Le premier partage de la Pologne

Le premier partage de la Pologne

 

III, 89

 

1770

 

En ce temps là sera frustrée Cypres

De son secours de ceux de mer Egée :

Vieux trucidés, mais par masles galyphres

Seduict leur roy , royne plus outragée

 

Ottomans en Méditerranées

 

Les Ottomans commencent Ă  pointer le bout de leur nez en MĂ©diterranĂ©e orientale au milieu du XVI° s. Le pirate Kayredin Barberousse fait une rapide incursion en Crète en 1538, semant la dĂ©solation sur son passage. Chypre est conquise en 1570, et il devient clair que leur prochaine Ă©tape sera la Crète. En 1645, le sultan envoie 400 vaisseaux et 30 000 hommes qui dĂ©barquent dans la rĂ©gion de Hania (La CanĂ©e). Toutes les villes tombent assez rapidement, sauf Candie (HĂ©raklion). Commence alors un siège incroyable, long de 21 ans, oĂą les VĂ©nitiens, unis aux CrĂ©tois, font le gros dos. Cela mĂ©riterait une inscription au Guinness des records, dans la catĂ©gorie «le plus long siège de l'histoire» (voir le chapitre consacrĂ© Ă  HĂ©raklion). La Crète a perdu beaucoup d'habitants : on ne dĂ©nombre plus dans l'Ă®le que 60000 chrĂ©tiens et 30000 musulmans. Revanchards, les VĂ©nitiens, qui ont rĂ©ussi Ă  conserver quelques places fortes, tenteront de reprendre l'Ă®le. Sans succès. Les CrĂ©tois encaissent le choc de la «turcocratie» et, quand la coupe est pleine, on repart dans une nouvelle sĂ©rie de rĂ©voltes. Une de celles qui ont le plus grand retentissement a pour point de dĂ©part, en 1770, Chora Sfakion, au sud de l'Ă®le. Les Russes, qui s'intĂ©ressent Ă  la rĂ©gion, ont approchĂ© un chef local, Daska-loyannis, lui promettant leur soutien. Evidemment, rien de tel ne se fera, et les 2 000 combattants sfakiotes se retrouveront face Ă  15 000 Turcs bien armĂ©s. Daskaloyannis, lui, finit en martyr, Ă©corchĂ© vif sur la grand-place d'HĂ©raklion (Guide du Routard Crète, 2020 - www.google.fr/books/edition).

 

La révolution d'Orloff ou expédition des frères Orloff est un épisode de la guerre russo-turque qui opposa la Russie de Catherine II et l'Empire ottoman entre 1768 et 1774. Cet épisode révolutionnaire se déroula en Grèce, principalement dans le sud du Péloponnèse à partir du Magne et en mer Égée, dans les Cyclades. Elle est considérée comme un des prémices de la guerre d'indépendance grecque.

 

La Russie qui cherchait un débouché sur une mer tempérée affrontait régulièrement l'Empire ottoman pour atteindre d'abord la mer Noire, voire la Méditerranée. Elle sut utiliser les légendes grecques. Ainsi, Catherine II avait prénommé son petit-fils, qui devait lui succéder, Constantin. Elle avait également planifié l'avenir de toute la région dans son projet grec, prévoyant notamment la restauration de l'Empire byzantin. Aussi, lorsque les Russes attaquèrent les Ottomans en 1769, il sembla à certains Grecs évident que les légendes allaient devenir réalité et que les prophéties allaient se réaliser.

 

En janvier 1769, les différends entre Russes et Ottomans autour de leurs ambitions respectives en Pologne amenèrent une guerre entre les deux empires. Le comte Grégory Orloff, alors le favori de la Tsarine, avait noué des contacts avec des Grecs, principalement Gregori Papadopoulos, originaire de Thessalie. Papadopoulos avait rencontré à Kalamata un chef de guerre maniote de la famille Mavromichalis et des primats, des évêques et des klephtes. Il rapportait au comte Orloff un promesse écrite et signée d'un soulèvement de 100 000 Grecs si une escadre russe, apportant des armes, paraissait en Égée. En septembre 1769, une flotte de sept vaisseaux de ligne, quatre frégates et des bâtiments de transport quittait Saint-Pétersbourg. Cette flotte était commandée par deux frères du comte Orlov : Fiodor et Alexeï.

 

La Grèce se soulève en de nombreux endroits et les Russes mènent des opérations conjointes à partir des côtes.

 

Le siège fut mis Ă  Navarin. AlexeĂŻ Orlov fut Ă©vacuĂ© en mai 1770 par la seconde partie de l'escadre russe venue Ă  son secours. La flotte ottomane chercha Ă  Ă©viter l'affrontement avec la flotte russe. Elle se rĂ©fugia d'abord Ă  Nauplie, puis entre Chios et la cĂ´te d'Asie mineure, en face de TchesmĂ©. L'affrontement eut lieu lĂ  le 7 juillet 1770. La dĂ©faite ottomane fut totale, un seul navire ne fut pas coulĂ© : il fut capturĂ©. Les autres furent tous dĂ©truits, principalement grâce aux brĂ»lots. La flotte russe alla parader devant Constantinople puis mit le siège Ă  Lemnos. Il dura trois mois, puis les renforts ottomans obligèrent Alexis Orloff Ă  Ă©vacuer.La flotte russe alla hiverner dans la baie de Naoussa, au nord de l'Ă®le de Paros, dans les Cyclades. TouchĂ©e par une Ă©pidĂ©mie Ă  l'Ă©tĂ© 1771, elle Ă©vacua la Grèce, abandonnant ses alliĂ©s (fr.wikipedia.org - RĂ©volution d'Orloff).

 

Les Chypriotes se révoltent en 1769 et sont apaisés par le Sultan par des concessions faites dans l'intérêtes de leurs cultes respectifs (Nouvelle biographie universelle, Tome 37, 863 - www.google.fr/books/edition).

 

(De Venise le 12 décembre 1770) Des lettres de Constantinople portent que le Grand Seigneur ne veut se prêter à aucun accommodement avec la Russie, & que Sa Hautesse paroît déterminée à se mettre Elle-même, l'année prochaine, à la tête de ses armées. On mande d'Otrante que trois mille Soldats Turcs sont arrivés de l'Asie dans l'Isle de Chypre pour la mettre à l'abri des ennemis

 

Sa Hautesse a déposé, le 5 novembre 1770, Giafter Bey, Capitan Pacha, & l'a exilé dans l'Isle de Chypre : Elle lui a donné pour successeur Hassan Bey, le même qui a battu les Russes dans l'Isle de Lemnos (Gazette de France: journal politique, 1771 - books.google.fr).

 

Le siège de Lemnos fut entrepris par l'escadre russe. Ce siége durait depuis trois mois, et on espérait affamer la forteresse, lorsque l'intrépide Haçan-Bey, appelé le Crocodile de la mer des batailles, part des Dardanelles avec quinze cents hommes, débarque sur la plage de Lemnos, et afin que ses soldats ne cherchent plus leur salut que dans la victoire, il repousse au large les bateaux qui les ont apportés. Il surprend les assiégeants qui, saisis d'effroi, ne songent qu'à fuir, gagnent leurs vaisseaux et appareillent en toute hâte. Après ce hardi coup de main, Haçan-Bey, ravitaille la place et revient en triomphe aux Dardanelles. Le sultan Mustapha récompensa par la dignité de capitan-pacha l'auteur de cette action (Nouvelle biographie universelle, Tome 37, 1863 - www.google.fr/books/edition).

 

Pour Hassan Bey : cf. quatrain précédent III, 88.

 

"mesles" (les Ă©ditions de 1555 et 1557 ont "masles")

 

"mesles" : nèfles (Rabelais, Pantagruel : Livre II, I) (Oeuvres de François Rabelais, 1875 - www.google.fr/books/edition).

 

Neffle : Fruit rond, & qui a cinq noyaux. Les neffles ne sont bonnes que quand elles sont molles. Les neffles sont fort astringentes. On les appelle mêles du mot Latin mespilum, qui signifie la même chose, qui a été formé du Grec "mespilon". En Anjou, en Touraine, en Normandie, & en Allemagne, on dit mespelen. Neffle est le mot du bel usage. Neffle, se dit aussi en parlant des choses qu'on veut mepriser. On vous donnera des neffles. Cela me coute de la bon argent, je ne l'ai pas eu pour des nefles. NEFFLES, se dit proverbialement le temps & la paille les nefles meurissent; pour la plupart des choses demandent du tems & du soin. NEFFLIER. Arbre qui porte des neffles. Le neflier est de mediocre grandeur : ses feuilles sont faites à-peu près comme celles du laurier : les fleurs sont grandes, à plusieurs feuilles, disposées en rose, de couleur blanche, ou rouge. Son fruit est gros comme une petite grain de ftiptique, presque rond, rougeâtre quand il est meur. En Latin mespilus germanica folio laurino non serrato, sive mespilus sylvestris. C. Bauh. Les neffles sont astringentes, propres pour arrêter le cours de ventre & le vomissement. On met les neffles sur de la paille pour les faire meurir. Il y a plusieurs autres especes de nefflier (Dictionnaire universel : contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes et les termes des sciences et des arts, Tome 3, 1727 - books.google.fr).

 

"lyphres"

 

Brind'amour conjecture galifres (du gascon "vorace", "goinfre") (Pierre Brind'Amour, Les premières centuries, ou, Propheties de Nostradamus (édition Macé Bonhomme de 1555), 1996 - books.google.fr).

 

« Galifre Â» signifie « gros mangeur Â» et « lifre-lofre Â» est un sobriquet dĂ©signant un Suisse ou un Allemand (Revue de linguistique et de philologie comparĂ©e, Volume 16, 1883 - books.google.fr).

 

Ainsi quand vous glosez «mesles et lyphres» par «les tristes événements résultant de la promiscuité des occupants et des occupés». Mon ami, répondit M. Leslucas, cette traduction s'impose. «Lyphre», comme l'a bien vu Le Pelletier il y a quatre-vingts ans, est évidemment une forgerie d'helléniste : y en dénonce l'origine et l'inutile h de ph inutile puisque la rime est -ipre «en remet», si vous me permettez cette vulgarité «Les lyp(h)res» ne peuvent être que le grec ta lypra, «les choses tristes ou attristantes». Et voyez comme le mot, bien que suggéré par la rime («Cypres» est exigeante !) est opportun : il établit comme un lien naturel, fatal, une prédestination entre la consonance du nom de Chypre et l'épreuve qui va l'affliger On pense à cet autre vers, conservé je crois dans une biographie de Sophocle, où Ulysse poursuivi par le sort s'écrie (j'arrange un peu) : «Oui, c'est à juste titre que je m'appelle Odysseus, d'un nom de même racine que celui de la souffrance, odynè.» Ne nous étonnons pas non plus de voir ici francisé un mot grec (Georges Dumézil, Le moyne noir en gris dedans Varennes, sotie nostradamique suivie d'un divertissement sur les dernières paroles de Socrate, 1984 - www.google.fr/books/edition).

 

Lyphre: de Grec «"lupros", triste, misérable, pauvre, chétif.» (Bailly) (Guerre de Chypre  - donmichel.blog132.fc2.com).

 

Par la dive Oie Guenet, s'écria Pantagruel, depuis les dernières pluies, tu es devenu grand lifre-lofre, voire di-je, philosophe (Oeuvres: Contenant cinq livres de la vie, faits, et dits heroiques de Gargantua, et de son fils Pantagruel, 1605 - books.google.fr).

 

 (C.N. Amanton, Virgille virai an borguignon: Choix des plus beaux livres de l'Énéide, suivir d'épisodes tirés des autres livres, avec sommaires et notes, 1831 - books.google.fr).

 

Frédéric II

 

FrĂ©dĂ©ric II de Prusse, dit FrĂ©dĂ©ric le Grand (en allemand : Friedrich der GroĂźe), nĂ© le 24 janvier 1712 Ă  Berlin et mort le 17 aoĂ»t 1786 Ă  Potsdam, de la maison de Hohenzollern, est roi de Prusse de 1740 Ă  1786, le premier Ă  porter officiellement ce titre. Il est simultanĂ©ment le 14e prince-Ă©lecteur de Brandebourg. Il est parfois surnommĂ© affectueusement der alte Fritz (le vieux Fritz). Agrandissant notablement le territoire de ses États aux dĂ©pens de l'Autriche (SilĂ©sie, 1742) et de la Pologne (Prusse-Occidentale, 1772), il fait entrer son pays dans le cercle des grandes puissances europĂ©ennes. Ami de Voltaire, il est l'un des principaux reprĂ©sentants du courant du «despotisme Ă©clairé». Il fait publier en 1740 l'Anti-Machiavel oĂą il expose (anonymement) ses idĂ©es sur une monarchie contractuelle, soucieuse du bien des citoyens. Il gagne ainsi, l'annĂ©e mĂŞme oĂą il succède Ă  son père, le titre de roi-philosophe (fr.wikipedia.org - FrĂ©dĂ©ric II (roi de Prusse)).

 

"séduict"

 

Il reste Ă  expliquer pourquoi FrĂ©dĂ©ric inclina de bonne heure vers le sensualisme et tomba mĂŞme, Ă  certains Ă©gards, dans le matĂ©rialisme. [...] Ne parlant que notre langue, ne lisant que nos Ă©crivains classiques, charmĂ©, sĂ©duit par l'esprit français, admirateur enthousiaste autant que naĂŻf de Voltaire, pouvait-il ne pas accepter la philosophie rĂ©gnante en France, surtout quand elle lui arrivait revĂŞtue des grâces de la poĂ©sie, et avec le prestige de ce maĂ®tre incomparable ? (G. Rigollot, FrĂ©dĂ©ric II: philosophe, 1875 - books.google.fr).

 

Travailler pour le roi de Prusse

 

Cette expression un peu sibylline, lexicalisĂ©e pour la première fois par Quartet en 1842, a fait couler de l'encre. Cela veut dire "Travailler sans recevoir aucun salaire" - plus exactement "en ĂŞtre pour sa peine", avec une nuance de forte dĂ©convenue. Mais de quel roi de Prusse s'agit-il ? Et quelles sont les circonstances qui ont crĂ©Ă© cette formulation ironique ? Une chanson citĂ©e par Rey-Chantreau Ă  propos de la dĂ©faite de Rossbach le 5 novembre 1757, se moque du prince de Soubise battu par les Prussiens de FrĂ©dĂ©ric II, en ces termes a travaillĂ© pour le roi... de Plusse. Une telle formulation laisserait supposer que la locution existait dĂ©jĂ  Ă  cette date, et non pas qu'elle en est l'origine. En effet personne ne s'attendait Ă  une rĂ©compense quelconque de la part de FrĂ©dĂ©ric lors de ce dĂ©sastre historique, sorte de "coup de Trafalgar" avant la lettre, que Voltaire rĂ©sumait ainsi "Les Français et les Autrichiens s'enfuirent Ă  la première dĂ©charge. Ce fut la dĂ©route la plus inouĂŻe et la plus complète dont l'histoire ait jamais parlĂ©. Cette bataille de Rossbach sera longtemps cĂ©lèbre. On vit trente mille Français et vingt mille ImpĂ©riaux prendre une fuite honteuse devant cinq bataillons et quelques escadrons". (MĂ©moires, 1760) (Claude Duneton, La puce Ă  l'oreille: Les expressions imagĂ©es et leur histoire (2001), 2005 - books.google.fr).

 

J'ai souffert tout cela pour me conserver au public, comme si c'eĂ»t Ă©tĂ© des nèfles (Cardinal de Retz) : Des nèfles, des riens. La locution est bizarre, mais s'explique par l'expression proverbiale : «Cela m'a coĂ»tĂ© de bon argent; je ne l'ai pas eu pour des nèfles» (M. Regnier, Manifeste de Monseigneur le duc de Beaufort par le Cardinal de Retz, OEuvres, Tome 5, 1880 - books.google.fr).

 

Poison

 

Les amandes amères, les amandes des noyaux d'abricots, de pêches, de prunes, de nèfles ou de cerises contiennent un puissant poison, le cyanure (Christine Rivereau, Guide sanitaire pour les professionnels de l'enfance, 2012 - books.google.fr).

 

Monsieur Guibert a dit dans son Eloge de FrĂ©dĂ©ric, d'après le tĂ©moignage de Quintus Icilius, que ce prince portait du poison sur lui pendant une partie de la campagne de 1761. [...] Le cĂ©lèbre Guichard, dit M. Guibert, un des favoris du roi, plus connu sous le nom de Quintus-Icilius, qu'il lui avait donnĂ© Ă  cause de son goĂ»t pour les lĂ©gions romaines et pour l'antiquitĂ©, a consignĂ© dans des MĂ©moires manuscrits, et m'a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois qu'Ă  cette Ă©poque, et pendant une partie de cette campagne, il portait du poison sur lui. Admirateur des anciens, attachĂ© par goĂ»t Ă  la doctrine des stoĂŻciens, il devait non-seulement regarder le suicide comme une action permise, mais encore comme une action glorieuse et hĂ©roĂŻque. C'est ce qu'en pensaient les Romains, lorsqu'il n'Ă©tait pas la suite des remords et du crime et les stoĂŻciens disaient : Le sage saura quand il lui convient de mourir ; il lui sera indiffĂ©rent de recevoir la mort ou de se la donner. Des faits viennent Ă  l'appui de ces conjectures. Il est certain que FrĂ©dĂ©ric s'est expliquĂ© souvent en faveur du suicide ; il est certain qu'il ne le croyait point un crime, et qu'il ne pensait pas qu'il mĂ©ritât d'ĂŞtre puni par les lois. [...] VoilĂ  donc un prince, admirateur des vertus que les anciens appelaient hĂ©roĂŻques, imbu de la morale des stoĂŻciens, qui approuvait le suicide, dĂ©clarant plusieurs fois de vive voix et par Ă©crit qu'il ne regarde pas le suicide comme un crime, Ă©crivant en vers et en prose qu'il a envie de se tuer. voilĂ  le tĂ©moignage rĂ©pĂ©tĂ© d'un de ses favoris, attestĂ© par un officier respectable; peut-on dire après cela qu'il n'est pas probable que FrĂ©dĂ©ric ait portĂ© du poison sur lui ? Mais si tout cela ne suffisait pas pour dissiper les doutes que M. N. pourrait avoir fait naĂ®tre, j'en appellerais au tĂ©moignage d'un gĂ©nĂ©ral respectable qui vit Ă  Berlin, M. de Letschwitz. Ayant entendu parler de cette anecdote, il demanda ce qu'on en devait croire, Ă  une personne qui pouvait le savoir mieux que tout autre, puisqu'elle avait accompagnĂ© le roi dans la guerre de sept ans, et qu'elle avait joui de sa familiaritĂ© et de sa confiance. Cette personne lui rĂ©pondit : « Il est vrai, et très-vrai, que le roi avait de quoi s'expĂ©dier au cas qu'il fĂ»t fait prisonnier, ou que les affaires fussent dĂ©sespĂ©rĂ©es. Quatre jours après une bataille, il me montra un paquet de pilules d'opium, et d'autres pilules plus expĂ©ditives, en disant: VoilĂ  de quoi n'avoir rien Ă  craindre, quelque malheur qui m'arrive; je puis finir la comĂ©die quand bon me semblera. A cette occasion le roi s'entretint pendant deux heures avec moi sur le suicide, et le dĂ©fendit avec beaucoup d'Ă©loquence et de chaleur Â» (Jean-Charles Laveaux, Vie De Frederic II., Roi De Prusse, Tome 2, 1789 - books.google.fr).

 

"trucidés"

 

"trucider" : av. 1476 (Journal parisien de Jean Maupoint, éd. G. Fagnez ds Mém. Sté hist. Paris, t. 4, 1877-78, p. 103), semble disparaître entre le XVIe (Gdf.) et la fin du XVIIIes.: ca 1792 (C. Desmoulins, Les Révolutions de France et de Brabant, III, p. 165 [Germain au procès de Babeuf] ds Brunot t. 9, p. 42); devenu terme plais. 1863 (Gautier, loc. cit.). Empr. au lat.trucidare «égorger, massacrer». Cf. dès le XIVe s. l'a. prov. trucidar «massacrer», hapax (ca 1330 Rouergue ds Levy Prov.) (www.cnrtl.fr).

 

"Vieux trucidés..." : suicidés par le fer et le poison

 

Commençant par les mots horrendum scelus, l'acte que produit le pape Jean XXII à l'intention de l'évêque de Riez pour instruire le procès de l'évêque de Cahors Hugues Géraud, affirme que, selon les lois humaines, il est plus atroce de tuer par le poison que par le glaive : leges humanae atrocius judicant hominem veneno extinguere quam gladio trucidare - reprenant une formule de l'empereur Antonin le Pieux (Frank Collard, Gifteinsatz und politische Gewalt, Die Semantik der Gewalt mit Gift in der politischen Kultur des späten Mittelalters, 2009).

 

Tant que notre corps et notre esprit jouissent de toutes leurs facultĂ©s et nous permettent de mener une vie digne, il n'y a pas de raison de se tuer, affirme SĂ©nèque. En revanche, continuer Ă  vivre dans la dĂ©crĂ©pitude et les souffrances d'une vieillesse avancĂ©e alors qu'il ne tient qu'Ă  nous de nous en dĂ©livrer est le comble de la sottise. Celui qui attend lâchement la mort ne diffère guère de celui qui la craint; et c'est ĂŞtre bien ivrogne, lorsque l'on a bu le vin, de boire encore la lie. Mais c'est une question de savoir si cette dernière portion de la vie en est la lie, ou le plus pur, particulièrement quand le corps n'est point usĂ© et que l'esprit et les sens prĂŞtent leur secours ordinaire aux fonctions de l'âme [...]. Si le corps devient inutile Ă  toutes sortes d'emplois, pourquoi ne pas dĂ©livrer l'âme, qui souffre en sa compagnie ? Il s'en trouve bien peu qui soient arrivĂ©s Ă  la mort par une longue vieillesse sans aucune altĂ©ration ni dĂ©chet en leurs personnes. Mais il y en a beaucoup Ă  qui la vie est demeurĂ©e sans en pouvoir user. Pourquoi donc estimerez-vous que ce soit une cruautĂ© d'en retrancher quelque portion, sachant bien qu'elle doit finir un jour ? Pour moi, je ne fausserai point compagnie Ă  la vieillesse, pourvu qu'elle me laisse en mon entier, j'entends de la meilleure partie de moi-mĂŞme. Mais si elle vient Ă  Ă©branler mon esprit, Ă  altĂ©rer ses fonctions, s'il ne me reste qu'une âme destituĂ©e de raison, je dĂ©logerai de cette maison, la voyant minĂ©e et prĂŞte Ă  tomber. [...] Si je sais que je doive souffrir perpĂ©tuellement, je me tirerai de la vie, non pas Ă  cause de la douleur, mais Ă  cause de l'incommoditĂ© qu'elle m'apporterait dans les actions de la vie. En effet, j'estime lâche celui qui meurt de peur de souffrir, et sot celui qui vit pour souffrir». La leçon sera entendue par beaucoup de vieux patriciens romains de la fin du Ier siècle et du dĂ©but du IIe, formĂ©s dans la philosophie stoĂŻcienne. Pline le Jeune rapporte avec admiration dans ses lettres plusieurs exemples de vieillards malades qui dĂ©cidèrent de sortir dignement de cette vie : un de ses amis, âgĂ© de soixante-sept ans, perclus de goutte, souffrant «les douleurs les plus incroyables et les plus immĂ©ritĂ©es», vient de se donner la mort, ce qui, note Pline, «soulève mon admiration devant sa grandeur d'âme». Dam une autre lettre, il Ă©voque Titus Aristo, qui «pesa dĂ©libĂ©rĂ©ment les raisons de vivre et de mourir», puis se donna la mort. Ailleurs encore, il s'agit d'un homme de soixante-quinze ans, atteint d'un mal incurable «FatiguĂ© de la vie, il y mit fin.» Il rappelle aussi le cas d'Aria, une Romaine qui, pour encourager son mari vieux et malade Ă  se suicider, lui montra l'exemple en se tuant devant lui; ou bien l'histoire touchante d'un vieux couple d'humbles citoyens le vieil homme souffrant d'un ulcère incurable, sa femme «lui conseilla de mettre fin Ă  ses jours, et, l'accompagnant, lui montra la voie par son exemple et en Ă©tant le moyen de sa mort; car, s'attachant Ă  son mari elle plongea dans le lac». [...]

 

Ces suicides héroïques, accomplis par l'épée ou en se tranchant les veines, sont rapportés avec admiration parles historiens romains comme autant d'illustrations de la liberté suprême des individus supérieurs à leur destin (Georges Minois, Histoire du suicide: La société occidentale face à la mort volontaire, 2014 - books.google.fr).

 

Le retentissement du roman Les souffrances du jeune Werther, de Goethe, est révélateur de la sensibilité ambiante. Werther ne crée pas une mode; il est l'expression d'un climat auquel il donne une forme. Les débats sur le suicide ont largement sensibilisé les milieux cultivés depuis le milieu du siècle. La lettre de Saint-Preux date de 1761, le suicide de Chatterton, les amants de Lyon et la version française du traité de Hume de 1770, la mort des soldats de Saint-Denis de 1773. Werther arrive au moment où les passions sur la légitimité de la mort volontaire s'exacerbent (Georges Minois, Histoire du suicide: La société occidentale face à la mort volontaire, 2014 - www.google.fr/books/edition).

 

Outrage Ă  la Reine

 

Élisabeth-Christine de Brunswick-Wolfenbüttel (de la branche de Bevern), née le 8 novembre 1715 à Wolfenbüttel et morte à 81 ans le 13 janvier 1797 près de Berlin, au château de Schönhausen, était l'épouse du roi de Prusse Frédéric le Grand. Bien qu'ayant été élevée dans la religion luthérienne, elle fut promise au prince de Prusse qui était de confession calviniste. Les fiançailles d'Élisabeth et de Frédéric furent célébrées à Berlin, le 10 mai 1732.

 

Après l'accession au trône de Frédéric, le ménage cessa toute vie commune (Frédéric préférait la compagnie masculine), mais se retrouvait pour des cérémonies officielles, de rares anniversaires, etc. La reine fut reléguée au château de Berlin tandis que Frédéric vivait à Sans-Souci. Frédéric ne vint jamais rendre visite à son épouse à Schönhausen et Élisabeth ne vint pas non plus à Potsdam. Le couple n'eut donc pas d'enfant mais le roi maria son frère et héritier à la sœur d'Élisabeth-Christine (fr.wikipedia.org - Elisabeth-Christine de Brunswick-Wolfenbüttel-Bevern).

 

Frédéric de Prusse et la guerre russo-turque : le partage de la Pologne et la vieillesse du roi

 

Les Turcs entrent en guerre contre la Russie au sujet de la Pologne qui les appelle au secours après le massacre de Balta (Jean-Pierre Bois, De la paix des rois à l'ordre des empereurs (1714-1815), Tome 3, 2014 - www.google.fr/books/edition).

 

Le premier partage de la Pologne a lieu en 1772 et est le premier des trois partages qui ont mis fin à l'existence de la République des Deux Nations en 1795. La croissance de la puissance de l'Empire russe, menaçant le royaume de Prusse et l'empire des Habsbourg-Lorraine, a été le principal motif de ce premier partage. Frédéric II de Prusse conçut ce partage comme un moyen d'empêcher l'Autriche, jalouse des succès russes contre l'Empire ottoman, de se mettre en guerre. Les terres de la République des Deux Nations, y compris celle déjà contrôlées par la Russie, seront réparties entre ses voisins plus puissants - l'Autriche, la Russie et la Prusse - afin de rétablir l'équilibre des forces en Europe entre ces trois pays. La Pologne est incapable de se défendre efficacement, et avec des troupes étrangères déjà installées à l'intérieur du pays, le parlement polonais (Sejm) est obligé de ratifier le partage en 1773 lors de sa convocation par les trois puissances (fr.wikipedia.org - Premier partage de la Pologne).

 

Le 18 novembre 1771 , Voltaire écrit à Frédéric : On dit, Sire, que c'est vous qui avez imaginé le partage de la Pologne, et je le crois, parce qu'il y a là du génie, et que le traité s'est fait à Potsdam (Oeuvres completes de Voltaire, Correspondance avec le Roi de Prusse, Tome 3, 1821 - www.google.fr/books/edition).

 

LETTRE CCCLXXXI. Du Roi Ă  Voltaire

 

Potsdam, ce 9 octobre 1775. Je m'apperçois avec regret qu'il y a près de vingt ans que vous ĂŞtes parti d'ici : votre mĂ©moire me rappelle Ă  votre imagination tel que j'Ă©tais alors ; cependant si vous me voyiez, au lieu de trouver un jeune homme qui a l'air Ă  la danse, vous ne trouveriez qu'un vieillard caduc & dĂ©crĂ©pit. Je perds chaque jour une partie de mon existence, & je m'achemine imperceptiblement vers cette demeure dont personne encore n'a rapportĂ© de nouvelles. Les observateurs ont cru s'appercevoir que le grand nombre de vieux militaires finissent par radoter, & que les gens-de-lettres se conservent mieux. Le grand CondĂ©, Marlborough, le prince Eugène, ont vu dĂ©pĂ©rir en eux la partie pensante avant leur corps. Je pourrai bien avoir un mĂŞme destin, sans avoir possĂ©dĂ© leurs talens. On sait qu'Homère, Atticus, Varron, Fontenelle, & tant d'autres, ont atteint un grand âge sans Ă©prouver les mĂŞmes infirmitĂ©s. Je souhaite que vous les surpassiez tous par la longueur de votre vie & par les travaux de l'esprit. Sans m'embarrasser du sort qui m'attend, de quelques annĂ©es de plus ou de moins d'existence, qui disparaissent devant l'ÉternitĂ©, on va inaugurer l'Ă©glise catholique de Berlin. Ce fera l'Ă©vĂŞque de Warmie qui la consacrera. Cette cĂ©rĂ©monie, Ă©trangère pour nous, attire un grand concours de curieux. C'est dans le diocèse de cet Ă©vĂŞque que se trouve le tombeau de Copernic, auquel, comme de raison, j'Ă©rigerai un mausolĂ©e. Parmi une foule d'erreurs qu'on rĂ©pandait de son temps, il s'est trouvĂ© le seul qui enseignât quelques vĂ©ritĂ©s utiles. Il fut heureux : il ne fut point persĂ©cutĂ©. Le jeune d'Etallonde, lieutenant Ă  VĂ©sel, l'a Ă©tĂ© : il mĂ©rite qu'on pense Ă  lui. Muni de votre protection & du bon tĂ©moignage que lui rendent les supĂ©rieurs, il ne manquera pas de faire son chemin.

 

J'en reviens Ă  ce roi de Pologne dont vous me parlez. Je sais que l'Europe croit assez gĂ©nĂ©ralement que le partage qu'on a fait de la Pologne est une suite des manigances politiques qu'on m'attribue ; cependant rien n'est plus faux. Après avoir proposĂ© vainement des tempĂ©ramens diffĂ©rens, il fallut recourir Ă  ce partage, comme Ă  l'unique moyen d'Ă©viter une guerre gĂ©nĂ©rale. Les apparences sont trompeuses, & le public ne juge que par elles. Ce que je vous dis est aussi vrai que la 48ème proposition d'Euclide (Oeuvres Posthumes De FrĂ©deric II, Roi De Prusse: Correspondance Avec M. De Voltaire. Tome V, 1789 - books.google.fr).

 

Selon Frédéric II, la Pologne fut sacrifiée à la paix de l’Europe.

 

Le premier livre des ÉlĂ©ments d'Euclide se termine pour sa part par la proposition 47 : "Dans les triangles rectangles, le carrĂ© du cĂ´tĂ© opposĂ© Ă  l'angle droit est Ă©gal aux carrĂ©s des cĂ´tĂ©s qui

comprennent l'angle droit", et par la proposition 48 : Si le carrĂ© d'un des cĂ´tĂ©s d'un triangle est Ă©gal aux carrĂ©s des deux cĂ´tĂ©s restants de ce triangle, l'angle compris par les deux cĂ´tĂ©s restant est droit (Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, Volume 20, 1967 - books.google.fr).

 

Ce n'est qu'au siècle dernier que l'appellation «de Pythagore» a été accolée à ce théorème, sans la moindre raison sérieuse pour cela.

 

Voici une maxime qui appartient Ă  l'Ă©cole de Pythagore : «Si tu es malheureux dans ta jeunesse, ne t'en plains pas : les nèfles mĂ»rissent sur la paille» (p. 264. RĂ©sumĂ© des traditions morales et religieuses par M. de SĂ©nancourt, 1825 ; Voyages de Pythagore en Egypte, dans la ChaldĂ©e, dans l'Inde, en Crète, Ă  Sparte, en Sicile, Volume 6 par Pierre-Sylvain MarĂ©chal, 1798) (Oeuvres et critiques, Volume 33, 2008 - books.google.fr).

 

Acrostiche : EDVS, edus

 

Les «rustici», dit Varron (L. L., VII, 96), prononcent mesium pour maesium ; on parle comme un «rusticus», dit Lucilius (1130 Marx), si l'on dit Cecilius pretor ; le nom du chevreau est Ă  la campagne edus, dit Varron (L. L. V, 19, 97) (Collection Linguistique, NumĂ©ro 53, 1949 - www.google.fr/books/edition).

 

Le mythe orphique relate un meurtre, suivi d'un dĂ©membrement, puis d'une double cuisson des chairs de la victime. Il est aux antipodes des pratiques du diasparagmos et de l'Ă´mophagie opĂ©rĂ©es Ă  l'instigation du Dionysos «encornĂ© comme un taureau» et «coiffĂ© d'une couronne de serpents» qu'Euripide met en scène dans ses Bacchantes (100-101). Ce fils «rugissant» et «grondant» (bromios) que Zeus eut d'une mortelle, la princesse thĂ©baine SĂ©mĂ©lĂ©, fait partager Ă  ses fidèles son goĂ»t pour les lacĂ©rations de chairs vives. Le rite consistait Ă  dĂ©vorer la chair crue (Ă´mophagie) d'un animal pourchassĂ© par monts et par vaux et dĂ©chiquetĂ© vif (diasparagmos). Euripide a Ă©voquĂ© le dĂ©lice particulier que ressent le possĂ©dĂ© de Dionysos quand, au terme de sa participation Ă  une danse bruyante et Ă  une course tumultueuse Ă  travers les montagnes boisĂ©es, il se gave des chairs sanglantes et encore palpitantes de sa victime. Le chrĂ©tien Arnobe surmontera son mĂ©pris et son dĂ©goĂ»t pour dĂ©crire avec rĂ©alisme ces festins Ă´mophagiques au cours desquels les participants dĂ©chiraient pleines dents les entrailles de victimes caprines dont les bĂŞlements, prĂ©cise-t-il, se faisaient encore entendre (Advans. gentes, V). Ce caractère dĂ©lirant du dieu Ă©tait connu d'Homère qui qualifiait dĂ©jĂ  Dionysos de mainomenos, «furieux», «dĂ©lirant» VI, 132). Le mot pluriel «mĂ©nades», dĂ©signant les servantes de ce Dionysos (Bacchios), est de la mĂŞme racine que l'Ă©pithète accolĂ©e au dieu dès l'Iliade. Un pan du vocabulaire orgiaque compte mania, le «dĂ©lire», la «frĂ©nĂ©sie» ; mainas, la «dĂ©mente». Dionysos maintient ses adeptes en perpĂ©tuel Ă©tat d'affolement : hallucinĂ©es, les Bacchantes croient voir sourdre des fontaines de lait, de vin et de miel; Ă  peine ont-elles entendu les mugissements d'un troupeau au loin qu'elles cessent de donner le sein Ă  des animaux sauvages couronnĂ©s de lierre et de liseron pour bondir et fondre sur les bĂŞtes qu'elles dĂ©chirent (Bacchantes, 689-711). La victime est chargĂ©e d'efficace divine par la magie mĂŞme du rite - lui-mĂŞme insĂ©parable de l'Ă©tat de transe orgiaque (ekstasis, sortir de soi). Les Bacchantes s'incorporent le dieu (enthĂ©oi, d'oĂą enthousiasmes) quand elles dĂ©vorent tout cru l'animal : il y a un Dionysos «chevreau» (rituels laconiens), un Dionysos «taureau» (rituels Ă©lĂ©atiques) ; un Dionysos «à la peau de chèvre» (en Attique) ; un Dionysos «panthère» ou «faon». La libĂ©ration (lysis) orgiaque vise la rĂ©gĂ©nĂ©ration au contact du divin au moyen d'une Ă©vasion par le bas de la banalitĂ© quotidienne diasparagmos et Ă´mophagie dĂ©chaĂ®nent et ensauvagent Ă  force d'Ă©bats frĂ©nĂ©tiques et de transports extatiques. La confusion bestiale avec la divinitĂ© se prolonge dans le prĂ©sent en s'affichant jusque dans l'accoutrement des Manades flanquĂ©es de leur nĂ©bride (peau de chèvre) (Reynal Sorel, OrphĂ©e et l'orphisme, 1995 - books.google.fr).

 

Les MĂ©nades, possĂ©dĂ©es par le dieu, sont dans un Ă©tat second qui leur confère une Ă©nergie prodigieuse les rendant inaptes Ă  la fatigue. Enfin elles s’emparent de l’animal, et, Ă  mains nues, le mettent Ă  mort en le dĂ©chirant, reproduisant sauvagement la façon dont les Titans ont mis Ă  mort, un jour, l’enfant Dionysos. Comme eux, ensuite, elles procèdent au repas homophagique, Ă  ceci près que les Titans avaient fait bouillir le dieu, et qu’elles consomment crus les morceaux de leur victime. Ainsi, Ă  travers le chevreau, Dionysos est d’abord mis Ă  mort dans l’éclatement de son corps, et ensuite reconstituĂ© pour autant que le thiase des MĂ©nades, fusionnant en une unitĂ© mystique, symbolise la retrouvaille de l’unitĂ© du dieu qui, redevenant Un Ă  travers les MĂ©nades, se traduit en elles par une effusion extatique : leur identification Ă  la prĂ©sence du dieu les laisse absentes d’elles-mĂŞmes, hors d’elles-mĂŞmes. En ceci, elles forment un corps mystique qui incarne la prĂ©sence rĂ©elle du dieu renaissant Ă  la vie (Alain Didier-Weill, Dionysos : la naissance de l'acteur, Insistance, 2006/1 (no 2)  - www.cairn.info).

 

Thoas naĂ®t sur Lemnos, oĂą Dionysos a enlevĂ© Ariane, ses parents. Il devient ensuite roi de l'Ă®le ; Lemnos lui est donnĂ©e en rĂ©compense par Rhadamanthe dont il est un lieutenant ; il a une fille nommĂ©e Hypsipyle. Il joue un rĂ´le remarquable dans l'Ă©pisode des Lemniennes, lorsque celles-ci dĂ©cident de tuer tous les hommes de l’île après la malĂ©diction d’Aphrodite : s'il pĂ©rit dans certaines versions, il est gĂ©nĂ©ralement Ă©pargnĂ© par sa fille. Par la suite, il s’enfuit en Tauride, ou bien est tuĂ© lorsque les Lemniennes dĂ©couvrent l'imposture (fr.wikipedia.org - Thoas (Lemnos)).

 

La vieillesse de ces grands qui se plaisoient si fort Ă  l'Agriculture, qui se doit-elle donc Ă  plaindre. Pour moy je ne sçay s'il y a aucune sorte de vie plus heureuse que celle-lĂ  ? [...] Car dans les celliers d'un bon pere de famille, soigneux & bon mĂ©nager, il y a toĂ»jours du vin & de l'huile en abondance, & de toute sorte de provisions. Sa maison est riche d'un bout Ă  l'autre ; elle produit Ă  foison des agneaux, des chevreaux,des cochons, de la volaille, du fromage & du miel (CicĂ©ron, Cato Major - De senectute, chap. XVI) (Les livres de Ciceron, de la vieillesse, et de l'amitie, avec les paradoxes du mĂŞme autheur, traduits en françois sur l'Ă©dition latine de Graevius, avec des notes, & des sommaires des chapitres, par M. Du Bois, 1698 - books.google.fr).

 

Or, si aucun mouvement, aucun art, ne peut faire revenir des poissons au lieu de blĂ© dans un champ, ni des nèfles au lieu d'un agneau dans le ventre d'une brebis, ni des roses au haut d'un chĂŞne, ni des soles dans une ruche d'abeilles, etc.; si toutes les espèces sont invariablement les mĂŞmes, ne dois-je pas croire d'abord avec quelque raison que toutes les espèces ont Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©es par le MaĂ®tre du monde ; qu'il y a autant de desseins diffĂ©rens qu'il y a d'espèces diffĂ©rentes, et que de la matière et du mouvement il ne naĂ®trait qu'un chaos Ă©ternel sans ces desseins ? (Voltaire, Philosophie de Newton, 1738) (Oeuvres complètes de Voltaire, 1828 - books.google.fr).

 

Il est clair que, sur Jacob, Augustin est, comme Ambroise, tributaire des clĂ©s interprĂ©tatives transmises par la tradition exĂ©gĂ©tique de l'Église des premiers siècles. Mais l'Ă©vĂŞque d'Hippone, qui n'innove guère, apparaĂ®t comme un hĂ©ritier plus fidèle de ce legs de la tradition que le pasteur milanais, qui s'y rĂ©fère plus librement et de manière plus occasionnelle. Prenons un exemple instructif. Le De Iacob semble ne rien dire des deux chevreaux que RĂ©becca invite Jacob Ă  aller chercher dans la bergerie (Gen 27, 9) afm d'en prĂ©parer un plat pour Isaac ; il ne dit rien non plus de leurs peaux, dont la mère de Jacob couvre les bras de son fils (Gen 27, 16). Augustin, lui, reprend l'explication qu'on lit dĂ©jĂ  chez Hippolyte les deux chevreaux sont une figure des deux peuples, juif et chrĂ©tien, tous deux appelĂ©s, selon les termes d'Hippolyte, «à ĂŞtre offerts Ă  Dieu et constituĂ©s en nourriture spirituelle par le Verbe». Le pasteur africain commente le nombre deux, dĂ©veloppant, en termes pauliniens, la dialectique de la dualitĂ© et de l'unitĂ©, et, dans le sillage de JĂ©rĂ´me, lui-mĂŞme tributaire d'Hippolyte et de Victorin de Poetovio, il interprète aussi les chevreaux comme la figure des pĂ©cheurs. Tout cela est laissĂ© de cĂ´tĂ© par Ambroise qui substitue aux chevreaux des brebis, un subterfuge qui parait relever de ce procĂ©dĂ© qu'on a appelĂ© l'isĂ©gèse, mais qui ouvre une voie hermĂ©neutique neuve, permettant, sur le plan moral, de montrer en Jacob un modèle de l'innocence, et sur le plan mystique, de faire de lui une figure du sacrifice du Christ. [...] Le propos d'Augustin nous aide Ă  comprendre la mĂ©tamorphose chez Ambroise des chevreaux en brebis, car il rĂ©vèle le texte qui l'a favorisĂ©e, et que le pasteur milanais avait certainement prĂ©sent Ă  l'esprit bien qu'il ne s'y rĂ©fère pas, c'est Jean 10, 16 : «J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie» («Habeo alias oues, quae non sont de hoc ouili»). Ce rapprochement entre Gn 27, 9 - «Va donc au troupeau et apporte-m'en deux beaux chevreaux» («Et pergens ad gregem (Vetus Latina, texte E : ad oues affer mihi duos haedos optimos») - et Jn 10, 16, que nous lisons chez Augustin, devait appartenir Ă  une tradition plus ancienne connue aussi d'Ambroise. Quoi qu'il en soit, la substitution des brebis aux chevreaux oriente l'explication vers un tout autre motif, celui du sacrifice, avec des tenons intermĂ©diaires, IsaĂŻe 53, 7 («sicut omis ad occisionem ducetur») et JĂ©rĂ©mie 11, 19 («Et ego quasi agnus mansuetus qui portatur ad uictimam»), citĂ©s par Ambroise sous forme de claire rĂ©miniscence. Mais celui-ci n'occulte pas pour autant le figuralisme habituel qui voyait dans les chevreaux une mĂ©taphore des pĂ©cheurs (GĂ©rard Nauroy, Formes de l'exĂ©gèse pastorale chez Ambroise et Augustin, Saint Augustin et la Bible, 2008 - books.google.fr).

 

nostradamus-centuries@laposte.net