Les Galériens
pour la foi III, 48 1739-1740 Sept cents
captifs estachés rudement Pour la moitié
meurtrir, donné le sort : Le proche
espoir viendra si promptement, Mais non si tost qu’une quinzieme mort. Au XVIème siècle déjà , des réformés étaient envoyés aux galères pour leur foi puisque l'Edit de Nantes en 1598 prescrivait dans son article 73 de libérer tous les prisonniers «même ès galères» détenus «à l'occasion des troubles ou de ladite religion». En 1544, plusieurs centaines de forçats Vaudois (secte calviniste du sud-est) se trouvaient à Marseille. D'autres protestants, avant les guerres de religion, furent condamnés à ramer pour le roi, uniquement à cause de leur foi, comme ce Jacques Gastine, marchand de Paris, qui avait prêté sa maison de la rue de l'Aiguillerie pour y célébrer les cérémonies du culte réformé (Bernard Briais, Galères et galériens, 1995 - books.google.fr). Les parlementaires, si zélés contre l'hérésie, étaient des familles seigneuriales qui allaient recueillir la dépouille sanglante des victimes. Ils étaient juges et héritiers. L'arrêt de 1540 ordonnait de punir les chefs Vaudois. Et la pièce informe de 1545, l'horrible faux, ordonnait d'exterminer tout. Pour en être plus sûr, on s'adressa à des brigands, aux soldats des galères, dont bon nombre étaient repris de justice, endurcis aux guerres barbaresques. Le président d'Oppède, sans bruit, sans notification, mène lui-même cette bande. Des dix-sept villages vaudois, plusieurs étaient vers Avignon en terre papale. Mais le légat du pape donna de grand coeur l'autorisation. Une circonstance curieuse, c'est que, ceux de Cabrières s'étant livrés sur la parole du président, il dit aux troupes de tuer tout. Elles refusèrent d'abord; les galériens se montrèrent plus scrupuleux que les magistrats. Ce ne fut pas sans peine qu'on les mit à tuer, voler et violer. La chose une fois lancée, il y eut des barbaries exécrables. «Dans une seule église, dit un témoin, j'ai vu tuer quatre ou cinq cents pauvres âmes de femmes et d'enfants.» Et comment ? Avec une furie des supplices, des caprices atroces, dignes du génie de Gomorrhe. Vingt-cinq femmes, échappées, cachées dans une caverne, sur terre du pape, y furent, par ordre du légat, enfermées, étouffées. Cinq ans après, quand on fit le procès, on retrouva leurs os. Il y eut huit cents maisons brûlées, deux mille morts (au moindre calcul), sept cents forçats. Les soldats, au retour, vendaient à bon compte aux passants les petits garçons et les petites filles dont ils ne voulaient plus (Jules Michelet, Histoire de France, Tome 10, 1879 - books.google.fr). L'espoir prochain est déjà employé au quatrain II, 64 au sujet de la "gent Genevoise" qui peut désigner les calvinistes et les protestants français : Seicher de faim, de foif, gent Genevoise. Espoir prochain viendra au défaillir : Sur point tremblant fera loi Gebenoise... Ce quatrain fait penser aux conditions de vie des galériens. Que ce soient des esclaves, des Turcs, des Noirs, des Iroquois même, des prisonniers de droit commun, ou des protestants, il fallait arriver à Marseille pour embarquer. Les futurs galériens venant du Nord ou de l’Ouest de la France, enchaînés par le cou, reliés les uns aux autres en une chaîne, passent par Lyon où ils sont remis aux bateliers du Rhône. Arrivés sur la galère, ils sont, cette fois, attachés par le pied à leur banc (« estachés rudement », « estachés » signifiant « attachés »[1]). « Un homme sur deux meurt aux galères. Les deux tiers des forçats qui décèdent à l’hôpital des chiourmes n’ont pas achevé leur troisième année de captivité [2]» (« pour la moitié meurtrir »). Typologie De 1702, début de la guerre des Camisards, à 1776, il y eut 2700 galériens pour la foi, c’est à dire protestants. Si la flotte des galères fut supprimée en 1748, il faudra attendre 1775, un an après la mort de Louis XV (« non si tost qu’une quinzieme mort »), pour que les deux derniers protestants, Riaille et Achard [3], soient libérés. Le voyageur Des Brosses revenant d'Italie écrivait en 1739 depuis Marseille : "Les galériens, attachés avec une chaîne de fer, ont chacun une petite cabane où ils exercent tous les métiers imaginables. J'en vis un qui me parut d'un génie profond : la tête appuyée sur un Descartes, il travaillait à un commentaire philosophique contre Newton"... (Charles de Brosses, Lettres familières écrites d'Italie en 1739 & 1740, Tome 2, 1869 - books.google.fr). |