De Sénèque à Paoli III, 79 1762-1763 L'ordre fatal sempiternel par chaisne, Viendra tourner par ordre consequent, Du port Phocen sera rompue la chaisne, La cité prinse, l'ennemy quant & quant. Stoïcisme Les deux premiers vers du quatrain traduisent la
formulation proposée par Aulu Gelle de la pensée de Chrysippe. «Fatum est, inquit Chrysippus, sempiterna
quædam et indeclinabilis series rerum et catena, volvens semetipa sese et
implicans per æternos consequentiæ ordines, ex quibus apta connexaque est.»
AULU GELLE, Nuits attiques, II, 1. Une nécessité
absolue, disent-ils, régit toutes choses ; des lois nécessaires et fatales
s'imposent à tous les êtres et ne comportent aucune exception : «Omnia
certo tramite vadunt (SÉNÈQUE, OEdip., 986.)... Fata regunt orbem, certa
stant omnia lege.» (MANILIUS, IV, 14.) L'homme ne peut se soustraire à leur
empire : «It cuique ratus, prece non ulla mobilis, ordo.» (Manilius, IV, 14.)
Cet ordre résulte de la nature même des choses, c'est l'enchaînement fatal des
causes et des effets (AULU GELLE, Nuits attiques, II, 1.) : «Fatum nihil
aliud est quam series implexa causarum... cùm causa causæ nexa rem ex se
gignat» (CICÉRON, de Div., I, LV, 125.) La loi suprême de la destinée n'est
autre que la parfaite raison. Étant donné ce qu'étaient originellement les
choses, un certain ordre de phénomènes s'est manifesté, un certain nombre de
lois se sont établies qui ne pouvaient être autres qu'elles ne sont et qui ne
sont susceptibles d'aucun changement : «Fati hæc prima lex est, stare
decreto.» (SÉNÈQUE, Quæst. nat., II, 35, 36.) Ce qui se produit aujourd'hui est le
résultat d'une loi éternellement vraie ou, pour parler plus clairement, il a
été vrai de toute éternité que les choses suivraient ce cours : «Ut,
quidquid accidat, id ex æterna veritate causarumque continuatione fluxisse
dicatis (CICÉRON, de Nat. D., I, 20, 55.)... Olim constitutum est quid gaudeas,
quid fleas (SÉNÈQUE, de Prov., V.) Pour que tel fait n'eût pas lieu et pour
qu'un autre se montrât à sa place, il eût fallu qu'une cause ne produisit pas son effet, qu’un effet apparût sans cause ou
bien que les lois du monde fussent modifiées, ou bien encore que la nature
primordiale des choses fût tout autre. Tels
sont les principes de ce que Montaigne appelle «le grand cours de l'univers et l'enchaisneure des causes stoïcques...
Votre fantaisie n'en peut, par souhait et imagination, remuer un point, que
tout l'ordre des choses ne renverse, et le passé et l'avenir.» (Essais
III, II) Le fatalisme stoïcien a donc un caractère scientifique et surtout
logique (Emmanuel
Joyau, Essai sur la liberté morale, 1888 - books.google.fr). Parmi ceux dont nous avons conservé les œuvres, Sénèque
est le premier en date de ces moralistes puissants qui voient dans l'exercice
d'une volonté indomptable le seul remède aux maux de la décadence
contemporaine. Après lui, son neveu Lucain transporte ses métaphores énergiques
dans la poésie. Perse, jeune homme intransigeant et stoïcien dogmatique, les traduit
en pamphlets plus sobres sans être moins frappants. Après avoir ainsi passé en
revue les écrivains latins, nous jetterons un coup
d'œil sur les stoïciens grecs. Chez les Grecs, c'est surtout Chrysippe, dont
l'influence. déjà prépondérante en Grèce, s'accrut
sans cesse à partir du premier siècle de notre ère, c'est surtout Chrysippe,
dis-je, qui a servi de modèle aux disciples du Portique. Un grand nombre des comparaisons de Sénèque se retrouve chez Chrysippe :
avant Sénèque, Chrysippe a parlé de la «lutte» de l'homme contre les passions,
du philosophe «médecin de l'âme», de la colère «aveugle» ; il a emprunté
ses métaphores au jeu de balle, à la course à pied, ainsi qu'aux autres jeux
connus des Grecs, et a comparé l'homme à un voyageur (D.
Steyns, Étude sur les métaphores et les comparaisons dans les oeuvres en prose
de Sénèque le philosophe, 1907 - archive.org). Phocée C'étaient les Phocéens qui, pour contre-balancer
l'avantage que donnait aux Phéniciens la possession d'une partie de la
Sardaigne, avaient fondé en 556, sur la côte orientale de l'île de Cyrné, c'est-à -dire
de la Corse, dans une situation très bien choisie, la ville d'Alalia ou
d'Aléria ; de là ils commandaient toute la mer Tyrrhénienne et le golfe de
Ligurie. La prise et la ruine de Phocée par Harpagos, en 547, lors de la
conquête de l'Ionie par les Perses, au lieu d'ébranler les établissements
phocéens dans l'Occident, ne fit qu'en augmenter l'importance. De colonie,
Massalia était devenue une métropole ; des fugitifs de Phocée, ames énergiques, intrépides marins, se
réfugièrent, avec ce qu'ils avaient sauvé de leurs richesses, les uns Ã
Massalie et les autres à Aléria. C'était pour la population grecque, dans
ces parages, un accroissement considérable, dont l'effet se fit bientôt sentir.
Phocéens et Massaliotes occupèrent et détruisirent les comptoirs que les Phéniciens
avaient fondés soit sur la côte ligurienne, soit sur la côte ouest de
l'Espagne, dans le voisinage de l'Ebre et des Pyrénées ; leurs escadres battirent
même en plusieurs rencontres celles de Carthage; elles acquirent et, pendant
quelque temps, elles gardèrent dans ces eaux une supériorité marquée. [...] La flotte étrusque sortit de Populonia, le principal port
de la Toscane; elle se réunit à la flotte phénicienne, et en 536 les escadres
combinées cinglèrent vers Aleria. Ce qui manquait aux Ioniens pour soutenir le
rôle qu'ils avaient rêvé de jouer, c'était le nombre; ils acceptèrent et
gagnèrent la bataille; mais, épuisés par leur victoire même,
incapables de réparer assez rapidement leurs pertes, ils furent
contraints d'évacuer Aleria. De ces fugitifs, les uns allèrent fonder Velia,
dans l'Italie méridionale; les autres se retirèrent à Massalia (Georges
Perrot, Charles Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, Égypte, Assyrie,
Perse, Asie Mineure, Grèce, Étrurie, Rome. Phénice - Cypre, Tome 3, 1885 -
books.google.fr). Au cours du siècle précédent les Romains, en dépit d'une
résistance acharnée, l'ont enfin soumise et y ont établi, sur la côte Est, deux
garnisons: Aleria et Mariana. La seule partie de l'île où les Romains fussent établis
était la côte orientale ; le reste passait pour à peu près inhabitable. La
première colonie, à l'embouchure du Golo, fut fondée entre les années 653 à 662
de Rome, sous le gouvernement de C. Marius, d'où elle fut appelée Mariana ;
l'autre, Ã l'embouchure du Rhotanus, vers l'an 673, sous celui de Sylla : celle-ci
conserva son ancien nom d'Aléria, dont s'empara auparavant Cornélius Scipion en
491. Pline l'ancien donne à la Corse trente-trois villes qu'il
ne nomme point, et plusieurs colonies : il cite, parmi ces dernières, celles de
Mariana et d'Aléria, dont Sénèque fait aussi mention. Encore toute la vie
romaine était-elle concentrée dans les deux colonies militaires. C'est
vraisemblablement dans l'une de ces deux villes que Sénèque fixa sa résidence (René
Waltz, Vie de Sénèque, 1909 - www.google.fr/books/edition, Atlas
national, 1876 - books.google.fr). Parmy les Rochers de la Mer de Corse : dans l'isle de
Corse, où Seneque fut relegué sous l'Empire de Claude, estant accusé d'estre
complice des Adulteres de Iulie fille de Germanicus : mais en suitte il en
fut rappellé par le credit d'Agrippine, depuis qu'elle eut épousé l'Empereur
Claude, & que Messaline fut morte (Marolles,
Les tragédies de sénèque, en latin et en français, Tome 2, 1660 -
www.google.fr/books/edition). Nous n'avons gueres de détails sur les meurs des Corses
du tems des Grecs, des Carthaginois, & même sous les Romains du tems de la
République ; Seneque est le premier qui ait entrepris de peindre cette nation
dans le distique suivant : Prima est ulcisis lex , altera vivere raptu. Tertia mentiri,
quarta negare Deos. (Se venger, est la première loi des Corses ; la seconde,
de vivre de rapines ; la troisième, de mentir ; la quatrième, de nier
l'existence des Dieux) (Abbé
Germanes, Histoire des révolutions de Corse: depuis ses premiers habitans
jusqu'Ã nos jours, Tome 2, 1771 - books.google.fr). Paoli Paoli n'a pas la
volonté de rester replié dans ses montagnes. Pétri d'histoire antique, il sait
que les Phocéens sont arrivés par Aléria. Disciple de son père, il connaît
tout de l'histoire insulaire, tout des colonies romaines d'Aléria et de
Mariana. Il sait que l'avenir de la Corse est sur l'eau. Corte n'est jamais
pour lui qu'un pis-aller, un refuge, une retraite inexpugnable à l'ombre d'une
citadelle quasi imprenable ; une capitale imposée par les circonstances, non
une capitale choisie. En Corse, Paoli est chez lui et il n'y a aucune raison
pour qu'il laisse les côtes à d'autres. Alors que les Romains contraignaient
les Corses à gagner les montagnes de l'intérieur, Paoli - élevé en Romain -
veut descendre des montagnes vers le littoral pour mettre sur pied une marine
de commerce capable d'offrir aux insulaires richesses économiques, progrès
technologiques et moyens militaires. La guerre aux Génois nécessite des armes,
de la poudre, des munitions venues du continent. Si l'intérieur de l'île est
autosuffisant au point de vue alimentaire, l'île a besoin de produits importés :
textiles, objets de fer ou d'argile, papier, presses, caractères d'imprimerie,
balances, sel, livres, traités techniques (Le Parfait Ingénieur), étoffes,
meubles de sacristie, dais pour les églises, franges d'or, baldaquins,
peintures, argenterie, vitraux marseillais pour les chapelles familiales comme
celle des Cipriani d'Ortinola à Centuri. Or, entre 1756 et 1763, la guerre
internationale - qui est en grande partie une guerre navale franco-britannique
en Méditerranée, mais aussi sur les océans Atlantique et Indien - favorise
partout le développement de la guerre de course, proclamée par Paoli contre
Gênes et ses alliés français (Michel
Vergé-Franceschi, Paoli, Un Corse des Lumières, 2005 -
www.google.fr/books/edition). Pour une âme de cette trempe, les historiens anciens sont
des maîtres de prédilection. Paoli fut grand lecteur de Polybe, selon Cocchi,
de Plutarque et de Tite Live, selon Boswell. On devine ce que lui ont apporté
les uns et les autres : Polybe, une réflexion sur les événements et les régimes
politiques qui le préparait à Machiavel ; Plutarque et Tite Live, qu’il
jugeait bien supérieurs aux historiens modernes, une galerie de modèles Ã
imiter. A lire la correspondance de Paoli, on s’aperçoit que ses grands hommes
sont plus romains que grecs; ce qui est sûr, en tous cas, c’est la familiarité
dans laquelle il vivait avec eux. Le moindre événement contemporain réveille en
lui un souvenir et provoque une comparaison. Clément dresse-t-il un plan pour
s’emparer d’un fortin ? C’est un disciple d’Annibal. Un chef corse déguise-t-il
sa timidité sous le nom de prudence ? Paoli écrit qu’il se prend à tort pour
Fabius Maximus. Le même est accusé d’avoir fait échouer une attaque sur Bastia
par intérêt familial, «alors que Brutus sacrifia deux fils à la naissante
liberté». Echec imputable aussi en partie à une mauvaise tactique qui rappelle
celle du consul Sempronius à la bataille de la Trebbia. Le crime de Giuliani,
compromis avec les Génois, a inspiré celui de Matra «comme la dictature de Sylla
ouvrit la voie à celle de César». Cecco Giafferi, le fils du glorieux Général
de 1730, est en train de franchir le Rubicon, c’est-à -dire de passer du côté
génois. Gian Carlo Ciavaldini, traître avéré, ne saurait être comparé à Horace,
héros criminel, etc. Ainsi nourri par Tite Live, on comprend que Paoli ait
songé à emporter en Corse comme viatique l’Histoire romaine de Rollin. Il y a
là d’ailleurs plus que des réminiscences livresques : le désir de rivaliser
avec les meilleurs héros de Tite Live et de Plutarque. Dans la lettre qu’il
écrit à son père le 17 octobre 1754, les résonances plutarquiennes font écho
aux souvenirs machiavéliens. Il s’y étale, avec le mépris de la richesse et des
plaisirs, un appétit de cette gloire (le mot gloria revient dans le texte aussi
souvent que celui de virtù) qui, seule, fait vivre les hommes par-delà le
tombeau. [...] On comprend qu’un tel esprit se soit accordé à la philosophie
stoïcienne. Cf. ce que Paoli dit Ã
Boswell de la supériorité du stoïcisme sur l’épicurisme «qui n’a jamais produit
un caractère élevé» (Boswell, op. cit., p. 304).
Une pensée si profondément «antique» voisine pourtant (et le cas n’a rien de
singulier au XVIIIe siècle) avec une culture sacrée non négligeable, même si
l’on s’en tient aux seules citations extraites de la correspondance. Toutefois,
dans la Tradition, Paoli choisit ses textes selon des desseins bien précis. Les
Evangiles ne sont pas représentés; l’ensemble du Nouveau Testament se réduit
presque uniquement à saint Paul. En dehors de quelques allusions plus
littéraires que significatives, le texte favori est le passage bien connu de
l'Epître aux Romains où saint Paul recommande l’obéissance aux autorités
établies. Il l’utilise dans une curieuse lettre bourrée de références aux bulles
pontificales et à l’autorité des docteurs de l’Eglise, pour fournir d’arguments
le conseil provincial de Balagne aux prises avec un supérieur de couvent
soupçonné de sympathies pro-génoises et rebelle aux ordres du gouvernement
national. Paoli, chef d’un Etat «né libre et sans concordat», met saint Paul au
service d’une politique régalienne qui refuse les empiètements du spirituel sur
le temporel. L’Ancien Testament est beaucoup mieux représenté et l’on comprend
pourquoi. Les textes de prédilection sont ceux qui exaltent la lutte du peuple
élu contre ses ennemis. Les leçons s’appliquent sans réserve. Si on ne peut
garder le fort d’Aleria, qu’on le détruise, comme fit Moïse «qui n’a rien
laissé sur pied de ce qui demandait soin et fatigue pour le garder». Les
comparaisons jaillissent spontanément : au siège de la tour de Foce di
Golo, les canons corses ont fait l’effet des trompettes de Jéricho. Une
circulaire du Conseil d’Etat, inspirée par Paoli, ordonne même la récitation
publique aux jours de fête du Psaume 45, Dieu est avec nous). Mais le texte des
textes reste le premier livre des Maccabées qui célèbre la lutte de Judas
Maccabée contre l’oppression. C’est de là qu’est extraite la devise «Melius est
in bello mori quam videre mala gentis nostrae», qui était déjà celle du
manifeste signé par Hyacinthe Paoli et Louis Giafferi en 1738. Héritage
familial, en quelque sorte. Paoli cite la phrase avec un pieux respect dans une
lettre à son père et y fait devant Boswell une allusion que l’Ecossais, moins
familier que lui avec l’histoire sainte, n’éclaircira que plus tard.Aux yeux de
Paoli, Dieu était-il donc corse ? «Iddio protettore della nostra causa »
est une formule qui revient souvent dans la correspondance. Croyance sincère Ã
sa mission ? Souci très machiavélien de «réconforter le peuple», selon la
maxime religio instrumentum regni. L’un et l’autre peut-être. Mais, de toute
manière, la culture sacrée comme la culture antique se trouvaient
mises au service du grand dessein auquel il avait consacré sa vie (Fernand
Ettori, La formation intellectuelle de Pascal Paoli (1725-1755). In: Annales
historiques de la Révolution française, n°218, 1974. La Corse. Des Lumières Ã
la Révolution - www.persee.fr). Matra Ce fut Emmanuel Matra qui, le premier, organisa une
insurrection nationale contre le nouveau gouvernement et surtout contre Paoli
dont il enviait la haute influence ; il demande des secours au Sénat de
Gênes, débarque à Aleria et marche sur les troupes de Paoli. Celui-ci est
surpris avec une poignée d'hommes au couvent de Bozio, attaqué impétueusement
par le chef des rebelles et est à point délivré par une troupe de patriotes qui
mettent en déroute les soldats de Matra et tuent leur chef. D'autres membres de
sa famille tentèrent plus tard, à deux reprises, de renverser le gouvernement
national, mais ce fut sans succès : les appels constants de Paoli au patriotisme
de ses concitoyens réalisèrent l'union pour la plus grande gloire de la Nation (Matthieu
Fontana (1878-1950), La constitution du généralat de Pascal Paoli en Corse,
1755-1769, 1907 - gallica.bnf.fr). La première
différence entre la famille Paoli et les Matra est surtout sociale. Rôturiers,
Giacinto puis Pasquale Paoli s'apprêtent à souffrir à vie de la fierté, de
l'orgueil et de la vanité des Matra. Devenu adulte, Pasquale s'emporte
souvent contre Emmanuele Matra, neveu de Francesco Saverio. Il lui reproche
d'être «fier au-delà de toute limite !» Il déclare à ceux qui veulent
l'entendre «Les aïeux de Matra sont comme ceux de tout le monde dans
l'obscurité.» Ce n'est toutefois pas tout à fait faux, mais les Matra ont donné
nombre d'officiers. Ils ont une orgueilleuse devise «In proelio semper leo»
(«Toujours lion au combat») et des armoiries timbrées. Ils sont de plus
«benemeriti» de saint-Georges, c'est-à -dire qu'ils sont honorés par Gênes.
Riches, ils jouissent du fort et beau domaine d'Aléria. Pour le louer, ils
versent alors annuellement à Gênes l'équivalent de sept années de revenu de
Giacinto ! Puissants, ils sont reconnus et écoutés Au début des années 1710, Angelo
Luigi Matra fut l'orateur du Deçà -des-Monts et, à ce titre, représente tout le
Nord de la Corse auprès du sénat de Gênes. En 1736, celui qui traite de
«vilains» Giacinto et Castinetta est Francesco Saverio son neveu. En 1757,
celui qui trouve la mort en combattant Pasquale et Clemente de' Paoli est
Mario-Emannuele, neveu de Francesco Saverio et petit neveu d'Antonio Laigi.
L'opposition entre les deux clans est donc héréditaire : les Matra représentent
la noblesse et les de'Paoli le peuple. Et cette confrontation durera au moins
sur trois générations (Jean-Claude
Di Pasquale, Les fils de la liberté: les fils de Pasquale Paoli, 2007 -
books.google.fr). Antoine Matra, qui avait quitté le service de Gênes, et
qui avait été nommé capitaine dans le Royal-Corse en France, reviut au service
de la Sérénissime République et débarqua à Aléria; de là , il s'introduisit dans
le Fiumorbo et pénétra jusqu'à Vénaco, mais assailli par les patriotes, il fut
repoussé de celte contrée. Dans celte lutte périt le brave Edouard Ciavaldini,
l'un desofficiers supérieurs de Paoli. Matra continua sa marche sur Piedicorte
et Ampriani, où, aidé par un certain Costa, capitaine au Royal-Corse, il
attaqua Clément Paoli et le délogea d'Antisanti; mais le général Paoli, venu au
secours de son frère avec des forces imposantes, baltit complétement les
rebelles ; Matra put arriver presque seul à Aleria. Alerius-François
Matra, qui du service du Piémont était passé à celui de Gênes, revint en Corse
avec le titre pompeux de Grand-Maréchal et s'empressa de répandre un manifeste
dans lequel il exhortait les Corses à abandonner le joug odieux et tyrannique
de Paoli, pour se soumettre au gouvernement paternel de la Sérénissime
République de Gênes. Ce manifeste eut l'insigne honneur d'être brûlé par les
mains du bourreau (1762). Le Grand-Maréchal Matra ayant reçu des renforts, part
de Bastia, s'empare de la tour de la Paludella, puis il s'avance sur Aleria,
pénètre jusqu'à Antisanti et Tallone, et enfin entre dans la pièce de Verde, où
il rencontre les patriotes commandés par Serpentini et Buttafoco, qui mettent
un terme à son voyage triomphal. Matra, battu complétement, cherche un refuge Ã
Aléria, qui était toujours aux Génois, et il s'y maintient pendant quelque
temps, puis se retire à la Paludella et quelques jours après fait sauter cette
tour et s'embarque pour Bastia (Jean-Ange
Galletti, Histoire illustrée de la Corse, 1863 - books.google.fr). Rompre les chaînes Reste que dans l'histoire insulaire l'image héroïsée de
Sampiero est restée celle d'un libérateur au destin tragique, le précurseur de
Paoli qui avait montré la voie à suivre pour rompre les chaînes de «la
tyrannie». Les conditions du succès
n'étaient point alors remplies et la tentative qui se fit en deux phases
(1553-1559), guerre dite des Français, puis (1564-1569), guerre de Sampiero et
de son fils Alphonse d'Ornano se solda par un échec. L'Etat génois reprenait le
legs qu'il avait fait à l'Office de Saint-Georges et, pour un siècle et demi
(de 1570 à 1730), redevenait le maître craint et incontesté de l'île qu'il
avait asservie (Fernand
Ettori, Corse, 1979 - www.google.fr/books/edition). Parce que le temps est venu de rompre les chaînes de
l'esclavage ligure : «même les esclaves ont la liberté de parler, et nous en sommes
privés» (Lettre de Sampiero à Lugo de Coasina, 26 juin 1564) (René
Emmanuelli, Gènes et l'Espagne dans la Guerre de Corse, 1559-1569, 1964 -
www.google.fr/books/edition). "Cité
prise" En 1757, les Matra, appuyés par Gênes, et Colonna de
Bozzi, allié de la France, soulèvent une révolte. Pascal Paoli, alors élu
général de la Nation, les écrase. Il crée une marine qui lui permet de
soumettre le Cap Corse en 1761 et de s'emparer de Capraia en 1767, mais échoue
cependant dans sa tentative de prendre d'assaut les villes côtières génoises. En
1756, les Français signent le traité de Compiègne qui accorde à Gênes des
subsides et des troupes pour occuper Ajaccio, Calvi et Saint-Florent jusqu'en
mars 1759. En 1758, Pascal Paoli fonde l'ÃŽle-Rousse. Quatre ans plus tard, il
fait adopter le drapeau à la tête de Maure et crée une monnaie. Le 6 août 1764
est signé le second traité de Compiègne. Les troupes françaises s'engagent
alors à tenir garnison dans les trois villes déjà occupées ainsi qu'à Bastia et
à Algajola pendant quatre ans. En 1765, Corte devient la capitale de la Corse,
et une université y est créée. Bien que Pascal Paoli continue à correspondre
avec le duc de Choiseul dans l'espoir d'assurer l'indépendance de la Corse, le
5 mai 1768, par le traité de Versailles, Gênes cède à la France la souveraineté
sur l'île (www.corsica-16.fr). 1754, 16 février. La commission itinérante (désignée par le Conseil Supérieur, chargée de consolider l'union des Corses contre Gênes) qui avait décidé une marche dans le Capicorsu pour chasser de Roglianu une garnison génoise qui venait de s'y établir, accède au désir de cette province en renonçant à aller au-delà d'Oletta. 1757, Pascal Paoli libère en grande partie le Cap Corse de la tutelle génoise. La tour du Cap, dominant Rogliano, ne sera enlevée qu'en 1761. 1758, 30 octobre. Paoli ordonne aux capitaines et aux habitants
des pieve du Capicorsu de s'opposer par les armes aux incursions génoises
faites à partir de Bastia ou de Roglianu. 4 novembre.  Pietrasanta, toujours «lieutenant» à Roglianu,
interdit la publication des ordres de Paoli. 1761, début août. Paoli visite le Capicorsu et y séjourne pendant près de deux mois pendant lesquels il organise le siège de Macinaghju, le seul port resté aux mains des Génois. Paoli pensait établir un port près de la tour Santa Maria. 1762, Avril. Les Génois fortifient San Pelegrinu, qu'ils ont de nouveau occupé, résistent à Macinaghju et conservent l'Algaiola, pendant que les partisans de Matra sont encore dans le fort d'Aléria. 9 mai. Informé des succès des rebelles, Paoli quitte précipitamment le Capicorsu où il faisait le blocus de Macinaghju et surveillait la construction de navires. 1767, 6 février. Informé que Ghjiseppu Barbaggi, Acchille
Murati (commandant d'Erbalonga) et Ghjambattista Ristori (commandant de
Furiani) dirigent des troupes vers Macinaghju, A. Speroni dépêche une felouque au
commissaire génois de Capraia pour l'informer d'un débarquement possible et lui
envoie de la farine et de l'argent. 1767, 3 juin. Dumenicu Arrighi, président de séance,
annonce à la consulte la capitulation de Capraia. Un courrier, arrivé la veille
de Macinaghju, avait apporté la nouvelle à Paoli (fr.wikipedia.org - Rogliano). Macinaggio est la marine de Rogliano, située sur la
pointe orientale du Cap Corse. Dans l'Antiquité existait le port romain de
«Tamina», située au nord-est de la péninsule du Cap Corse, le Sacrum
promontorium de Ptolémée, à l'embouchure du fiume di Jioielli (ou de Gioielli)
au nord duquel a été bâti le port de Macinaggio. Du XVIe siècle au XIXe siècle,
une tour protégeait Macinaggio ; la tour était pourvue d'un magasin. En
1761, après un an de siège, la tour sera prise par Pascal Paoli. Il n'en reste
plus rien. En 1771 la digue de pierres et de bois construite par les Français
en 1746 est ruinée par un fort libeccio (fr.wikipedia.org - Macinaggio). Pendant le siège de Macinaggio par Paoli, les prisonniers
détenus au château de Corte s'étant révoltés, s'emparèrent de cette forteresse :
ils ne se rendirent au gouverneur qu'Ã condition qu'on leur donnerait la
liberté (François
G. Robiquet, Recherches historiques et statistiques sur la Corse, 1835 -
books.google.fr). Sénèque au Cap Corse Sénèque endura son exil pendant environ six ans; mais habitué aux aisances, aux débauches et aux intrigues de la cour, il ne pouvait pas se faire à la triste existence à laquelle il était condamné. Ce fut sur les rochers du cap Corse, croit-on, qu'il fut exilé, et ce fut là qu'il écrivit son traité De Consolatione, adressé à Polybe et à sa mère Helvia. [...] Les ruines de la tour qui porte le nom de Sénèque sont situées sur le sommet de la montagne au-dessus de Luri. Ces ruines s'élèvent sur un rocher à pic, mais du côté ouest l'accès est très-facile. La construction de cette tour n'a rien du style romain, elle est plus moderne, et elle avait plutôt l'aspect d'une vedette que d'un lieu de demeure. Cependant ces ruines portent depuis un temps immémorial le nom de tour de Sénèque, et les villages des environs formaient un canton qui était connu jusqu'à nos jours sous le nom de canton de Sénèque. Une autre tour, qui porte le même nom, existe non loin de la mer, entre les communes de Sisco et de Pietra-Corbara, où, dit-on, ce philosophe passait la saison d'hiver. Ce sont des dit-on et des traditions, mais si les faits avaient pu se vérifier, Sénèque aurait calomnié la Corse et aurait grandement menti. La vallée de Luri, dominée par la tour qui porte le nom de tour de Sénèque,est une des plus belles et des plus fertiles de la Corse, et la plaine d'Ampuglia, ainsi que les collines au-dessus, où sont situées les communes de Pietra-Corbara et Sisco, sont toutes boisées et susceptibles de toutes sortes de productions. Quant à ce fameux distique: Prima est ulcisi lex, etc., on dit que Sénèque, dont les mæurs laissaient beaucoup à désirer, ayant attenté à la pudeur des femmes corses, fut pris, mis à nu et fustigé avec des orties par les habitants. Il se vengea de cet affront en composant ce distique sur la sauvagerie des mœurs de ces insulaires. Tout ce que nous venons de dire est tiré des traditions qui existent parmi les habitants du cap Corse. Quelques-uns de nos historiens nationaux prétendent que Sénèque n'est pas l'auteur ni de l'épigramme : Barbara præruptis, etc., ni du distique Prima est ulcisi lex, etc.; car, dans les premières éditions des écrits de ce philosophe, il n'existe rien de tout cela; mais que c'est l'ouvrage de quelque auteur génois qui a voulu décrier la Corse en y joignant ces diatribes (Jean-Ange Galletti, Histoire illustrée de la Corse, 1863 - books.google.fr). Donation de
Constantin : 1000 ans En 1762, le pape envoie en Corse un visiteur apostolique.
 Paoli, connaissant l'esprit du peuple qu'il avait Ã
conduire, ne négligeait rien pour se procurer l'appui des ministres de la
religion. Les évêques de Corse, nommés par le sénat de Gênes, soutenaient le
parti de la république, et ne paraissaient pas dans l'intérieur du pays :
le gouvernement national voulut les obliger à y résider; ils s'y refusèrent. Le
gouvernement, alors, défendit aux patriotes d'avoir aucune communication avec
eux. Paoli députa à Rome deux ecclésiastiques qui firent sentir au pape le
danger de laisser la nation sans pasteur, el le supplièrent d'envoyer en Corse
un Visiteur apostolique. Le pape, malgré la vive opposition de Gênes, se rendit
à leurs prières, et donna celte commission à l'évêque de Ségni, Cesare
Crescenzio de Angelis, homme d'une grande piété, d'un sens droit, et d'un
caractère aimable et conciliant : les Corses le reçurent avec joie, et lui
prodiguèrent les témoignages d'amour et de vénération. Gênes décréta de prise
de corps le Visiteur apostolique, et promit une somme d'argent considérable Ã
ceux qui l'amèneraient prisonnier dans quelqu'une de leurs places. Le
gouvernement corse condamna cet édit à être brûlé par la main du bourreau, et
décréta que les dimes des évêques seraient versées dans le trésor public. Cette
dernière mesure fit murmurer le peuple, qui regardait les biens de l'église
comme sacrés : le gouvernement, pour la justifier, publia un écrit où il exposa
les raisons qui l'avaient déterminé. Il y rappelait que Benoit XI avait accordé
à Jacques, roi d'Aragon, les dimes pendant trois ans, pour chasser les Génois
de Corse. «Le cas est le même, disait-il, et le besoin est plus grand. Comment ce qui était permis alors
serait-il défendu aujourd'hui ? Les revenus de celui qui ne réside pas, qui ne
sert pas l'autel, et bien plus, qui le trahit, sont dévolus aux pauvres. Or,
qui est plus pauvre que nos soldats et que nos finances ?» (François
G. Robiquet, Recherches historiques et statistiques sur la Corse, 1835 -
books.google.fr). Alors que l'Italie centrale formait dans l'Antiquité
tardive et pendant les premiers siècles du Moyen Âge une zone frontière entre
les mondes grec et latin, une situation confortée par l'invasion lombarde, les
prétentions du Saint-Siège sur la Corse, appuyées sur la donation de
Constantin, forment ensuite une sorte de basse continue à partir des temps
carolingiens, avant d'être puissamment ravivées au temps de la réforme
grégorienne. Attachée d'abord avec la Sardaigne au vicariat de Rome dans la
préfecture d'Italie, passées toutes deux au milieu du vin siècle dans
l'exarchat d'Afrique, la Corse entre au VIIe siècle dans l'aire d'influence
lombarde, contrairement cette fois à sa grande voisine. Les liens avec la
Toscane maritime, avec Lucques, avec Pise et avec le diocèse de Luni s'imposent
dès lors, mais les papes obtiennent des
rois francs aux VIIIe-IXe siècles de faire entrer la Corse dans le Patrimoine
de Saint-Pierre sur le fondement de la pseudo-donation de Constantin. Cette
souveraineté très théorique du Saint-Siège se fera alors sous la protection des
ducs de Lucques, bientôt marquis de Tuscia, et de fait, l'île est intégrée dans
la marche de Tuscia dès 846. La circonstance incontestable de la pression
exercée sur l'île et ses habitants (comme sur le littoral italien) par les
flottes maures et sarrasines dans la première moitié du IXe siècle, pression
qui justifia en effet la formation de cette marche, semble avoir formé ensuite
le socle sur lequel appuyer la légitimité de la domination de l'île. C'est bien
à propos de la reconquête des îles de Méditerranée sur les Maures ou les
Sarrasins que va se poser le problème de la mission confiée par le Siège
apostolique aux puissances temporelles, l'empire franc, mais surtout les cités
de Pise ou de Gênes (Antoine
Franzini, A qui est la Corse ? Annexer ? Les déplacements de frontières à la
fin du Moyen Âge, 2018 - www.google.fr/books/edition). C'est vers le siécle de Charlemagne qu'a commencé la Puissance temporelle des Papes. C'est pourquoi nous traiterons maintenant ce point de l'Histoire Ecclésiastique. Mr. de Voltaire dans le chapitre sixième, & dans le vingtième parle fort au long de l'origine de cette Puissance ; & tout ce qu'il nous en aprend, c'est que cette Puissance n'a point eu d'autre origine que la politique... adroite des Pontifes Romains, & une usurpation qui n'est colorée d'aucun titre. Qu'il traite la donation de Constantin de donation imaginaire, il ne fait que suivre et cela tous les critiques modernes. Mais qu'il ne fasse pas plus de cas de celle que Pepin & Charlemagne firent à l'Eglise Romaine, c'est une autre chose. Il nous permettra d'étre d'un autre avis que lui (Les Erreurs de Voltaire, Tome 1, 1762 - books.google.fr). Les papes
invoquent un faux, composé entre 750 et 760 : la «donation de Constantin».
L'empereur Constantin y parle à la première personne : pour remercier le
pape Silvestre de son baptême qui l'a guéri de la lèpre, Constantin proclame le
pape et ses successeurs vicaires du Christ et représentants du prince des
Apôtres tenant du ciel leur principat. Il se déclare prêt à leur accorder un pouvoir
plus ample que le sien en tant qu'empereur. Il fait don à l'Eglise romaine du
principat sur les quatre sièges patriarcaux d'Orient et sur toutes les Eglises
du monde. Il proclame le pape prince de tous les prêtres de l'univers. Il déclare
abandonner au pape le palais impérial du Latran et l'autorise, lui et ses successeurs, à porter le diadème
et tous les insignes de l'Empire : le haut bonnet blanc pointu, l'écharpe
consulaire autour du cou, le sceptre la chlamyde de pourpre, la tunique
d'écarlate, l'aigle et le globe, les étendards ; porter les insignes de
l'empereur, c'est s'identifier à lui. Constantin abandonne à Silvestre «notre
père, pape universel, la ville de Rome... toutes les provinces, localités et
cités de l'Italie et des régions occidentales, pour être tenues par lui et ses
successeurs sous leur puissance et et tutelle». L'on crut à l'authenticité de cet acte jusqu'à l'humaniste Laurent
Valla au XVe siècle (Roland
Mousnier, La Monarchie absolue en Europe du Ve siècle à nos jours, 1981 -
www.google.fr/books/edition). "quant et quant" QUANT ET QUANT. Alors; en même temps; ensemble; de même
que. De même en Berrichon et Vieux-Français. Jacques Grévin, poète Beauvaisien,
emploie avec bonheur cette énergique expression : Quand on dira :
César fut maitre de l'empire, Qu'on sache quant
et quant Brute le fit occire. Quand on dira :
César fut premier empereur, Qu'on dise quant et
quant : Brute en fut le vainqueur (QUARESMAUX, Carême, Abbeville, XVe
siècle.) (Jules
Corblet, Glossaire étymologique et comparatif du patois picard, ancien et
moderne, 1851 - books.google.fr). QUANT ET QUANT, loc. adv. Les uns les autres. «Ils
allaient tous quant et quant» (Ad.
Orain, Glossaire Patois d'Ille-et-Vilaine, Revue de linguistique et de
philologie comparée, Volumes 17-18, 1884 - www.google.fr/books/edition). Quant et quant. En même temps. Loc. fr.,
mais vieillie ; on la trouve dans Rabelais, Amyot, Montaigne, Balzac, Voiture, Marivaux, etc. Encore usité en Nor, et
en Pic. En Ch., sig. De suite (Oscar
Dunn, Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées
au Canada, 1880 - books.google.fr). Hesiode corrige le dire de Platon, «que la peine suit de bien prez le peché»; car il dict «qu'elle naist en l'instant et quant et quant le peché» (Essais de Michel de Montaigne, Tome 2, 1818 - books.google.fr). Quant à Seneque, parmy une miliasse de petits livrets, que ceux de la religion pretendue reformée font courir pour la deffence de leur cause, qui partent par fois de bonne main et qu'il est grand dommage n'estre embesoignée à meilleur subject, j'en ay veu autres-fois un qui, pour alonger et remplir la similitude qu'il veut trouver du gouvernement de nostre pauvre feu roy Charles neufviesme avec celuy de Neron, apparie feu monsieur le cardinal de Lorraine avec Seneque, leurs fortunes d'avoir esté tous deux les premiers au gouvernement de leurs princes, et quant et quant leurs meurs, leurs conditions et leurs deportemens. Enquoy, à mon opinion, il faict bien de l'honneur audict seigneur cardinal : car, encore que je soys de ceux qui estiment autant sa vivacité, son eloquence, son zele envers sa religion et service de son roy, et sa bonne fortune d'estre nay en un siecle où il fut si nouveau et si rare, et quant et quant si necessaire pour le bien public, d'avoir un personnage ecclesiastique de telle noblesse et dignité, suffisant et capable de sa charge, si est-ce qu’à confesser la verité, je n'estime sa capacité de beaucoup prés telle, ny sa vertu si nette et entiere ny si ferme, que celle de Seneque. Or ce livre de quoy je parle, pour venir à son but, faict une description de Seneque tres-injurieuse, ayant emprunté ces reproches de Dion l'historien, duquel je ne crois nullement le tesmoignage : car, outre ce qu'il est inconstant, qui, aprés avoir appellé Seneque tres-sage tantost et tantost ennemy mortel des vices de Neron, le fait ailleurs avaritieux, usurier, ambitieux, lasche, voluptueux et contrefaisant le philosophe à fauces enseignes, sa vertu paroist si vive et vigoureuse en ses escrits, et la defence y est si claire à aucunes de ces imputations, comme de sa richesse et despence excessive, que je n'en croiroy aucun tesmoignage au contraire. Et d'avantage, il est bien plus raisonnable de croire en telles choses les historiens romains que les grecs et estrangers. Or Tacitus et les autres parlent tres-honorablement et de sa vie et de sa mort, et nous le peignent en toutes choses personnage tres-excellent et tresvertueux. Et je ne veux alleguer autre reproche contre le jugement de Dion que cetuy-cy, qui est inevitable : c'est qu'il a le goust si malade aux affaires romaines qu'il ose soustenir la cause de Julius Cæsar contre Pompeius et d’Antonius contre Cicero (Les essais de Montaigne: publiés d'après d'édition de 1588, avec les variantes de 1595, 1887 - books.google.fr). Philosophes J.-J. Rousseau lui-même a pu être comparé à Sénèque à à ceci prés que ce qui, chez Sénèque, est affaire de raison, est, chez Rousseau, affaire de sentiment, et que Rousseau n'est pas seulement un moraliste, mais encore un mécontent. Rousseau aimait Sénèque. Il le connaissait un peu à travers Montaigne, mais aussi cela va sans dire, directement (Paul Faider, Études sur Sénèque, Volumes 49-50, 1921 - www.google.fr/books/edition). Dans son enthousiasme pour Paoli, J.-J. Rousseau fut à la veille de se rendre en Corse ; il en aimait les habitants, parce qu'ils savaient défendre leur liberté et mourir. Il disait, en 1762, dans son Contral Social : «Il est encore en Europe un pays a capable de législation, c'est l'ile de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté, mériterait bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite ile étonnera l'Europe.» S'il avait dit, un Corse, sa prédiction se trouverait déjà accomplie; mais il voulait seulement exprimer cette idée, que le pays parviendrait à former un Etat indépendant. L'honorable mention que le citoyen de Gênes avait faite de la Corse, porta un insulaire, Buttafoco, colonel du régiment Royal-Corse, au service de France, à le prier de se charger lui-même de la noble tâche dont il avait parlé. Le général Paoli joignit ses instances à celles de cet officier pour décider l'auteur du Contrat Social à consacrer quelques-unes de ses veilles à la Corse ; les ennemis de Rousseau ne lui laissaient aucun repos, Paoli lui offrit un asile. Le philosophe allait se mettre en route, fier, écrivait-il, de voir bientôt le régénérateur de la Corse, lorsqu'il tomba malade. Voltaire jugea à propos d'exercer son humeur satirique, au sujet de l'offre de Buttafoco et de Paoli. Il en parlait comme d'une pièce jouée au grave Rousseau, qu'il ne put jamais souffrir. Il est vrai de dire que l'idée d'attirer J.-J. Rousseau dans l'ile fut prodigieusement exagérée par les relations du continent, qui n'en faisaient pas moins qu'un Solon, dont les Corses devaient recevoir un code de lois. Jamais Paoli n'eut l'intention de soumettre la législation du pays à un étranger qui en ignorait entièrement les mœurs et les inclinations ; il voulait seulement mettre à profit les talents de Rousseau, et surtout employer sa plume à illustrer les actions héroïques des braves insulaires (Pierre Adolphe Sorbier, Esquisse de l'histoire et des mœurs de la Corse, 1848 - books.google.fr). La Constitution corse de 1755 fit de la Corse la première
république démocratique moderne d'Europe. Basée sur la séparation des pouvoirs
et le suffrage universel, votée à la Cunsulta di Corti 32 ans avant
l'américaine, elle fut en vigueur de 1755 à 1769, année où la Corse devient
française. C'est en novembre 1755, que Pascal Paoli proclama la Corse nation
souveraine et indépendante de la République de Gênes. Il rédige la Constitution
corse qui reconnaît le droit de vote aux personnes de plus de 25 ans, dont les
femmes (france3-regions.francetvinfo.fr). Mathieu Buttafoco, un proche de Paoli, demande en août
1764 à Jean-Jacques Rousseau de rédiger un projet de constitution. Il travaille
donc sur les documents que lui a produits Buttafoco entre janvier et septembre
1765. Ce n'est donc qu'Ã cette date qu'il peut achever son travail. Il
préconise une société égalitaire et patriotique sur le modèle idéalisé de
l'organisation des cantons suisses. Cependant, ce projet n'aboutira pas à cause
de l'invasion française et la destruction dans le sang de la République corse
par les troupes de Louis XV après la bataille de Ponte Novu en 1769.L'œuvre ne
sera publiée qu'à titre posthume (fr.wikipedia.org
- Projet de constitution pour la Corse). Acrostiche : LVDL Ludre (la vicomtesse de, de Nancy) : L.V.D.L. Études sur
les idées et sur leur union au sein du Catholicisme, 1842 (Jean
Marie Querard, Les supercheries litteraires devoilees. Galerie des auteurs
apocryphes, supposes, 1853 - www.google.fr/books/edition, Lerminier, Les
Femmes philosophes, Revue des Deux Mondes, période initiale, Tome 2, 1843 -
fr.wikisource.org). Sur la couverture de chez Debécourt on lit en fait
"LVDF" : vicomtesse de Frolois (Ludre,
Études sur les idées et sur leur union au sein du Catholicisme, Tome 1, 1842 -
www.google.fr/books/edition). Plusieurs répertoires d'éditions portent "LVDL"
sans doute parce qu'on l'appelait « de Ludre » (Lacordaire,
Éloge funèbre de Daniel O'Connell, prononcé à Notre-Dame de Paris, le 10
février 1848, 1848 - www.google.fr/books/edition). LVDL ou LVDF est Anne-Marie
Télésie de Girardin, née en 1801 à Ermenonville, où son grand-père accueillit
Jean-Jacques Rousseau qui y est enterré. Veuve en 1822, elle épouse en
secondes noces Auguste-Gabriel-Barthélemy, vicomte de Ludre, et en a plusieurs
enfants. Elle est la belle-fille du colonel de Ludre ayant combattu en Corse.
Elle est morte le 23 mars 1886 (Bulletin
de la Société héraldique et généalogique de France, Volume 5, 1886 -
books.google.fr). Après le débarquement des troupes françaises Ã
Saint-Florent, le 28 août 1768, qui occupent rapidement le Cap Corse avec un
début de conquête à leur avantage, les Corses reprennent les hostilités et forcent
les Français à évacuer la Casinca. Ceux-ci conservent toutefois un poste avancé
à Borgo. En octobre 1768, Pascal Paoli, à la tête de 4 000 hommes, entreprend
de reprendre U Borgu (Borgo) où les Français, en attente de renforts, sont
retranchés. Il donne l'ordre à tous les hommes de marcher sur U Borgu. Le
colonel de Ludre avait établi ses postes avancés aux deux extrémités du village
et ses 3 pièces d'artillerie étaient placées sur les trois points qui en
dominent les abords. Borgo, qui avait vu
en 1738 la défaite du corps expéditionnaire français demandé par les Génois,
vit de nouveau les Corses vaincre. Les Français laissèrent sur le terrain
600 tués, ainsi que 1 000 blessés. Les
700 hommes du colonel de Ludre et ce dernier sont faits prisonniers. Le Royaume de France fut surpris par cette défaite et le
roi Louis XV songea même à laisser la Corse en paix. Mais le duc de Choiseul,
conscient du ridicule dans lequel se jetterait la France si elle abandonnait la
lutte, organisa une seconde expédition commandée par le comte de Vaux qui
battit les Corses à Ponte-Novo (fr.wikipedia.org -
Bataille de Borgo). Cf. III, 87. François-Louis-Hyacinthe,
marquis de Frolois, comte de Ludre et d’Afrique, maréchal des camps et
armées de France, est le neveu de Choiseul. Officier de la cavalerie légère, il se distingua pendant la guerre de
sept ans, et fit ensuite partie de l'expédition de Corse en qualité de
commandant de la légion royale. Il est mort le 30 janvier 1818 à Nancy. Il
avait épousé, en 1794, AURORE-Louise-Monique, comtesse Dessales de Malpierre. De
ce mariage sortirent plusieurs fils (A.-J.
Duvergier, Mémorial historique de la noblesse, Tome 2, 1840 - books.google.fr). Paoli compare le colonel de Ludre à Fabricius ; la situation désespérée des Corses face à Chauvelin, à celle des Sagontins face à Hannibal ; et le patriotisme des Corses à celui de Rome, de Sparte, ou de Thèbes (Francis Beretti, Pascal Paoli Et L'image de la Corse Au Dix-huitùme Siècle, Le Témoignage Des Voyageurs Britanniques, 1988 - www.google.fr/books/edition). |