De Sénèque à Paoli

De Sénèque à Paoli

 

III, 79

 

1762-1763

 

L'ordre fatal sempiternel par chaisne,

Viendra tourner par ordre consequent,

Du port Phocen sera rompue la chaisne,

La cité prinse, l'ennemy quant & quant.

 

Stoïcisme

 

Les deux premiers vers du quatrain traduisent la formulation proposée par Aulu Gelle de la pensée de Chrysippe.

 

«Fatum est, inquit Chrysippus, sempiterna quædam et indeclinabilis series rerum et catena, volvens semetipa sese et implicans per æternos consequentiæ ordines, ex quibus apta connexaque est.» AULU GELLE, Nuits attiques, II, 1.

 

Une nécessité absolue, disent-ils, régit toutes choses ; des lois nécessaires et fatales s'imposent à tous les êtres et ne comportent aucune exception : «Omnia certo tramite vadunt (SÉNÈQUE, OEdip., 986.)... Fata regunt orbem, certa stant omnia lege.» (MANILIUS, IV, 14.) L'homme ne peut se soustraire à leur empire : «It cuique ratus, prece non ulla mobilis, ordo.» (Manilius, IV, 14.) Cet ordre résulte de la nature même des choses, c'est l'enchaînement fatal des causes et des effets (AULU GELLE, Nuits attiques, II, 1.) : «Fatum nihil aliud est quam series implexa causarum... cùm causa causæ nexa rem ex se gignat» (CICÉRON, de Div., I, LV, 125.) La loi suprême de la destinée n'est autre que la parfaite raison. Étant donné ce qu'étaient originellement les choses, un certain ordre de phénomènes s'est manifesté, un certain nombre de lois se sont établies qui ne pouvaient être autres qu'elles ne sont et qui ne sont susceptibles d'aucun changement : «Fati hæc prima lex est, stare decreto.» (SÉNÈQUE, Quæst. nat., II, 35, 36.) Ce qui se produit aujourd'hui est le résultat d'une loi éternellement vraie ou, pour parler plus clairement, il a été vrai de toute éternité que les choses suivraient ce cours : «Ut, quidquid accidat, id ex æterna veritate causarumque continuatione fluxisse dicatis (CICÉRON, de Nat. D., I, 20, 55.)... Olim constitutum est quid gaudeas, quid fleas (SÉNÈQUE, de Prov., V.) Pour que tel fait n'eût pas lieu et pour qu'un autre se montrât à sa place, il eût fallu qu'une cause ne produisit pas son effet, qu’un effet apparût sans cause ou bien que les lois du monde fussent modifiées, ou bien encore que la nature primordiale des choses fût tout autre. Tels sont les principes de ce que Montaigne appelle «le grand cours de l'univers et l'enchaisneure des causes stoïcques... Votre fantaisie n'en peut, par souhait et imagination, remuer un point, que tout l'ordre des choses ne renverse, et le passé et l'avenir.» (Essais III, II) Le fatalisme stoïcien a donc un caractère scientifique et surtout logique (Emmanuel Joyau, Essai sur la liberté morale, 1888 - books.google.fr).

 

Parmi ceux dont nous avons conservé les Å“uvres, Sénèque est le premier en date de ces moralistes puissants qui voient dans l'exercice d'une volonté indomptable le seul remède aux maux de la décadence contemporaine. Après lui, son neveu Lucain transporte ses métaphores énergiques dans la poésie. Perse, jeune homme intransigeant et stoïcien dogmatique, les traduit en pamphlets plus sobres sans être moins frappants. Après avoir ainsi passé en revue les écrivains latins, nous jetterons un coup d'Å“il sur les stoïciens grecs. Chez les Grecs, c'est surtout Chrysippe, dont l'influence. déjà prépondérante en Grèce, s'accrut sans cesse à partir du premier siècle de notre ère, c'est surtout Chrysippe, dis-je, qui a servi de modèle aux disciples du Portique. Un grand nombre des comparaisons de Sénèque se retrouve chez Chrysippe : avant Sénèque, Chrysippe a parlé de la «lutte» de l'homme contre les passions, du philosophe «médecin de l'âme», de la colère «aveugle» ; il a emprunté ses métaphores au jeu de balle, à la course à pied, ainsi qu'aux autres jeux connus des Grecs, et a comparé l'homme à un voyageur (D. Steyns, Étude sur les métaphores et les comparaisons dans les oeuvres en prose de Sénèque le philosophe, 1907 - archive.org).

 

Phocée

 

C'étaient les Phocéens qui, pour contre-balancer l'avantage que donnait aux Phéniciens la possession d'une partie de la Sardaigne, avaient fondé en 556, sur la côte orientale de l'île de Cyrné, c'est-à-dire de la Corse, dans une situation très bien choisie, la ville d'Alalia ou d'Aléria ; de là ils commandaient toute la mer Tyrrhénienne et le golfe de Ligurie. La prise et la ruine de Phocée par Harpagos, en 547, lors de la conquête de l'Ionie par les Perses, au lieu d'ébranler les établissements phocéens dans l'Occident, ne fit qu'en augmenter l'importance. De colonie, Massalia était devenue une métropole ; des fugitifs de Phocée, ames énergiques, intrépides marins, se réfugièrent, avec ce qu'ils avaient sauvé de leurs richesses, les uns à Massalie et les autres à Aléria. C'était pour la population grecque, dans ces parages, un accroissement considérable, dont l'effet se fit bientôt sentir. Phocéens et Massaliotes occupèrent et détruisirent les comptoirs que les Phéniciens avaient fondés soit sur la côte ligurienne, soit sur la côte ouest de l'Espagne, dans le voisinage de l'Ebre et des Pyrénées ; leurs escadres battirent même en plusieurs rencontres celles de Carthage; elles acquirent et, pendant quelque temps, elles gardèrent dans ces eaux une supériorité marquée. [...]

 

La flotte étrusque sortit de Populonia, le principal port de la Toscane; elle se réunit à la flotte phénicienne, et en 536 les escadres combinées cinglèrent vers Aleria. Ce qui manquait aux Ioniens pour soutenir le rôle qu'ils avaient rêvé de jouer, c'était le nombre; ils acceptèrent et gagnèrent la bataille; mais, épuisés par leur victoire même, incapables de réparer assez rapidement leurs pertes, ils furent contraints d'évacuer Aleria. De ces fugitifs, les uns allèrent fonder Velia, dans l'Italie méridionale; les autres se retirèrent à Massalia (Georges Perrot, Charles Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité, Égypte, Assyrie, Perse, Asie Mineure, Grèce, Étrurie, Rome. Phénice - Cypre, Tome 3, 1885 - books.google.fr).

 

Au cours du siècle précédent les Romains, en dépit d'une résistance acharnée, l'ont enfin soumise et y ont établi, sur la côte Est, deux garnisons: Aleria et Mariana. La seule partie de l'île où les Romains fussent établis était la côte orientale ; le reste passait pour à peu près inhabitable. La première colonie, à l'embouchure du Golo, fut fondée entre les années 653 à 662 de Rome, sous le gouvernement de C. Marius, d'où elle fut appelée Mariana ; l'autre, à l'embouchure du Rhotanus, vers l'an 673, sous celui de Sylla : celle-ci conserva son ancien nom d'Aléria, dont s'empara auparavant Cornélius Scipion en 491.

 

Pline l'ancien donne à la Corse trente-trois villes qu'il ne nomme point, et plusieurs colonies : il cite, parmi ces dernières, celles de Mariana et d'Aléria, dont Sénèque fait aussi mention. Encore toute la vie romaine était-elle concentrée dans les deux colonies militaires. C'est vraisemblablement dans l'une de ces deux villes que Sénèque fixa sa résidence (René Waltz, Vie de Sénèque, 1909 - www.google.fr/books/edition, Atlas national, 1876 - books.google.fr).

 

Parmy les Rochers de la Mer de Corse : dans l'isle de Corse, où Seneque fut relegué sous l'Empire de Claude, estant accusé d'estre complice des Adulteres de Iulie fille de Germanicus : mais en suitte il en fut rappellé par le credit d'Agrippine, depuis qu'elle eut épousé l'Empereur Claude, & que Messaline fut morte (Marolles, Les tragédies de sénèque, en latin et en français, Tome 2, 1660 - www.google.fr/books/edition).

 

Nous n'avons gueres de détails sur les meurs des Corses du tems des Grecs, des Carthaginois, & même sous les Romains du tems de la République ; Seneque est le premier qui ait entrepris de peindre cette nation dans le distique suivant :

 

Prima est ulcisis lex , altera vivere raptu.

Tertia mentiri, quarta negare Deos.

 

(Se venger, est la première loi des Corses ; la seconde, de vivre de rapines ; la troisième, de mentir ; la quatrième, de nier l'existence des Dieux) (Abbé Germanes, Histoire des révolutions de Corse: depuis ses premiers habitans jusqu'à nos jours, Tome 2, 1771 - books.google.fr).

 

Paoli

 

Paoli n'a pas la volonté de rester replié dans ses montagnes. Pétri d'histoire antique, il sait que les Phocéens sont arrivés par Aléria. Disciple de son père, il connaît tout de l'histoire insulaire, tout des colonies romaines d'Aléria et de Mariana. Il sait que l'avenir de la Corse est sur l'eau. Corte n'est jamais pour lui qu'un pis-aller, un refuge, une retraite inexpugnable à l'ombre d'une citadelle quasi imprenable ; une capitale imposée par les circonstances, non une capitale choisie. En Corse, Paoli est chez lui et il n'y a aucune raison pour qu'il laisse les côtes à d'autres. Alors que les Romains contraignaient les Corses à gagner les montagnes de l'intérieur, Paoli - élevé en Romain - veut descendre des montagnes vers le littoral pour mettre sur pied une marine de commerce capable d'offrir aux insulaires richesses économiques, progrès technologiques et moyens militaires. La guerre aux Génois nécessite des armes, de la poudre, des munitions venues du continent. Si l'intérieur de l'île est autosuffisant au point de vue alimentaire, l'île a besoin de produits importés : textiles, objets de fer ou d'argile, papier, presses, caractères d'imprimerie, balances, sel, livres, traités techniques (Le Parfait Ingénieur), étoffes, meubles de sacristie, dais pour les églises, franges d'or, baldaquins, peintures, argenterie, vitraux marseillais pour les chapelles familiales comme celle des Cipriani d'Ortinola à Centuri. Or, entre 1756 et 1763, la guerre internationale - qui est en grande partie une guerre navale franco-britannique en Méditerranée, mais aussi sur les océans Atlantique et Indien - favorise partout le développement de la guerre de course, proclamée par Paoli contre Gênes et ses alliés français (Michel Vergé-Franceschi, Paoli, Un Corse des Lumières, 2005 - www.google.fr/books/edition).

 

Pour une âme de cette trempe, les historiens anciens sont des maîtres de prédilection. Paoli fut grand lecteur de Polybe, selon Cocchi, de Plutarque et de Tite Live, selon Boswell. On devine ce que lui ont apporté les uns et les autres : Polybe, une réflexion sur les événements et les régimes politiques qui le préparait à Machiavel ; Plutarque et Tite Live, qu’il jugeait bien supérieurs aux historiens modernes, une galerie de modèles à imiter. A lire la correspondance de Paoli, on s’aperçoit que ses grands hommes sont plus romains que grecs; ce qui est sûr, en tous cas, c’est la familiarité dans laquelle il vivait avec eux. Le moindre événement contemporain réveille en lui un souvenir et provoque une comparaison. Clément dresse-t-il un plan pour s’emparer d’un fortin ? C’est un disciple d’Annibal. Un chef corse déguise-t-il sa timidité sous le nom de prudence ? Paoli écrit qu’il se prend à tort pour Fabius Maximus. Le même est accusé d’avoir fait échouer une attaque sur Bastia par intérêt familial, «alors que Brutus sacrifia deux fils à la naissante liberté». Echec imputable aussi en partie à une mauvaise tactique qui rappelle celle du consul Sempronius à la bataille de la Trebbia. Le crime de Giuliani, compromis avec les Génois, a inspiré celui de Matra «comme la dictature de Sylla ouvrit la voie à celle de César». Cecco Giafferi, le fils du glorieux Général de 1730, est en train de franchir le Rubicon, c’est-à-dire de passer du côté génois. Gian Carlo Ciavaldini, traître avéré, ne saurait être comparé à Horace, héros criminel, etc. Ainsi nourri par Tite Live, on comprend que Paoli ait songé à emporter en Corse comme viatique l’Histoire romaine de Rollin. Il y a là d’ailleurs plus que des réminiscences livresques : le désir de rivaliser avec les meilleurs héros de Tite Live et de Plutarque. Dans la lettre qu’il écrit à son père le 17 octobre 1754, les résonances plutarquiennes font écho aux souvenirs machiavéliens. Il s’y étale, avec le mépris de la richesse et des plaisirs, un appétit de cette gloire (le mot gloria revient dans le texte aussi souvent que celui de virtù) qui, seule, fait vivre les hommes par-delà le tombeau. [...] On comprend qu’un tel esprit se soit accordé à la philosophie stoïcienne. Cf. ce que Paoli dit à Boswell de la supériorité du stoïcisme sur l’épicurisme «qui n’a jamais produit un caractère élevé» (Boswell, op. cit., p. 304). Une pensée si profondément «antique» voisine pourtant (et le cas n’a rien de singulier au XVIIIe siècle) avec une culture sacrée non négligeable, même si l’on s’en tient aux seules citations extraites de la correspondance. Toutefois, dans la Tradition, Paoli choisit ses textes selon des desseins bien précis. Les Evangiles ne sont pas représentés; l’ensemble du Nouveau Testament se réduit presque uniquement à saint Paul. En dehors de quelques allusions plus littéraires que significatives, le texte favori est le passage bien connu de l'Epître aux Romains où saint Paul recommande l’obéissance aux autorités établies. Il l’utilise dans une curieuse lettre bourrée de références aux bulles pontificales et à l’autorité des docteurs de l’Eglise, pour fournir d’arguments le conseil provincial de Balagne aux prises avec un supérieur de couvent soupçonné de sympathies pro-génoises et rebelle aux ordres du gouvernement national. Paoli, chef d’un Etat «né libre et sans concordat», met saint Paul au service d’une politique régalienne qui refuse les empiètements du spirituel sur le temporel. L’Ancien Testament est beaucoup mieux représenté et l’on comprend pourquoi. Les textes de prédilection sont ceux qui exaltent la lutte du peuple élu contre ses ennemis. Les leçons s’appliquent sans réserve. Si on ne peut garder le fort d’Aleria, qu’on le détruise, comme fit Moïse «qui n’a rien laissé sur pied de ce qui demandait soin et fatigue pour le garder». Les comparaisons jaillissent spontanément : au siège de la tour de Foce di Golo, les canons corses ont fait l’effet des trompettes de Jéricho. Une circulaire du Conseil d’Etat, inspirée par Paoli, ordonne même la récitation publique aux jours de fête du Psaume 45, Dieu est avec nous). Mais le texte des textes reste le premier livre des Maccabées qui célèbre la lutte de Judas Maccabée contre l’oppression. C’est de là qu’est extraite la devise «Melius est in bello mori quam videre mala gentis nostrae», qui était déjà celle du manifeste signé par Hyacinthe Paoli et Louis Giafferi en 1738. Héritage familial, en quelque sorte. Paoli cite la phrase avec un pieux respect dans une lettre à son père et y fait devant Boswell une allusion que l’Ecossais, moins familier que lui avec l’histoire sainte, n’éclaircira que plus tard.Aux yeux de Paoli, Dieu était-il donc corse ? «Iddio protettore della nostra causa » est une formule qui revient souvent dans la correspondance. Croyance sincère à sa mission ? Souci très machiavélien de «réconforter le peuple», selon la maxime religio instrumentum regni. L’un et l’autre peut-être. Mais, de toute manière, la culture sacrée comme la culture antique se trouvaient mises au service du grand dessein auquel il avait consacré sa vie (Fernand Ettori, La formation intellectuelle de Pascal Paoli (1725-1755). In: Annales historiques de la Révolution française, n°218, 1974. La Corse. Des Lumières à la Révolution - www.persee.fr).

 

Matra

 

Ce fut Emmanuel Matra qui, le premier, organisa une insurrection nationale contre le nouveau gouvernement et surtout contre Paoli dont il enviait la haute influence ; il demande des secours au Sénat de Gênes, débarque à Aleria et marche sur les troupes de Paoli. Celui-ci est surpris avec une poignée d'hommes au couvent de Bozio, attaqué impétueusement par le chef des rebelles et est à point délivré par une troupe de patriotes qui mettent en déroute les soldats de Matra et tuent leur chef. D'autres membres de sa famille tentèrent plus tard, à deux reprises, de renverser le gouvernement national, mais ce fut sans succès : les appels constants de Paoli au patriotisme de ses concitoyens réalisèrent l'union pour la plus grande gloire de la Nation (Matthieu Fontana (1878-1950), La constitution du généralat de Pascal Paoli en Corse, 1755-1769, 1907 - gallica.bnf.fr).

 

La première différence entre la famille Paoli et les Matra est surtout sociale. Rôturiers, Giacinto puis Pasquale Paoli s'apprêtent à souffrir à vie de la fierté, de l'orgueil et de la vanité des Matra. Devenu adulte, Pasquale s'emporte souvent contre Emmanuele Matra, neveu de Francesco Saverio. Il lui reproche d'être «fier au-delà de toute limite !» Il déclare à ceux qui veulent l'entendre «Les aïeux de Matra sont comme ceux de tout le monde dans l'obscurité.» Ce n'est toutefois pas tout à fait faux, mais les Matra ont donné nombre d'officiers. Ils ont une orgueilleuse devise «In proelio semper leo» («Toujours lion au combat») et des armoiries timbrées. Ils sont de plus «benemeriti» de saint-Georges, c'est-à-dire qu'ils sont honorés par Gênes. Riches, ils jouissent du fort et beau domaine d'Aléria. Pour le louer, ils versent alors annuellement à Gênes l'équivalent de sept années de revenu de Giacinto ! Puissants, ils sont reconnus et écoutés Au début des années 1710, Angelo Luigi Matra fut l'orateur du Deçà-des-Monts et, à ce titre, représente tout le Nord de la Corse auprès du sénat de Gênes. En 1736, celui qui traite de «vilains» Giacinto et Castinetta est Francesco Saverio son neveu. En 1757, celui qui trouve la mort en combattant Pasquale et Clemente de' Paoli est Mario-Emannuele, neveu de Francesco Saverio et petit neveu d'Antonio Laigi. L'opposition entre les deux clans est donc héréditaire : les Matra représentent la noblesse et les de'Paoli le peuple. Et cette confrontation durera au moins sur trois générations (Jean-Claude Di Pasquale, Les fils de la liberté: les fils de Pasquale Paoli, 2007 - books.google.fr).

 

Antoine Matra, qui avait quitté le service de Gênes, et qui avait été nommé capitaine dans le Royal-Corse en France, reviut au service de la Sérénissime République et débarqua à Aléria; de là, il s'introduisit dans le Fiumorbo et pénétra jusqu'à Vénaco, mais assailli par les patriotes, il fut repoussé de celte contrée. Dans celte lutte périt le brave Edouard Ciavaldini, l'un desofficiers supérieurs de Paoli. Matra continua sa marche sur Piedicorte et Ampriani, où, aidé par un certain Costa, capitaine au Royal-Corse, il attaqua Clément Paoli et le délogea d'Antisanti; mais le général Paoli, venu au secours de son frère avec des forces imposantes, baltit complétement les rebelles ; Matra put arriver presque seul à Aleria. Alerius-François Matra, qui du service du Piémont était passé à celui de Gênes, revint en Corse avec le titre pompeux de Grand-Maréchal et s'empressa de répandre un manifeste dans lequel il exhortait les Corses à abandonner le joug odieux et tyrannique de Paoli, pour se soumettre au gouvernement paternel de la Sérénissime République de Gênes. Ce manifeste eut l'insigne honneur d'être brûlé par les mains du bourreau (1762). Le Grand-Maréchal Matra ayant reçu des renforts, part de Bastia, s'empare de la tour de la Paludella, puis il s'avance sur Aleria, pénètre jusqu'à Antisanti et Tallone, et enfin entre dans la pièce de Verde, où il rencontre les patriotes commandés par Serpentini et Buttafoco, qui mettent un terme à son voyage triomphal. Matra, battu complétement, cherche un refuge à Aléria, qui était toujours aux Génois, et il s'y maintient pendant quelque temps, puis se retire à la Paludella et quelques jours après fait sauter cette tour et s'embarque pour Bastia (Jean-Ange Galletti, Histoire illustrée de la Corse, 1863 - books.google.fr).

 

Rompre les chaînes

 

Reste que dans l'histoire insulaire l'image héroïsée de Sampiero est restée celle d'un libérateur au destin tragique, le précurseur de Paoli qui avait montré la voie à suivre pour rompre les chaînes de «la tyrannie».  Les conditions du succès n'étaient point alors remplies et la tentative qui se fit en deux phases (1553-1559), guerre dite des Français, puis (1564-1569), guerre de Sampiero et de son fils Alphonse d'Ornano se solda par un échec. L'Etat génois reprenait le legs qu'il avait fait à l'Office de Saint-Georges et, pour un siècle et demi (de 1570 à 1730), redevenait le maître craint et incontesté de l'île qu'il avait asservie (Fernand Ettori, Corse, 1979 - www.google.fr/books/edition).

 

Parce que le temps est venu de rompre les chaînes de l'esclavage ligure : «même les esclaves ont la liberté de parler, et nous en sommes privés» (Lettre de Sampiero à Lugo de Coasina, 26 juin 1564) (René Emmanuelli, Gènes et l'Espagne dans la Guerre de Corse, 1559-1569, 1964 - www.google.fr/books/edition).

 

"Cité prise"

 

En 1757, les Matra, appuyés par Gênes, et Colonna de Bozzi, allié de la France, soulèvent une révolte. Pascal Paoli, alors élu général de la Nation, les écrase. Il crée une marine qui lui permet de soumettre le Cap Corse en 1761 et de s'emparer de Capraia en 1767, mais échoue cependant dans sa tentative de prendre d'assaut les villes côtières génoises. En 1756, les Français signent le traité de Compiègne qui accorde à Gênes des subsides et des troupes pour occuper Ajaccio, Calvi et Saint-Florent jusqu'en mars 1759. En 1758, Pascal Paoli fonde l'Île-Rousse. Quatre ans plus tard, il fait adopter le drapeau à la tête de Maure et crée une monnaie. Le 6 août 1764 est signé le second traité de Compiègne. Les troupes françaises s'engagent alors à tenir garnison dans les trois villes déjà occupées ainsi qu'à Bastia et à Algajola pendant quatre ans. En 1765, Corte devient la capitale de la Corse, et une université y est créée. Bien que Pascal Paoli continue à correspondre avec le duc de Choiseul dans l'espoir d'assurer l'indépendance de la Corse, le 5 mai 1768, par le traité de Versailles, Gênes cède à la France la souveraineté sur l'île (www.corsica-16.fr).

 

1754, 16 février. La commission itinérante (désignée par le Conseil Supérieur, chargée de consolider l'union des Corses contre Gênes) qui avait décidé une marche dans le Capicorsu pour chasser de Roglianu une garnison génoise qui venait de s'y établir, accède au désir de cette province en renonçant à aller au-delà d'Oletta. 1757, Pascal Paoli libère en grande partie le Cap Corse de la tutelle génoise. La tour du Cap, dominant Rogliano, ne sera enlevée qu'en 1761.

 

1758, 30 octobre. Paoli ordonne aux capitaines et aux habitants des pieve du Capicorsu de s'opposer par les armes aux incursions génoises faites à partir de Bastia ou de Roglianu. 4 novembre.  Pietrasanta, toujours «lieutenant» à Roglianu, interdit la publication des ordres de Paoli.

 

1761, début août. Paoli visite le Capicorsu et y séjourne pendant près de deux mois pendant lesquels il organise le siège de Macinaghju, le seul port resté aux mains des Génois. Paoli pensait établir un port près de la tour Santa Maria.

 

1762, Avril. Les Génois fortifient San Pelegrinu, qu'ils ont de nouveau occupé, résistent à Macinaghju et conservent l'Algaiola, pendant que les partisans de Matra sont encore dans le fort d'Aléria. 9 mai. Informé des succès des rebelles, Paoli quitte précipitamment le Capicorsu où il faisait le blocus de Macinaghju et surveillait la construction de navires.

 

1767, 6 février. Informé que Ghjiseppu Barbaggi, Acchille Murati (commandant d'Erbalonga) et Ghjambattista Ristori (commandant de Furiani) dirigent des troupes vers Macinaghju, A. Speroni dépêche une felouque au commissaire génois de Capraia pour l'informer d'un débarquement possible et lui envoie de la farine et de l'argent.

 

1767, 3 juin. Dumenicu Arrighi, président de séance, annonce à la consulte la capitulation de Capraia. Un courrier, arrivé la veille de Macinaghju, avait apporté la nouvelle à Paoli (fr.wikipedia.org - Rogliano).

 

Macinaggio est la marine de Rogliano, située sur la pointe orientale du Cap Corse. Dans l'Antiquité existait le port romain de «Tamina», située au nord-est de la péninsule du Cap Corse, le Sacrum promontorium de Ptolémée, à l'embouchure du fiume di Jioielli (ou de Gioielli) au nord duquel a été bâti le port de Macinaggio. Du XVIe siècle au XIXe siècle, une tour protégeait Macinaggio ; la tour était pourvue d'un magasin. En 1761, après un an de siège, la tour sera prise par Pascal Paoli. Il n'en reste plus rien. En 1771 la digue de pierres et de bois construite par les Français en 1746 est ruinée par un fort libeccio (fr.wikipedia.org - Macinaggio).

 

Pendant le siège de Macinaggio par Paoli, les prisonniers détenus au château de Corte s'étant révoltés, s'emparèrent de cette forteresse : ils ne se rendirent au gouverneur qu'à condition qu'on leur donnerait la liberté (François G. Robiquet, Recherches historiques et statistiques sur la Corse, 1835 - books.google.fr).

 

Sénèque au Cap Corse

 

Sénèque endura son exil pendant environ six ans; mais habitué aux aisances, aux débauches et aux intrigues de la cour, il ne pouvait pas se faire à la triste existence à laquelle il était condamné. Ce fut sur les rochers du cap Corse, croit-on, qu'il fut exilé, et ce fut là qu'il écrivit son traité De Consolatione, adressé à Polybe et à sa mère Helvia. [...] Les ruines de la tour qui porte le nom de Sénèque sont situées sur le sommet de la montagne au-dessus de Luri. Ces ruines s'élèvent sur un rocher à pic, mais du côté ouest l'accès est très-facile. La construction de cette tour n'a rien du style romain, elle est plus moderne, et elle avait plutôt l'aspect d'une vedette que d'un lieu de demeure. Cependant ces ruines portent depuis un temps immémorial le nom de tour de Sénèque, et les villages des environs formaient un canton qui était connu jusqu'à nos jours sous le nom de canton de Sénèque. Une autre tour, qui porte le même nom, existe non loin de la mer, entre les communes de Sisco et de Pietra-Corbara, où, dit-on, ce philosophe passait la saison d'hiver. Ce sont des dit-on et des traditions, mais si les faits avaient pu se vérifier, Sénèque aurait calomnié la Corse et aurait grandement menti. La vallée de Luri, dominée par la tour qui porte le nom de tour de Sénèque,est une des plus belles et des plus fertiles de la Corse, et la plaine d'Ampuglia, ainsi que les collines au-dessus, où sont situées les communes de Pietra-Corbara et Sisco, sont toutes boisées et susceptibles de toutes sortes de productions. Quant à ce fameux distique: Prima est ulcisi lex, etc., on dit que Sénèque, dont les mæurs laissaient beaucoup à désirer, ayant attenté à la pudeur des femmes corses, fut pris, mis à nu et fustigé avec des orties par les habitants. Il se vengea de cet affront en composant ce distique sur la sauvagerie des mÅ“urs de ces insulaires. Tout ce que nous venons de dire est tiré des traditions qui existent parmi les habitants du cap Corse. Quelques-uns de nos historiens nationaux prétendent que Sénèque n'est pas l'auteur ni de l'épigramme : Barbara præruptis, etc., ni du distique Prima est ulcisi lex, etc.; car, dans les premières éditions des écrits de ce philosophe, il n'existe rien de tout cela; mais que c'est l'ouvrage de quelque auteur génois qui a voulu décrier la Corse en y joignant ces diatribes (Jean-Ange Galletti, Histoire illustrée de la Corse, 1863 - books.google.fr).

 

Donation de Constantin : 1000 ans

 

En 1762, le pape envoie en Corse un visiteur apostolique.

 

Paoli, connaissant l'esprit du peuple qu'il avait à conduire, ne négligeait rien pour se procurer l'appui des ministres de la religion. Les évêques de Corse, nommés par le sénat de Gênes, soutenaient le parti de la république, et ne paraissaient pas dans l'intérieur du pays : le gouvernement national voulut les obliger à y résider; ils s'y refusèrent. Le gouvernement, alors, défendit aux patriotes d'avoir aucune communication avec eux. Paoli députa à Rome deux ecclésiastiques qui firent sentir au pape le danger de laisser la nation sans pasteur, el le supplièrent d'envoyer en Corse un Visiteur apostolique. Le pape, malgré la vive opposition de Gênes, se rendit à leurs prières, et donna celte commission à l'évêque de Ségni, Cesare Crescenzio de Angelis, homme d'une grande piété, d'un sens droit, et d'un caractère aimable et conciliant : les Corses le reçurent avec joie, et lui prodiguèrent les témoignages d'amour et de vénération. Gênes décréta de prise de corps le Visiteur apostolique, et promit une somme d'argent considérable à ceux qui l'amèneraient prisonnier dans quelqu'une de leurs places. Le gouvernement corse condamna cet édit à être brûlé par la main du bourreau, et décréta que les dimes des évêques seraient versées dans le trésor public. Cette dernière mesure fit murmurer le peuple, qui regardait les biens de l'église comme sacrés : le gouvernement, pour la justifier, publia un écrit où il exposa les raisons qui l'avaient déterminé. Il y rappelait que Benoit XI avait accordé à Jacques, roi d'Aragon, les dimes pendant trois ans, pour chasser les Génois de Corse. «Le cas est le même, disait-il, et le besoin est  plus grand. Comment ce qui était permis alors serait-il défendu aujourd'hui ? Les revenus de celui qui ne réside pas, qui ne sert pas l'autel, et bien plus, qui le trahit, sont dévolus aux pauvres. Or, qui est plus pauvre que nos soldats et que nos finances ?» (François G. Robiquet, Recherches historiques et statistiques sur la Corse, 1835 - books.google.fr).

 

Alors que l'Italie centrale formait dans l'Antiquité tardive et pendant les premiers siècles du Moyen Âge une zone frontière entre les mondes grec et latin, une situation confortée par l'invasion lombarde, les prétentions du Saint-Siège sur la Corse, appuyées sur la donation de Constantin, forment ensuite une sorte de basse continue à partir des temps carolingiens, avant d'être puissamment ravivées au temps de la réforme grégorienne. Attachée d'abord avec la Sardaigne au vicariat de Rome dans la préfecture d'Italie, passées toutes deux au milieu du vin siècle dans l'exarchat d'Afrique, la Corse entre au VIIe siècle dans l'aire d'influence lombarde, contrairement cette fois à sa grande voisine. Les liens avec la Toscane maritime, avec Lucques, avec Pise et avec le diocèse de Luni s'imposent dès lors, mais les papes obtiennent des rois francs aux VIIIe-IXe siècles de faire entrer la Corse dans le Patrimoine de Saint-Pierre sur le fondement de la pseudo-donation de Constantin. Cette souveraineté très théorique du Saint-Siège se fera alors sous la protection des ducs de Lucques, bientôt marquis de Tuscia, et de fait, l'île est intégrée dans la marche de Tuscia dès 846. La circonstance incontestable de la pression exercée sur l'île et ses habitants (comme sur le littoral italien) par les flottes maures et sarrasines dans la première moitié du IXe siècle, pression qui justifia en effet la formation de cette marche, semble avoir formé ensuite le socle sur lequel appuyer la légitimité de la domination de l'île. C'est bien à propos de la reconquête des îles de Méditerranée sur les Maures ou les Sarrasins que va se poser le problème de la mission confiée par le Siège apostolique aux puissances temporelles, l'empire franc, mais surtout les cités de Pise ou de Gênes (Antoine Franzini, A qui est la Corse ? Annexer ? Les déplacements de frontières à la fin du Moyen Âge, 2018 - www.google.fr/books/edition).

 

C'est vers le siécle de Charlemagne qu'a commencé la Puissance temporelle des Papes. C'est pourquoi nous traiterons maintenant ce point de l'Histoire Ecclésiastique. Mr. de Voltaire dans le chapitre sixième, & dans le vingtième parle fort au long de l'origine de cette Puissance ; & tout ce qu'il nous en aprend, c'est que cette Puissance n'a point eu d'autre origine que la politique... adroite des Pontifes Romains, & une usurpation qui n'est colorée d'aucun titre. Qu'il traite la donation de Constantin de donation imaginaire, il ne fait que suivre et cela tous les critiques modernes. Mais qu'il ne fasse pas plus de cas de celle que Pepin & Charlemagne firent à l'Eglise Romaine, c'est une autre chose. Il nous permettra d'étre d'un autre avis que lui (Les Erreurs de Voltaire, Tome 1, 1762 - books.google.fr).

 

Les papes invoquent un faux, composé entre 750 et 760 : la «donation de Constantin». L'empereur Constantin y parle à la première personne : pour remercier le pape Silvestre de son baptême qui l'a guéri de la lèpre, Constantin proclame le pape et ses successeurs vicaires du Christ et représentants du prince des Apôtres tenant du ciel leur principat. Il se déclare prêt à leur accorder un pouvoir plus ample que le sien en tant qu'empereur. Il fait don à l'Eglise romaine du principat sur les quatre sièges patriarcaux d'Orient et sur toutes les Eglises du monde. Il proclame le pape prince de tous les prêtres de l'univers. Il déclare abandonner au pape le palais impérial du Latran et l'autorise,  lui et ses successeurs, à porter le diadème et tous les insignes de l'Empire : le haut bonnet blanc pointu, l'écharpe consulaire autour du cou, le sceptre la chlamyde de pourpre, la tunique d'écarlate, l'aigle et le globe, les étendards ; porter les insignes de l'empereur, c'est s'identifier à lui. Constantin abandonne à Silvestre «notre père, pape universel, la ville de Rome... toutes les provinces, localités et cités de l'Italie et des régions occidentales, pour être tenues par lui et ses successeurs sous leur puissance et et tutelle». L'on crut à l'authenticité de cet acte jusqu'à l'humaniste Laurent Valla au XVe siècle (Roland Mousnier, La Monarchie absolue en Europe du Ve siècle à nos jours, 1981 - www.google.fr/books/edition).

 

"quant et quant"

 

QUANT ET QUANT. Alors; en même temps; ensemble; de même que. De même en Berrichon et Vieux-Français. Jacques Grévin, poète Beauvaisien, emploie avec bonheur cette énergique expression :

 

Quand on dira : César fut maitre de l'empire,

Qu'on sache quant et quant Brute le fit occire.

Quand on dira : César fut premier empereur,

Qu'on dise quant et quant : Brute en fut le vainqueur (QUARESMAUX, Carême, Abbeville, XVe siècle.) (Jules Corblet, Glossaire étymologique et comparatif du patois picard, ancien et moderne, 1851 - books.google.fr).

 

QUANT ET QUANT, loc. adv. Les uns les autres. «Ils allaient tous quant et quant» (Ad. Orain, Glossaire Patois d'Ille-et-Vilaine, Revue de linguistique et de philologie comparée, Volumes 17-18, 1884 - www.google.fr/books/edition).

 

Quant et quant. En même temps. Loc. fr., mais vieillie ; on la trouve dans Rabelais, Amyot, Montaigne, Balzac, Voiture, Marivaux, etc. Encore usité en Nor, et en Pic. En Ch., sig. De suite (Oscar Dunn, Glossaire franco-canadien et vocabulaire de locutions vicieuses usitées au Canada, 1880 - books.google.fr).

 

Hesiode corrige le dire de Platon, «que la peine suit de bien prez le peché»; car il dict «qu'elle naist en l'instant et quant et quant le peché» (Essais de Michel de Montaigne, Tome 2, 1818 - books.google.fr).

 

Quant à Seneque, parmy une miliasse de petits livrets, que ceux de la religion pretendue reformée font courir pour la deffence de leur cause, qui partent par fois de bonne main et qu'il est grand dommage n'estre embesoignée à meilleur subject, j'en ay veu autres-fois un qui, pour alonger et remplir la similitude qu'il veut trouver du gouvernement de nostre pauvre feu roy Charles neufviesme avec celuy de Neron, apparie feu monsieur le cardinal de Lorraine avec Seneque, leurs fortunes d'avoir esté tous deux les premiers au gouvernement de leurs princes, et quant et quant leurs meurs, leurs conditions et leurs deportemens. Enquoy, à mon opinion, il faict bien de l'honneur audict seigneur cardinal : car, encore que je soys de ceux qui estiment autant sa vivacité, son eloquence, son zele envers sa religion et service de son roy, et sa bonne fortune d'estre nay en un siecle où il fut si nouveau et si rare, et quant et quant si necessaire pour le bien public, d'avoir un personnage ecclesiastique de telle noblesse et dignité, suffisant et capable de sa charge, si est-ce qu’à confesser la verité, je n'estime sa capacité de beaucoup prés telle, ny sa vertu si nette et entiere ny si ferme, que celle de Seneque. Or ce livre de quoy je parle, pour venir à son but, faict une description de Seneque tres-injurieuse, ayant emprunté ces reproches de Dion l'historien, duquel je ne crois nullement le tesmoignage : car, outre ce qu'il est inconstant, qui, aprés avoir appellé Seneque tres-sage tantost et tantost ennemy mortel des vices de Neron, le fait ailleurs avaritieux, usurier, ambitieux, lasche, voluptueux et contrefaisant le philosophe à fauces enseignes, sa vertu paroist si vive et vigoureuse en ses escrits, et la defence y est si claire à aucunes de ces imputations, comme de sa richesse et despence excessive, que je n'en croiroy aucun tesmoignage au contraire. Et d'avantage, il est bien plus raisonnable de croire en telles choses les historiens romains que les grecs et estrangers. Or Tacitus et les autres parlent tres-honorablement et de sa vie et de sa mort, et nous le peignent en toutes choses personnage tres-excellent et tresvertueux. Et je ne veux alleguer autre reproche contre le jugement de Dion que cetuy-cy, qui est inevitable : c'est qu'il a le goust si malade aux affaires romaines qu'il ose soustenir la cause de Julius Cæsar contre Pompeius et d’Antonius contre Cicero (Les essais de Montaigne: publiés d'après d'édition de 1588, avec les variantes de 1595, 1887 - books.google.fr).

 

Philosophes

 

J.-J. Rousseau lui-même a pu être comparé à Sénèque à à ceci prés que ce qui, chez Sénèque, est affaire de raison, est, chez Rousseau, affaire de sentiment, et que Rousseau n'est pas seulement un moraliste, mais encore un mécontent. Rousseau aimait Sénèque. Il le connaissait un peu à travers Montaigne, mais aussi cela va sans dire, directement (Paul Faider, Études sur Sénèque, Volumes 49-50, 1921 - www.google.fr/books/edition).

 

Dans son enthousiasme pour Paoli, J.-J. Rousseau fut à la veille de se rendre en Corse ; il en aimait les habitants, parce qu'ils savaient défendre leur liberté et mourir. Il disait, en 1762, dans son Contral Social : «Il est encore en Europe un pays a capable de législation, c'est l'ile de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté, mériterait bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite ile étonnera l'Europe.» S'il avait dit, un Corse, sa prédiction se trouverait déjà accomplie; mais il voulait seulement exprimer cette idée, que le pays parviendrait à former un Etat indépendant. L'honorable mention que le citoyen de Gênes avait faite de la Corse, porta un insulaire, Buttafoco, colonel du régiment Royal-Corse, au service de France, à le prier de se charger lui-même de la noble tâche dont il avait parlé. Le général Paoli joignit ses instances à celles de cet officier pour décider l'auteur du Contrat Social à consacrer quelques-unes de ses veilles à la Corse ; les ennemis de Rousseau ne lui laissaient aucun repos, Paoli lui offrit un asile. Le philosophe allait se mettre en route, fier, écrivait-il, de voir bientôt le régénérateur de la Corse, lorsqu'il tomba malade. Voltaire jugea à propos d'exercer son humeur satirique, au sujet de l'offre de Buttafoco et de Paoli. Il en parlait comme d'une pièce jouée au grave Rousseau, qu'il ne put jamais souffrir. Il est vrai de dire que l'idée d'attirer J.-J. Rousseau dans l'ile fut prodigieusement exagérée par les relations du continent, qui n'en faisaient pas moins qu'un Solon, dont les Corses devaient recevoir un code de lois. Jamais Paoli n'eut l'intention de soumettre la législation du pays à un étranger qui en ignorait entièrement les mÅ“urs et les inclinations ; il voulait seulement mettre à profit les talents de Rousseau, et surtout employer sa plume à illustrer les actions héroïques des braves insulaires (Pierre Adolphe Sorbier, Esquisse de l'histoire et des mÅ“urs de la Corse, 1848 - books.google.fr).

 

La Constitution corse de 1755 fit de la Corse la première république démocratique moderne d'Europe. Basée sur la séparation des pouvoirs et le suffrage universel, votée à la Cunsulta di Corti 32 ans avant l'américaine, elle fut en vigueur de 1755 à 1769, année où la Corse devient française. C'est en novembre 1755, que Pascal Paoli proclama la Corse nation souveraine et indépendante de la République de Gênes. Il rédige la Constitution corse qui reconnaît le droit de vote aux personnes de plus de 25 ans, dont les femmes (france3-regions.francetvinfo.fr).

 

Mathieu Buttafoco, un proche de Paoli, demande en août 1764 à Jean-Jacques Rousseau de rédiger un projet de constitution. Il travaille donc sur les documents que lui a produits Buttafoco entre janvier et septembre 1765. Ce n'est donc qu'à cette date qu'il peut achever son travail. Il préconise une société égalitaire et patriotique sur le modèle idéalisé de l'organisation des cantons suisses. Cependant, ce projet n'aboutira pas à cause de l'invasion française et la destruction dans le sang de la République corse par les troupes de Louis XV après la bataille de Ponte Novu en 1769.L'œuvre ne sera publiée qu'à titre posthume (fr.wikipedia.org - Projet de constitution pour la Corse).

 

Acrostiche : LVDL

 

Ludre (la vicomtesse de, de Nancy) : L.V.D.L. Études sur les idées et sur leur union au sein du Catholicisme, 1842 (Jean Marie Querard, Les supercheries litteraires devoilees. Galerie des auteurs apocryphes, supposes, 1853 - www.google.fr/books/edition, Lerminier, Les Femmes philosophes, Revue des Deux Mondes, période initiale, Tome 2, 1843 - fr.wikisource.org).

 

Sur la couverture de chez Debécourt on lit en fait "LVDF" : vicomtesse de Frolois (Ludre, Études sur les idées et sur leur union au sein du Catholicisme, Tome 1, 1842 - www.google.fr/books/edition).

 

Plusieurs répertoires d'éditions portent "LVDL" sans doute parce qu'on l'appelait « de Ludre Â» (Lacordaire, Éloge funèbre de Daniel O'Connell, prononcé à Notre-Dame de Paris, le 10 février 1848, 1848 - www.google.fr/books/edition).

 

LVDL ou LVDF est Anne-Marie Télésie de Girardin, née en 1801 à Ermenonville, où son grand-père accueillit Jean-Jacques Rousseau qui y est enterré. Veuve en 1822, elle épouse en secondes noces Auguste-Gabriel-Barthélemy, vicomte de Ludre, et en a plusieurs enfants. Elle est la belle-fille du colonel de Ludre ayant combattu en Corse. Elle est morte le 23 mars 1886 (Bulletin de la Société héraldique et généalogique de France, Volume 5, 1886 - books.google.fr).

 

Après le débarquement des troupes françaises à Saint-Florent, le 28 août 1768, qui occupent rapidement le Cap Corse avec un début de conquête à leur avantage, les Corses reprennent les hostilités et forcent les Français à évacuer la Casinca. Ceux-ci conservent toutefois un poste avancé à Borgo. En octobre 1768, Pascal Paoli, à la tête de 4 000 hommes, entreprend de reprendre U Borgu (Borgo) où les Français, en attente de renforts, sont retranchés. Il donne l'ordre à tous les hommes de marcher sur U Borgu. Le colonel de Ludre avait établi ses postes avancés aux deux extrémités du village et ses 3 pièces d'artillerie étaient placées sur les trois points qui en dominent les abords. Borgo, qui avait vu en 1738 la défaite du corps expéditionnaire français demandé par les Génois, vit de nouveau les Corses vaincre. Les Français laissèrent sur le terrain 600 tués, ainsi que 1 000 blessés. Les 700 hommes du colonel de Ludre et ce dernier sont faits prisonniers.

 

Le Royaume de France fut surpris par cette défaite et le roi Louis XV songea même à laisser la Corse en paix. Mais le duc de Choiseul, conscient du ridicule dans lequel se jetterait la France si elle abandonnait la lutte, organisa une seconde expédition commandée par le comte de Vaux qui battit les Corses à Ponte-Novo (fr.wikipedia.org - Bataille de Borgo).

 

Cf. III, 87.

 

François-Louis-Hyacinthe, marquis de Frolois, comte de Ludre et d’Afrique, maréchal des camps et armées de France, est le neveu de Choiseul. Officier de la cavalerie légère, il se distingua pendant la guerre de sept ans, et fit ensuite partie de l'expédition de Corse en qualité de commandant de la légion royale. Il est mort le 30 janvier 1818 à Nancy. Il avait épousé, en 1794, AURORE-Louise-Monique, comtesse Dessales de Malpierre. De ce mariage sortirent plusieurs fils (A.-J. Duvergier, Mémorial historique de la noblesse, Tome 2, 1840 - books.google.fr).

 

Paoli compare le colonel de Ludre à Fabricius ; la situation désespérée des Corses face à Chauvelin, à celle des Sagontins face à Hannibal ; et le patriotisme des Corses à celui de Rome, de Sparte, ou de Thèbes (Francis Beretti, Pascal Paoli Et L'image de la Corse Au Dix-huitùme Siècle, Le Témoignage Des Voyageurs Britanniques, 1988 - www.google.fr/books/edition).

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