainsi qu'un convié

S'en va soûl du banquet de quelque marié... (Ronsard, Amours diverses, dédié à Villeroy)

 

Ainsi Ronsard [à 56 ans, il mourra 5 ans plus tard)] évoquait son époque pleine de frénésie, sa propre existence, remplie de la vision des peuples et des rois, quand la France semblait arrivée à ses derniers jours, tant de guerres, de débats, d'accords conclus et rompus (Pierre Champion, Ronsard et son temps, 1925 - books.google.fr).

 

Tyron

 

Philippe Desportes Ă©toit natif d'Angers ; il fut Chanoine de la Sainte Chapelle, & eut beaucoup de part aux bonnes graces de Henri III ; il s'attacha Ă  ce Prince dès le tems qu'il Ă©toit Duc d'Anjou ; il le suivit en Pologne. Lorsque Henri fut sur le TrĂ´ne, il donna Ă  Desportes les Abbayes de Tiron, de Josaphat, de Vauxcernay & de Bonport. Il faisoit assez bien des vers, qui cependant se trouvent aujourd'hui confondus avec les mĂ©diocres productions de son tems. Henri III lui donna une très grosse somme d'argent pour mettre ses Ouvrages sous presse. L'Amiral de Joyeuse lui donna une Abbaye de dix mille livres de rente pour un Sonnet. Après la mort de Henri III il se jetta dans le parti de la Ligue, ce qui fut cause qu'il fut privĂ© du revenu de ses BĂ©nĂ©fices, & qu'il se retira auprès de l'Amiral de Villars, qui lui donna sa table & sa confiance : fâchĂ© de ne pas jouir de ses BĂ©nĂ©fices, il dĂ©termina Villars Ă  s'accommoder avec Henri IV. Il eut beaucoup de part Ă  ce TraitĂ©, dans lequel il mĂ©nagea très bien ses intĂ©rĂŞts ; outre la mainlevĂ©e de ses BĂ©nĂŞfices, il se fit encore donner le Fort de FĂ©camp. C'est ainsi que la plĂ»part des Ligueurs se faisoient payer du prix de leur rebellion (Richard de Bury, Histoire de la vie de Henri IV, Tome 2, 1767 - books.google.fr).

 

Desportes a pour lui la cour, les beaux esprits, les raffinés, les délicats et les mignons de Henri III. Il se rattache à l'Italie, dont il introduit dans notre langue les mélodies, les grâces, et aussi les mièvreries et les mollesses : il est le chef des Pétrarchistes plus encore que le représentant de l'école française (Ch. Lenient, La seconde renaissance française, Revue bleue: politique et littéraire, 1870 - books.google.fr).

 

"Pymont" : Piémont

 

À cette époque-là, la situation linguistique du Piémont était déjà complexe et paradoxale. Si l'italien était depuis le XVIe siècle la langue officielle de l'État savoyard, celui-ci était en réalité bilingue, l'usage du français étant officiellement reconnu en Savoie et dans le val d'Aoste. Mais, dans les faits, l'italien était à peine parlé, alors que le français, lui, était largement en usage au sein de l'élite aristocratique, qui par ailleurs, comme le reste de la population, parlait le piémontais (Rahul Markovits, Civiliser l'Europe: Politiques du théâtre français au XVIIIe siècle, 2014 - books.google.fr).

 

Le piémontais est un amalgame de français et de vieux italien, proche de la langue française comme le remarque Montaigne dans son Journal de Voyage, lors de son passage à Turin en 1581 (Bruno Villata, Les Piémontais du Québec, 2008 - books.google.fr).

 

"empire"

 

Dans l'Ode à Simon Nicolas daté de 1584, un an avant sa mort, Ronsard (le prince des poètes) écrit :

 

VoilĂ  le bien que je desire,

Sans plus en vain me tourmenter :

DĂ©sormais sera mon empire

Que savoir bien me contenter (XVII, 371)

 

No doubt it is one of the preoccupations of Ronsard's final year of life that is visible in the variant of the last two verses that appeared hi the collective edition of 1587: Afin que mon ame n'empire Par faute de se contenter (Isidore Silver, The intellectual evolution of Ronsard, Volume 1, 1969 - books.google.fr).

 

Le «pere commun des Muses et de la Poesie», le «Genie et l'Oracle de la Poesie françoise», comme l'appelle Du Perron dans son oraison funèbre, s'était éteint, le 27 décembre 1585, loin de la cour et de ses amis. Celle-ci et ceux-ci se firent un point d'honneur de célébrer magnifiquement la mémoire du «grand Pan». Le roi pleura, les amis parlèrent ou chantèrent (Théodosia Graur, Un disciple de Ronsard, Amadis Jamyn, (1540?-1593): sa vie, son œuvre, son temps (1929), 1981 - books.google.fr).

 

"contremander" : demander

 

"Contremander" : I - Empl. trans. A - Contremander qqn (de qqc.). "Donner un contrordre à qqn (à propos de qqc.), avertir qqn de ne pas exécuter un ordre qui a été donné, avertir qqn de ne pas se rendre à l'ordre, à l'invitation qu'il avait reçu de venir" B - Contremander qqc. "Annuler ce qu'on avait mis sur pied". II - Contremander à qqn. "Répondre à qqn (par message à un message que l'on vient de recevoir)" (www.cnrtl.fr).

 

Les conseils de défense que propose la rhétorique sont nombreux. La règle d'or la plus générale est de dénigrer l'accusateur à toute occasion et de se présenter soi-même sous le jour le plus favorable. Dans le De l'orateur, Cicéron cite ce précepte que Ronsard va respecter d'un bout à l'autre de la Responce. Déjà, le titre souligne la différence de qualité entre son adversaire et lui. S'y désignant comme «gentilhomme vandomois», il met en valeur sa dignité aristocratique et proclame qu'il n'est pas ce «Messire Pierre Ronsard», qualification que lui donnait le titre du pamphlet protestant et qui le réduisait à la seule fonction de prêtre. En même temps qu'il se vante, Ronsard diminue son critique en prétendant ne pas le reconnaître.

Il répond, dit-il, à «je ne sçay quels Predicans et Ministres de Geneve». La variante du titre de 1584-87 accuse encore plus le ton de mésestime : «Predicantereaux et Ministreaux de Geneve» (Alex L. Gordon, La rhétorique défensive de Ronsard, Ecrire et conter: mélanges de rhétorique et d'histoire littéraire du XVIe siècle offerts à Jean-Claude Moisan, 2003 - books.google.fr).

 

En 1583, Ronsard séjourne en Vendômois et prépare la sixième édition de ses oeuvres complètes parue en 1584. Un édition posthume est faite en 1587.

 

IX, 50

 

2140-2141

 

Mendosus tost viendra Ă  son haut regne.

Mettant arriere un peu les Norlaris,

Le rouge blesme le masle Ă  l'interregne,

Le jeune crainte, et frayeur Barbaris.

 

"interrègne"

 

On peut parler de "règne" pour un prince, comme Ronsard le fut des poètes françois.

 

De Ronsard à Malherbe, il y a en quelque sorte interrègne, période neutre et transitoire, où les rênes de la poésie flottent de Desportes à du Bartas. Desportes a pour lui la cour, les beaux esprits, les raffinés, les délicats et les mignons de Henri III: du Bartas a surtout pour admirateurs les protestants, les esprits graves, les âmes frères et religieuses. L'un se rattache à l'Italie, dont il introduit dans notre langue les mélodies, les grâces, et aussi les mièvreries et les mollesses :il est le chef des Pétrarchistes plus encore que le représentant de l'école française. L'autre va puiser à ces sources bibliques où Malherbe trouvera bientôt ses plus hautes inspirations ; mais du Bartas use trop souvent des prophètes comme Ronsard avait usé de Pindare. Aucun d'eux n'est assez puissant, assez libre de toute influence, assez hardi pour ouvrir à l'art une voie nouvelle. Les Tragiques de d'Aubigné, qui avait pour les contemporains un style plus proche de Malherbe que de Ronsard, n'ont pas encore paru. Leur valeur est grande, mais leur influence est nulle à l'époque de leur publication, datée du Désert (1620). Ils sont moins un manifeste littéraire à l'usage des contemporains qu'un legs à la postérité, le dernier cri de la Némésis protestante contre les Valois, qui ne sont plus là pour l'entendre. Régnier reste à part avec sa vive et franche originalité: nous le verrons bientôt protester contre le despotisme de Malherbe, pour venger l'honneur de son oncle Desportes. Mais on ne peut dire qu'il fasse école. Oserait-on donner ce nom à la triste séquelle du Parnasse satirique, qui rimaille et barbote sur ses traces ? Ses vrais héritiers seront plus tard Lafontaine et Molière, de lignée gauloise comme lui. Quant à l'honnête Vauquelin de la Fresnaie, disciple de Ronsard et ami de Malherbe, il se trouve pris, étouffé entre le choc et le heurt des deux écoles comme entre le double rocher des Symplégades. Son Art poétique, commencé en 1586 et publié seulement en 1605, arrive à la fois trop tard et trop tôt. Lui-même en fait l'aveu dans sa préface, s'excusant de paraître avec un vieil accoutrement devant un nouveau public. Vauquelin en est encore à admirer les strophes et anti-strophes des odes pindariques dans Ronsard : son ami Malherbe devait le trouver en cela bien naïf ou bien arriéré. Le culte, d'Horace, il est vrai, les rapprochait; mais ce serait faire trop d'honneur à Vauquelin que de voir en lui, comme on l'a prétendu quelquefois, un précurseur de la grande révolution littéraire qui va s'opérer. Aussi croyons-nous avoir le droit de passer de Ronsard et de la pléiade à Malherbe pour arriver à ce que nous appellerons la seconde Renaissance française (Ch. Lenient, La seconde renaissance française, Revue bleue: politique et littéraire, 1870 - books.google.fr, Michèle Clément, Une Poétique de crise: poètes baroques et mystiques : (1570-1660), 1996 - books.google.fr).

 

"Barbaris" : apocope de barbarisme ?

 

N'est-il pas plaisant qu'on reproche à Ronsard comme des barbarismes, les mots oligochronìe, ocymore, &c. tandis que nous conservons chronologie, période, circonlocution, benevole & mille expressions purement grecques & latines ? (Michel-Paul-Gui de Chabanon, De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre, 1785 - books.google.fr).

 

La renaissance des lettres antiques avait produit l'école gréco-latine qui dura avec Desportes, et Bertaut jusqu'au commencement du XVIIe siècle, pour faire place alors à l'école française qui eut pour chef Malherbe (1555-1628). La réforme littéraire de Ronsard avait dépassé le but. Les disciples avaient encore exagéré les défauts du maître. La mesure et le goût dans le choix et la formation des mots qu'ils empruntèrent au grec, au latin et même aux patois, leur firent complètement défaut. La langue s'enrichit sans doute, s'essaya à la haute poésie; mais chargée d'expressions bizarrement composées, de métaphores ambitieuses et de barbarismes pédantesques, elle perdit son caractère et sa pureté.

 

Enfin Malherbe vint, et le premier en France

Fit sentir dans les vers une juste cadence,

D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir

Et réduisit la Muse aux règles du devoir,

Car ce sage écrivain la langue réparée

N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.

Les stances avec grâce apprirent à tomber,

Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.

 

Malherbe créa en quelque sorte le langage poétique et fut, avant Boileau, et comme lui au nom du bon sens et du bon goût, le législateur du Parnasse français. Le satirique Régnier résista seul à cette réforme. Neveu de Desportes, il défendit contre Malherbe l'école gréco-latine, mais en realité il fut le continuateur de l'école gauloise «et reproduisit Marot dont il avait toute la libre allure avec plus d'énergie et de couleur.» A cette même école se rattachent les auteurs de la Satire Ménippée: Le Roy, Passerat, Pilhou, Rapin, etc. (Félix Oger, Cours d'histoire générale à l'usage des lycées, des candidats à l'école militaire de Saint-Cyr, 1863 - books.google.fr).

 

Réformateur, Malherbe l'a été par ses œuvres, par ses conseils aux jeunes poètes, ses disciples, et par son commentaire sur Desportes. C'est lui qui apporta en poésie cet esprit d'ordre, de mesure, de proportion, de règle, de méthode, qui est un besoin bien caractéristique de l'esprit français. On l'a dit : Henri IV, Richelieu et Louis XIV disciplinèrent l'Etat ; Malherbe, l'Académie et Boileau disciplinèrent la littérature. Grande fut dans ses effets la réforme de Malherbe ; on peut la discuter ; on en peut regretter la sévérité parfois bien rigoureuse (Gustave Allais, Malherbe et la poésie française à la fin du XVIe siècle: (1585-1600), 1895 - books.google.fr).

 

En 1633, l'équipe des Malherbiens publia un volume collectif, les Nouvelles Muses. On y voit figurer, aux côtés de Mainard et de Racan, les jeunes poètes qui reconnaissent les lois de Malherbe : L'Estoille, Malleville, Baro, Jean Habert, Godeau et Des Marests. Chapelain y publie son Ode à Richelieu. [...] Dans tout ce fatras de louanges, une seule page peut-être mérite d'arrêter l'attention. Des Marests, dans son Discours, s'en prend à une secte poétique. Il ne nomme pas les écrivains qu'il vise. Il leur reproche de pousser trop loin le souci de la simplicité, de faire fi de l'inspiration, de rester timides et guindës. Ce témoignage d'un Malherbien prouve que le groupe avait conscience des périls que recélaient les tendances modernes pour la poésie lyrique (Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe (1948), Tome 1, 1997 - books.google.fr).

 

"le masle"

 

La date de la mort de Jean Le Masle est incertaine.

 

On suppose, d'après son Discours des incommodités de la Vieillesse, écrit en mars 1568, oùil dit n'avoir pas encore trente-cinq ans révolus, que Jean Le Masle naquit vers 1533. H était de Baugé, en Anjou. Il perdit ses parents de bonne heure, et ce fut un de ses oncles, Mathurin Chalumeau, Sieur de Bemay, Avocat à Angers, qui se chargea de développer les heureuses dispositions qu'il montrant pour l'étude (Fernand Fleuret (1884-1942), Les satires francaises du XVIe siècle, 1922 - archive.org).

 

Il aimait les lettres, qu'il ne cultivait, comme il le dit lui-même, que pour se distraire de travaux plus sérieux ; aussi beaucoup de ses ouvrages ont-ils été perdus. Le Temple des vertus n'a point été imprimé; il est dirigé principalement contre les réformateurs que l'on nommait alors politiques. Le Masle était ligueur et ne le dissimule point ; il déplore la mort du duc de Guise, assassiné par Poltrot. [...] Le poëme se poursuit jusques après la mort de Henri III; mais il se termine avant l'entrée de Henri IV à Paris, c'est-à-dire de 1589 à 1594, car Le Masle espère encore le succès de son parti. Dans son épître de l'Excellence des poètes adressée à son ami Dorat, et qui fait partie de ce volume, Le Masle donne de curieux détails sur sa vie, sur ses goûts, d'où l'on serait tenté de croire que ce fougueux ligueur était l'homme le plus doux et le plus tolérant ; mais nous savons par expérience combien dans les temps de révolutions l'esprit de parti dénature les caractères. Jean Le Masle est un poëte original. Contemporain et condisciple de Ronsard, son vers, moins poétique sans doute, est plus libre, plus dégagé, plus franc, toujours clair et bref; qualité plus rare alors que jamais (Emmanuel Louis Nicolas Viollet-Le-Duc, Catalogue des livres composant la bibliotheque poetique avec des notes bibliographiques, biographiques et litteraires, 1843 - books.google.fr).

 

Si l'on considère la date de ses œuvres, Le Masle appartient à l'école de Ronsard et de du Bellay, pour lesquels il professait la plus grande admiration. Si l'on examine son style et sa langue, il est plutôt de l'école de Malherbe. Il n'a pas les images brillantes des écrivains de la Pléiade, mais il n'affecte pas non plus leur érudition pédantesque, et sa phrase n'est jamais diffuse, alambiquée, comme celle de la plupart des poètes du seizième siècle. Son vers est toujours concis, ferme, net. Les sujets grandioses lui conviennent mieux que les sujets gracieux ou légers. Il est plus épique que pindarique (A. Lemarchand, Jean Le Masle de Baugé, Revue de l'Anjou, 1852 - books.google.fr).

 

"rouge blesme"

 

Ces deux adjectifs, dans l'interprétation liée à Ronsard, situe le quatrain dans les guerres de Religions et du conflit entre protestants et catholiques (cf. quatrain I, 3 : "Lors les blancs et les rouges jugeront à l'envers" et le quatrain suivant IX, 51 avec ses "rouges" aux prises avec les "sectes").

 

[Ils] prennent les couleurs Ă  telz corps convenables,

Pour mieux représenter leurs feintes vrai-semblables

Comme on voit bien souvent Iris se figurer

Des rayons du Soleil qui la vient peincturer

En cent couleurs, pourveu que l'opposée nüe,

OĂą l'image se faict, soit concave et menĂĽe:

Autrement l'Arc au Ciel n'auroit impression:

Mais le Daimon la prend de sa propre action

Et de sa volonté, en la maniere mesme

Que soudain nostre joue en craignant devient blesme

De son propre vouloir, et toute rouge alors

Que la honte luy peint la peau par le dehors :

En ce poinct les Daimons masquez de vaines feintes

Donnent aux cœurs humains de merveilleuses craintes:

Car ainsi que l'Air prend et reçoit à-lentour

Toute forme et couleur, ce pendant qu'il est jour,

Puis les rebaille Ă  ceux qui de nature peuvent

En eux les reçevoir, et qui propres se treuvent:

Tout ainsi les Daimons font leurs masqueures voir

A nostre fantasie, apte Ă  les recevoir:

Puis notre fantasie à l'Esprit les r'apporte... (Ronsard, L'Hymne des Daimons, dédiée à Lancelot Carle, evesque de Rhiez, 1555)

 

Dans ces vers, le phĂ©nomène physique permet de dĂ©monter les mĂ©canismes d'un problème moral. C'est ce qu'implique d'abord le rĂ©seau lexical de la prĂ©dation. Le ton est donnĂ© dès la première occurrence du verbe «prendre» : les dĂ©mons aiment Ă  s'approprier les couleurs et les formes. Dans les images de l'arc-en-ciel, de la joue et de l'air, deux types d'apprĂ©hension se cĂ´toient : l'une, mĂ©tĂ©orologique, sert une transmission, l'autre, affective et morale, introduit la peur et la prĂ©dation.

 

Ici, paradoxalement, la volontĂ© Ă©gale l'affection, comme si elle Ă©quivalait Ă  la nature passionnelle des dĂ©mons qui « s'affectent » de leur propre volontĂ©; et, non moins paradoxalement, cette volontĂ© semble synonyme de passivitĂ©, du fait que la coloration de la joue dĂ©pend d'un sentiment de honte qui «luy painct la peau». Il est dès lors Ă©tonnant que ce phĂ©nomène serve de comparant aux « vaines feintes » des dĂ©mons, comme si la coĂŻncidence de la volontĂ© et de la passivitĂ© Ă©tait l'indice d'un mal. Mais ce mal, Ă  quoi tient-il? En amont, il rĂ©side dans la cause de la honte, plutĂ´t que dans sa manifestation: la fiabilitĂ© du signe, qu'atteste sa passivitĂ©, renvoie Ă  une volontĂ© mauvaise. En aval, le rougissement involontaire du fautif, acteur et victime, traduit une perte de contrĂ´le sur ces manifestations : ce n'est pas l'irrĂ©alitĂ© du signe qui est en cause, mais son autonomie, premier pas vers la rĂ©volte et la «vanité». A la fois fiable et incontrĂ´lable, la coloration de la joue trahit donc doublement le mal issu d'un abandon volontaire aux passions. Ce mal caractĂ©rise les exĂ©gètes, dont la volontĂ© contredit la nĂ©cessitĂ© que leur impose leur condition sublunaire. La mince peau des hommes illustre en effet souvent la fragilitĂ© humaine, qui devrait dissuader l'interprĂ©tation. La Remonstrance oppose ainsi par cette pellicule Ă  la fois frĂŞle et trop dense la prĂ©somption de l'exĂ©gèse Ă  la nature divine du divine du Christ, dont le mystère est insaisissable. [...]

 

La sensibilité épidermique des interprètes joue un rôle central dans la polémique qui oppose Ronsard à la Réforme, après que Les Daimons ont invité à réfléchir sur l'affection dans ses rapports avec la volonté. Transformés métamorphosés, déguisés de couleurs feintes, les démons agissent avec une volonté passionnelle. [...] Face à cette «peau» représentative de la condition sublunaire, deux attitudes religieuses sont renvoyées dos à dos : l'Opinion protestante, dont le serpent, «coullant sans toucher / De ce moyne abusé ny la peau ny la chair», pénètre profondément l'âme de Luther en laissant le corps intact, et l'hypocrisie des prélats, dénoncée par l'Opinion elle-même puis réitérée dans la Responce. [...]

 

Si, sous l'interprétation protestante et sous une prédation catholique, Ronsard dénonce au fond une même mascarade, qui fait du sens le prétexte aux exactions, l'hypocrisie des prélats a des enjeux plus limités que l'attitude des réformés où perce sans doute, aux yeux du poète, le refus spirituel d'une condition corporelle (Anne-Pascale Pouey-Mounou, L'imaginaire cosmologique de Ronsard, 2002 - books.google.fr, Germaine Lafeuille, Cinq hymnes de Ronsard, 1973 - books.google.fr).

 

La peur résonne dans le vers 4 : "crainte & frayeur".

 

L'interprétation est liée à la honte et à la couleur rouge tandis que la prédation catholique à la peur et au blême. L'image vient de Psellos traduit par Marcile Ficin. Historiquement c'est inversé : le rouge est la couleur des catholiques espagnols et de leurs alliés ligueurs, le blanc celle des protestants (cf. panache blanc d'Henri IV).

 

D'Aubigné semble reprendre dans Les Tragiques les deux adjectifs toujours en rapport avec la crainte :

 

Et que faict la Foiblesse au tribunal des rois ?

Car tout lui sert de crainte, et ses crainctes de loix.

Elle tremble, elle espère, elle est rouge, elle est blesme :

Elle ne porte rien et tombe sous soi-mesme. (Eugène Crépet, Charles Augustin Sainte-Beuve, Poëtes français, Deuxieme periode: de Ronsard a Boileau, 1861 - books.google.fr).

 

Poètes lorrains

 

Poursuivant dans cette veine littéraire, on peut considérer les Norlaris comme des Lorrains certes mais aussi comme des représentants de la poésie du duché de Lorraine.

 

Si la Lorraine apparaissait bien comme une entitĂ© politique que renforçaient les conflits et les rivalitĂ©s, au mĂŞme titre que le duchĂ© de Savoie ou celui de Bouillon, elle n'avait pas pour autant, aux yeux des Français, une rĂ©alitĂ© culturelle. Elle Ă©tait considĂ©rĂ©e en gĂ©nĂ©ral comme faisant partie de la «nation» française, en raison de sa langue surtout et de ses modes de vie. Dans son avis Au Lecteur qui fait suite Ă  la ThĂ©baĂŻde, Jean Robelin, qui n'est ni lorrain ni français mais  franc-comtois, parle de «nostre France» et prend soin de prĂ©ciser : «J'appelle France toutes les Provinces ausquelles est commun le langage François». C'est lĂ  un amalgame assez courant que l'examen des rĂ©alitĂ©s ne permet guère de contester. La province de Charles III s'est indubitablement situĂ©e dans l'attraction culturelle française, faisant entendre l'Ă©cho des tapages parisiens, rĂ©percutant les intrigues et les enthousiasmes. A travers les figures un peu fuyantes de PantalĂ©on ThĂ©venin, de Nicolas ClĂ©ment et de Didier Oriet passe l'esprit de la PlĂ©iade. Au-delĂ , ce sont les valeurs et les modèles français qui s'imposent irrĂ©sistiblement. [...]

 

Ronsard est pour Pantaléon Thévenin celui qui a sur tous «finablement remporté la palme», mais aussi parce que cette forme d'hommage plaît à sa conscience de chrétien érudit qui a besoin d'assurance ; son enthousiasme dissimule peut-être une vraie gravité qui ne nous apparaîtra nettement que dans ses derniers recueils d'Ingolstadt. [...]

 

L'apparition de nouveaux poètes en cour de France dans les années 1570, l'émergence du baroque et de nouvelles formes poétiques, la dureté des temps qui éloigne un peu le public des «folastries», tout cela donne l'impression que l'étoile de Ronsard se ternit. Pourtant, au même moment, certains Lorrains entretiennent le culte ronsardien qu'ils ont pratiqué dès le collège. A leurs yeux, Ronsard n'est pas seulement, comme pour Montaigne, un de ceux qui ont le plus « donné credit a nostre poesie  Françoise ». Il est surtout le symbole de la consécration sociale du savoir. C'est pourquoi l'admiration qu'ils portent au prince des poètes, si docte soit-elle, n'est jamais qu'un aspect d'une visée plus conquérante. Ils sont moins sensibles à l'homme et à son œuvre qu'à la réputation qu'il s'est acquise. Nicolas Clément, dont on a à plusieurs reprises évoqué les rêves impatients, témoigne en ce sens. Dans ses Prémices figure ce curieux sonnet adressé Au detracteur de M. de Ronsard : Mais qu'a besoin d'ouir ce haut-sonnant Ronsard ? / Cest Apollon Francois, que peut-il plus aprendre ? [...]

 

L'admiration que les poètes lorrains ont vouée aux maîtres français ne résulte pas du seul commerce des livres. Il faut imaginer de véritables échanges et des rencontres dont on peut déterminer les circonstances à défaut de pouvoir en préciser les dates. Les civilités poétiques avec envois d'épigrammes et pièces encomiastiques supposent tout un jeu de relations qui nous échappent en partie. Les grands poètes n'étaient nullement inaccessibles et se soumettaient volontiers comme des pontifes aux séances de visites. Certains, par leur place en cour ou grâce aux leçons qu'ils donnaient dans tel ou tel collège, bénéficiaient d'un public permanent et renouvelé. Qu'ils reposent sur l'admiration et la condescendance, ou alors sur une mutuelle estime, ces rapports étaient à l'avantage de tous. En parcourant les recueils d'anagrammes de Nicolas Clément, on découvre avec intérêt le réseau de ses relations. S'il a longtemps été dans le voisinage de Boissard, de Pillot ou de Melissus, sur le versant allemand de l'Europe si l'on peut dire, il a également approché les grands humanistes français. Vers 1580, il croisa Du Bartas à Lyon, alors que  alors que celui-ci était sans doute en mission pour le roi de Navarre. A Padoue, il a aussi salué Marc-Antoine Muret, l'ancien commentateur de Ronsard. Séduit par les feux romains, comme beaucoup  de Français, Muret offrait alors l'exemple d'une étonnante reconversion. C'est en homme d'Eglise que Clément a pu le voir, grassement pourvu de bénéfices pontificaux, proche des cardinaux les prêt à bénir la mémoire de Charles IX à la moindre allusion faite à la Saint-Barthélemy (Alain Cullière, Les écrivains et le pouvoir en Lorraine au XVIe siècle, 1999 - books.google.fr).

 

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