Charles III de Savoie

Charles III de Savoie

 

IX, 34

 

2128-2129

 

Le part soluz mari sera mitré,

Retour conflict passera sur le thuille,

Par cinq cens un trahy sera tiltré,

Narbon et Saulce par contaux avons d'huille.

 

"soluz" : veuvage

 

Il est vrai que Narbon était le véritable nom du ministre de Louis XVI qui se faisait appeler M. de Narbonne, il est encore vrai que le sieur, Sauce, dans la maison duquel l'infortuné monarque fut arrêté à Varennes, était marchand épicier, et ainsi vendait des huiles; mais que font là les couteaux ? Quels sont ces cinq cent un par qui Louis XVI sera accusé de trahison ? Que veulent dire ces paroles, le part soluz mary sera mittré ? Elles signifient, dit-on, que Louis XVI devait seul se coiffer du bonnet rouge, et non la reine. Cela serait assez apparent en effet, si soluz écrit de la sorte ne venait pas de solutus et non de solus; or Louis XVI n'était pas veuf. Nous nous en tenons à ces exemples, qui ne sont pas les plus singuliers dans l'espèce ; car les exégètes ont donné à d'autres passages des centuries des explications beaucoup plus étranges et plus forcées que celles-ci. Il en est des prophéties de Nostradamus comme des nuages, dans lesquels, avec un peu d'attention et d'imagination, l'on trouve tout ce qu'on veut, c'est-à-dire ce qui n'y est pas (Abbé Lecanu, Dictionnaire des Proheties et des Miracles, Tome 2, 1855 - books.google.fr).

 

Mais Charles III de Savoie le fut en 1538. La mitre d'infamie (coiffe de papier) était une punition infligée aux criminels. En 1528, des représentants du peuple de Genève furent ainsi traités pour avoir contesté l'évêque de la ville (lui-même portant la mitre épiscopale) dont le duc défendait les prérogatives (Henri Naef, Les Origines de la Reforme a Geneve, Tome 2, 1968 - books.google.fr).

 

"thuille"

 

La Thuile est une localité de Savoie dont la famille de Sales fut possessionnée, cf. saint François de Sales (1567 - 1622, évêque de Genève en 1602).

 

En 1560, à la suite du décès de Louis de Sionnaz, sans postérité, sa sœur, Françoise (1522-1611) hérite de la seigneurie. Elle est l'épouse de François de Sales, baron de Thorens, et auront pour fils le futur saint François de Sales. La demeure devient la résidence habituelle de la famille à partir de 1590. Le château passe ainsi à la famille de Sales qui reste propriétaire du château jusqu'à la Révolution française (fr.wikipedia.org - Lathuile).

 

Il y a encore la Vallée de la Thuile dans le Val d'Aoste, possession des ducs de Savoie. On parle encore des Vaudois, les Pauvres de Lyon (cf. tolérance piémontaise au quatrains III, 99 et persécution de François Ier - l'Antéchrist trois du quatrain VIII, 77 - au quatrain VIII, 70).

 

Le premier Synode vaudois de Chanforan (1532) laissa des mécontents, parmi lesquels Daniel de Valence et Jean de Molines, qui allèrent en Bohème consulter les responsables de l'Unité des Frères. Préoccupés de cette opposition, les pasteurs favorables aux conclusions de Chanforan envoyèrent de nouveau Gonin et Guido en Suisse pour demander de nouveaux renforts en hommes et en idées. A cette deuxième mission aux Vallées Vaudoises participèrent Saunier et Olivétan, accompagnés de Gonin et Guido. C'est le seul voyage dont on conserve une description tant soit peu détaillée, faite par Saunier lui-même à Farel dans la lettre latine qu'il écrivit des Vallées le 5 novembre 1532. La comitive, partie d'Yvonand sur le lac de Neuchâtel, gagna Vevey sur le lac Léman, remonta la vallée du Rhône en passant par Aigle et Bex, d'où elle dut rebrousser chemin jusqu'à Ollon à cause d'une indisposition de Gonin. Les voyageurs, repartis d'Ollon, allèrent jusqu'à Martigny d'où ils passèrent les Alpes par le vallon et le col Ferret. Jusqu'ici l'itinéraire est clair et précis. Puis la lettre nomme Turin et rappelle l'accueil reçu aux Vallées. Le texte suggère à première vue que nos voyageurs, après être descendus dans la vallée d'Aoste, ont gagné tout d'abord Turin et puis les Vallées. Mais on ne comprend guère pourquoi, suivant cet itinéraire, ils sont passés par le col Ferret et non par la route plus courte du Grand St.-Bernard. On peut cependant l'expliquer en rappelant que l'itinéraire passant par Aoste était plutôt dangereux. Dès 1523, l'évêque de celte ville avait exhorté ses diocésains à rejeter la « doctrine de Luther » condamnée officiellement. En outre la vallée d'Aoste était bien gardée par les nombreux et forts châteaux des seigneurs de Chaillant, toujours très fidèles à la Maison de Savoie, dont le duc Charles III (1504-1553), contrairement aux espoirs des réformateurs, s'était opposé aux nouvelles idées, soit en luttant contre Berne, qui menaçait à la fois l'intégrité de ses Etats au nord et l'unité religieuse du duché, soit en défendant la vente et la lecture des livres retenus hérétiques. Il est donc plausible de conjecturer que nos voyageurs, ayant passé le col Ferret, soient descendus le long du vallon homonyme jusqu'à Entrèves, et puis, par Courmayeur, Pré St. Didier et St. Pierre sur la Doire Ripaire, aient remonté le Val Savaranche jusqu'au col Nivolet, qui relie lis vallées d'Aoste et de l'Orco et conduit directement à Turin par les bourgs de Ceresole Reale et Cuorgné. Ce n'est qu'une hypothèse, qui cependant s'ao;orde assez bien avec le texte de la lettre de Saunier qui, après Ferret, mentionne Turin. On pourrait aussi conjecturer que, après Entrèves, ils aient gagné la vallée de l'Isère soit en remontant le Val Veni par le col de la Seigne, soit la vallée de la Thuile par le Petit St-Bernard, mais cette opinion, quoique plausible, n'irait bien que si la lettre de Saunier avait mentionné les Vallées avant Turin (Bulletin historique et littéraire de la Société de l'histoire du protestantisme français, Volume 99, 1956 - books.google.fr).

 

"contaux"

 

« Les contaux [...] sont des pieces principalles de bois de chesne posés par dessus la perceinte tout autour de la galere par dehors. Ils ont 36 pieds de longueur ou environ et 13 poulces et demy de large sur 3 poulces d'epesseur» (D'Ortières contaut ca 1680) (Jan Fennis, Trésor du langage des galères, 1995 - books.google.fr).

 

Savonner la planche

 

Savonner la planche à quelqu'un, s'efforcer de provoquer son échec par des manœuvres sournoises (Dictionnaire de l'Académie française, Volume 3, 2011 - books.google.fr).

 

Il faut probablement lire « avons d'huille Â» par « savons d’huile Â».

 

Les Romains, eux, n'utilisent pas de savon, mais des poudres très fines (pierre ponce et argile) ; elles exercent une délicate action abrasive sur la peau qui, ensuite, est enduite d'huile. Pline cite un produit très proche du savon actuel : il le nomme cepo galliarum car il arrive de Gaule, (probablement de Marseille) ; ce produit est employé comme teinture rouge pour les cheveux. On dispose également des informations sur les barils de savon liquide distribués aux galères avant la bataille. Les marins déversent du savon sur le pont ; en cas d'abordage, l'ennemi glisse et tombe sur le pont... L'équipage de la galère, évidemment informé de la ruse, profite ainsi de l'effet de surprise.

 

Le vrai savon vient du monde arabe ; vers la fin du premier millénaire, la production de savons fins se diffuse à Alep et dans le bassin méditerranéen, qui dispose d'une importante production d'huile d'olive et de soude. Le savon d'Alep est préparé avec de l'huile d'olive de très bonne qualité à laquelle on ajoute de l'eau et de la soude, et que l'on fait bouillir dans des chaudrons de cuivre, avant d'y ajouter des cendres de laurier qui lui confèrent une couleur ambrée.

 

Une légende affirme que la technique de fabrication du savon de Savone (à l'ouest de Gênes), a été découverte par pur hasard (encore un cas de sérendipité !) par l'épouse d'un pêcheur qui faisait bouillir de l'huile avec de la soude. Cette histoire peut être vraie ou fausse, mais l'industrie du savon de Savone et Gênes a été très prospère, ainsi que celle du Sud de l'Espagne, surtout à Séville dont le savon est vendu par les apothicaires (Alessandro Giraudo, Nouvelles histoires extraordinaires des matières premières, 2017 - books.google.fr).

 

Le traité de Cambrai est loin de modifier les intentions sur le Milanais de François Ier qui développe une politique de rapprochement avec les Turcs afin d'entraver les desseins de Charles Quint sur l'Italie. Si les Turcs envahissent l'Italie, le roi français « très chrétien » peut agir de même en Espagne sous prétexte de rétablir la chrétienté. En mars 1532, il tente vainement d'influencer la stratégie de Soliman II le Magnifique qui choisit d'attaquer la Hongrie au lieu de l'Italie. Soliman II le Magnifique bat en retraite et, le 23 septembre 1532, Charles Quint fait une entrée triomphale à Vienne. En réalité, Soliman II le Magnifique, qui combat déjà les Perses, ne peut mener deux guerres en même temps et compte sur Barberousse pour s'attaquer aux Habsbourg. Celui-ci réussit, en août 1534, à chasser temporairement les alliés de Charles Quint de Tunis. François Ier ne contrecarre pas les actions des Turcs en Méditerranée même s'il a rencontré à Boulogne Henri VIII, le 20 octobre 1532, pour envisager une croisade contre les Infidèles. Dix ans plus tard, en février 1542, il reçoit d'ailleurs l'aide de Soliman II le Magnifique pour les campagnes du printemps de cette même année. Mais, en 1534, le décès du pape Clément VII, le 25 septembre, et l'élection de Paul III, franchement défavorable à l'invasion turque, vont changer la donne. Le 14 juillet 1535, Charles Quint gagne la forteresse qui garde l'accès à la baie de Tunis : La Goulette. Après la défaite de Barberousse à Tunis, le roi d'Espagne arrive en Sicile le 22 août 1535 pour traverser toute la péninsule italienne. Mais François Ier désire toujours posséder le Milanais et, pour faciliter cette tâche, il envahit la Savoie le 1er février 1536. Charles III perd Bourg-en-Bresse le 24 février 1536 et Chambéry le 1er mars de la même année. La conquête de la Savoie s'achève en mars 1536 avec la prise de Turin, mais le roi de France n'empiète pas sur le Milanais afin de ne pas être l'instigateur de la guerre avec Charles Quint. Celui-ci lui propose alors à nouveau la Bourgogne contre le Milanais, mais voyant que leurs positions respectives demeurent inchangées depuis plusieurs années, Charles Quint décide d'envahir la Provence le 13 juillet 1536 en traversant Nice. Antibes tombe le 17 juillet 1536. Pour contrecarrer l'offensive, François Ier se poste en Avignon le 25 juillet 1536. Charles Quint, en réalité, reprend le plan du duc de Bourbon de 1524 qui ne se contentait pas d'envahir la Provence, mais lançait aussi une offensive dans le Nord afin que les armées du roi de France soient divisées. De Provence, Charles Quint laisse Henri de Nassau maître des opérations dans le Nord. Nassau échoue à Saint-Quentin et Charles Quint est immobilisé après la prise d'Aix le 13 août 1536. Il y reste jusqu'au 11 septembre 1536 avant de se retirer sur Fréjus pour regagner l'Espagne par Gênes au moment où Nassau lève le siège de Péronne. En fait, si le roi de France n'intervient pas rapidement, c'est qu'il lui manque des fonds et des hommes pour se défendre sur deux fronts éloignés. En outre, en 1537, François Ier ne peut pas profiter de l'aide des Turcs pour mener une offensive contre les Espagnols en Italie car Charles Quint a envahi le Nord de la France. Pour les deux rois, c'est une façon d'empêcher leur ennemi de gagner du pouvoir. Ils signent une trêve à Monzon le 16 novembre 1537 et entament des pourparlers de paix à Leucate. Cette situation ressemble fort à une partie nulle : Charles Quint a conquis des territoires au nord, ravagé la Provence sans la soumettre et n'est pas parvenu à s'imposer en Italie. Les années 1538 à 1541 sont une mascarade de réconciliation car, après la signature de la trêve de Nice, le 18 juin 1538, qui prévoit l'arrêt des conflits dans cette région pendant dix ans et après l'échec de Charles Quint au siège d'Alger en novembre 1541, les hostilités reprennent sur les mêmes fronts : le Nord de la France avec l'invasion de la Champagne, de la Picardie et du Luxembourg, le Nord de l'Espagne avec les sièges de Perpignan et de Fontarabie, l'Italie. Mais, cette fois-ci Charles Quint en sort gagnant, grâce à une nouvelle alliance avec Henri VIII, le 11 février 1543. Devant cette nouvelle distribution des rôles, François Ier essaie de contrebalancer le pouvoir du roi d'Espagne en signant en Provence, le 5 juillet 1543, un accord de collaboration avec les Turcs qui prennent Nice aux Impériaux et hivernent à Toulon du 29 septembre 1543 jusqu'au mois de mars 1544. François Ier a en effet l'intention de faire accompagner les Turcs sur les côtes espagnoles. Le 6 janvier 1544, ils y brûlent Cadaqués, Ampurias, Palamos, Rosas et Villajoyosa. Le 23 mai 1544, Barberousse investit les îles d'Hyères et en profite pour parcourir les côtes d'Italie. Devant ce danger non négligeable, Charles Quint, même s'il s'est profondément avancé en Champagne, préfère signer avec François Ier la paix de Crépy les 15 et 16 septembre 1544. Ils se restituent ainsi les territoires conquis depuis la trêve de Nice de 1538.

 

Le fort de Plus précisément Vaissète (Histoire générale du Languedoc, Tome V) parle des Cabanes de Fitou aux environs de Leucate qui est en face de la forteresse de Salses, et ferme l'accès de Narbonne aux Espagnols. François Ier y poursuit les travaux de remise en état, mais c'est Henri II qui les achève en 1552 (Marie-Véronique Martinez, La lutte pour l'hégémonie, Charles Quint et la monarchie universelle, 2001 - books.google.fr).

 

L'Histoire universelle appelle Salses "Saluces". On retrouve l'étang salé de Leucate et la Savoie au quatrain III, 92, daté de 1772.

 

Marguerite, Sœur du Roi François Ier, la Reine Eléonore son épouse, & Marie, Reine de Hongrie, sœur de Charles V, assemblées sur la frontière de Flandres, arrêtèrent entre l'Empereur & François Ier une trêve de trois mois, qui fut publiée en Piémont, où les hostilités restèrent suspendues, & les choses laissées dans l'état où elles étoient. François Ier se rendit en Piemont, & reçut, sans s'engager à rien, l'Ambassadeur de Charles III, qui se flattoit que cette trêve seroit bientôt suivie d'une paix générale : & en effet, il y eut un congrès composé des Ministres plénipotentiaires de l'Empereur, du Roi de France & du Duc de Savoie, entre Saluces & Narbonne. Mais cette conférence, qui donnoit de si brillantes espérances, n'opéra qu'une prolongation de trêve de trois mois. Charles III en fut d'autant plus affligé, qu'à la douleur de voir ses états dévastés, usurpés par ses amis ét par ses ennemis, se joignit le chagrin dévorant que lui causa la mort de Béatrix de Portugal son épouse, qui mourut à Nice, au moment où il s'attendoit le moins, à ce triste événement.

 

Les disgrâces que Charles III éprouvoit, se succédoient si rapidement, qu'elles lui laissoient à peine le tems de respirer. Il donnoit des larmes amères à la perte de son épouse, lorsqu'il fut averti d'une conférence indiquée, à Nice, entre le Pape, l'Empereur & le Roi de France. Il espéra d'abord que la paix seroit le fruit de cette entrevue, & que son rétablissement seroit l'une des principales conditions de la paix ; mais à cette flatteuse espérance succédèrent de cruelles allarmes, lorsque le Pape Paul III lui envoya, demander le château de Nice, pour la sûreté, disoit-il, de Sa Sainteté. Clément VII avoit fait la même demande, & Charles III avoit sçu que ce Pontife ne l'avoit faite que pour François Ier. Il étoit donc très-vraisemblable que Paul III n'agissoit que d'après les sollicitations du même Monarque ; &, quoique l'Empereur eut promis de ne signer aucun traité de paix que le Duc ne fut rétabli dans ses états & remis en possession de tous les pays dépendans de la Couronne de Savoie, l'expérience ne l'avoit cependant que trop instruit du peu de fond qu'il y avoit à faire sur ces sortes de promesses. D'ailleurs, Nice & sa citadelle étoient les seules places où le Duc fut en sûreté.

 

Alors que Paul III étoit à Savonne, il déclara qu'il ne lui convenoit point, comme Chef de la Chrétienté, de loger dans une place, où tout autre que Sa Sainteté commanderai. Cette prétention absurde, couvrait un projet concerté entre l'Empereur & Paul III: car, Charles-Quint arrivé au port de Villefranche, envoya demander au Duc de Savoie le Château de Nice pour quarante jours seulement, promettant de le lui rendre à l'expiration de ce terme. Charles III consentit à cette demande; mais les galères de l'Empereur étant allées à Savonne, pour y prendre le Souverain - Pontife & l'amener à Nice, ie Duc de Savoie protesta que c'étoit à Charles V seul, & exclusivement, qu'il avoit toujours dit vouloir confier le Château (Histoire universelle, depuis le commencement du monde jusqu'à présent, Volume 38, 1776 - books.google.fr).

 

Après Nice, Charles Quint et François Ier ont une entrevue à Aigues Morte en juillet 1538 et se déplacent avec leurs flottes composées en partie de galères. L'empereur reçoit le roi sur la sienne "et lui donna la main pour monter" (Histoire générale du Languedoc, Tome V).

 

"un trahy sera tiltré"

 

Dans le Lodévois, il se désigne couramment par l'expression : faire titrer les draps. Un arrêt du Parlement de Toulouse du 26 mai 1719 parle aussi « de faire titrer ou tisser » les draps. Ernest Martin, Cartulaire de Lodève, document CCLIII, p. 390 (Émile Appolis, Un pays languedocien au milieu du XVIIIe siècle: Le diocèse civil de Lodève : étude administrative et économique, 1951 - books.google.fr).

 

«Pour le travail des draps, dit un contemporain, pour filer la laine et la tisser, nous sommes les esclaves des esclaves du Roi». Par un amer jeu de mots qu'autorise l'homonymie hébraïque (beghed, signifie à la fois vêtement et trahison), la fourniture des draps devient la trahison des traîtres, le "beghed boghedim" (Joseph Nehama, Histoire des Israélites de Salonique: Période de stagnation. La tourmente sabbatéenne, 1593-1669, 1959 - books.google.fr, Claudine Korall, Méthodologie et cas d'étude dans la Quête du Saint-Graal, Le rêve médiéval, 2007 - books.google.fr, Jocelyne Tarneaud, La Bible pas à pas: Joseph et l'Egypte, 2017 - books.google.fr, Pierre Pellet, Actions de graces au sujet du rétablissement des Vaudois: sermon prononcé à Wesop sur Ps. 103/1-2 ; Autres actions de graces pour la grande victoire remportée en Hirlande, 1690 - books.google.fr).

 

La tradition représentée par Etienne de Bourbon, inquisiteur dominicain du XIIIème siècle,  insiste sur la présomption des vaudois à se proclamer les imitateurs et les successeurs des apôtres « par une fausse profession de pauvreté et sous l'image déguisée de la sainteté » : fausseté, déguisement, voilà les mots d'ordre de tous les polémistes, qui se répètent d'une source à l'autre. En particulier Etienne ne s'arrête pas seulement sur les déguisements extérieurs des prédicants vaudois en pèlerins, pénitents, cordonniers, barbiers ou moissonneurs, mais il accuse tous ces gens-là de se présenter partout « sous les dehors et de la foi sans cependant posséder la vérité » (Giovanni Gonnet, Le cheminement des Vaudois vers le schisme et l'hérésie (1174-1218), Cahiers de civilisation médiévale, 1976 - books.google.fr).

 

Le vaudois Antonio Blasi fut traduit en procès pour hérésie en 1486. Il était natif d'Angrogna et tisserand (Marina Benedetti, Le procès d'Antonio Blasi, L'hérétique au village: les minorités religieuses dans l'Europe médiévale et moderne : actes des XXXIe Journées internationales d'histoire de l'Abbaye de Flaran, 9 et 10 octobre 2009, 2011 - books.google.fr).

 

Au XIIIème siècle, les vaudois gagnent les retraites des Alpes par les vallées qui débouchent sur la Durance, où le roi d’Aragon, souverain du comté de Provence, leur fait donner la chasse dès le commencement de la croisade. [...] Cet exode, comparable à celui que la France a vu après la révocation de l’édit de Nantes, entraîna la population laborieuse du midi, car si les parfaits du catharisme ne travaillaient pas de leurs mains, il n’en fut pas de même de la masse des croyans et des disciples vaudois. Ce ne fut pas uniquement par un sentiment chevaleresque que les barons du midi refusèrent de tirer le glaive de la persécution contre eux, ce fut aussi par un intérêt bien entendu. Actifs et économes par zèle religieux, les sectaires s’étaient emparés de l’industrie des laines et des soies, déjà florissante à cette époque dans le midi ; ils avaient fondé en plusieurs villes des fabriques de tissage dont tous les ouvriers étaient engagés dans le mouvement religieux, et qui étaient autant de centres de propagande. De là le nom de tixerands donné aux hérétiques du midi et des Flandres, dont la signification primitive a embarrassé beaucoup d’historiens. L’hérésie s’était confondue avec l’industrie du tissage, et il suffisait aux yeux de l’inquisition d’exercer l’une pour être accusé d’appartenir à l’autre. Dans tous les autres travaux, les croyans se distinguaient par leur activité (M. Hudry-Menos, L’Israël des Alpes ou les Vaudois du Piémont, Revue des Deux Mondes, Deuxième période, tome 74, 1868 - fr.wikisource.org).

 

Pour les tissus, il y avait les foires des villages au débouché des vallées, au printemps et en automne. En outre, dans le Val Germanasca, à la fin du siècle dernier, passaient périodiquement dans chaque commune des colporteurs qui venaient du Val Soana, lî marsie (les merciers), appelés aussi lî sucriaire (les marchands de sucre) parce qu'au début ils portaient aussi une certaine quantité de sucre pour vendre à leurs clients. Leur passage se faisait à la fin de l'automne, quand les montagnards étaient descendus de leurs séjours d'été. Le chanvre que l'on cultivait un peu partout dans les Vallées, était mis à rouir dans les nai (routoirs), trous aménagés près des maisons, là où jaillissait une source. Quand la plante avait bien macéré, on l'écrasait pour séparer la fibre textile de la partie ligneuse. Ensuite après avoir été cardé sur de grosses cardes en fer le chanvre était filé et tissé. Pour la laine, chaque famille se suffisait à elle-même, parce que chacune avait quelques brebis. Très appréciés étaient les ovins à laine noire, ce qui permettait de modifier la couleur de certains vêtements. Pour colorer la laine en marron on employait le brou de noix, que l'on faisait longuement bouillir avec la laine ; on rinçait ensuite abondamment à l'eau froide. L'industrie locale de la toile, encore vivante au siècle dernier a, de nos jours complètement disparu, en même temps que les rudimentaires métiers à tisser que possédaient de nombreuses familles pour la confection de la toile de chanvre, solide, rude, mais nécessaire à tous les usages familiaux : vêtements, chemises, draps, nappes, etc. Les plus pauvres se confectionnaient des pantalons en peau de brebis ou de chèvre, plus ou moins bien tannée. [...]

 

Parmi les usages autrefois très en honneur, il y avait celui de la marco : on se servait en guise de signal d'un drap de lit ou d'une étoffe blanche, placé en un endroit convenu, pour avertir celui qui était loin de la maison d'un événement heureux ou malheureux. A Angrogne, jusqu'à la fin du siècle dernier, quand le ministre du culte se rendait aux alpages de l'Infernet, de la Cella, de Cella Vecchia ou de Souiran, pour y tenir une assemblée religieuse, on étendait là où devait avoir lieu la réunion, en un lieu bien visible, un drap blanc afin de prévenir les bergers des différents alpages que le pasteur était arrivé et que la cérémonie allait commencer. Dans d'autres localités, à Rodoretto par exemple, le drap était appelé linsôl (linceul, drap de lit). On l'employait aussi pour signaler aux contrebandiers de sel, de tabac ou de sucre, l'arrivée des douaniers (bërlandot), ou à ceux qui se livraient à des coupes de bois interdites l'apparition des gardes forestiers (gardobôc) (Teofilo G. Pons, Victor Bettega, Christian Abry, Charles Joisten, La vie traditionnelle dans les Vallées Vaudoises du Piémont. Traduit et adapté de l'italien par V. Bettega, C. Abry, C. Joisten. In: Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d'ethnologie, n°3-4/1978 - www.persee.fr).

 

Le duc de Savoie avait, en effet, chargé en 1534 Pantaléon Bersour, seigneur de Miradolo, dont les fiefs touchaient au val d'Angrogne, de rechercher les hérétiques dans ses Etats. En Provence, le Parlement d'Aix et l'inquisiteur Jean de Roma sévissaient contre les Vaudois. Bersour recueillit auprès du Parlement d'Aix les noms de nombreux sujets du duc, noms qui avaient été arrachés par la torture aux malheureux prisonniers de Jean de Roma. Bersour dressa une liste des Piémontais suspects d'hérésie et des étrangers qui les avaient assistés, et il fut autorisé par lettres patentes de Charles III (28 août 1535) à se saisir de leurs personnes. Avec cinq cents soudards, Bersour se jeta sur les frontières d'Angrogne, vers Rocheplate, et y surprit quelques hommes qui faisaient la garde. Il y avait parmi eux un certain Jeanet Peiret d'Angrogne, qui rapporta qu'à Chanforan se trouvait M. Farel (c'était Gauchier) et deux autres en sa compagnie (Saunier et Olivétan). Bersour, continuant ses exploits, prit un si grand nombre d'inculpés qu'il en remplit son château de Miradol, les prisons et couvents de Pignerol et l'Inquisition de Turin, où Benoît de Solariis, vicaire de l'inquisiteur, faisait leur procès. C'est ainsi que Saunier et un sien compagnon furent arrêtés et emprisonnés à Pignerol, puis livrés à l'Inquisition de Turin. Ils n'échappèrent au supplice que grâce aux démarches tenaces et énergiques et aux menaces de représailles du gouvernement bernois. Saunier fut libéré en avril 1536, l'année même où le Barbe Martin Gonin, l'intermédiaire le plus zélé entre son peuple et les réformateurs, scellait de son sang, à Grenoble, sa fidélité à l'Evangile. Cependant, en cette même année 1536, la roue allait tourner et la puissance du duc de Savoie s'effondrer sous les coups de la France et de Berne. François Ier s'empara d'une grande partie du Piémont, et spécialement des contrées alpestres, à part la vallée d'Aoste (Guillaume Farel - 1489-1565- Biographie Nouvelle, 1930 - books.google.fr).

 

Le représentant de François Ier auprès des princes allemands, le protestant Guillaume de Furstemberg, protège les réformés dans son gouvernement des Vallées vaudoises. Lorsqu'il accompagne le roi à l'entrevue de Nice, Gauchier Farel le remplace. Il ne rentre pas d'un voyage pour Genève et Strasbourg en 1538 et les vallées sont envahies par René de Montejean, un protégé de Montmorency. Il saccage les villages et emprisonne les ministres dans le château de La Tour. Furstemberg revient et les libère, punissant les crimes de la soldatesque. Mais, en but aux intrigues de Montmorency, il quitte le service du roi.

 

La trêve de Nice (18 juin 1538) unit au contraire François Ier et Charles-Quint dans la lutte contre l'hérésie, et elle garantit pour dix ans l'occupation du Piémont par les Français. Le roi, poussé par son entourage hostile à la Réforme, institua aussi à Turin un Parlement qui siégea dès le 10 octobre 1539 et qui, appliquant les édits royaux, procéda contre les réformés avec la même rigueur que les autres Parlements du royaume (Guillaume Farel - 1489-1565- Biographie Nouvelle, 1930 - books.google.fr).

 

Un bout de tissu

 

Le vendredi saint 1537, la population de Nice fut appelée à se recueillir devant un dais de velours pourpre dressé sur la plate-forme de la tour du Môle de Saint-Elme. Sous le dais : le Saint-Suaire, appartenant à la Maison de Savoie. Béatrix de Savoie, ses enfants, les archives ducales et le Saint-Suaire étaient à Nice depuis plusieurs mois, les états de Charles III ayant été envahis par les troupes de François Ier. La précieuse relique fut plus tard transférée à Turin qui devint capitale du duché. Bétarix, elle, mourut à Nice en 1538 et fut inhumée dans la cathédrale du château (Louis Segnat, En visite à... Nice, 1995 - books.google.fr).

 

Si l'on prend la date de 1536, quand Charles III fuit à Nice, comme repère, alors de 1536 à 2128 il y a 592 ans. Par symétrie, on obtient la date de 944.

 

Par sa documentation historique, Ian Wilson visait à combler le vide documentaire de treize siècles qui sépare la première attestation historique du Suaire de son origine supposée évangélique. A cet effet, il opéra une série de rapprochements et d'identifications. Sa reconstruction historique, il le dit expressément, est « fondée sur la théorie que le Suaire est le même objet que le « Mandylion » ou « image d'Edesse ». Une critique fine et nuancée lui vint d'un confrère, Jean-Maurice Fiey, dominicain de Beyrouth. Celui-ci, sur la base des documents syriaques et arabes, démontra que l'image du Christ, portée d'Edesse à Constantinople en 944, n'était pas et ne pouvait être le Suaire : « Les textes arabes et syriaques, écrit-il, aussi bien que les textes byzantins de l'époque, sont clairs. On ne parle toujours que d'un mandil (disons : une serviette) et d'un visage. Même l'examen de la relique dans le récit du pseudo-Syméon ne va pas au delà » (Victor Saxer, Le Suaire de Turin aux prises avec l'histoire. In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 76, n°196, 1990 - www.persee.fr).

 

Evagre le Scolastique, qui écrit vers 592, parle le premier dans son Histoire ecclésiastique d'un effet miraculeux de la relique acheiropoiète, appelée plus tard Mandylion dont l'étymologie semble être persane ("grand manteau), qui enflamme les machines de guerres des Perses qui assiègent la ville d'Edesse en 544 (Michel Kaplan, Pourquoi Byzance ? Un empire de onze siècles, 2016 - books.google.fr).

 

Par diverses autres sources, notamment le Pseudo-Constantin et un court récit qui a été reproduit par plusieurs chroniqueurs, nous savons que l'image apportée d'Édesse arriva à Constantinople le 15 août 944 ; c'était la fête de la la Dormition de la Mère de Dieu (l'Assomption en Occident). La relique fut déposée dans l'église des Blachernes, tout au nord de la ville, et y fut vénérée par les empereurs, c'est-à-dire Romain Lécapène, ses deux jeunes fils et son gendre, Constantin Porphyrogénète, associés nominalement à la dignité impériale. [...]

 

Grégoire le Réferendaire ne peut faire erreur sur l'objet dont il parle dans son homélie pour la réception de l'image d'Edesse, c'est bien l'image célèbre d'Edesse et non pas une étoffe autre qu'on aurait donnée par ruse à sa place. Elle est plus grande que le petit linge dont une tradition courante se contentait. L'homélie mérite plus de créance que le récit tardif dont on a voulu tirer une précision sur la dimension très restreinte du «mindil» : un voleur s'emparant de l'image et la dissimulant dans la poche formée par son vêtement. [...]

 

Grégoire a observé sur le tissu deux traces distinctes de la Passion, que nous pouvons aujourd'hui constater sur la relique de Turin. Ce n'est pas une invention de sa part. Il est, en effet, d'une grande sobriété dans les détails merveilleux, bien loin de les multiplier comme le font des récits parallèles, le Pseudo-Constantin et d'autres. De plus, la tradition antécédente sur l'image d'Édesse ne l'invitait pas à parler de sang et encore moins du côté transpercé. Elle ne connaissait qu'une empreinte du visage humecté d'eau pendant le ministère de prédication. Enfin, Grégoire proclame l'égalité de deux réalités (§ 26) l'empreinte du visage et le côté avec le sang et l'eau : elles sont ici et là : sur le linge évidemment et non pas l'une sur le linge et l'autre dans le texte de l'Evangile (Jean 19, 34). Toutes deux ont le même auteur et toutes deux contribuent à nous donner un exemple de la manière qui convient pour former en nous l'image de Dieu : par des sueurs venant de nous et non pas par des colorants artificiels, apportés de l'extérieur (§ 27) (André-Marie Dubarle, L'homélie de Grégoire le Référendaire pour la réception de l'image d'Édesse. In: Revue des études byzantines, tome 55, 1997 - www.persee.fr).

 

Selon Izz al-Din Ibn Saddad (1217 - 1288), le suaire (mandil) conservé dans l'église d'al-Ruha, fut l'objet d'un échange avec des prisonniers musulmans, négocié entre al-Muttaqi li Llah et le roi des Grecs en l'année 331 de l'Hégire (942-943) (Izz al-Din Ibn Saddad, Description de la Syrie du Nord, traduit par Anne-Marie Eddé-Terrasse, 2014 - books.google.fr).

 

La Misneh Torah du grand penseur médiéval Maïmonide (1135 ou 1138-1204) reprend pour l’essentiel les lois talmudiques, mais avec certaines nuances en ce qui concerne la façon de déchirer le vêtement (beged) : la partie du vêtement que l’on doit déchirer est la partie du devant et non celle de derrière ou celle du côté (4,8,1), sa longueur doit être celle d’une palme et la personne endeuillée n’est pas obligée de rompre l’encolure de son vêtement (sepat habeged); en outre, seul le vêtement de dessus (beged ha‘eleyôn) doit être déchiré (4,8,2) (Jean-Jacques Lavoie, Quelques réflexions anthropologiques et religieuses sur la permanence, les modifications et la disparition de certains rites juifs autour de la mort, Vivre avec la mort au travail, Frontières, Volume 26, Numéro 1–2, 2014 - www.erudit.org).

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