Remise en cause de la légitimité impériale autrichienne

Remise en cause de la légitimité impériale autrichienne

 

III, 49

 

1740-1741

 

Règne Gaulois tu seras bien changé,

En lieu estrange est translaté l'Empire,

En autres mœurs et loix seras rangé,

Roan et Chartres te feront bien du pire.

 

Translatio imperii ad Germanos

 

Le quatrain semble reprendre le titre d'un essai de l'abbé Guyon sur la translatio imperii, dont le privilège et l'approbation du roi date de 1746 : Essai critique sur l'etablissement et la translation de l'empire d'occident en Allemagne, avec les causes singulières qui l'ont fait perdre aux Français (Claude-Marie Guyon, Essai critique sur l'etablissement et la translation de l'empire d'occident ou d'Allemagne (etc.), 1752 - books.google.fr).

 

L'abbé Guyon remit en cause le caractère romain même de la dignité impériale, qui était fondé sur la théorie de la translatio Imperii, selon laquelle l'empereur du Saint-Empire était le successeur légitime des empereurs de la Rome antique. Guyon consacre la plus grande partie de son ouvrage à l'histoire de l'Empire d'Occident au temps des Carolingiens. Pour cet auteur, les rois francs sont les «Rois de France». La première partie de son livre traite des monarques francs, depuis Charles Martel jusqu'à l'extinction de la dynastie carolingienne, et de la Francie orientale jusqu'au sacre d'Otton Ier. La seconde partie examine plus en détail les causes de la chute de l'Empire carolingien. Selon Guyon, cette chute fut provoquée surtout par la faiblesse de certains empereurs et par la puissance temporelle des papes. Enfin, la troisième partie étudie les titres d'«Empereur» et de «Roi des Romains», avant d'examiner l'origine et les droits des princes électeurs. Cette attention particulière que Guyon prête aux empereurs francs distingue véritablement son ouvrage de l'«Histoire» de Maimbourg, que l'auteur attaque sévèrement. En particulier, Guyon lui reproche d'avoir chargé «ses marges d'une longue suite d'Auteurs, qu'il n'a vraisemblablement consultés que très-légerement, puisqu'il leur prête souvent tout le contraire de ce qu'ils disent» et de n'avoir consacré qu'une cinquantaine de pages à l'histoire des empereurs carolingiens et au problème du transfert de l'Empire en Allemagne.

 

Dans son Tableau historique de 1669, Nouvelon se fait l'écho de la théorie de la translatio Imperii. [...] L'empereur Charlemagne s'installa à Aix-la-Chapelle, qui, comme le souligne Nouvelon, faisait bien partie de la Gaule et non des pays d'outre-Rhin. Ainsi, la translation de l'Empire aux Allemands ne fut achevée que par Otton III, après que les Italiens eurent de leur côté tenté de le récupérer. Nouvelon considère que ce sont ces tentatives italiennes qui impulsèrent les efforts redoublés d'Otton III pour conserver durablement l'Imperium en Allemagne (Guido Braun, La connaissance du Saint-Empire en France du baroque aux Lumières 1643-1756, 2012 - books.google.fr).

 

M. l'abbé Guyon dans son histoire de la translation de l'empire, fixe l'origine des prétentions des papes sur les investitures des empereurs, à la démarche que fît Charles le Chauve, d'envoyer demander la couronne impériale au pape Jean VIII (Variations de la monarchie françoise dans son gouvernement politique, civil & militaire, avec l'examen des causes qui les ont produites ou Histoire du gouvernement de France depuis Clovis jusqu'à la mort de Louis XIV, 1765 - books.google.fr).

 

Louis-le-Germanique était l'ainé, cependant on lui préféra Charles, qui fut d'abord élu empereur, et ensuite roi d'Italie. On tint un concile à Rome, en 877, dans lequel on confirma l'élection qui avait été faite par l'autorité du sénat, du peuple, des évêques qui avaient rang parmi les seigneurs, et du pape Jean VIII, considéré comme le chef de la ville de Rome. Après la mort de Charles-le-Chauve, son neveu, Charles-le-Gros, fils de Louis-le-Germanique, s'empara de toute la Lombardie et assujettit toute l'Italie à sa puissance. Il vint ensuite à Rome, où il fut reçu avec honneur, et créé empereur par le pape Jean VIII et le sénat de Rome. Translation de l'empire aux Allemands : Après la mort de Charles-le-Gros, le pape Formose pria Arnould roi de Germanie, neveu de ce prince, de venir délivrer Rome de la tyrannie de Guy, duc de Spolete, descendant par les femmes de Charlemagne. Arnould prit Rome, et fut couronné empereur ; il mourut en 900, et son fils ne lui survécut pas longtemps. Ainsi fut éteinte cette partie de la famille de Charlemagne, qui jusqu'alors avait possédé l'Allemagne. Ceux de la partie de cette famille qui étaient en France, avaient trop de peine à conserver ce royaume, pour porter leurs vues sur l'Allemagne et l'Italie. Après Arnould, l'Allemagne se choisit différents rois. Quant à Rome et à l'Italie, elles furent pendant soixante ans la proie du plus fort ; jusqu'à ce que le pape Jean XII eut engagé Othon, premier roi d'Allemagne, ou des Teutons, à venir délivrer Rome de l'oppression des tyrans. Il y vint, y fut reçu au milieu des acclamations du peuple romain et du clergé, lesquelles acclamations étaient le signe que le peuple consentait à l'élection, et le pape le proclama et couronna empereur, l'an 972. Il avait épousé Adélaide, veuve de Lothaire, roi d'Italie, et s'était déjà emparé de ce royaume, lorsqu'il fut couronné empereur (Jacques Bénigne Bossuet, Défense de l'Église gallicane, Bibliothèque chrétiénne du dix-neuvième siècle, 1845 - books.google.fr).

 

Autres mœurs

 

La Maison de Charlemagne étant en possession de l'Empire d'Occident depuis plus d'un siécle, les Germains ne pouvoient plus s'en séparer, au jugement des Païens-mêmes, qui auroient regardé cette entreprise comme une infraction déclarée de la Loi naturelle & du Droit des gens. Enfin, si l'on en excepte les Saxons, jamais aucun peuple de la Germanie ne s'étoit révolté, depuis qu'ils avoient tous été foumis à la Couronne de France. Leur silence, fondé sur un état plus tranquile & plus heureux, étoit la marque d'un consentement volontaire, qu'il n'étoit plus permis de rétracter. Un Annaliste Alleman du XVIe siécle (Paul Langius) sentant cette difficulté, a imaginé, pour y répondre, de dire que Charlemagne étoit Alleman dans son origine, dans ses moeurs, dans sa langue ; & qu'ainsi les Germains n'avoient rien ôté à la Nation Françoise, qui n'avoit jamais possédé l'Empire. Mais rien n'est plus faux & plus contraire aux notions communes que cette idée. Car Charlemagne qui descendoit des Maires du Palais étoit François de naissance & de moeurs, ou il faut dire que Pharamon & Clovis ne l'étoient pas ; & dès lors on n'en reconnoîtra aucun. L'Auteur Anonyme de la Chronique Allemande est plus sincere. Il avouë avec tous les autres Historiens de sa Nation, que l'Empire a passé des François aux Germains ; & il dit que ceux-ci se séparerent, parce qu'ils ne voulurent point d'un Roi né & élevé en France, qui n'auroit ni les moeurs ni les fentimens favorables aux Allemans (Claude Marie Guyon, Essai critique sur l'etablissement et la translation de l'empire d'occident ou d'Allemagne (etc.), 1752 - books.google.fr).

 

Normands

 

La première invasion des Normands remonte à 841, la bande d'Oskar, brûle Rouen le 14 mai et s'empare de l'abbaye de de Saint-Ouen. Les Normands reparaissent sur les rives de la Seine en 845,851, 852,855. Charles le Chauve les assiège dans l'île d'Oscelle en 858 et subit un échec. Aux diètes de Pitres de 862 et de 864, le roi ordonne de barrer les vallées de la Seine, de l'Eure et de l'Andelle. En 867, la Seine est dégagée, parce que les Normands tournent maintenant tous leurs efforts vers l'Angleterre. Mais ils reviennent en 876 et Charles le Chauve ne peut réussir à les chasser. En 879 se constitue la grande armée normande Elle apparaît en 885 sous les murs de Rouen, puis elle va assiéger Paris. En 890 l'armée part pour le Cotentin et la Bretagne. En 896 un chef nommé Hulc se trouve dans la vallée de la Seine. De 903 à 910 on n'a plus aucun renseignement sur la grande armée qui, sans doute, s'est fragmentée en une foule de petites bandes. Celle de Rolf, en 910, fait une campagne dans le Sénonais ; en 911, partant de Jeufosse, en amont du confluent de la Seine et de l'Epte, elle va assiéger Chartres et est repoussée. Charles le Simple, croyant peut-être le moment favorable pour se l'attacher, lui abandonne par une convention dite de Saint-Clair-sur-Epte le territoire qu'elle occupe (Henri Prentout, La Normandie, Revue de synthèse historique, Centre international de synthèse, Paris, Section de synthèse historique, 1910 - archive.org).

 

Ces Barbares du Nord, comme leur nom le porte, avoient inutilement tenté de se jetter dans la France pendant le regne de Loüis le Débonnaire. Mais sous Charles le Chauve, ils gagnerent l'embouchure de la Seine, se rendirent maîtres de Roüen, & se répandirent aux environs avec le fer & la flamme. Le succès de ceux-ci en apella des essains d'autres. Presque tout le Dannemark les suivit, & ils porterent les ravages & la fureur jusques sur les bords du Rhin. Le Roïaume fut agité de ces guerres civiles & étrangeres sous le regne de Loüis le Bégue, fils de Charles le Chauve, & ensuite de Louis III & de Carloman mais son état devint plus triste sous Charles le Gros leur successeur, & le dernier des Rois de France Empereurs. Ce fut alors que les Normans firent le fameux siége de Paris, qui dura plus d'un an, & qu'ils ne leverent qu'après le honteux Traité que Charles le Gros fit avec eux. La foiblesse de ce Prince ocasionna plusieurs démembremens de l'Empire, enfin la révolte de ses sujets, qui le déposerent, & qui mirent Arnoul sur le Trône (Claude-Marie Guyon, Essai critique sur l'etablissement et la translation de l'empire d'occident ou d'Allemagne, 1752 - books.google.fr).

 

Typologie

 

Prenant comme date pivot 887, date de la déposition de Charles le Gros, dernier roi de Francie empereur, le report de 1741 donne 33.

 

Charles III dit «le Gros», né en 839 à Neudingen (de), près de Donaueschingen, et mort le 12 ou 13 janvier 888 au même endroit, est un prince et souverain carolingien. Par captation inopinée de l'héritage de ses frères aînés Carloman et Louis, ce troisième fils de Louis le Germanique, héritier de l'Alémanie à la mort de son père, devient un puissant roi de Francie jusqu'à sa destitution à Trebur en 887, et empereur d'Occident de 881 à sa mort en 888 (fr.wikipedia.org - Charles III le Gros).

 

«L'empereur victorieux se substitue, à Constantinople, au Christ ressuscité de Jérusalem, et il attend sans doute de cette substitution apothéose et résurrection [...] De même qu'il y a un Constantin-Hélios au sommet de la colonne de porphyre, il y a un Constantin-Christ dans le mausolée impérial que sont les Saints-Apôtres.» Par-delà la «translatio imperii» qui vaut à Constantinople de remplacer Rome, il existe un second transfert, plus significatif encore, qui fait que Constantinople se substitue aussi à Jérusalem, pour figurer le paradigme de la Jérusalem Nouvelle (Henri Stierlin, Orient byzantin: de Constantinople à l'Arménie et de Syrie en Ethiopie, Tome 3, 1988 - books.google.fr).

 

Au nom de la translatio imperii, le Saint Empire germanique se présente un siècle plus tard comme le successeur de l'Empire romain (byzantin), dont il partage la visée universelle et la prétention à couronner l'histoire. Ce n'est toutefois qu'au XVe siècle que la mention «de nation germanique» viendra compléter le titre en désignant les territoires allemands sur lesquels règne l'Empereur à l'exclusion de l'Italie et de la Bourgogne. Malgré ses avatars politiques, le Saint Empire romain germanique tire de la synthèse entre le politique et le sacré, le germanisme et le christianisme, une légitimité et un prestige qu'il gardera jusqu'après sa disparition en 1806 (le Recez napoléonien) (G. Merlo, Politique et religion : l'idée du Troisième Reich, Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande, Volume 32, 2000 - books.google.fr).

 

Le sermon du lundi de Pâques (de 1857), qui tourne autour de la notion du pouvoir politique chrétien, dresse un parallèle entre la Résurrection du Christ et la restauration de l'Empire de France. Ainsi l'emprisonnement de Napoléon à Sainte-Hélène est-il comparé à la déposition de Jésus dans le tombeau. Enfermé par les scribes et les pharisiens modernes, le Sauveur qu'est Napoléon dans l'ordre politique a brisé son propre tombeau et a ressurgi dans l'œuvre entreprise par son neveu. Le sens de leur oeuvre commune est de perpétuer l'Empire chrétien d'Occident, puisque au début du XIXe siècle a eu lieu une translatio imperii d'Allemagne vers la France, restituant à celle-ci sa primauté au sein de la chrétienté. L'abbé sicilien Joachim Ventura ne se réfère pas dans ce contexte à la deuxième épître de saint Paul aux Thessaloniciens, mais à défaut du mot l'idée de katékhon est présente en filigrane dans ses discours et reçoit même un renfort théologique supplémentaire par le commentaire d'un autre passage paulinien, celui où l'Apôtre des Gentils recommande l'obéissance à l'égard des autorités. C'est que, selon Ventura, l'exhortation de saint Paul suppose une doctrine de la hiérarchie des pouvoirs en tant que formes de représentation de la divinité (Theodore Paleologue, Les Napoléonides, Commentaire, Volume 27, Numéro 108, 2005 - books.google.fr).

 

La notion paulinienne du katékhon est cette force ou cette personne qui, selon la seconde épître aux Thessaloniciens, retarde la venue de l'Antéchrist et la fin de l'Histoire (La revue des lettres modernes: Léon Bloy, Numéro 6, 1954 - books.google.fr).

 

La Translatio en 1740

 

Force est de constater que, à partir de 1740, les éditions françaises de la Bulle d'or et des capitulations impériales connaissent un essor important et qu'en France les commentateurs de ces lois fondamentales les discutent de manière controversée. Ce débat doit être interprété sur l'arrière-fond de la remise en cause de l'appartenance de la dignité impériale à la maison d'Autriche.

 

Martin Wrede a bien prouvé, tout récemment, que la diminution du danger que les invasions ottomanes ont représenté pour le Saint-Empire aux Temps modernes contribua, en combinaison avec d'autres évolutions, comme les changements dynastiques de 1742 et de 1745, à montrer les limites des capacités d'intégration de l'Empire, surtout après 1740. En fait, selon Martin Wrede, la disparition de l'ennemi commun de l'empereur et des états d'Empire qu'avait été le Turc fut l'une des causes de la désintégration du Saint-Empire qui suivit à partir des années 1740 (Guido Braun, La connaissance du Saint-Empire en France du baroque aux Lumières 1643-1756, 2012 - books.google.fr).

 

Le contexte en 1740

 

La guerre de Succession d'Autriche (1740 – 1748, traité d'Aix-la-Chapelle) est un conflit européen né de la contestation par les États qui y avaient souscrit de la Pragmatique Sanction, par laquelle l'empereur Charles VI du Saint-Empire léguait à sa fille Marie-Thérèse d'Autriche les États héréditaires de la maison de Habsbourg. Le 20 octobre 1740, Charles VI, empereur romain germanique de la Maison de Habsbourg, meurt. Roi de Bohême et de Hongrie et archiduc d'Autriche (ses titres et possessions principaux), il n'a pour postérité survivante que deux filles et souhaite léguer ses États patrimoniaux à l'aînée d'entre elles, Marie-Thérèse. Aussi a-t-il édicté en 1713 une «Pragmatique Sanction» qu'ont ratifiée l'ensemble des États européens. Une femme ne pouvant régner sur l'Empire, Marie-Thérèse pense pouvoir faire élire Empereur son mari François-Étienne de Lorraine. La France avait accepté à mi-mot la Pragmatique Sanction en 1738, pour autant qu'elle ne lésât pas les intérêts des tiers. Frédéric II, tout nouveau roi de Prusse (son père, le brutal «Roi-Sergent» est mort le 31 mai 1740). Dans un premier temps, pour prix de son vote à l'élection impériale, Frédéric demande la Silésie, la plus riche possession de Marie-Thérèse et peuplée d'un million d'habitants. La cour de Vienne s'étonne d'une telle ambition. Dans un second temps, Frédéric fait envahir par surprise et sans déclaration de guerre préalable, la région convoitée, dès décembre 1740 (fr.wikipedia.org - Guerre de Succession d'Autriche).

 

La France, appuyĂ©e sur l'alliance de la Prusse et de l'Espagne, revient Ă  la politique d'hĂ©gĂ©monie. A l'exception de l'Angleterre, qui ne dĂ©sirait ne dĂ©sirait pas le dĂ©membrement de l'Autriche parce qu'elle ne convoitait aucun de ses territoires et parce que la puissance des Habsbourg lui apparaissait comme le principal Ă©lĂ©ment de l'Ă©quilibre continental, les Etats europĂ©ens se trouvèrent unanimes pour violer leurs engagements les plus solennels. FrĂ©dĂ©ric II, qui venait de monter sur le trĂ´ne de Prusse (1740), convoitait la SilĂ©sie. Philippe V d'Espagne prĂ©tendait au Milanais. En France, la politique d'hĂ©gĂ©monie continentale rebondissait : la destruction de la maison de Habsbourg devait lui assurer la suprĂ©matie sur le continent, et la conquĂŞte de la Belgique, briser la maĂ®trise maritime de l'Angleterre. Le cardinal Fleury cependant, comprenant les dangers auxquels la France s'exposait en revenant Ă  ses visĂ©es d'hĂ©gĂ©monie dynastique - lesquelles avaient conduit Louis XIV aux traitĂ©s d'Utrecht - prodiguait des conseils de modĂ©ration. Mais Louis XV Ă©tait dĂ©cidĂ© : les ressources de la France Ă©taient considĂ©rables, il allait les consacrer Ă  faire triompher enfin la politique d'hĂ©gĂ©monie dynastique engagĂ©e par Louis XIV. Fleury ne fut pas Ă©coutĂ© et, assistĂ© de quelques conseillers secrets, Louis XV prit lui-mĂŞme en mains la direction de la politique Ă©trangère. Dans la grande crise qui s'ouvrait, s'affirma la dĂ©composition dĂ©finitive du Saint-Empire : ce furent les princes allemands qui furent les premiers Ă  se jeter sur l'Autriche. Sans dĂ©claration de guerre, le roi de Prusse, FrĂ©dĂ©ric II, envahit la SilĂ©sie, tandis que les armĂ©es de la Saxe et de la Bavière pĂ©nĂ©traient en BohĂŞme et en Autriche. Fleury, qui craignait les consĂ©quences d'une rupture de l'Ă©quilibre continental, tâcha encore de maintenir la France en dehors du conflit. Il chercha Ă  sauver la paix par une transaction, en vertu de laquelle le duc Charles-Albert de Bavière serait Ă©lu empereur tandis que Marie-ThĂ©rèse recueillerait la succession de Charles VI. Ce fut en vain. Sous l'influence personnelle du jeune  roi Louis XV, une alliance fut signĂ©e Ă  Nymphenbourg par les trois maisons des Bourbons de France, d'Espagne et de Sicile avec la Prusse et la Bavière contre l'Autriche (1741). Toute la politique de sagesse qui avait valu Ă  Fleury les succès des traitĂ©s de Vienne et de Belgrade Ă©tait ruinĂ©e. La France renonçait Ă  la fois Ă  l'alliance anglaise et Ă  l'entente avec l'Autriche, dans l'espoir d'imposer Ă  l'Europe la prĂ©Ă©minence de la maison de Bourbon, sous l'Ă©gide du roi de France, appuyĂ©e sur l'alliance prussienne. EntraĂ®nĂ© dans la guerre, Fleury chercha encore Ă  la localiser. Soucieux de ne pas rendre impossible le retour Ă  l'alliance anglaise, il s'efforça de sĂ©parer la guerre maritime qu'il livrait, mollement d'ailleurs, contre l'Angleterre, de la guerre qui s'engageait contre l'Autriche. Et, afin de mĂ©nager les intĂ©rĂŞts anglais, il garantit au roi d'Angleterre, Ă©lecteur de Hanovre, qu'il respecterait ses territoires allemands. Mais Louis XV, malgrĂ© Fleury, allait de l'avant. Une armĂ©e française de 40.000 hommes, envoyĂ©e pour appuyer le duc Charles-Albert de Bavière, s'empara de Prague, tandis que, soutenus par la France, les Ă©lecteurs nommaient Charles-Albert empereur sous le nom de Charles VII (1742-1745). Au moins Fleury entendait-il empĂŞcher la France de s'aventurer en Belgique afin de ne pas provoquer l'Angleterre. Et bientĂ´t, profitant de la prise de Prague, il s'efforça d'amener Louis XV Ă  faire la paix avec l'Autriche. Walpole, lui aussi cherchait Ă  limiter la guerre. L'Angleterre avait donnĂ© son agrĂ©ment Ă  la Pragmatique Sanction, agrĂ©ment que Charles  VI avait payĂ© de la suppression de la Compagnie d'Ostende. Elle ne pouvait trahir sa parole. Cette raison militait en faveur d'une attitude de neutralitĂ© de l'Angleterre sur le continent. Les capitalistes cependant, qui formaient le parti de la guerre, se refusaient Ă  cette politique. DĂ©cidĂ©s Ă  faire une guerre de conquĂŞtes coloniales et de suprĂ©matie maritime, ils voulaient, pour vaincre dĂ©finitivement la France, Ă©craser sa puissance sur le continent. L'Angleterre, d'ailleurs, pouvait-elle laisser dĂ©membrer l'Autriche sans que fĂ»t remis en question l'Ă©quilibre europĂ©en, condition indispensable de l'hĂ©gĂ©monie maritime de la Grande-Bretagne ? Rien ne pouvait rĂ©sister Ă  l'influence des capitalistes. Les Ă©lections de 1741 furent dĂ©favorables Ă  Walpole. En 1742, le parlement le renversa. Le gouvernement resta entre les mains du parti whig. Il fut prĂ©sidĂ© par Carteret, dĂ©cidĂ© Ă  conserver Ă  l'Angleterre le rĂ´le d'arbitre de l'Ă©quilibre europĂ©en : «Mon mĂ©tier, disait-il, c'est de faire des rois et des empereurs et de faire l'Ă©quilibre de l'Europe.» Pour intervenir sur le continent, l'Angleterre possĂ©dait dans le Hanovre une base Ă  laquelle le port de Hambourg donnait un facile accès. Mais elle ne pouvait l'utiliser avec profit que si l'armĂ©e prussienne ne la menaçait pas. Carteret, pour obtenir le retrait de la Prusse de l'alliance de Nymphenbourg, exigea de l'Autriche, pour prix de l'alliance anglaise et de ses subsides qu'elle renonçât Ă  la SilĂ©sie. FrĂ©dĂ©ric II, dont les buts de guerre Ă©taient ainsi rĂ©alisĂ©s, signa avec l'Autriche la paix de Breslau qui entĂ©rinait ses conquĂŞtes (1742). Fleury comprit que la France, privĂ©e de l'alliance prussienne, allait au-devant des mĂŞme difficultĂ©s que celles qu'elle avait connues au cours de la guerre de la Succession d'Espagne. Il conseilla la paix Ă  tout prix. Mais Louis XV, grisĂ© par ses succès, Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  pousser la guerre Ă  fond et Ă  conquĂ©rir enfin, pour sa maison, l'hĂ©gĂ©monie. Il allait trouver sur sa route l'Angleterre, farouchement rĂ©solue Ă  la lui contester. SitĂ´t la paix de Breslau signĂ©e, l'Angleterre entra rĂ©solument dans le conflit, et y entraĂ®na les Provinces-Unies. Or l'Autriche, assaillie Ă  l'improviste, se ressaisissait. Charles VI, en mourant, n'avait laissĂ© Ă  Marie-ThĂ©rèse pour dĂ©fendre sa succession que 80.000 hommes de troupes et un trĂ©sor vide. Vaincue par les armĂ©es de FrĂ©dĂ©ric II et de Louis XV, la jeune souveraine avait fait appel Ă  la Hongrie et, en lui rendant son indĂ©pendance, avait obtenu d'elle une armĂ©e de 100.000 hommes. Elle la jeta en BohĂŞme contre la petite armĂ©e française qui venait de s'emparer de Prague, Ă©loignĂ©e de ses bases, et sans appui depuis la dĂ©fection de la Prusse. Prague fut reprise. Les difficultĂ©s de la France commençaient. Fleury mourut au  mĂŞme moment. Louis XV fit appel au marquis d'Argenson. Il Ă©tait, comme Fleury, partisan de la paix, et comme lui, la voulait basĂ©e sur un Ă©quilibre stable de l'Europe. Sa politique allait tendre Ă  faire de la France l'arbitre de cet Ă©quilibre. Il en revenait, en somme, Ă  la politique qui avait menĂ© la France aux glorieux traitĂ©s de 1648. Comme Richelieu et Mazarin, il eĂ»t voulu voir la France jouer son rĂ´le d'arbitre, en dehors de toutes visĂ©es d'hĂ©gĂ©monie europĂ©enne. Mais, allant plus loin qu'eux, il voulait qu'elle remplĂ®t ce rĂ´le en s'inspirant des principes d'une justice dĂ©sintĂ©ressĂ©e. Ses idĂ©es rappelaient celles de Sully et annonçaient celles de la RĂ©volution. Il exposa son système d'Ă©quilibre dans son TraitĂ© publiĂ© en 1737, sous le titre : Essai de tribunal europĂ©en par la France seule, oĂą il assigne Ă  la France le rĂ´le d'arbitre entre les quatre puissances dont il considère que l'impĂ©rialisme menace la paix : l'Autriche, l'Espagne, la Russie et l'Angleterre. Foncièrement pacifiste, il Ă©tait prĂŞt Ă  faire la guerre Ă  outrance pour assurer le triomphe du Droit et pour donner Ă  l'Europe une paix durable. Au milieu du dĂ©chaĂ®nement gĂ©nĂ©ral des impĂ©rialismes, tant Ă©conomiques que territoriaux ou dynastiques, ses idĂ©es ne pouvaient trouver, ni en Europe, ni Ă  la cour de France, aucun Ă©cho. EntravĂ©e par les intrigues de la cour et par les visĂ©es personnelles du roi qui, en secret, trahissait celles de son ministre, sa politique apparut incohĂ©rente et vaine. Toute la politique de guerre de la France allait ĂŞtre dominĂ©e, dès lors, par les clans aristocratiques de la cour. La rĂ©action triomphait en mĂŞme temps que reparaissaient les idĂ©es d'hĂ©gĂ©monie dynastique. Comme lors de la guerre de la Succession d'Espagne, la France se trouvait obligĂ©e de mener conjointement deux guerres : l'une contre l'Autriche qui devait assurer l'abaissement dĂ©finitif des Habsbourg et l'hĂ©gĂ©monie de la maison de Bourbon, l'autre contre l'Angleterre qui devait marquer, par la restauration des Stuarts, le triomphe de l'absolutisme sur le parlementarisme et sur les idĂ©es libĂ©rales qui menaçaient la position des classes privilĂ©giĂ©es. Des deux guerres, la plus dure, la plus lourde de consĂ©quences, serait celle contre l'Angleterre, son alliĂ©e de la veille. Après la paix de Breslau, l'Angleterre, qui voulait Ă  tout prix rendre impossible la restauration d'une hĂ©gĂ©monie de la France, porta la guerre sur le continent. Elle dĂ©barqua dans le Hanovre un corps expĂ©ditionnaire qui marcha Ă  la rencontre de l'armĂ©e française et la battit Ă  Dettingen sur le Main. Ce fut un Ă©vĂ©nement considĂ©rable qui augmenta largement le prestige de l'Angleterre. Elle allait prendre dès lors la direction des alliĂ©s contre la France. Carteret s'engagea aussitĂ´t dans une large politique continentale. AppuyĂ© sur la Prusse, Ă  laquelle il avait fait obtenir la SilĂ©sie, son plan consistait Ă  dĂ©tacher la Bavière de la France, Ă  rĂ©concilier l'empereur Charles VII avec Marie-ThĂ©rèse en l'amenant Ă  renoncer Ă  ses prĂ©tentions sur la succession autrichienne ; l'Autriche - qui abandonnerait les conquĂŞtes rĂ©alisĂ©es en Bavière par ses armĂ©es - recevrait en compensation la Lorraine et les trois Ă©vĂŞchĂ©s : Metz, Toul et Verdun, qu'elle conquerrait sur la France. Entre les Wittelsbach de Bavière, les Habsbourg d'Autriche et les Hohenzollern de Prusse, le roi d'Angleterre, George II, se prĂ©sentait ainsi, en sa qualitĂ© d'Ă©lecteur de Hanovre, comme le mĂ©diateur de l'Europe. Ces nĂ©gociations, poursuivies personnellement par le roi George II, installĂ© avec Carteret dans son Ă©lectorat de Hanovre, aboutirent Ă  la conclusion du traitĂ© de Hanau (1743) passĂ© avec le prince de Hesse, dont l'appui militaire, soutenu par la finance anglaise, devait permettre Ă  George II de constituer en Hanovre une armĂ©e mi-allemande mi-anglaise suffisamment puissante pour imposer - avec l'appui de l'or anglais - le plan Ă©laborĂ© par le ministre de George II. Le traitĂ© de Hanau, passĂ© par l'Ă©lecteur de Hanovre en dehors de l'Angleterre, engageait George II dans une politique allemande dont le peuple anglais serait appelĂ© Ă  faire les frais. Cette politique continentale, due Ă  l'influence personnelle du roi, Ă©tait en contradiction formelle avec les traditions et les intĂ©rĂŞts anglais. Mais cette contradiction n'apparut pas tout d'abord. L'hĂ©gĂ©monie anglaise s'installait sur le continent. Les Provinces-Unies sortaient de leur neutralitĂ© et se rapprochaient de l'Angleterre, sous l'influence des rĂ©publicains qui craignaient qu'une victoire de la France n'entraĂ®nât en Hollande l'instauration de la puissance monarchique de la famille d'Orange. Le roi de Sardaigne, subsidiĂ© par l'Angleterre, abandonnait l'alliance française moyennant la cession, imposĂ©e Ă  l'Autriche par Carteret, d'une partie du Milanais. L'encerclement de la France se dessinait. Il fut confirmĂ© par le traitĂ© de Worms qui unit l'Angleterre, le Hanovre, l'Autriche, la Hollande, la Saxe et la Sardaigne pour la dĂ©fense de la Pragmatique Sanction, c'est-Ă -dire contre les Bourbons (Jacques Pirenne, Les Grands Courants de L'histoire Universelle, Tome 3, 1948 - books.google.fr).

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