La Henriade III, 30 1726-1727 Celui qu'en luite
& fer au fait bellique, Aura porté plus grand que lui le prix, De nuit au lit, six lui feront la picque, Nud sans harnois subit sera surpris. Le héros
malheureux, sans armes, sans défense Pour Chavigny, il s'agit de
Montgomery, qui tua en tournoi le roi Henri II. En effet le "faict bellique"
rappelle le "champ bellique" du quatrain I,
85 sensé décrire la mort du roi. Montgomery fut arrêté le 27 mai 1574,
selon lui par 6 gentilhommes de nuit, dans son
château de Domfront. Mais il ne fut pas transpercé ("faire la pique",
"piquer" : transpercer), il eut la tête tranchée à Paris le 22 juin
1574 Pour De Fontbrune (Nostradamus,
Historien et prophète, p. 70), il s'agit de l'assassinat de Gaspard de Coligny
à la Saint Barthélemy, ce qui est plus probable. Le vendredi, comme Coligny sortait d'avec le roi de plus
en plus filial, Ă deux pas du Louvre, il Ă©prouva subitement une grande
commotion Ă un doigt de la main droite et presque au mĂŞme moment une autre au
bras gauche : c'Ă©taient deux coups d'arquebuse qu'on venait de lui tirer d'une
fenêtre du cloître Saint-Germain-l'Auxerrois. Il
fallut lui couper le doigt blessé, ce qui lui fit quelque mal parce que les
ciseaux Ă©taient mauvais et qu'on s'y reprit Ă trois fois. Le roi de Navarre et
le prince de CondĂ©, atteints dans leur meilleur ami, allèrent se plaindre Ă
Charles IX, qui fut plus affligé qu'eux, et, les deux princes lui disant que,
puisque les huguenots n'étaient pas en sûreté à Paris, ils demandaient qu'on
les laissât se retirer chez eux, il le leur défendit et fit promptement fermer
les portes de la ville, de crainte que l'assassin ne s'échappât. Il alla voir
Coligny et lui dit : « Mon père, vous avez reçu la blessure et moi la douleur.
» Catherine de Médicis y alla aussi, et offrit même au blessé de le faire
transporter au Louvre, où elle répondrait de lui. Coligny n'accepta pas; si
bien que, le surlendemain, au milieu de la nuit, il fut réveillé par le son du tocsin
et par un tumulte dans sa cour, puis à sa porte, qui fut vite forcée, et il vit entrer trois capitaines au régiment
des gardes, Cosseins, Attin
et Corberau de Cordillac,
un Siennois, Petrucci, et Besme, un Allemand. Besme lui dit : «Est-ce
toi qui es Coligny?» Il répondit : «C'est moi.» Besme lui donna un coup d'épée
au travers du corps et un autre coup dans la bouche, puis d'autres encore pour
l'achever. Le duc de Guise, qui Ă©tait dans la cour avec plusieurs, cria Besme
et lui demanda si c'Ă©tait fait; Besme dit que oui, mais le chevalier
d'AngoulĂŞme ne s'en rapporta pas Ă lui et voulut voir; Besme alors et les
capitaines jetèrent le corps par la fenêtre; la blessure de la bouche le
défigurait et le sang empêchait de voir le visage : le chevalier d'Angoulême essuya le sang avec son mouchoir, vit que
c'Ă©tait bien Coligny, et donna au mort des coups de pied; on lui coupa la
tête pour l'envoyer à Borne en cadeau au pape; puis ces princes se retirèrent,
laissant leurs restes à la populace. Le cadavre fut traîné jusqu'à la Seine, où
il allait être jeté, mais on préféra le gibet de Montfaucon, on alla l'y
pendre, on alluma dessous un feu qui le consuma Ă moitiĂ©, et on laissa lĂ
pendant plusieurs jours ce charbon humain. On sait ce que fut cette nuit si
bien commencée. Le tocsin sonnait, appelant au meurtre les fidèles de l'église
et de la monarchie. On tuait partout, dans les rues, dans les maisons, dans le
Louvre. On tuait tout, femmes, enfants, malades. «Le sang, dit de Thou, coulait
à si grands ruisseaux dans les rues qu'il en tombait de tous côtés comme des
torrents dans la rivière.» Un orfèvre appelé Crucé se
vanta d'avoir tué plus de quatre cents protestants à lui seul. Deux jours
après, les prêtres firent une procession dans Paris pour rendre grâces à Dieu Les assassins de Coligny sont plutôt cinq : les
trois capitaines, Petrucci et Besmes (surnom d'un
Bohémien de Bohême, de son vrai nom Christian Danowitz).
Avec AngoulĂŞme six. Piquer En italien "bastonare" peut vouloir dire bastonner mais aussi
piquer, censurer, mordre, critiquer Se rappelait-on cette loi romaine qui punissait de la
bastonnade quiconque faisait des vers satiriques et mordants ? Le fait Ă©tait si
fréquent qu'il en était résulté une locution particulière : au lieu de :
bâtonner quelqu'un, on disait : le traiter en poète La BASTONNADE que le CENTURION infligeait, s'appelait :
vite verberari. Ce CEP DE VIGNE ou ce SCIPION Ă©tait
tellement la MARQUE DISTINCTIVE du GRADE, que FESTUS prend dans le sens de
notre mot servir ou ĂŞtre au service, sub vite praeliari, ce qui peut se rendre par FAIRE LA GUERRE sous
l'empire du bâton. - Résister aux COUPS de CEP infligés par PUN1TION et briser le
CEP, c'était encourir PEINE DE MORT. - Cléarque
représente l'officier tenant de la main gauche sa DEMI-PIQUE et de la droite sa
CANNE : in manu sinistrâ hastam
tenens, in dextrá scipionem. Cette désignation de l'emploi de chaque main
semblerait, dans l'esprit de nos usages, exprimer qu'il s'agissait moins pour
l'officier de se battre que de surveiller le SOLDAT qui combat, et de maintenir
la DISCIPLINE. Cette BASTONNADE, comparable Ă la SCHLAGUE allemande,
s'appliquait sans forme de procès Le théâtre de Naevius semble faire une assez large part
aux choses nationales. Il s'en prend publiquement aux grandes familles de Rome.
Il reproche à Scipion d'avoir jadis laissé son manteau dans une aventure
galante, et trouve aussi que les Metellus naissent consuls pour le malheur du
pays. Scipion ne dit rien, mais les Metellus se fâchent : ils le font bâtonner,
emprisonner et exiler. Ces attaques sont-elles lancées dans des Satires ou en
plein théâtre ? Plutôt au théâtre, car Aulu-Gelle dit que Naevius a suivi
l'exemple des poètes grecs. En ce cas, il aurait essayé d'introduire à Rome
l'ardente polĂ©mique d'Aristophane : tentative audacieuse, condamnĂ©e Ă
échouer. Les Grecs, tolérants, épris e débats publics, laissent faire pourvu
qu'on les amuse ; ils permettent de ridiculiser les hommes d'Etat et l'État
lui-mĂŞme : Ă Rome, dans le pays de la discipline et du respect, toute
discussion est une rébellion Cnaeus (ou Gnaeus) Naevius, en
français Névius ou Nevius
(-275–-201) est un dramaturge romain qui se rattache à la période du latin
archaĂŻque. Les Metelli le font emprisonner en 205. Il
est libéré par Marcus Claudius Marcellus, fils du grand Marcellus, mais doit
s’exiler en raison de ses positions contre les Metelli
et les Scipions, disant que les destins des deux
familles «est de naître consuls à Rome». Des vers montrant la haine des Caecilii Metelli envers lui se
sont révélés apocryphes : Dabunt malum Metelli Naevio
poetae (les
Metellus donneront du bâton au poète Nævius)
(pseudo-Metellus) Piquer 2 Au temps de Rome républicaine, le crime d'empoisonnement était à ce point commun, qu'on dut
décréter des lois de circonstance. Dès l'an 300 de la fondation de Rome, la loi
des Douze Tables taxait déjà de crime l'empoisonnement. Plus tard, sous le
consulat de V. Flaccus et de M.C. Marcellus, fut
découverte une association clandestine de matrones qui se livraient aux pires
débauches. Ces nobles dames avaient juré de se débarrasser par le poison des
citoyens les plus vertueux du Sénat, qui avaient osé édicter des lois contre
leurs agissements. Les prévenues protestèrent vivement contre les soupçons dont
elles se disaient injustement atteintes. Leur défense, on la devine : ce
n'étaient pas des poisons, mais des remèdes, qu'elles distribuaient aux
malheureux. Elles s'offraient, du reste, pour des expériences in anima vili.
Cette expérience leur coûta la vie : l'épreuve était décisive. A défaut de
coupables, on se saisit des complices, qui, au nombre de cent soixante-dix,
furent enfermées, pour le restant de leurs jours, dans les cachots Tiburtins : il n'était point raffinement de supplice
pire que cette mort en cellule. L'histoire est muette pendant près de deux siècles
; les tragédies sont suivies de ces accalmies. Avec la corruption, le poison
fera de nouveau son apparition. L'édit de Sylla, le dictateur prévoyant,
mettra-t-il une digue à ce flot débordant ? La loi Cornelia, qui vient d'être
promulguée, est d'une rigueur qui peut être salutaire : elle punit de mort
l'empoisonneur, qu'elle déclare plus coupable que l'assassin même : plus est
hominem extinguere veneno quam occidere gladio.
MĂŞmes peines sont applicables aux marchands de drogues, aux charlatans de toute
espèce qui pullulaient en ce temps-là . Ces pénalités atteignirent-elles leur
but ? Il est permis d'en douter. La mort prématurée de bon nombre de Romains,
et non des moins illustres, témoigne que les empoisonneurs avaient encore beau
jeu. C'est l'époque où Scipion Émilien,
surnommé le second Africain, était trouvé mort dans son lit, empoisonné,
dit-on, par sa femme Sempronie, sœur des Gracques,
aidée peut-être de Cornelius Gracchus. Plus tard, Catilina, éperdument
amoureux d'Aurelia Orestilla,
et voyant que le fils qu'il avait d'une autre femme Ă©tait un obstacle Ă son
mariage avec elle, n'hésita pas à se débarrasser de celui-ci par le poison.
[...] Un historien raconte un fait
curieux, dont malheureusement la preuve ne nous est pas fournie : il dit que, sous les premiers CĂ©sars, des hommes
se promenaient sur le forum, tenant Ă la main des aiguilles dont ils piquaient
les passants, et que et que ceux-ci tombaient aussitôt foudroyés par le poison
subtil dont ces aiguilles étaient imprégnées Scipion Emilien Le "harnois" fait penser à un homme de guerre. Comme pour le Montgomery de Torné, on fait lien entre ce quatrain III, 30 et I, 85 dont
l'interprétation proposée par ce site, porte sur Scipion Emilien. Le général romain qui a réduit Numance est celui-là même
qui venait de détruire Carthage : Scipion Emilien. «C'est par le pic et la
pelle que je materai les Numantins», disait-il,
formule que César pouvait faire sienne Scipion Emilien n'aimait aucune des deux factions. Forcé
de prendre parti, il passa du côté des grands, sans se faire illusion sur leurs
vices comme sur leur faiblesse. A la populace et au patriciat, Ă©galement
corrompus, il préférait la saine et robuste race des Italiens; il les avait
appréciés dans les camps; il se fit leur patron au forum. Il attaqua la loi
agraire au uoro des
Italiens, qu'elle dépossédait. Le peuple ne manqua pas de l'accuser de
sacrifier les citoyens aux Ă©trangers. Du reste, comme dans ses attaques contre
la loi agraire il se rencontrait avec le parti des nobles sans avoir pourtant
les mĂŞmes vues, ce parti crut pouvoir le prendre pour chef, et songea mĂŞme Ă
lui donner la dictature. De son côté la faction populaire le regardait comme le
plus grand obstacle à ses projets. Un soir il était rentré dans sa maison,
méditant un discours qu'il devait prononcer le lendemain contre les tribuns; le
matin venu, on le trouva mort dans son lit. Peu d'hommes voulurent croire que
sa mort fût naturelle; il n'avait que cinquante-six ans, et sa constitution
était vigoureuse. Quelques-uns prétendirent qu'il s'était donné la mort, soit
que la vue des guerres civiles lui fut insupportable, soit qu'il eût fait aux
Italiens des promesses qu'il ne pouvait pas tenir. La voix publique parla d'un
assassinat; ou en accusa sa femme Sempronia, sœur des
Gracques; on dit que des esclaves mis à la torture avouèrent que des hommes armés s'étaient introduits
pendant la nuit dans la chambre oĂą Scipion reposait. On dit mĂŞme que sa
tĂŞte portait des traces visibles de violence, et c'est pour cela que dans le
convoi funèbre son visage ne fut pas découvert suivant l'usage. Le sénat ne lit
aucune enquête et ne chercha pas à venger un homme dont il se défiait
peut-être. Le peuple se réjouit de sa mort. Quelques bons citoyens le
pleurèrent. «Allez, disait Metellus à ses
fils, accompagnez la pompe funèbre; jamais il ne vous arrivera de suivre le
convoi d'un plus grand citoyen.» La thèse selon
laquelle Scipion Emilien fut tué par son épouse Sempronia
est accréditée par Cicéron, Pro Mil., 7, 16 A partir de chaque citation de la république de Cicéron,
le Commentaire de Macrobe va développer un ou plusieurs sujets, formant chacun
un véritable petit traité d'étendue variable.. Nous ne
donnons pour l'instant que deux exemples de la façon dont Macrobe procède :
RĂ©p.VI, 12 = Somn. 2, 2
(Scipion l'Africain annonce à Scipion Emilien qu'il parviendra à l'âge de huit
fois sept ans, où il sera peut-être assassiné) donne lieu à deux exposés : un
exposé arithmologique sur les vertus
des nombres huit et sept (Comm. I, 5-6), suivi d'un
exposé sur l'ambiguïté de certains présages (Comm. I,
7). RĂ©p.VI, 20-21 = Somn. 6, 1-3
(Scipion l'Africain indique quels sont les lieux habités sur Terre et révèle
l'existence de cycles cosmiques de durée fixe, pour montrer que la gloire
humaine est limitée dans l'espace et dans le temps), suscite, chez Macrobe, un
traité géographique sur les lieux habités, les zones climatiques et l'Océan (Comm. II, 5-8), puis un exposé astronomique sur les cycles
cosmiques et la Grande Année (Comm. II, 10) Scipion - Coligny On sait l'épreuve mortelle par laquelle est passé d'Agrippa d’Aubigné, au moment de dicter
les premières clauses des Tragiques. Nu
et blessé, il a vu «sur [s]on sein morts et siffler et grouiller», et
courir impuissants «les tissons des aspics comme dessus les Psylles» (I, 1421-
1424). Le plus extraordinaire en la circonstance est que le poète décrit avec
une lucidité presque clinique sa mort physique, détaché soudain de sa dépouille
mortelle, qu'il contemple à distance, depuis le ciel où son âme a été
transportée durant la «pâmoison». [...] L'Amiral, de
préférence à Caton; Coligny plutôt que Scipion. Deux fois présente dans
Princes, l'Ă©panorthose, qui consiste Ă substituer au stoĂŻque Romain le huguenot
martyr, n'en souligne pas moins une parenté profonde. La correction rhétorique,
qui marque une gradation et non une disjonction vĂ©ritable, Ă©tablit de l'un Ă
l'autre une proximité immédiate. Coligny
n'est pas le contraire d'un Romain de la RĂ©publique, c'est le premier d'entre
eux. Il appartient décidément à la lignée des Caton d'Utique et des Scipion
Emilien […]. La référence au Songe de Scipion est à cet égard décisive. On
sait que dans la République de Cicéron où il s'insère et qu'il conclut, le Somnium offre l'équivalent du mythe d'Er au terme du
dialogue homonyme de Platon. Mais en transposant le mythe platonicien, Cicéron
l'a fortement romanisé. De Scipion Emilien, petit-fils adoptif du premier
Africain et vainqueur de Carthage et de Numance, il a fait le protagoniste du
dialogue et le sujet du Songe. En lui l'homme politique est magnifié. A l'heure
où la république romaine commence une longue agonie, menacée par les ambitions
rivales de César et de Pompée, Cicéron propose en Scipion le modèle du chef
d'Etat: c'est «l'optimus civis,
le rector capable de restaurer et de constitution
idéale dont Rome est l'exemple» Le ravissement du poète combattant laissé pour mort à Talcy, jusqu'au point indéterminé de l'espace où il rejoint
les figures apparentées de Scipion Emilien et de Coligny, emprunte la
formulation expressive d'un performatif : Je veux faire voller
ton esprit sur la nue (II, 1428), s'exclame Vertu. La conséquence de ce coup de
force est l'envol abrupt de l'âme en ce lieu indicible et insituable, d'où le
spectacle d'une terre minuscule fait éclater son insignifiance Typologie La Henriade En créant le personnage de Coligny (La Henriade, chant II),
Voltaire semble avoir subi l'influence de J.-A. de Thou (vi.338) et de MĂ©zeray (ii.1071). Le premier, dans le discours qu'il prĂŞte
à Coligny, souligne sa fidélité au roi, le second met l'accent sur le
patriotisme du chef protestant Lors de l'Ă©vocation de la mort de Coligny, que ses
assassins ont surpris dans son sommeil, Voltaire combine les effets visuels
(effets de foule) et les effets sonores avec des changements de rythme. [...]
Avec ensuite un effet de surprise provoqué chez les assaillants par la mise en
scène du courage et de la dignité de Coligny. Voltaire construit alors une antithèse
entre le statut de la victime et son allure de roi. [...] L'évocation s'achève
sur un vers qui introduit l'horreur Ă©pique : Et l'on porta sa tĂŞte aux pieds de MĂ©dicis. Horreur qui sera
ensuite suggérée sous forme de prétérition cumulative (sur le massacre
général). On sent vibrer l'émotion et la révolte de Voltaire dans ces vers qui,
en démarquant Racine (Esther), annoncent, dans une langue classique, le souffle
hugolien et expriment l'infamie d'une religion qui justifie de telles horreurs Voltaire à Londres n'était qu'un proscrit, soupçonné et
même accusé d'y jouer le rôle d'un espion, au dire de Jonhson.
Il n'est pas vraisemblable qu'un roi d'Angleterre eût été si généreux envers un
tel Ă©tranger. Voltaire se retira dans un village pour y Ă©tudier la langue
anglaise qu'il ne connaissait pas, et qu'il sut toujours très mal. Ce travail
fait supposer qu'il ne put s'occuper de suite de la souscription de la
Henriade. L'Essai sur les Guerres civiles de France fut publié en anglais en
1727; l'Essai sur la Poésie épique est de la même époque et fut composé pour
servir d'introduction Ă la Henriade;
ce poëme épique ne fut imprimé qu'après, et non en
1726, comme on l'a répété depuis Marmontel. La dédicace ne fut composée qu'en
1727 au moins, puisque c'est le 15 juin de cette année que Georges II monta sur
le trĂ´ne. Dans une lettre du 21 avril 1728 Ă Thieriot,
Voltaire ne parle de son in-4° que comme d'un ouvrage commencé; et le 11
décembre 1727, il avait prié Swift d'user de son crédit en Irlande pour procurer
quelques souscripteurs Ă la Henriade qui, faute d'un peu d'aide, ne paraissait
pas encore. Si cette phrase est vraie, il faut conclure que Georges Ier et la
princesse de Galles n'avaient pas payé leurs souscriptions immenses, et que ce
fut Georges II qui fut le protecteur du poëme, ainsi
que son épouse, qui en agréa la dédicace. Tout
concourt à démontrer que le fameux ouvrage ne fut édité qu'en 1728, dont il
porte le millésime. L'auteur aura
passé soit la fin de 1726, soit toute l'année 1727, à le corriger et à lui
trouver des acheteurs. Les trois éditions de sa Ligue avaient été amèrement
critiquées à Paris. Il avait essayé de dédier son poëme
au jeune roi; sa demande ne fut pas accueillie; il avait voulu le publier par
souscription, il ne réunit que quatre-vingts amateurs auxquels il fallut rendre
l'argent donné d'avance Les sources de La Henriade sont d'abord historiques : le traité, monarchomaque du curé J. Boucher, Dejusta henricii tertii abdicatione ; les Mémoires de d'Aubigné, de La Force, de Villeroi ; les Chronologies de Palma Cayet ; l'Histoire de Mézeray, Bayle... etc. (Christian Desplat, Des henriades, Voltaire, la Henriade et l'histoire, 2002 - books.google.fr). Voltaire a transporté de nombreux et beaux passages des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné dans la Henriade : nous ne citerons comme les plus remarquables que l'épisode si pathétique et si terrible de la mère tuant son fils dans la famine de Paris, et plusieurs des détails les plus émouvants de la Saint-Barthélemy (M. A. Poirson, Histoire du regne de Henri IV, Tome 2, 1856 - books.google.fr). Voltaire le proscrit On sait vaguement cette triste histoire sans être
positivement initié aux détails. Le chevalier de Rohan-Chabot s'attira une
répartie piquante de Voltaire qui,
soupant lui aussi avec les grands seigneurs, se jugeait leur Ă©gal, les
ménageait peu, et le prenait de fort haut quand il n'avait rien a leur demander De retour de Fontainebleau, au mois de décembre 1725,
étant à table chez le duc de Sully (d'autres disent à la Comédie-Française,
dans la loge de Mlle Le Couvreur), il y parlait avec sa vivacité ordinaire. Lorsque
le chevalier de Rohan (Gui Auguste de Rohan Chabot) se prit Ă dire : "Quel
est donc ce jeune homme qui parle si haut ? - C'est, répondit Voltaire, un
homme qui ne traine pas un grand nom, mais qui sait honorer celui qu'il
porte." Elie Harel rapporte encore : «Mon nom, je le commence, et
vous finissez le vôtre !». Selon Montesquieu il aurait dit : «Croyez-vous que
j'aie oublié mon nom ?» Mais laissons raconter Matthieu Marais : "Le
chevalier, dit-il, leva sa canne, ne le frappa pas, et dit qu'on ne devait lui
répondre qu'à coups de bâton. Mlle Le Couvreur tombe évanouie; on la secourt,
la querelle cesse. Le chevalier fait dire Ă Voltaire, Ă deux ou trois jours de
lĂ , que le duc de Sully l'attendait Ă diner ; Voltaire y va, ne croyant
pas que le message vint du chevalier. Il dîne bien, bien qu'il ne soit pas
invité, un laquais vient lui dire qu'on le demande : il descend, va à la
porte, et trouve trois messieurs garnis de cannes, qui lui régalèrent les
Ă©paules et les bras gaillardement. On dit que le chevalier de Rohan Ă©tant dans
un fiacre (Marais avait dit d'abord dans une boutique vis-Ă -vis), lors de
l'exécution, qu'il criait aux frappeurs : Ne lui donnez point sur la tête, et
que le peuple d'alentour disait : Ah! le bon seigneur!
Mon poëte crie comme un diable, met l'épée à la main,
remonte chez le duc de Sully, qui trouva le fait violent et incivil, va Ă
l'opéra conter sa chance à Mme de Prie, qui y était, et de la
on court à Versailles, où on attend la décision de cette affaire, qui ne
ressemble pas mal a un assassinat." (Lettre au P. Bouhier,
du février 1726). Ce qui doit
aujourd'hui nous étonner tout autant que le lâche procédé du chevalier de Rohan,
c’est l'indifférence presque approbatrice des contemporains. D'Argenson, le
condisciple et l'ami de Voltaire, appelle cette triste affaire une
"amusante tragédie"; le prince de Conti, la veille encore flatteur de
l'auteur d'Œdipe, dit "que ces coups de bâton avaient été bien reçus et
mai donnés" ; enfin, ce duc de Sully, ce protecteur déclaré et qui de plus
avait Ă faire respecter son hĂ´te et son convive, se refusa Ă l'aider Ă obtenir
satisfaction. Obligé alors de ne compter que sur lui-même, il disparut,
s'enferme, passe ses journées chez un maitre d'armes de la rue Saint-Martin nommé
Leyrault, et change plusieurs fois de logis pour
dépister la police, dont il a lieu de redouter l'intervention sollicitée.
Sortant de sa retraite au bout de six semaines, il envoie un cartel au
chevalier de Rohan. Celui-ci accepta pour le lendemain ; mais dans l'intervalle
le lieutenant de police HĂ©rault, qui depuis longtemps faisait observer
Voltaire, donna l'ordre de l'arrĂŞter dans la nuit du 17 au 18 avril 1720. On le
trouva "muni de pistolets de poche", et il fut de nouveau conduit Ă
la Bastille, où il eut pour voisine de captivité Mme de Tencin, compromise par
la mort de La Fresnaye. Telle était encore l’infériorité sociale des gens de lettres, même de
ceux fréquentant la cour et les princes, que cette tentative de Voltaire pour
demander raison a un grand seigneur indigne parut une sorte de folie, et
que la famille du poète, s'il faut en croire un rapport de police,
"applaudit a une mesure qui lui Ă©pargnait quelque nouvelle sottise".
La captivité de Voltaire ne dura qu'un mois. Quand il en sortit, sa première
parole fut pour demander Ă passer en Angleterre, tant son ressentiment Ă©tait
grand contre une société où la dignité et la liberté humaines avaient si peu de
garanties. Mais avant de quitter la France il revint furtivement Ă Paris, dans
l'espoir de s'y rencontrer avec son ennemi. "Je
n'y cherchais, a-t-il dit, qu'un seul homme, que
l'instinct de sa poltronnerie a caché de moi comme s'il avait deviné que je
fosse à sa piste." Si vive était son indignation qu'il hésita encore a se rendre en Angleterre, où
Bolingbroke l'appelait. Il ne pouvait abandonner l'espoir d'une réparation :
"Je n'ai plus que deux choses a
faire dans ma vie, écrivait-il le 17 août 1726, l'une de la hasarder avec
honneur dès que je le pourrai, et l'autre de la finir dans l'obscurité d'une
retraite qui convient à ma façon de penser, à mes malheurs et à la connaissance
que j'ai des hommes." Cependant il se dĂ©cida, vers la fin d'aoĂ»t 1726, Ă
se rendre en Angleterre, où il vécut d'abord dans un secret si absolu que les
lettres de ses amis et mĂŞme de sa famille ne lui parvenaient pas. Quand il
renom en quelque sorte avec la France et le passé, ce fut pour apprendre la
nouvelle de la mort d'une sœur pour laquelle il avait toujours montré beaucoup
de tendresse et dont la perte ajouta encore Ă l'amertume de ses premiers jours
d'exil Partout Voltaire réclama justice; partout elle lui fut déniée.
Il voulut recourir aux armes; pour lui c'Ă©tait Ă©norme, il ne brillait pas par
la vaillance; le fait est trop certain, ses meilleurs amis n'ont pas le moindre
doute à cet égard. Le Marquis d’Argenson, qui l’affectionnait, a écrit dans ses
MĂ©moires, avec la meilleure foi du monde: "Il y a longtemps qu'on a
distingué le courage de l'esprit de celui du corps. On les trouve rarement
réunis. Voltaire m'en est un
exemple. Il dans l'âme un courage digne de Turenne, de Moïse, de
Gustave-Adolphe; il voit de haut, il entreprend, il ne s'Ă©tonne a de rien; mais
il craint les moindres dangers pour son corps et est poltron avéré." Bien que Moïse, mis, comme homme d'épée, sur la même
ligne que Turenne et Gustave-Adolphe, puisse faire quelque peu douter de la
solidité du cerveau de cet excellent M. d'Argenson, il faut reconnaître qu'il
exprimait une croyance établie et basée sur quelques aventures que Voltaire
s'était attirées et qu'il n'avait pas terminées vaillamment. Cependant, cette
fois, Voltaire paraît avoir voulu
sérieusement se battre Harnois : "endosser le harnois", c'est prendre
les armes Une pique est une
phrase destinée à humilier ou blesser la personne à qui elle est destinée,
ou Ă tout le moins lui manquer de respect A propos de Mornay, rappelons que ce nom fut substituĂ© Ă
celui de Sully, après l'injure que Voltaire avait reçue, chez le duc de Sully,
dans une pique avec le chevalier de Rohan-Chabot. Le poète se vengea de
l'indifférence de son hôte, en supprimant le souvenir du glorieux aïeul. Cette
petite anecdote nous montre quelle part Voltaire réserve à sa passion individuelle
dans cette œuvre nationale. Le distributeur des renommées fait du silence le
complice de ses rancunes Je remontre très humblement que j'ai été
assassiné par le brave chevalier de Rohan assisté de six coupe-jarrets derrière lesquels il était hardiment
posté. J'ai toujours cherché depuis ce temps-là à réparer, non mon honneur,
mais le sien, ce qui est trop difficile (Lettre Ă M. M*** Ministre du
département de Paris, 1726) Adrienne Le Couvreur On couvre la nudité du pauvre par exemple Jean-Baptiste Pigalle (1714 - 1785) sculpte un Voltaire nu (1770-1776) La bastonnade eut lieu l'après-midi, puisque le dîner au
XVIIIème siècle était à midi, l'arrestation, elle, la nuit du 17 février Voltaire aurait préparé un mauvais coup contre Rohan qui
se serait dérobé au duel. Quand il fut arrêté à l'Hôtel de la Grosse Tête, il
était muni de pistolets de poche et de soixante-cinq louis d'or, somme considérable en prévision d'une fuite |