Hysteria
Hysteria

 

III, 36

 

1731

 

Enseveli non mort apopletique

Sera trouvé avoir les mains mangées,

Quand la cité damnera l'heretique,

Qu'avoit leurs loys, si leur sembloit, changées.

 

Ensevelis vivants

 

Winslow tenait le fait suivant d'un maĂ®tre chirurgien de Paris : un religieux de l'ordre de Saint-François ayant Ă©tĂ© exhumĂ© trois ou quatre jours après avoir Ă©tĂ© mis en terre, on reconnut qu'il vivait encore. Il s'Ă©tait dĂ©vorĂ© les mains. Ce malheureux mourut presque aussitĂ´t qu'il eut revu le jour. Pline mentionne un certain Acilius Aviola, homme consulaire, qui revint Ă  la vie lorsqu'il Ă©tait dĂ©jĂ  sur le bĂ»cher. On ne put le secourir Ă  temps; il fut brulĂ© vif. Le docteur subtil Jean Duns (Scott), enterrĂ© vivant, se rongea les mains et se cassa la tĂŞte dans son tombeau. L'empereur d'Orient ZĂ©non l'Isaurien paraĂ®t avoir eu le mĂŞme sort. Guillaume Fabri raconte qu'une demoiselle d'Augsbourg fut ensevelie et mise sous une voĂ»te qu'on mura. « Au bout de quelques annĂ©es, quel qu'un de la mĂŞme famille mourut et dĂ©mura-t-on la voĂ»te, dont ouverture faite, le corps de la demoiselle fut trouvĂ© sur les degrĂ©s, tout Ă  l'entrĂ©e de la closture n'ayant point de doigts Ă  la main droite (Louis Watteau, Catalogue raisonnĂ© du MusĂ©e Wiertz: prĂ©cĂ©dĂ© d'un biographie du peintre, 1865 - books.google.fr).

 

ZĂ©non l'Isaurien meurt le 9 avril 491. Des circonstances macabres associĂ©es Ă  la mort de ZĂ©non par les chroniqueurs Cedrenus et Jean Zonaras sont peut-ĂŞtre la première apparition d’une sorte de thème flottant qui s’est attachĂ© aussi au scolastique John Duns Scot et Ă  d’autres personnages moins connus : l’enterrĂ© vif qui se dĂ©vore les bras ou les mains (fr.wikipedia.org - ZĂ©non (empereur byzantin)).

 

ZĂ©non meurt durant le siĂ©ge de Ravenne. Il paraĂ®t probable qu'il fut enseveli vif, pendant un accès de mal caduc — il y Ă©tait sujet - ou après une attaque violente d'apoplexie et que sa femme Ariadne avait profitĂ© du moment pour se dĂ©faire de lui. Il l'aimait beaucoup. Les gardes placĂ©s près du tombeau entendirent une voix qui criait : « Je ne me soucie plus de rien, qu'on me mette dans un monastère. » Quand plusieurs jours après, sur leur dĂ©claration, on ouvrit le tombeau, on vit que l'empereur s'Ă©tait rongĂ© les mains et qu'il avait Ă©tĂ© enseveli avec ses chaussures ordinaires (Cedrenus), ce qui prouvait qu'on l'avait enseveli en toute hâte (Paul Deltuf, ThĂ©odoric, roi des Ostrogoths et d'Italie: Ă©pisode de l'histoire du Bas-Empire, 1869 - books.google.fr).

 

En 491, un Concile national de l’Église arménienne à Vagharchapat anathémise le concile de Chalcédoine de 451, qui condamne le monophysisme, jugé en contradiction avec celui d’Éphèse (431). L’Église Arménienne est depuis considérée comme schismatique par l’Église catholique romaine (fr.wikipedia.org - Année 491) ["semblaient changées"].

 

Ariadne, Ă  l'instigation de l'eunuque Urbicius, dĂ©signe Anastase comme successeur de ZĂ©non. Il est proclamĂ© et couronnĂ© Ă  l'hippodrome par l'Ă©vĂŞque EuphĂ©mius, qui exige du nouvel Ă©lu une confession Ă©crite. Puis Anastase Ă©pouse Ariadne. Au commencement de son règne, Anastase se montra dĂ©bonnaire et juste, mais bientĂ´t son caractère violent et sa cupiditĂ© le rendirent odieux au peuple. Il eut plusieurs guerres Ă  soutenir contre les Perses et les Bulgares, dont il n'obtint la paix qu'Ă  prix d'argent; il dut aussi rĂ©primer des rĂ©voltes Ă  main armĂ©e, suscitĂ©es par deux prĂ©tendants, Longin, frère de ZĂ©non, et plus tard Vitalien. Anastase est le premier souverain excommuniĂ© par l'Église ; il mourut, dit-on, frappĂ© par la foudre, en 518, le 8 juin, âgĂ© de plus de quatre-vingts ans. Mais les chroniqueurs byzantins ne s'accordent guère sur la fin de cet empereur : selon les uns, il serait mort subitement dans une attaque d'Ă©pilepsie; suivant d'autres, l'empereur, effrayĂ© par la foudre, se serait rĂ©fugiĂ© dans sa chambre Ă  coucher, dont le plafond s'Ă©croula. Enfin quelques auteurs prĂ©tendent qu'Anastase, frappĂ© d'apoplexie, fut enterrĂ© vivant, comme ZĂ©non son prĂ©dĂ©cesseur (J. Sabatier, Description gĂ©nĂ©rale des Monnaies Byzantines frappĂ©es sous les empereurs d'Orient depuis Arcadius jusqu'Ă  la prise de Constantinople par Mahomet II, Tome 2, 1862 - books.google.fr).

 

Anastase ne fut pas excommunié par saint Symmaque pour d'autres raisons que parce qu'il restait dans le parti d'Acace en communiquant avec Pierre d'Alexandrie et tous les autres avec qui Acace avait communiqué, et en abusant de sa puissance pour faire entrer de force dans la même communion ceux-là mêmes qui jusque-là s'en étaient tenus éloignés; et si le pape traite Anastase de fauteur des hérétiques eutychiens, il ne le fait que par allusion à cette communion d'Acace ou au maintien du nom d'Acace dans les diptyques, qui était également la faute d'un grand nombre d'évèques d'ailleurs fort attachés à la doctrine du concile de Chalcédoine (Jean-Antoine Bianchi de Lucques, Traité de la puissance ecclésiastique dans ses rapports avec les souverainetés temporelles, 1865 - books.google.fr).

 

Duns Scot

 

DUNS, (Jean) plus connu fous le nom de Jean Scot, célèbre Théologien de l'Ordre de Saint François, natif de Donston en Angleterre. Selon la plus commune opinion, après avoir étudié à Oxford, il vint à Paris, où il prit des degrés, & où il enseigna avec tant de réputation, qu'il fut surnommé le Docteur subtil. Il alla ensuite à Cologne, où il mourut le 8 Novembre 1308. Paul Jove (1483 - 1552) & quelques autres Ecrivains ont avancé, qu'étant tombé en apoplexie, on l'avoit enterré comme mort, & qu'ensuite aïant repris ses sens, il se rongea les mains, & mourut en desespéré, en se cassant la tête contre la pierre du tombeau; mais c'est une fable qui a été très bien réfutée. Jean Scot a laissé un grand nombre d'ouvrages dont la meilleure édition est celle de Lyon, en 1639, 10 vol. in-fol. Il affecte d'y soutenir des opinions contraires à celles de S. Thomas. Ce qui a produit dans l'Ecole deux partis, celui des Thomistes, & celui des Scotistes. Quoique ce Théologien écrive avec beaucoup de subtilité, il a néanmoins un talent admirable pour exprimer ses pensées avec clarté. Quelques Ecrivains ont avancé que ce fut lui qui enseigna le premier, dans l'Université de Paris, l'immaculée conception de la sainte Vierge; mais il est constant que plusieurs Docteurs, l'y avoient enseignée avant Scot (Jean Baptiste Ladvocat, Dictionnaire historique-portatif, Tome 1, 1760 - books.google.fr).

 

Jean Duns Scot mourut le 8 novembre 1308 et fut enterrĂ© simplement selon l'usage propre aux frères mineurs. EnveloppĂ© dans son habit de moine, le visage couvert d'un voile, il fut enterrĂ© sans cercueil, dans la chapelle des Rois Mages dans l'Ă©glise de Frères Mineurs de Cologne. Une simple pierre portant l'inscription de son nom et de sa fonction de thĂ©ologien marquait l'emplacement oĂą il Ă©tait enterrĂ©. Mais dĂ©jĂ  quelques dizaines d'annĂ©es plus tard, le surnom de Scot - Docteur Marial - Ă©tant connu de plus en plus largement, une inscription, en langue allemande, vint s'ajouter Ă  la première dont voici le dĂ©but : «Ici repose – arrivĂ© Ă  son terme - le fleuve vivant, la source de l'Eglise, la voie vers l'enseignement de la justice, la fleur de l'Ă©tude, l'arche de la Sagesse...» Quelque 80 ou 90 annĂ©es plus tard, le corps de Scot fut exhumĂ© et transportĂ© dans le chĹ“ur de l'Ă©glise. Une tombe dans le chĹ“ur, Ă  proximitĂ© de l'autel, Ă©tant un emplacement rĂ©servĂ© aux saints, aux bienheureux, on peut en conclure que Scot, dès l'origine a dĂ» ĂŞtre vĂ©nĂ©rĂ© comme bienheureux. Vers l'âge baroque, le tombeau fut placĂ© derrière l'autel, il fut ornĂ©, dĂ©corĂ©, couvert d'inscriptions. Ce tombeau qui, aux dires des tĂ©moins, Ă©tait grandiose, a existĂ© jusqu'en 1802. Malheureusement sous NapolĂ©on l'autel fut dĂ©truit par des soldats de l'armĂ©e française, les dĂ©combres furent dispersĂ©es. Certains ont mĂŞme prĂ©tendu que le tombeau avait Ă©tĂ© transportĂ© en France. Quoiqu'il en soit : il avait disparu. Mais le cercueil, le sarcophage, dĂ©pourvu d'ornements, Ă©chappa, Dieu merci, Ă  la destruction. En 1943, lorsque Cologne devint un champ de ruines, lorsque 90 % du centre ville fut dĂ©truite, l'Ă©glise fut endommagĂ©e.

 

Nous voici devant le nouveau tombeau, le tombeau moderne de 1958. Il s'agit du 3e tombeau de Duns Scot dans cette église des frères mineurs. Cet emplacement a été choisi dans la mesure où la nef sud de l'église est occupée par la tombe du compagnon Adolf Kolping. Duns Scot se trouve ainsi placé en face, ce qui introduit un certain équilibre. Le tombeau est une fondation offerte par la ville de Cologne. On peut dire par conséquent qu'il s'agit d'un don de la population de Cologne. C'est Höntgesberg, un artiste de Cologne qui a créé ce tombeau de granite. (Frère Gabriel, Histoire d'un tombeau, Jean Duns Scot, ou, La révolution subtile, Tome 3, 1982 - books.google.fr, de.wikipedia.org - Minoritenkirche (Köln)).

 

Duns Scot est mort subitement ou après une très rapide maladie, peut-être d'une attaque d'apoplexie, dans le moment de ses plus ardentes controverses contre les Bégards, et cette brusque disparition d'un homme célèbre et encore jeune suffit pour expliquer que de tragiques légendes se soient formées autour de son tombeau.

 

"Si l'autoritĂ© de l'Eglise ne s'y oppose, il semble plus probable d'attribuer Ă  Marie ce qui est le plus parfait" : il y a encore loin de cette opinion pleine d'une prudente rĂ©serve au zèle Ă©clatant que la lĂ©gende prĂŞte Ă  Duns Scot, et il n'a pu ĂŞtre le chevalier rĂ©solu et victorieux de l'ImmaculĂ©e Conception, notion Ă  laquelle s'opposent saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure, qu'elle le suppose. (E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, 2016 - books.google.fr).

 

"CitĂ©... hĂ©rĂ©tique" : Paris et les Templiers

 

La Cité de Paris n'était au XIe siècle qu'un vaste chantier de construction, mais en 1112, le roi Louis VI le Gros s'installa dans le palais de la Cité, avec sa cour et le Parlement, la Curia Regis. Après plusieurs agrandissements initiés par Saint Louis et Philippe Le Bel, le Palais de la Cité fut abandonné, sur décision de Charles V, par la famille royale qui s'installa au Louvre. (fr.wikipedia.org - Île de la Cité).

 

Ă€ l'issue du Concile de Vienne, les quatre principaux dignitaires de l'ordre, Jacques de Molay, Hugues de Pairaud, Geoffroy de Charnay et Geoffroy de Gonneville, n'Ă©taient pas concernĂ©s par les dĂ©cisions de celui-ci. Le 22 dĂ©cembre 1313, le pape ClĂ©ment V chargea donc trois cardinaux non de juger mais de signifier la sentence aux quatre derniers dignitaires : Les trois cardinaux arrivent Ă  Paris au dĂ©but de mars 1314.

 

Devant la commission envoyĂ©e Ă  Paris, les templiers renouvelèrent, une fois de plus, leurs aveux. Le 18 (ou 11) mars 1314, ces cardinaux entourĂ©s du lĂ©gat du pape le cardinal d'Albano, leur signifièrent publiquement qu'ils Ă©taient condamnĂ©s «à la prison perpĂ©tuelle et sĂ©vère» ! Comprenant la situation, Molay, le dernier maĂ®tre du Temple, se rĂ©volta. Il confessa son erreur de jugement, sa tactique de dĂ©fense et dĂ©nonça les tourments qu'il avait endurĂ©. EncouragĂ© par les paroles du maĂ®tre, Geoffroy de Charnay protesta Ă©galement. En revenant sur leurs aveux, ces deux dignitaires connaissaient le sort rĂ©servĂ© aux relaps : le bĂ»cher. Hugues de Pairaud et Geoffroy de Gonneville gardèrent le silence et acceptèrent la sentence : la prison Ă  vie.

 

Devant cette situation inédite, les cardinaux, pris de court, ne savent comment réagir et décident de renvoyer l'affaire au lendemain. Bien entendu, l'information arrive très vite à Philippe le Bel, qui une fois de plus, outrepasse ses droits et décide de se substituer à l'autorité pontificale. Il condamne à mort Molay et Charnay et ordonne, pour le soir même, leurs exécutions.

 

Le bûcher fut dressé sur un îlot au bout de l'île de la Cité, au-dessous des Jardins du Roi. Ce jardin s'arrêtait au Pont-Neuf actuel et la pointe formant l'actuel square du Vert-Galant n'existait pas encore. L'îlot n'appartenait pas au Roi mais à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Cet îlot était situé sur le côté des jardins du roi, à la place du quai des Orfèvres et de la place Dauphine actuelle et non à la pointe de la cité; il sera appelé au XIVe siècle «Île aux Juifs» (templedeparis.jimdoweb.com).

 

...ilz furent finablement menez prisonniers en la cite de Paris... (Bocace des nobles maleureux, traduit par Nicolas Couteau, 1538 - books.google.fr).

 

...et a la poursuite dudit Phelippe, furent tous les Templiers par l'auctoritĂ© de l'eglise brulez en ung mesme jour et leur ordre abolie pour cause de certaine et secrete heresie dont leur vie estoit soilliĂ©e ordousement. En cellui temps fut richement fait et ediffiĂ© le beau palais roial dudit Phelippe, dont la citĂ© de Paris fut et encor est de moult plus grant magnifficence que par avant (Alexandre HĂ©ron, Oeuvres de Robert Blondel : historien normand du XVe siècle, Tome 1, 1891 - books.google.fr).

 

Legman, reprenant l'idée développée par G. A. Campbell (Les Chevaliers du Temple, leur ascension et leur chute), pense que si Molay accepta d'être reconnu sacrilège, ce fut uniquement pour éviter d'être brûlé ou enterré vivant, puisque tel était le sort réservé aux homosexuels conformément à la tradition biblique depuis la destruction de Sodome et Gomorrhe. On trouve d'ailleurs une description de ces pratiques justicières dans le chef-d'œuvre de Chaucer, Les Contes de Cantorbéry, qui datent [...] du XIVe siècle (Alain Lameyre, Guide de la France templière, 1975 - books.google.fr).

 

De la lettre du ministre général Gonzalve, 18 novembre 1304, il appert que Duns Scot était proposé pour le doctorat, l'obtint en effet après Pâques 1305. Le successeur de Scot, comme régent du Studium de Paris, Alexandre d'Alexandrie, apparaît dans un document du 27 octobre 1307. Il était donc à Paris depuis au moins le 14 septembre, date de l'ouverture des cours; bien mieux, deux mois auparavant, le cours; bien mieux, deux mois auparavant, le ministre général Gonzalve l'envoyait de Gênes à Paris. Pendant ce temps D. Scot partait pour Cologne. C'était l'époque où Guillaume de Nogaret préparait le procès contre les Templiers et forgeait les soi-disant libertés de l'Église gallicane. Jean Duns, en sa qualité d'Écossais, était odieux aux légistes gallicans; de plus, le maître parisien, Jean de Pouilly, l'accusait d'hérésie pour sa doctrine de l'Immaculée Conception et parlait de le supprimer. Pour éviter de graves ennuis au Subtil docteur, le ministre général le remplaça dans la régence par Alex. d'Alexandrie et lui ménagea un asile sûr à Cologne (André Callebaut, O.F.M., La maîtrise du B. J. Duns Scot en 1305, son depart de Paris en 1307, durant la preparation du procès contre les Templiers, in Arch. Franc. Hist., t. XXI, 1928 - books.google.fr).

 

Après l'obtention de sa maîtrise au studium de Paris (1305), Jean Duns Scott refusa de se rallier à la cause de Philippe le Bel contre Boniface VIII et dut s'exiler du Grand couvent lorsque Guillaume de Nogaret chercha à exploiter l'université pour l'affaire des Templiers. Plusieurs fois déjà, le franciscain avait été amené à prendre position contre le roi, notamment au sujet de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset (Utzima Benzi, Francesco Panigarola (1548-1594): L'éloquence sacrée au service de la Contre-Réforme, 2015 - books.google.fr).

 

Alexandre d'Alexandrie est un des maîtres consultés par Philippe le Bel dans le procès contre les Templiers (25 mars 1308). Il assiste aussi à un interrogatoire de Jacques de Molay (25 octobre 1307) (Alonzo M. Hamelin, Tractatus de usuris d'Alexandre de Alexandria, 1962 - books.google.fr).

 

"CitĂ©... hĂ©rĂ©tique" : Cologne et les BĂ©gards

 

Les princes électeurs de Cologne décident en 1263 de transférer leur résidence et le siège de leur gouvernement à Bonn, sur le Rhin. Il leur faut échapper à l'agitation de Cologne, cité-État dont les citoyens supportent difficilement le régime monarchique (Jean-Louis Dufour, La Guerre, la Ville et le Soldat, 2002 - books.google.fr).

 

L'archevêque de Cologne, Henri II de Wirnenburg, en 1306, s'était déjà plaint que des laïques, des ignorants, permissent de résister publiquement, dans les sermons, aux dominicains et aux franciscains, à qui le soin d'instruire les fidèles avait été confié par l'Eglise. (E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, 2016 - books.google.fr).

 

Ce fut dans un concile ou synode provincial, réuni à Cologne en 1306, qu'une sentence d'improbation fut, pour la première fois, lancée contre des corporations, comme ayant introduit de nouvelles superstitions, détourné à leur profit les aumônes des fidèles, critiqué les mariages légitimes. Sous le nom vulgaire d'apôtres, et encore de Boggards ou Bégards, elles se composaient d'hommes astucieux et de femmes idiotes. (Alphonse Wauters, Table chronologique des chartes et diplômes imprimés concernant l'histoire de la Belgique, Tome 8, 1892 - books.google.fr).

 

Les Bégards, en effet, soutenus par le peuple, ne manquaient aucune occasion de résister violemment aux Prêcheurs et aux Mineurs, qui leur semblaient être de faux frères, d'autant plus dangereux qu'ils affectaient une pauvreté et une simplicité évangéliques. La lutte, en 1308, était arrivée à son plus haut degré de vivacité. Comme l'Eglise tenait beaucoup à cette époque à paraître n'avoir rien négligé pour convaincre les hérétiques, qu'elle faisait toujours marcher de front les inquisiteurs et les controversistes, l'argumentation et les bûchers, il est très-possible que le motif principal qui fit appeler Duns Scot à Cologne ait été de l'opposer aux Bégards. C'est ce qu'a cru Bale, protestant fanatique du XVIe siècle, qui appelle Duns Scot un gouffre de ténèbres et d'ignorance.

 

Un autre fait, rapporté par les biographes de Duns Scot, confirme ce que nous venons de dire des espérances que les réguliers aussi bien que les séculiers plaçaient en Duns Scot pour les délivrer du fléau commun, c'est-à-dire des Bégards. Quand on sut qu'il allait arriver, une foule de gens de toute sorte, de religieux surtout, sortirent de Cologne avec les principaux magistrats, et allèrent au-devant du docteur de l'Université de Paris.

 

Il semble avoir livrĂ© aux BĂ©gards une guerre acharnĂ©e : Hic hæresi proelia dura dedit. Il se mĂŞlait souvent, selon Matthieu de Veglia, Ă  la foule qui venait Ă©couter les prĂ©dications, et lĂ , dans l'Ă©glise, quand les BĂ©gards interrompaient Ă  grands cris le prĂ©dicateur, il les prenait Ă  partie, et, par ses merveilleux arguments, les rĂ©duisait Ă  garder le silence.

 

Devenu le docteur par excellence de l'école franciscaine, Duns Scot était prédestiné à être le controversiste des occasions solennelles, celui que pour toutes les grandes causes les écrivains de l'ordre se plurent à mettre en avant (E. Pluzanski, Essai sur la philosophie de Duns Scot, 2016 - books.google.fr).

 

Considérez encore quelle fut l'erreur d'autres dévots et dévotes appelés les Bégards et Béguines. Ces Bégards se sont encore abusés sur le sujet des lois humaines et ecclésiastiques, croyant que les justes n'y étaient pas sujets. En suite de quoi, croyant être justes, ils prétendaient que les lois du jeûne et autres lois portées par les papes et les supérieurs légitimes, ne les obligeaient pas sous peine de péché. Ainsi ils se donnaient licence de les enfreindre à leur discrétion, sans en faire aucun scrupule. Le pape Clément V, dans le concile général de Vienne, condamna cette erreur comme hérétique, et défendit à toutes personnes de la soutenir ou enseigner (Louis Bail, La théologie affective ou saint Thomas en méditation, 1845 - books.google.fr).

 

Walter de Hollande, auteur du livre intitulé Des neuf rochers spirituels, qui est aujourd'hui perdu et dans lequel J. L. von Mosheim voit «un vrai manuel de Libre-Esprit, plus cher que tout autre aux bégards». Une chronique fait état d'une cinquantaine d'exécutions consécutives aux aveux de Walter (Dictionnaire du Moyen Âge, histoire et société: Les Dictionnaires d'Universalis, 2015 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain V, 32.

 

Trithème l'appelle «chef des fraticelles et des lollards». Écrivant et prêchant en langue vernaculaire, donc pour les simples, Walter compte parmi les victimes de la répression entreprise par l'évêque Henri II de Virnebourg. Il est brûlé en 1322. Le chroniqueur Guillaume d'Egmont évalue à 50 le nombre des victimes exécutées par le bûcher ou la noyade dans le Rhin. Il rapporte que des assemblées nocturnes, tenues en un lieu secret, le «paradis», auraient été présidées par un couple figurant Jésus et Marie et célébrant le retour à l'innocence édénique. Après une sorte de messe célébrée par le Christ, revêtu d'habits précieux et couronné d'un diadème, intervenait un prédicateur nu, qui invitait l'assemblée à se dévêtir en témoignage de l'innocence retrouvée. Un banquet reproduisant la Cène, avec chants et allégresse se terminait en orgie (Raoul Vaneigem, Le mouvement du Libre-Esprit: généralités et témoignages sur les affleurements de la vie à la surface du Moyen Age, de la Renaissance et, incidemment, de notre époque, 1986 - books.google.fr).

 

Ensevelis vivants Ă  Cologne

 

En 1357, lorsque la peste dévastait Cologne, Richmodis de Liskirchen, épouse du chevalier Mengis d'Adocht, fut enterrée vivante dans l'église des Apôtres; mais comme le fossoyeur voulut s'emparer de l'anneau qu'elle portait au doigt, elle s'éveilla, prit la lanterne que le voleur avait oublié d'emporter dans sa fuite et retourna auprès de son époux en deuil. Celui-ci déclara que la chose était inconcevable et qu'il admettrait plutôt que ses chevaux pourraient monter sur le balcon et regarder par la fenêtre. Bientôt, dit la légende, on entendit des pas de chevaux sur l'escalier et l'on vit leurs têtes s'avancer par la fenêtre. En attendant, Madame Richmodis guérit complètement, vécut longtemps encore et pour prouver sa reconnaissance, elle donna à l'église des Apôtres une draperie qu'elle avait tissée elle-même et que l'on y conserve encore. En souvenir de cet événement, on a fait construire, il n'y a pas longtemps, des têtes de chevaux qui regardent par la fenêtre de la maison où l'événement aurait eu lieu et qui se trouve au marché neuf, côté du nord (Johann August Klein, Le Rhin de Bâle à Dusseldorf: manuel du voyageur traduit de l'allemand, 1846 - books.google.fr).

 

D'autres lĂ©thargiques ont Ă©tĂ© enterrĂ©s, et n'ont Ă©tĂ© sauvĂ©s que par la cupiditĂ© de ceux qui les ont exhumĂ©s pour les dĂ©pouiller : tĂ©moin, le fait rapportĂ© par Massieu d'une dame de Cologne qui, en 1571, fut enterrĂ©e vivante et revint Ă  elle au moment oĂą le fossoyeur rouvrit sa fosse pour lui enlever une bague de prix (Dictionaire des sciences mĂ©dicales par une sociĂ©tĂ© de mĂ©decins et de chirurgiens, Tome 4 : Can-Cha, 1813 - books.google.fr).

 

Typologie

 

Le report de 1731 sur la date pivot 1314 donne 897. L'année 1314 correspond au bûcher des Templiers, en prenant "l'hérétique" pour un terme collectif, même si Walter de Hollande correspondrait mieux, mais la date pivot de 1322 ne définit pas une date assez significative.

 

Un court paragraphe (v. 122-130) dĂ©taille les outrages subis par le cadavre du pape Formose : dĂ©barrassĂ© de ses vĂŞtements pontificaux, il est Ă©galement amputĂ© des «deux dois de la main destre / Qui sunt enoins de cresme au prestre» (v. 127-128), et enseveli avec les laĂŻcs. DĂ©tachĂ©s de ce qui prĂ©cède, ces neuf vers mettent en Ă©vidence Ă  la fois l'atroce humiliation subie par une victime qui ne peut plus se dĂ©fendre et l'ignominie de celui qui l'a ordonnĂ©e : «Apres par le commandement / D'Estienne moult vilainement de son sepulcre le jeterent» (v. 122-124). L'alternance des «hauts et des bas» est reprise dans le paragraphe suivant (v. 131-164), dans lequel, selon les papes qui se succèdent, Formose est rĂ©habilitĂ©, par ThĂ©odore et par Jean, «Qui les faiz Formose approuva» (v. 139), avant de connaĂ®tre une dernière humiliation que l'auteur situe sous le pontificat de Serge (Serge III, 904-911) :

 

[...] il le fist isnellement

De son sepulcre traire arriere

Et seoir en une chaëre,

D'abit pontifical vestu;

Et puis a un murtrier testu

Le commanda a decoller. (v. 150-155)

 

avant de le jeter dans le Tibre «comme vil caroigne», (v. 158).

 

Le poète a dans ce paragraphe, intentionnellement ou non, modifiĂ© l'ordre des Ă©vĂ©nements : c'est Adrien III (884-885) et Étienne V (885-891) qui, rĂ©habilitant Formose de son vivant, dĂ©truisirent les indictions du pape. Cf. Dictionnaire de thĂ©ologie catholique, op. cit., col. 596 : «Ils en profitèrent pour lacĂ©rer le registre des lettres de Jean VIII, dĂ©truire le cahier de la neuvième indiction, parmi lesquelles se trouvaient celles que Jean VIII avait Ă©crites contre eux». D'autre part, c'est Étienne qui, en 897, organisa le «synode du cadavre» au cours duquel le corps de son prĂ©dĂ©cesseur fut condamnĂ©, dĂ©pouillĂ© de ses ornements pontificaux, amputĂ© de deux doigts et jetĂ© dans le Tibre. Serge III (904-911) ne fit qu'approuver Étienne, contrairement Ă  ThĂ©odore II (897) et Ă  Jean IX (898), favorables Ă  Formose (ibid. col. 597).

 

Le dernier paragraphe prĂ©sente l'ultime rĂ©habilitation de Formose, celle qui sans contestation clĂ´t dĂ©finitivement la sĂ©rie de ses revirements de fortune : remontĂ© dans leurs filets par des pĂŞcheurs des bords du Tibre, le cadavre Maigre et sechiĂ©, ne puoit mie». C'est lĂ  un premier signe de saintetĂ©, que vient magistralement confirmer un second signe : les pĂŞcheurs apportent Ă  saint Pierre le corps devant lequel s'inclinent les statues des saints qui ornent les Ă©glises de Rome : SaluĂ© fu de maint ymage / De saints de Romme et aourĂ© (v. 174-175) Le miracle est rapportĂ© par Liutprand, Antapodesis, § 31 (in Migne, Patrologie Latine, op. cit., CXXXVI, col. 804 (C. Bougy, "De la deshonnetetĂ© que l'en fist au pappe Formose" : le XXVIIe conte du Tombel de Chartrose (ms 244 du Mt St Michel), Remembrances et resveries : hommage Ă  Jean Batany, 2006 - books.google.fr).

 

Apoplexie

 

En PiĂ©mont-Sardaigne, jusqu'en 1732, quand est mort Victor-AmĂ©dĂ©e II, le jansĂ©nisme a essentiellement bĂ©nĂ©ficiĂ© de la faveur que celui-ci lui accordait : c'est l'Ă©poque oĂą l'on accueillait des «quesnellistes» – comme le dominicain Hyacinthe Drouin –, et oĂą l'on chassait les jĂ©suites du collège du Turin pour mieux faire appel Ă  ces rĂ©fugiĂ©s français (Bernard Quilliet, L'acharnement thĂ©ologique: Histoire de la grâce en Occident (IIIe-XXIe siècle), 2007 - books.google.fr).

 

Le titre de duc ne parut pas suffisant à Victor-Amédée II; il voulut être roi, et il le fut. C'étoit un prince législateur et guerrier, qui, vers la fin du règne de Louis XIV, avoit combattu nos meilleurs généraux, et rempli l'Europe de son nom. A la paix d'Utrecht, en 1713, il se fit reconnoître roi de Sicile, dont la cession lui avoit été faite par le roi d'Espagne Charles II. Il jouit de ce titre pendant cinq ans. Mais la distance qui sépare la Sicile du Piémont, ne lui paroissant pas commode, il l'échangea en 1718 avec l'empereur, pour l'isle de Sardaigne, plus rapprochée de moitié de ses Etats de terre-ferme. Douze ans après, ce ne fut plus ni duc, ni toi qu'il voulut être. Il avoit soixante-quatre ans. Il crut qu'il étoit temps de vivre en homme, et de jouir de quelque repos. II épousa secrètement une marquise de Saint-Sébastien, qui n'avoit jamais été sa maîtresse, et qui avoit quarante-cinq ans. Elle n'étoit pas dans le secret de son projet de retraite; elle ne fut reine qu'environ vingt jours. Le roi abdiqua en 1730, laissa sa couronne à son fils Charles-Emmanuel, et se retira en Savoie, ne se réservant qu'une pension de cinquante mille écus. Tous les historiens ont dit que le regret du trône et les instigations de sa femme l'engagèrent à conspirer pour reprendre la couronne qu'il fut arrêté par ordre de son fils, et renfermé dans une prison, où il mourut. Un seul qui paroît mieux instruit, raconte cet événement d'une façon qui suppose moins d'inconstance dans le caractère du père, et qui jette moins d'odieux sur celui du fils (M. de Condorcet, dans une note sur le précis du règne de Louis XV, par Voltaire, chap. 3).

 

Charles Emmanuel, depuis l'abdication de son père, lui envoyoit tous les jours le bulletin des opĂ©rations du ministère. Cela gĂŞnoit fort d'Ormea, ministre très-ambitieux, qui s'Ă©toit emparĂ© du pouvoir. Il prit occasion d'une attaque d'apoplexie qu'eut Victor-AmĂ©dĂ©e en 1731, pour discontinuer l'envoi du bulletin, et fit si bien, qu'Ă  sa convalescence cet usage ne fut point repris. Victor en fut outrĂ©; il reçut fort mal son fils. qui l'alla voir quelque temps après, et traita plus mal encore ses ministres, et sur-tout d'Ormea. Celui-ci rĂ© solut sa perte. Il ne cessoit d'aigrir l'esprit du roi contre son père. Il alla jusqu'Ă  lui persuader que ses jours n'Ă©toient pas en sĂ»retĂ© Ă  ChambĂ©ry. Charles, qui devoit y rester quinze jours, part, et s'Ă©vade la nuit. Victor le suit, et arrive aussi en PiĂ©mont avec sa femme. Ils se virent: l'entrevue se passa en reproches, et de la part de Victor en menaces contre les ministres. D'Ormea saisit ce moment, imagina un complot qu'il accusa Victor d'avoir tramĂ© pour de trĂ´ner son fils, accumula les prĂ©somptions et les prĂ©tendues preuves, et secondĂ© de tous les autres ministres, obtint enfin du roi l'ordre d'arrĂŞter son malheureux père. Cet ordre fut exĂ©cutĂ© avec des violences et des indignitĂ©s, au milieu desquelles le roi Victor, quoique nĂ© très-irascible, garda toute sa dignitĂ©. Il fut d'abord conduit dans une maison dont on avoit fait griller les fenĂŞtres, et sa femme relĂ©guĂ©e loin de lui dans un lieu oĂą l'on n'enfermoit que des femmes perdues. Quelques mois après, il fut transfĂ©rĂ© Ă  Montcarlier : on lui rendit sa femme, dont il reçut au moins les consolations Ă  son dernier moment. Il mourut la mĂŞme annĂ©e, sans pouvoir obtenir de voir son fils. D'Ormea eut le crĂ©dit d'empĂŞcher cette entrevue, qui eĂ»t rĂ©vĂ©lĂ© au roi toute l'atrocitĂ© de sa conduite (La Feuille villageoise, Partie 1, 1791 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Victor-AmĂ©dĂ©e II).

 

D'où "sans mains" du latin "manus" : autorité, pouvoir (Jean-Charles de Fontbrune, Nostradamus, Historien et prophète, 1982, p. 195).

 

Ensevelis vivants au XVIIIe siècle

 

La peur d'ĂŞtre enterrĂ© vivant est si commune au XVIIIe siècle que beaucoup de testaments exigent que les cercueils ne soient clos que trente-six ou quarante-huit heures après la mort. L'EncyclopĂ©die de Diderot y fait Ă©cho : «On voit en effet souvent en exhumant les corps après plusieurs mois qu'ils font changĂ©s de place, de posture, de situation; quelques-uns paroissent avec les bras, les mains rongĂ©es de rage. Dom Calmet raconte sur la foi d'un tĂ©moin oculaire, qu'un homme ayant Ă©tĂ© enterrĂ© dans le cimetière de Bar-le-Duc on entendit du bruit dans la fosse; elle fut ouverte le lendemain et on trouva que le malheureux s'Ă©toit mangĂ© le bras. On vit Ă  Alais (Alès) le cercueil d'une femme dont les doigts de la main droite Ă©toient engagĂ©s sous le couvercle de son cercueil qui en avoit Ă©tĂ© soulevĂ© (Michel Ragon, L'Espace de la mort: Essai sur l'architecture, la dĂ©coration et l'urbanisme funĂ©raires, 2012 - books.google.fr).

 

Hérétiques jansénistes

 

Mouvement spirituel et religieux, le jansĂ©nisme s’était transformĂ© en une force politique très influente sur les Parlements, et dont les idĂ©es pĂ©nĂ©trèrent toutes les strates de la population. En s’opposant Ă  la fois Ă  l’absolutisme royal et Ă  certaines dĂ©rives de l’Eglise catholique, les jansĂ©nistes s’étaient attirĂ© les foudres du pape et du roi, tout en gagnant les faveurs du peuple. Ă€ la demande de Louis XIV, le pape condamne le jansĂ©nisme en 1713 par la bulle Unigenitus qui devient, en 1730, une loi de l’État, provoquant de vives polĂ©miques. La condamnation d’un prĂ©lat français en 1727 durcit le conflit et l’élargit durablement Ă  l’ensemble de la sociĂ©tĂ©. Les jansĂ©nistes, que soutient une partie du clergĂ© et des fidèles, mobilisent les avocats parisiens et s’appuient sur des magistrats sympathisants du Parlement : se constitue ainsi, au nom des libertĂ©s de l’Église gallicane et d’une conception plus contractualiste de la monarchie, une opposition Ă  la monarchie absolue traversant tout le siècle et culminant dans quelques grandes crises, comme celle des annĂ©es 1730, que redouble l’affaire des convulsionnaires de Saint-MĂ©dard ; celle des billets de confession des annĂ©es 1750 ou celle des annĂ©es 1760, qui aboutit Ă  l’expulsion des jĂ©suites (classes.bnf.fr).

 

Alors que la RĂ©gence rompt avec l'autoritarisme de la fin du règne de Louis XIV, un grand nombre d'Ă©vĂŞques, de prĂŞtres, de moines, et mĂŞme de laĂŻcs font «appel» de la bulle Unigenitus auprès du pape. On les nomme les appelants. Ils sont condamnĂ©s par les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques, mais leur condamnation est mal acceptĂ©e par le peuple parisien, qui commence Ă  s'intĂ©resser, selon l'expression de l'Ă©poque, aux « affaires du temps ». Cette naissance de l'opinion publique est favorable aux jansĂ©nistes, d'autant plus qu'elle est tenue au courant de toutes les affaires par les Nouvelles ecclĂ©siastiques, journal clandestin jansĂ©niste qui est très diffusĂ© dans les milieux populaires. Autour de la tombe de François de Pâris, diacre cĂ©lèbre pour sa charitĂ© dans le quartier Saint-MĂ©dard de Paris, mort le 1er mai 1727, dans le cimetière de sa paroisse, ont lieu successivement entre le jour de son enterrement et 1732 des guĂ©risons miraculeuses et des « crises de dĂ©votion » se manifestant chez les fidèles par des convulsions gĂ©nĂ©ralisĂ©es. Ă€ partir de juin 1731, les guĂ©risons soudaines se multiplient et certains malades commencent Ă  prĂ©senter des mouvements convulsifs dans le cimetière. Un scandale a mĂŞme lieu le 7 aoĂ»t 1731 : une dame Delorme, souhaitant se moquer des miracles auxquels elle ne croit pas, se rend au cimetière et se retrouve soudainement frappĂ©e de paralysie. Elle avoue devant notaire son intention de dĂ©nigrer les miracles et cette affaire pousse l'archevĂŞque de Paris, monseigneur de Vintimille, Ă  affirmer dans un mandement qu'ils sont faux, et que ce culte des reliques doit cesser (fr.wikipedia.org - Convulsionnaires).

 

M. de Vintimille, ArchevĂŞque de Paris, crut qu'il Ă©toit de son devoir de s'opposer Ă  la publication de ces prĂ©tendus miracles, et il le fit dans son Mandement du 15 juillet 1731, pages 4, 5 et 3o : Paris, Simon, 1731, in-4°. «Au mĂ©pris des loix de l'Eglise et de celles de ce Diocèse, dit le PrĂ©lat, on entreprend de publier des miracles que nous n'avons pas juridiquement reconnus. Le saint Concile de Trente dĂ©fend d'admettre aucun nouveau miracle, qu'il n'ait Ă©tĂ© reconnu et approuvĂ© par l'ÉvĂ©que qui, sur les connoissances qu'il peut avoir, et après avoir pris conseil de personnes savantes et vertueuses, doit faire ce qu'il juge convenable Ă  la vĂ©ritĂ© et Ă  la piĂ©tĂ©.» (Charles-Jacques Le Quien de la Neufville, Nouvelles preuves contre le faux miracle de MignĂ© approuvĂ© Ă  Rome, ou RĂ©ponse Ă  M. Picot, 1828 - books.google.fr).

 

Ces séances inquiètent le pouvoir, et Louis XV, dans une ordonnance de 1733, interdit ces réunions. S'ensuit une vague d'arrestations, qui conforte les convulsionnaires dans leur idée qu'ils sont un petit nombre d'élus persécutés parce qu'ils défendent la Vérité. Ils se comparent aux chrétiens des premiers temps de l'Église. Le Parlement prend publiquement position contre l'Œuvre des convulsions en 1735, afin de ne pas perdre son crédit dans sa lutte contre le pouvoir royal (fr.wikipedia.org - Convulsionnaires).

 

Le terme «convulsionnaire» apparaît spontanément à la fin de l'année 1731. Il n'a alors aucune connotation médicale et est parfaitement inconnu des traités de médecine de l'époque. Il est utilisé à la fois par les partisans des convulsions et par leurs détracteurs, qui parlent cependant aussi de «convulsionnistes» (Charles-Jacques Le Quien de la Neufville, Nouvelles preuves contre le faux miracle de Migné approuvé à Rome, ou Réponse à M. Picot, 1828 - books.google.fr).

 

Parmi les miracles de Saint Médard, le 17. jour de Novembre audit an 1734, comparut "par-devant lesdits Notaires soussignés M. A. Couronneau fille majeure, native de Saumur, âgée de 71 ans demeurante chez les Demoiselles Garnier en la Maison de Mr. Defprez Libraire rue Saint Jacques, Paroisse Saint Benoit. Laquelle a déclaré que le 13, Juin 1731 elle a été guérie en un moment sur le tombeau du Bienheureux D. François de Pâris, d'une paralysie qui lui avoit entrepris tout le côté gauche après une seconde attaque d'apoplexie qu'elle avoit eu le 8. Novembre 1730. Que cette paralysie lui avoit ôté tout mouvement & tout sentiment dans la cuisse, la jambe & le pied gauche qui pendoient de sa hanche comme des membres morts (Louis-Basile Carré de Montgeron, La Vérité des miracles opérés par l'intercession de M. de Paris démontrée contre M. l'archevêque de Sens, Tome 1, 1737 - books.google.fr).

 

Typlogiquement, les convulsions de l'enterré vivant, pour motif de mort apparente, qui se mange les mains renvoient aux convulsions des partisans du diacre Pâris.

 

Hystérie

 

Qu'elle doit ĂŞtre terrible la lutte suprĂŞme de l'ĂŞtre vivant livrĂ©, par mĂ©prise, au cercueil et se dĂ©battant dans les convulsions de la plus cruelle agonie ? Ecoutons la voix d'un personnage qui avait failli ĂŞtre enseveli vivant : "La raison, dit-il, se trouble Ă  l'idĂ©e de cette lutte terrible d'un malheureux qui se rĂ©veille enseveli, qui renaĂ®t un instant Ă  la vie pour succomber dans les tortures du supplice le plus affreux qu'ait jamais enfantĂ© la plus cruelle barbarie. La tombe nous a redit l'Ă©pouvante de ces drames monstrueux : en fouillant d'anciens cimetières, on a trouvĂ© enfermĂ©s dans des cercueils des squelettes aux attitudes dĂ©sespĂ©rĂ©es; leurs membres, horriblement contractĂ©s, trahissaient la rĂ©volte suprĂ©mc de la vie, l'angoisse d'une effrayante agonie, dont pas un cri, pas un gĂ©missement n'avait pu ĂŞtre entendu des vivants." (Le Journal de mĂ©decine et de chirurgie, Volume 6, NumĂ©ro 10, 1911 - books.google.fr).

 

Le sexe et l'animal ont conclu une alliance depuis l'AntiquitĂ©. Voici l'observation de Galien, mĂ©decin grec de Pergame au troisième siècle après JĂ©sus-Christ : une sage femme appelĂ©e auprès d'une hystĂ©rique lui masse la matrice, en fait sortir «une liqueur Ă©paisse et abondante », rejetĂ©e avec «un mĂ©lange de douleur et de plaisir, sensation comparable Ă celle qui accompagne lesrapports sexuels ». Masturbation d'une femme-fontaine. Plus singuliers, les bruits des femmes en transe. Rots, pets, borborygmes intestinaux, cris perçants, sanglots, larmes, Ă©clats de rire. Tout ce qui est impoli explose aux oreilles du monde. Les filles du gouverneur de Rouen sont prises d'un rire violent pendant une heure entière, un rire de rebelle. Des voix sortent des viscères, imitant « le croassement du corbeau, le sifflement du serpent, le chant du coq ou le hurlement duchien ». Revoici nos chimères. L'autre versant est celui de l'inertie, voire de la mort apparente qui fut longtemps une source de terreur. Catalepsie, muscles immobilisĂ©s, corps statufiĂ©, une vie façon cadavre. [...] Dans les deux cas, les bruits ou le silence, on a pensĂ© que le mal vient de l'utĂ©rus, ce petit animal vivant au corps des femmes, et capable debondir du sexe jusqu'Ă  la gorge. L'utĂ©rus voyageur a une finalitĂ©. En se dĂ©plaçant, remontant du vagin Ă  labouche, il rejette sa fonction et ne veut pas faire l'enfant. Pour cela, nous dit Ambroise ParĂ©, «l'utĂ©rus gonfle et s'enfle, et pour ce qu'il est ravi et emportĂ© en haut par un mouvement forcĂ© et comme convulsif Ă  cause de la plĂ©nitude de ses vaisseaux ». Tenons-nous le pour dit : le petit animal est lui-mĂŞme en transe. Ce n'est pas la femme qui est ravie, c'est sa matrice. Parmi les traitements d'Ambroise ParĂ©, celui-ci : coucher la femme, la dĂ©lacer, lui crier son nom aux oreilles, et en mĂŞme temps tirer les poils du pubis pour maintenir la matrice en son lieu (Catherine ClĂ©ment, L'appel de la transe, 2011 - books.google.fr, Alexandra Bacopoulos-Viau, La danse des corps figĂ©s. Catalepsie et imaginaire mĂ©dical au XIXe siècle, L'Italie du Risorgimento. Relectures, Varia, 44, 2012 - rh19.revues.org).

 

Comme Donald Trump (www.slate.fr).

 

Le Docteur Crafft ajoute encore d'autres histoires de personnes, qui, pour avoir Ă©tĂ© enterrĂ©es non encore dĂ©cĂ©dĂ©es nĂ©anmoins sont expirĂ©es dans leurs fosses & tombeaux; ce qui a estĂ© connu puis après par divers efforts remarquĂ©s en leurs sĂ©pultures, & en leur corps. NommĂ©ment il fait mention [sans date] d'une damoiselle d'Augsbourg, qui, tombĂ©e en syncope par suffocation de matrice, fut ensevelie, & mise dans une voĂ»te profonde sans y estre couverte de terre ; mais la voĂ»te murĂ©e soigneusement. Qu'au bout de quelques annĂ©es quelqu'un de la mĂŞme famille mourut, & desmara-t-on la voĂ»te dont, ouverture faite, le corps de la damoiselle fut trouvĂ©e sur les dĂ©grez tout Ă  l'entrĂ©e de la closture n'ayant point de doigt Ă  la main droite. M. Guillaume Fabri en sa II. centurie dans ses observations Chirurgiques obs. XCVI. » (Jacques Benigne Winslow, Dissertation sur l'incertitude des signes de la mort, et l'abus des enterremens, & embaumemens prĂ©cipitĂ©s, traduit par De Bure, 1749 - books.google.fr, Wilhelm Fabricius Hildanus (1560-1634), Observationum et curationum chirurgicarum centuriae, 1641 - books.google.fr).

 

Augbsourg appelle la confession d'Augsbourg de 1530, fondement de la croyance luthérienne allemande.

 

Le 25 juin 1530, les protestants, sept princes luthériens et deux villes impériales, présentent au souverain, Charles Quint, un compromis issu de la Confession de Torgau, la Confession d'Augsbourg. Il s'agit du texte fondateur du luthéranisme rédigé par Philippe Melanchthon sur la base des premières considérations sur la foi de Martin Luther, alors au ban de l’Empire. Le prudent disciple de Luther avait inséré dans cette déclaration de foi quelques modifications propres à concilier les esprits. Son but était de rédiger un texte présentant correctement les croyances des réformateurs et d'obtenir un texte acceptable par les catholiques de l'Empire. Le 3 août 1530, les théologiens catholiques rédigent une réponse, la Réfutation. Charles Quint refuse d'entendre la réponse proposée par les réformateurs le 22 septembre. Il fait proscrire la Confession par la Diète (d'Augsbourg), où les députés catholiques se trouvent en majorité (fr.wikipedia.org - Confession d'Augsbourg).

 

Parmi les miracles de Saint Médard, le 17. jour de Novembre audit an 1734, comparut "par-devant lesdits Notaires soussignés M. A. Couronneau fille majeure, native de Saumur, âgée de 71 ans demeurante chez les Demoiselles Garnier en la Maison de Mr. Defprez Libraire rue Saint Jacques, Paroisse Saint Benoit. Laquelle a déclaré que le 13, Juin 1731 elle a été guérie en un moment sur le tombeau du Bienheureux D. François de Pâris, d'une paralysie qui lui avoit entrepris tout le côté gauche après une seconde attaque d'apoplexie qu'elle avoit eu le 8. Novembre 1730. Que cette paralysie lui avoit ôté tout mouvement & tout sentiment dans la cuisse, la jambe & le pied gauche qui pendoient de sa hanche comme des membres morts (Louis-Basile Carré de Montgeron, La Vérité des miracles opérés par l'intercession de M. de Paris démontrée contre M. l'archevêque de Sens, Tome 1, 1737 - books.google.fr).

 

ZĂ©non Ă©tant Ă©pileptique, notons l'existence de l'hystĂ©ro-Ă©pilepsie : au sens littĂ©ral, alternance de crises d'Ă©pilepsie authentique et de crises d'aspect nĂ©vropathique (www.psychologies.com - Hystero-Ă©pilepsie).

 

Les ouvrages de Sauvages montrent bien la place donnĂ©e Ă  l'hystĂ©rie dans les classifications nosologiques dans la seconde moitiĂ© du dix-huitième siècle. La première Ă©dition de son livre parut en 1731 sous le titre : Nouvelles classes de maladies qui, dans un ordre semblable Ă  celui des botanistes, comprennent les genres et les espèces de toutes les maladies, avec leurs signes et leurs mdicalions, par S. de L. (certains exemplaires, identiques aux autres, portent le nom en toutes lettres : Sauvages de Lacroix) ; imprimĂ© Ă  Avignon sans date ; mais une lettre d'envoi Ă  Boerhaave et la rĂ©ponse de celui-ci imprimĂ©e au dĂ©but du volume fixent cette date Ă  mars et avril 1731. En tĂŞte du deuxième chapitre consacrĂ© aux maladies chroniques est la cinquième classe comprenant les maladies convulsives; la première section est formĂ©e par les convulsives gĂ©nĂ©rales; l'hystĂ©rie est lĂ  la troisième (Dictionnaire encyclopĂ©dique des sciences mĂ©dicales, Volume 51, 1889 - books.google.fr).

 

Apparemment le terme français d'hystĂ©rie n'est pas prĂ©sent, seule le mot latin d'hysteria est utilisĂ© (François Boissier de la Croix de Sauvages, Nouvelles classes de maladies, Avignon : d'Avanville, 1731 - digital.bib-bvb.de).

 

Une autre affaire survient dans cette même année 1731. Catherine Cadière, ou Marie-Catherine Cadière, née le 12 novembre 1709 à Toulon, est une mystique française accusée de sorcellerie en 1731, mettant en cause le père jésuite Jean-Baptiste Girard. Son procès a suscité de nombreux commentaires parmi les auteurs de l’époque et les historiens (fr.wikipedia.org - Marie-Catherine Cadière).

 

Le chirurgien Caudeiron qui dépose dans le procès diagnostique dans les troubles de Marie Catherine Cadière une "maladie histerique ou suffocation de matrice" (Procédure de l'affaire Cadière, 1733 - books.google.fr).

 

La relation entre hérétiques et hystériques remonte à loin, connotée de misogynie.

 

Bernard, moine de Fontcaude, vers 1192, et Alain de Lille, professeur Ă  Montpellier, vers 1195, Ă©crivent des ouvrages pour contester leur doctrine et les traiter d'ignorants, de vagabonds et d'hystĂ©riques (surtout les vaudoises, bien Ă©videmment). Bernard de Fontcaude dans son Contra Valdenses justifie les qualificatifs d'«hĂ©rĂ©sie» qu'il emploie Ă  leur sujet par leur dĂ©sobĂ©issance Ă  Rome ; ces prĂ©dicateurs laĂŻcs que sont les vaudois ne jouent-ils pas le rĂ´le des prĂŞtres alors qu'ils ne sont pas envoyĂ©s («non missi») par les Ă©vĂŞques ? Ainsi c'est cette libertĂ© prise qui les condamne et non leur doctrine dans laquelle Bernard ne voit aucune erreur fondamentale. Alain de Lille (De fide catholicĂ ) reprend cette polĂ©mique (Bernard FĂ©lix, L'hĂ©rĂ©sie des pauvres: vie et rayonnement de Pierre Valdo, 2002 - books.google.fr).

 

L'hystĂ©rie, dĂ©jĂ , se profile Ă  l'horizon : pour Alain de Lille, la nature fĂ©minine «est enflammĂ©e par les torches furieuses de la libido» Les prĂ©dicateurs du XIIe siècle se camperont sur cette base, tels Jacques de Vitry (mais on cite aussi Guibert de Tournai, Humbert de Romans, Adam de Perseigne et d'autres: ils portent Ă  qui mieux mieux des noms qui font rĂŞver, Ă©voquent les chansons de geste de notre enfance mais derrière lesquels, mĂŞme si leur dĂ©sir d'ĂŞtre entendus leur suggère parfois certains mĂ©nagements, leur position n'est pas moins ferme), ils commenteront la Genèse pour la confirmer Ă  leur façon : «Entre Dieu et Adam, il n'y en avait qu'une. Elle n'eut de cesse qu'elle les ait divisĂ©s.» (Jacques de Vitry, Sermons) (Jacqueline Rousseau-Dujardin, Orror di femmina: la peur qu'inspirent les femmes, 2006 - books.google.fr).

 

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