Le siège de Toulon

Le siège de Toulon

 

III, 6

 

1709

 

Dans le temple clos le foudre y entrera

Les citadins dedans leur fort grevez

Chevaux, bœufs, hommes, l'onde mur touchera

Par faim, soif, soubs les plus foibles armez.

 

Provence

 

"l'onde mur touchera" : on peut supposer un port au bord de la mer.

 

Durant l'annĂ©e 1706 qui prĂ©cĂ©da l'attaque de Toulon, la Provence, en outre, avait donnĂ© l'impression de se mal porter. Marseille, trop prompte Ă  se plaindre, prĂ©tend que les «piastres» nĂ©cessaires Ă  son commerce du Levant n'arrivent plus directement chez elle «par la mer et qu'on les tire touttes de Lion oĂą elles sont envoyĂ©es de Bayonne et d'OlĂ©ron, par Bordeaux et par Toulouze». Cela veut-il dire que les routes de MĂ©diterranĂ©e Ă©taient rendues pĂ©rilleuses par suite des opĂ©rations navales au long des cĂ´tes d'Espagne ? Mais, pour la Provence, le vrai dĂ©sastre aura Ă©tĂ© provoquĂ© par les pluies et les inondations d'un hiver calamiteux. Le RhĂ´ne avait largement dĂ©bordĂ©, inondant Tarascon et Arles, causant des dĂ©gâts immenses. Arles se plaint avec vivacitĂ©, mais elle n'est pas la seule Ă  devoir ĂŞtre secourue, d'autant qu'elle est privilĂ©giĂ©e, «exempte de taille, du logement des gens de guerre et des gabelles». Le dĂ©sastre, en fait, a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ral : «Il n'y a pas une seule paroisse de toute cette province qui n'ait receu des dommages.» Les eaux ont emportĂ© «les semĂ©s, et mĂŞme le terrain», entendez la terre arable, et «aux endroits oĂą il n'a pas estĂ© emportĂ©, il a estĂ© engravĂ© ou ensablé». Cette annĂ©e 1706 avait Ă©tĂ© Ă©galement calamiteuse pour les armĂ©es de Louis XIV. La guerre de Succession d'Espagne avait Ă©parpillĂ© les forces françaises Ă  travers l'Europe et, les dĂ©faites se succĂ©dant, elles avaient Ă©tĂ© ramenĂ©es sur nos frontières : dĂ©jĂ  en 1704, après la dĂ©faite de Höchstaedt, la Bavière avait Ă©tĂ© perdue et l'armĂ©e française Ă©tait revenue en deçà du Rhin ; en 1705, les Anglais avaient dĂ©barquĂ©, Ă  Barcelone l'archiduc Charles, le rival de Philippe V et la Catalogne s'Ă©tait soulevĂ©e ; victorieuse Ă  Ramillies (23 mai 1706), l'armĂ©e de Marlborough s'emparait de la Belgique – les Pays-Bas espagnols - et arrivait face Ă  la frontière de fer, en vue de Lille et de Dunkerque ; peu après le marĂ©chal de la Feuillade Ă©tait battu sous les murs de Turin (7 septembre 1706) : du coup, le Milanais – avec ses garnisons françaises – Ă©tait perdu Ă  brève Ă©chĂ©ance, le PiĂ©mont Ă©vacuĂ© sans plus tarder. En Espagne, la reprise de Madrid (3 aoĂ»t 1706) et les succès du marĂ©chal de Berwick rĂ©tablissaient une situation dĂ©sespĂ©rĂ©e qui n'en restait pas moins difficile. Le vieux roi n'Ă©tait donc plus invincible et «l'habitude se prenait [dans ses armĂ©es] des dĂ©faites et des dĂ©routes affolĂ©es». Au dĂ©but de l'annĂ©e 1707, Ă  la veille du retour du beau temps, Michel de Chamillart, ContrĂ´leur GĂ©nĂ©ral des Finances depuis 1699, secrĂ©taire d'État Ă  la Guerre depuis 1701, «s'avouait incapable d'organiser la campagne qui s'ouvrait» (Fernand Braudel, IdentitĂ© de la France, Tome 1 : Espace et histoire (1986), 2009 - books.google.fr, Le siège de Toulon en 1707: Ă©vocation Ă  l'occasion d'un tricentenaire OpĂ©ra de Toulon Provence MĂ©diterranĂ©e le 14 septembre 2007, 2008 - books.google.fr).

 

Le Prince EUGENE voyant ainsi les Armes oisives dans le Milanez, passa les Alpes l'année suivante, & fit une irruption fubite en Provence. La Flote Angloise & Hollandoise étoit sur la Côte, prête à favoriser son dessein. Toutefois n'aiant pas été seconde comme il l’esperoit par le Duc de Savoye, il échoua devant Toulon dont il vouloit former le Siége. Il s'en dedommagea par deux autres entreprises qui eurent un succès plus avantageux. L'une fut la prise de Suze, dont il fit le Siége en personne; & l'autre, la Reduction entiere du Royaume de NAPLES par le Comte de TAUN qu'il y envoya (Jean Le Clerc, Histoire des Provinces Unies des Pays-Bas, Tome 3, 1728 - books.google.fr).

 

Une mĂ©daille cĂ©lĂ©brant le prince de Savoie porte : EUGENIVS FRANCISCUS PRINCEPS SABAVDIAE SACRÆ CÆSARE E MAJESTATIS GENERALIS, GUBERNATOR MEDIOLANENSIS DITIONIS. (Eugene François Prince de Savoye, General des Troupes de Sa MajestĂ© Imperiale, Gouverneur du Milanez). Au Revers le mĂŞme Prince sous la figure d'un Ange Tutelaire lançant la foudre sur un Ennemi abatu Ă  ses piĂ©s qui tâche de parer le coup avec son Bouclier. A cĂ´tĂ© et une Guerriere representant la SAVOYE delivrĂ©e, comme on le voit Ă  l'Ecu de ses Armes; & auprès d'elle est une autre Pucelle, figure de la Province du MILANEZ, qui met volontairement ses armes aux piĂ©s du Vainqueur, & lui rend graces de sa Delivrance. Au dessus est cette Legende : GENIO TUTELARI ITALIAE (A l'Ange Tutelaire de l'Italie) (Jean Le Clerc, Histoire des Provinces Unies des Pays-Bas, Tome 3, 1728 - books.google.fr).

 

Temple clos

 

Aussi le verra-t-on cet Illustre HEROS,

De Jules meprisant l'impetueuse bile

Reprendre la Sardaigne, & sauver la Sicile.

Ses Armes, son seul Nom, ses Conseils, ses Soldats

Et ses soins le feroient au defaut de son Bras.

S'il a pĂ» du Sultan Ă©teindre la furie,

Rendre par sa valeur le calme Ă  la Hongrie,

Fermer, comme Ă  Rastadt, le Temple a double front [temple de Janus]

Et cacher sous l'Olive & le Fer & le Plomb,

Enfin s'il fit trembler le Gaulois en Campagne

Pouroit-il moins causer d'Ă©pouvante Ă  l'Espagne ?

Si ce Heros un jour paroissoit dans ces Lieux

Que de Lauriers encor s'ofriroient Ă  ses yeux !

On le verroit alors ce redoutable EUGENE,

Le Trident Ă  la main, sur la liquide Plaine

Commander en Neptune, & dabord en Vainqueur

Remplir l'Escurial de trouble & de fraĂŻeur. (Joseph Clement Melsion, Epitre a son Altesse le prince Francois Eugene de Savoie, 1720 - books.google.fr).

 

Au quatrin X, 27 "Viendront le temple ouvrir de main bellicque" : Allusion au temple de Janus, à Rome, dont les portes ne s'ouvraient qu'en temps de guerre (Anatole Le Pelletier, Les oracles de Michel de Nostredame, astrologue, médecin et conseiller ordinaire des rois Henri II, François II et Charles IX, 1867 - books.google.fr).

 

A rapprocher de "temple clos".

 

Acrostiche : DLCP

 

DL : die lunae ; CP : Castor et Pollux (Abréviations tirées du «Dictionnaire des Abréviations latines et italiennes» de A.Capelli).

 

- 23-25 juillet 1707 : Arrivée de troupes à Toulon pour renforcer la garnison. - 29 juil. : Les approches de Toulon attaquées par l'armée des alliés. - 30 juil. : Comnunications faites à l'Académie des sciences : Cassini, J., 'Comparaison de diverses observations de l'éclipse de lune du 16 avril 1707, faites à Rome par M. Bianchini, à Bologne par messieurs Manfredi et Stancari, à Nuremberg par M. Wurtzelbau et à Genève par M. Gautier'. Cassini, J. D., 'Réflexions sur les observations de Mercure'. Maraldi, G. F., 'Observation du passage de la planète de Mars par l'étoile nébuleuse de l'Ecrevisse...' (Pierre M. Conlon, Prélude au siècle des lumières en France: Repertoire chronologique de 1680 à 1715, Tome 1, 1970 - books.google.fr).

 

Castor et Pollux incarneraient la lune (qui doit sa lumière au soleil) et le soleil. Pollux, immortel comme le soleil, partage son immortalité avec son frère jumeau (Sylvie Bouissou, Jean-Philippe Rameau, 2014 - books.google.fr).

 

Cf. l'acrostiche du quatrain III, 52 et le quatrain II, 90 sur la guerre en Hongrie (bataille du pont de Zenta gagnée par le prince Eugène). Castor et Pollux peuvent symboliser la double monarchie austro-hongroise effective en 1867 seulement, annoncée par l'expression "Schwester Nationen" (1847), même si Castor et Pollux sont frères.

 

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