Nouvelles constructions Ă  Lyon : Germain Soufflot

Nouvelles constructions Ă  Lyon : Germain Soufflot

 

III, 46

 

1738-1739

 

Le ciel (de Plancus la cité) nous presaige

Par clairs insignes & par estoiles fixes,

Que de son change subit s’aproche l’aage,

Ne pour son bien, ne pour ses malefices.

 

Soufflot Ă  Lyon

 

Des changements dans la ville de Lyon, fondĂ© en 43 avant JĂ©sus-Christ par Munatius Plancus, apparaissent sur le plan urbanistique avec l’installation de l’architecte Germain Soufflot de 1738 Ă  1755. Il dresse les plans de l’HĂ´tel-Dieu avec « son Ă©tagement puissant de lignes horizontales [1] Â», construit entre 1741 et 1748, de la Loge du Change (jeu de mot avec « change Â» !) (1747-1750) et du Théâtre (1754-1756).

 

Notons que Lucius Munatius Plancus (nĂ© 73 ans avant J.-C.), consul romain, orateur, est le fondateur de Lyon et de Bâle en Suisse :

 

Marc-Antoine, matériellement parlant, mérite mieux encore que L?pide et Plancus, le titre de fondateur de Lyon; il en faudrait enfin une troisième en l'honneur du Sénat romain, notre fondateur officiel, car ce fut lui qui donna l'ordre à Lépide et à son collègue d'établir sur la colline de Fourvière la colonie qui a donné naissance à notre ville. Lyon a donc quatre fondateurs à titres divers; le sénat romain qui est le premier et véritable, puisqu'il donna l'ordre; Lépide et Plancus qui furent les exécuteurs de ce décret en mettant, au nom du sénat, les colons de Vienne en possession du sol que leur cédèrent les Ségusiaves; enfin l'illustre triumvir, qui fut l'édificateur et l'organisateur de la colonie, et dont le rôle comme fondateur fut si important que les plus anciens monuments relatifs à notre ville, les premières monnaies qui y furent frappées, portent le nom de Marc-Antoine (André Steyert, Changements de noms de rues de la ville de Lyon, 1884 - books.google.fr).

 

On n’en sera que plus étonné de constater que le bilan de ses réalisations parisiennes est plutôt maigre et souffre d’être comparé à celui de sa période lyonnaise. On chercherait en vain, parmi ses divers projets, une opération d’urbanisme qui soit comparable à celle du quartier Saint-Clair à Lyon. Quant à son œuvre architecturale, elle se limite pratiquement à l’église Sainte-Geneviève, le futur Panthéon. Il est vrai que cette seule réalisation eût suffi à sa gloire et a permis de le ranger au tout premier rang des architectes de sa génération.

 

Le tempérament de Soufflot le portait normalement à multiplier les contacts. Son élection à l’Académie d’architecture où il a siégé dans la première classe dès 1755 n’a évidemment pas fait problème. Il entretenait aussi des relations étroites avec diverses loges maçonniques dans lesquelles il retrouvait d’ailleurs bon nombre de ses confrères architectes. Il ne se résignait pas à se connaître des ennemis et aurait voulu forcer leur sympathie comme en témoigne son épitaphe : "Plus d’un rival jaloux qui fut son ennemi / S’il eût connu son cœur eût été son ami" (fr.wikipedia.org - Jacques-Germain Soufflot).

 

Franc-Maçonnerie

 

Née officiellement sous sa forme moderne à Londres en 1717, la Franc Maçonnerie est condamnée en 1738 par le pape Clément XII. En France, les dignitaires de l'Eglise adoptent des attitudes contradictoires, voire favorables au mouvement Il faut dire que l'Eglise de France étant gallicane obéit au roi et non au pape. Des prêtres dominent même des loges, puisque l'abbé Jean-François Rozier, de Lyon, botaniste réputé, devient le responsable de la Chambre des Provinces du Grand Orient de France, obédience maçonnique créée en 1773. L'abbé Rozier accepte en 1792 d'être nommé curé constitutionnel de l'église Saint-Polycarpe de Lyon et est tué dans son lit par un boulet de canon durant le siège de la ville en 1793. Son buste figure au parc de la Tête d'Or. On n'a point oublié non plus qu'en 1780 le chanoine Perrodon, de Fourvière, est «vénérable» d'une loge se référant à Saint-Jean-de-Jérusalem (Félix Benoît, Bruno Benoît, Hérésies, diableries et sorcelleries à Lyon et sa région, 2007 - books.google.fr).

 

Il y a encore la bulle Providas Romanorum de Benoît XIV (1754), les mandements des évêques et prélats français et étrangers, qui furent la conséquence de ces deux bulles, enfin l'avis de la Sorbonne, en 1754 pour condamner la Franc-Maçonnerie.

 

Si l'on veut bien se souvenir que la Franc-Maçonnerie philosophique, qui avait remplacé en Angleterre la Franc-Maçonnerie architectonique, n'a pénétré sur le continent que vers 1725; qu'elle n'éveilla l'attention de la police française qu'en 1737 (sentence de police du Châtelet de Paris, du 27 septembre 1737), et que la plupart des édits civils qui l'ont molestée en divers pays sont postérieurs de plusieurs années à la bulle de Clément XII, - l'on peut dire que noire Société fut frappée par l'Église catholique aussitôt que le Saint Siège en connut l'existence (Amand Neut, La franc-maçonnerie soumise au grand jour de la publicité, à l'aide de documents authentiques, Tome 1, 1866 - books.google.fr).

 

Sur l'implantation de la maçonnerie à Lyon, on est mal renseigné, les documents authentiques faisant défaut, sur l'histoire de leur association au moment où J.B. Willermoz s'y fit admettre, c'est-à-dire en 1750. Certains ouvrages prétendent qu'elle avait pris des 1730 une grande extension, mais cette assertion ne s'appuie sur aucune preuve matérielle. On trouve tout au plus des traces d'une Loge lyonnaise en 1739 et de la fondation de trois autres en 1744. L'historien ne rencontre un terrain solide qu'à partir de 1753 (René Le Forestier, Franc-maçonnerie templière et occultiste, 1970 - books.google.fr).

 

Le Livre de la très noble et très illustre société et fraternité des maçons libres, petit opuscule anonyme sans lieu ni date (vers 1740), donne Lyon sur une liste de ville possédant des loges à la date de 1739 avec Louis François Anne de Neuville duc de Villeroy, fils du gouverneur du jeune Louis XV, gouverneur héréditaire du Lyonnais, comme "grand-maître" (Alain Bauer, Roger Dachez, Nouvelle histoire des francs-maçons en France, 2018 - books.google.fr).

 

Etoiles fixes et franc-maçonnerie

 

The Newtonian System of the World, the best model of government : an allegorical poem a le plus souvent Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme un texte apologĂ©tique du rĂ©gime monarchique anglais, texte par lequel Desaguliers aurait visĂ© Ă  obtenir quelque faveur des autoritĂ©s politiques. La lecture institutionnelle et juridique que nous en proposons vise Ă  montrer qu'un lien existe entre l'image du système newtonien de l'univers et un modèle de sociĂ©tĂ© esquissĂ© par Desaguliers, modèle dont le dĂ©veloppement philosophique et politique ne nous paraĂ®t pas ĂŞtre limitĂ© Ă  celui de la monarchie. Cette analyse prĂ©pare Ă  l'Ă©tude des fondements philosophiques et scientifiques de la thĂ©orie de la connaissance juridique desquels naĂ®tront les dĂ©veloppements constitutionnels du texte maçonnique fondateur de 1723.

 

Desaguliers a organisé son bref exposé selon la méthodologie décrite et utilisée par Newton, ainsi schématisée : description, définition — expérimentation, axiome — proposition. La sollicitation de l'irréfutabilité de la définition et de l'intangibilité du fait vise à rendre scientifiquement crédible le passage du plan de la philosophie naturelle à celui du juridique puis de l'institutionnel. Partant de l'idée selon laquelle il existait déjà un exemple de savoir modélisé, la géométrie, à l'aide duquel on parvient à des résultats irréfutables, il suffisait de s'inspirer de ses méthodes pour assurer la concorde et un ordre indiscutable tant à l'organisation de la société qu'à celle des méthodes visant à rendre compte des phénomènes de la nature. L'établissement de définitions sur lequel repose la géométrie devait permettre d'obtenir l'accord indispensable à tout début de travail ; il représentait alors un véritable consensus intellectuel et constituait un véritable acte social. Ce type de savoir était écarté de la conviction, de l'opinion ou du jugement de toute personne considérée individuellement. La croyance était donc nettement séparée de la connaissance et de la science. Le fait, quant à lui, était admis en tant qu'élément constitutif du savoir. Aucun autre élément que le fait ne paraissait en mesure d'assurer un niveau aussi élevé de probabilité et une certitude morale. Un trait séparait alors le domaine factuel des autres éléments, hypothèses non fondées en particulier, dont on ne devait attendre aucune certitude absolue ou morale.

 

Desaguliers dĂ©crit le fonctionnement physique de son modèle social : «Comme des ministres [...] danse mystique», reprenant le modèle de Newton : «Les six planètes [...] mĂŞme direction». Puis il en Ă©nonce une explication par l'axiome : «il inflĂ©chit [...] forces attractives», qui reprend la forme de celui de Newton : «se meuvent [...] causes mĂ©caniques». Enfin il Ă©met une proposition : «Ses pouvoirs limitĂ©s par des lois les laissent pourtant libres, il dirige, mais ne dĂ©truit pas leur liberté» ; la proposition newtonienne est bien sa source : «les Ă©toiles fixes Ă  une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité». Du point de vue de Desaguliers les pouvoirs et les lois ont pour fonction de garantir l'exercice de la libertĂ©. Avant d'Ă©noncer sa proposition, il a avancĂ© et organisĂ© les Ă©lĂ©ments de son modèle institutionnel. Pour caractĂ©riser la nature scientifique de son expĂ©rimentation, il sollicite la sĂ©mantique qui est au cĹ“ur de la problĂ©matique newtonienne de la mĂ©canique : mouvement, orbite, forces attractives et lois; ces termes se rapportent Ă  des faits dont la rĂ©alitĂ© a Ă©tĂ© dĂ»ment dĂ©montrĂ©e et Ă©chappe Ă  l'emprise de l'hypothèse (l'hypothesis non fingo de Newton). Leur utilisation vise Ă  rendre scientifiquement lĂ©gitime la structure sociale dĂ©finie dans la première phrase. Pour Desaguliers, les lois de la gravitation et l'ordre naturel de l'univers qu'elles règlent rendent crĂ©dible l'ordre social qui doit en dĂ©couler; l'ordre physique de la nature, instituĂ© et reconnu, apporte ainsi sa validitĂ© scientifique Ă  un ordre social. Une Ă©troite dĂ©pendance lie l'idĂ©e de la libertĂ© Ă  celle de l'ordre social telles que Desaguliers les conçoit. C'est dire que la tĂ©lĂ©ologie du monde social telle qu'il la reprĂ©sente naĂ®t de la pensĂ©e politique et sociale de Locke. Nous en retrouverons la composante juridique dans les Constitutions d' Anderson. S'appuyant sur les arguments newtoniens, Desaguliers Ă©nonce les bases d'une thĂ©orie de la connaissance juridique et l'idĂ©e de la fonction institutionnelle d'un ordre social qui doit en ĂŞtre dĂ©ployĂ©. «Six mondes tournent autour de son trĂ´ne» se rapporte Ă  «les six planètes principales font leurs rĂ©volutions autour du soleil» de Newton. La structure de l'ordre constitutionnel posĂ©e, son mode de fonctionnement et le rĂ´le du souverain peuvent ĂŞtre Ă©noncĂ©s : «il inflĂ©chit la cause divergente de leur mouvement, et contraint leurs orbites par des forces attractives». Ce qui revient Ă  Ă©noncer que le souverain doit remplir la fonction de garant des institutions, institutions dont il trace les visĂ©es politiques et dĂ©termine les moyens de les atteindre. Newton ne dĂ©finit pas en des termes diffĂ©rents la fonction qu'il attribue au crĂ©ateur de ce système qui est «l'ouvrage d'un ĂŞtre tout puissant et intelligent». Mais, ajoute et conclut Desaguliers, les pouvoirs du souverain sont limitĂ©s par les lois. Et de mĂŞme que les lois règlent le fonctionnement harmonieux de l'organisation, elle règlent la libertĂ© de ses Ă©lĂ©ments, les ministres en l'occurrence. Certes, le souverain dirige ; cependant il ne peut priver ses ministres de la libertĂ© s'il veut Ă©viter l'effondrement du système. Desaguliers reprend l'idĂ©e dĂ©veloppĂ©e par Newton dans la dernière partie de son propos : «De plus, on voit que celui qui a arrangĂ© cet univers, a mis les Ă©toiles fixes Ă  une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité». Newton dĂ©finit clairement la fonction assumĂ©e par Dieu comme Ă©tant celle du maĂ®tre horloger. Il semble bien que Desaguliers, assignant au souverain le rĂ´le de garant de la libertĂ©, reprenne cette vision Ă  son compte. D'ailleurs, pour affirmer la validitĂ© de cette idĂ©e, il la fait naĂ®tre dans la lĂ©gitimitĂ© scientifique du modèle de l'univers, le mode de fonctionnement de celui-ci ayant Ă©tĂ© Ă©prouvĂ© par l'expĂ©rimentation newtonienne. De fait, ayant achevĂ© d'Ă©noncer la typologie du modèle, l'auteur accumule les termes de nature juridique constitutifs d'une sociĂ©tĂ© : «pouvoirs limitĂ©s du souverain... les lois les laissent libres... il dirige mais ne dĂ©truit pas leur liberté».

 

Clairement, Desaguliers vise à fonder à partir de la théorie de la connaissance newtonienne les bases d'une théorie de la connaissance juridique. Les caractères juridiques et institutionnels de l'extrait du texte présenté, qu'ils aient été intentionnellement ou non voilés par une forme dont la maladresse pourrait surprendre, attestent du volontarisme politique déployé par l'auteur. Celui-ci légitime scientifiquement le passage de la philosophie naturelle à la politique. On ne s'étonne donc pas qu'élu grand-maître de la confraternité anglaise dès 1719, il ait été un inspirateur des caractères philosophiques et scientifiques des premières Constitutions. Par ailleurs, et pour soutenir la légitimité scientifique de ses travaux d'expérimentateur public, il reprit à son compte, dans la préface de son Cours de physique expérimentale l'héritage constitué par les éléments communs à Locke et à Newton de la théorie de la connaissance. Nettement perceptibles, les germes du modèle institutionnel maçonnique sont présents dans la projection politique imaginée par Desaguliers comme ils le sont, de son point de vue, dans le système newtonien du monde.

 

Desaguliers ne concrétisa pas seul l'idée constitutionnelle maçonnique et l'apport d'autres maçons (Arbuthnot, Folkes, entre autres), membres de la Royal Society en 1723, fut tout aussi déterminant. Avec eux pénètrent au sein de la confraternité les idées de Locke et de Newton.

 

La violence canonique de la première condamnation lancée par le magistère romain dès 1738 contre l'idée institutionnelle maçonnique ne peut surprendre. Elle répond à la promulgation en 1723 des Constitutions d'Anderson et à la rapide propagation de leur contenu philosophique dans le monde, monde catholique compris. Le magistère perçut comme un réel danger pour l'Église catholique romaine les bases philosophiques et scientifiques qui assuraient à l'idée de sociabilité maçonnique sa légitimité juridique autant que l'affirmation du caractère institutionnel de la confraternité. L'argumentation développée dès la bulle In eminenti vise rien moins que les fondements philosophiques et scientifiques des Constitutions. Le libre engagement de l'individu, la tolérance religieuse et l'autonomie juridique de la confraternité sont présentés comme mettant en péril l'État et l'institution religieuse (Pierre Boutin, La philosophie naturelle comme enjeu institutionnel : l'opposition de l'Église catholique à la Franc-Maçonnerie. In: Dix-huitième Siècle, n°30, 1998 - www.persee.fr).

 

La Loge du Change

 

Sous François Ier, Lyon devint la première place financière d'Europe. La douane se trouvait alors près du Pont du Change (démoli en 1842), à deux pas de la place du Change. Cette dernière, dans le quartier des Changeurs, était occupée par les marchands depuis le XIIIe siècle, aucun bâtiment officiel n'ayant été prévu pour les changeurs (www.patrimoine-lyon.org).

 

Pendant des siècles, les changeurs s'étaient réunis sur la place, en plein air; car il est de la nature des marchés des finances de se tenir sur la voie publique, comme tous les autres marchés. (Auguste Bleton, Coste-Labaume, A travers Lyon, 1889 - books.google.fr).

 

C'est entre 1631 et 1653 que la première "Loge des Changes" fut construite, sur les plans de Simon Gourdet, pour le commerce et les monnayeurs. Composé d'un portique dorique à quatre travées, d'un étage bas et d'un toit en terrasse, l'édifice fut rapidement jugé trop petit. En 1748, le Consulat commanda à Soufflot une autre loge. L'architecte se «contenta» alors de l'agrandir par une travée supplémentaire et par la création d'un second niveau. Les travaux furent rapides puisque la nouvelle loge fut achevée en 1750. Cependant elle servit peu jusqu'à sa transformation en salpêtrière (fabrique de poudre) sous la Révolution, en 1793. Dix ans plus tard, en 1803, dans le cadre du Concordat et des articles organiques rétablissant les cultes en France, la Loge du Change fut confiée par la ville de Lyon à la communauté protestante de Lyon. C'est à cette date que l'ancienne Loge du Change devint, par arrêté préfectoral, le Temple du Change (www.patrimoine-lyon.org).

 

La Loge, Ĺ“uvre de Soufflot, Ă  qui Lyon doit encore son HĂ´tel-Dieu et Paris son PanthĂ©on, sert maintenant de temple aux membres de l'Église rĂ©formĂ©e. Il n'y a pas longtemps qu'on pouvait lire encore, sur le fronton du monument, la devise : Virtute duce, comite fortuna. Ces belles paroles, que les nĂ©gociants lyonnais s'Ă©taient appropriĂ©es, sont celles que CicĂ©ron adressait Ă  son ami Plancus (Auguste Bleton, Coste-Labaume, A travers Lyon, 1889 - books.google.fr).

 

Depuis la fin du dernier siècle, la ville était restée propriétaire de vingt-huit offices de courtiers et d'agens de change, dont elle avait payé la finance au roi; et elle avait continué de nommer à ces places, à l'exception des douze, dont les titulaires avaient payé leurs offices à la couronne. Un édit du mois d'avril 1753, réduisit à trente-deux les quarante courtiers-agens de change de Lyon; maintint les douze titulaires d'offices royaux, à la charge de payer une augmentation de finances de sept cent cinquante livres, et ordonna qu'il serait pourvu, par le roi, aux vingt autres places, en préférant les titulaires actuels, qui fourniraient une finance de trois mille sept cent cinquante livres. Par là ces fonctions sortirent entièrement de la dépendance du consulat. Il faut dire que l'importance qu'elles avaient acquise, en avait fait, auprès des membres de l'échevinage qui y nommaient, une matière à sollicitations et à faveurs, funeste pour la considération du corps consulaire. En 1751, on avait été obligé, pour repousser les soupçons de vénalité, de revenir à une mesure ancienne, c'était le serment prêté par le nommé et le nominateur de n'avoir rien payé ni reçu, pour présentation, finance ou à tout autre titre. En 1755, la ville vote un secours de cinquante mille livres, payables en dix années, à l'hôpital du pont du Rhône, pour l'aider dans les constructions que dirigeait alors l'architecte Soufflot (Sébastien Charléty, Histoire de Lyon: depuis sa fondation jusqu'à nos jours, Tome 6, 1837 - books.google.fr).

 

Change et monnaie

 

Lorsque Charles le Chauve eut établi huit hôtels des monnaies, il y eut autant de Maîtres, particuliers des Monnaies, au-dessus desquels étaient des maîtres appelés Maîtres généraux des Monnaies, ou Généraux maîtres, ou Généraux des Monnaies. En 1359, le roi les qualifiait de ses conseillers; ils furent même appelés présidents dans des lettres de Charles le Bel, de 1322; et dans les comptes de 1473 et 1474, on leur donne le titre de Sires. Au mois de janvier 1551, par un édit de Henri II, la Chambre des Monnaies qui, avant, était une juridiction subalterne établie à Paris et ressortissante au Parlement, fut érigée en Cour souveraine et supérieure. Il y avait alors dans les provinces des juridictions subordonnées à la Cour des Monnaies. Dans ces juridictions étaient des officiers appelés Généraux provinciaux des Monnaies, qui présidaient aux affaires qui s'y jugeaient. Ces magistrats étaient appelés aussi Généraux subsidiaires dans le temps où ils ne connaissaient que subsidiairement aux généraux maîtres des Monnaies des matières et affaires dont ces derniers leur envoyaient la connaissance. Telle était la juridiction de la Monnaie de Lyon, qui se composait d'un général provincial, de deux conseillers juges gardes, d'un procureur du roi, d'un substitut et d'un greffier. Le roi ayant créé une Cour des Monnaies pour la ville et la Généralité de Lyon en 1704, supprima par un édit du mois d'octobre 1705, le siége de la Monnaie et recréa deux officiers juges gardes sans attribution de juridiction. Mais cette Cour des Monnaies ayant été supprimée par un édit du mois d'août 1771, le siége de la Monnaie fut rétabli par un édit du mois de février 1772 et composé de deux conseillers juges gardes créés par l'édit de 1705, auxquels furent attribués les mêmes pouvoirs que ceux dont jouissaient les magistrats des autres cours de Monnaie. Un nouvel édit de juillet 1779 rétablit l'office de général provincial subsidiaire des Monnaies, et au ressort attribué à cette charge par l'édit de 1696, on réunit la ville de Trévoux, la province des Dombes et dépendances. La juridiction de la Monnaie connaissait en première instance et à charge d'appel, de toutes les matières de la compétence de la Cour des Monnaies, des ouvriers monnoyeurs, des affineurs, des changeurs, etc., des crimes de fausse-monnaie, etc. Henri II y établit le présidial lors de sa création et Louis XIV ayant accordé à Lyon une cour des Monnaies, cette cour fut réunie à la sénéchaussée et au siége présidial pour ne plus former qu'un seul et même corps sous le titre de Cour des Monnaies, Sénéchaussée et Siége présidial de Lyon. L'hôtel de Roanne fut reconstruit en 1668, puis enfin démoli pour céder la place au palais actuel. (Lyon ancien et mod. par Vict. de Laprade, p. 308, t. II.) (Léopold Niepce, Les archives de Lyon, Volume 198, 1875 - books.google.fr).

 

Outre la juridiction spéciale de la Conservation qui a subsisté avec un grand éclat pendant plusieurs siècles, Lyon a possédé une autre institution dont la durée a été moins longue, mais qui mérite également de fixer l'attention, nous voulons parler de la cour des Monnaies. En 1413, Charles VI pour reconnaître la fidélité des Lyonnais au temps de l'insurrection des Maillotins, transféra à Lyon la fabrique des monnaies alors établie à Mâcon. Cette fabrique était dirigée par les généraux maîtres des Monnaies de France, dont on composa à Paris une juridiction spéciale sous le nom de Chambre des Monnaies, qui fut érigée en cour souveraine par Henri II, et eut rang immédiatement après la cour des Aides. C'est à cette nouvelle cour que furent relevés les appels des sentences de la juridiction du siége de la Monnaie de Lyon, qui connaissait en première instance, dans toute l'étendue de son ressort, du fait des monnaies en matière civile. et criminelle et des statuts et réceptions des ouvriers employés à la fabrication des ouvrages d'or et d'argent. Près d'un siècle après la création de la cour des Monnaies de Paris, au mois d'avril 1645, une cour des Monnaies fut établie à Lyon. Supprimée quelques mois après, Louis XIV la rétablit en 1704 (Ennemond Fayard, Études sur les anciennes juridictions lyonnaises, 1867 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Cour des monnaies de Lyon).

 

1373 : Déclaration de Charles V portant réduction des changeurs de la Ville de Lyon du nombre de six qui seront examinés par les géneraux Maitres des Monnoyes et exerceront leurs fonctions sans donner caution. (Donnée à Paris le 5 juillet 1376. Règ. de la Cour des Monnoyes, cotte D, fol. 169.) (Georges Boudon, La bourse et ses hôtes, 1896 - books.google.fr).

 

Un arrêt de la Cour des monnaies de Lyon de 1749 ordonne à tous les Changeurs en titre‚ de faire enregistrer au Greffe de la dite Cour, leurs Lettres de provisions & la Sentence de leurs réceptions, à peine d'être déchus de leurs fonctions & privlèges (Arrest de la Cour des Monnoyes de Lyon Du 2 juin 1749. Extrait des registres de la Cour, 1749 - books.google.fr).

 

La Cour des monnaies connaissait de tout ce qui concernait la fabrication des monnaies; elle jugeait le crime de fausse monnaie et les délits commis par les monnayeurs et orfévres, surveillait en outre les métiers qui employaient des matières d'or (orfévres, batteurs et tireurs d'or). De plus elle exerçait une juridiction civile à laquelle étaient soumis ceux qui étaient de sa dépendance, tels que les maîtres et officiers des monnaies, ouvriers monnayers, etc. La Cour des monnaies avait la haute main sur la fabrication des espèces; elle réglait toutes les questions relatives à la valeur et au titre légal des espèces en circulation, prenait toutes les mesures propres à assurer le cours des monnaies frappées sous son contrôle et à empêcher l'émission et l'introduction des pièces inférieures de poids et de titre; les changeurs étaient institués par elle et agissaient sous son autorité (Léon de Laborde, Archives de l'Empire : Inventaires et documents. Inventaire Sommaire et tableau methodique des fonds conserves aux Archives nationales, Partie 1, Régime anterieur à 1789, 1871 - books.google.fr).

 

Le Musée lyonnais des arts décoratifs a été installé en 1925 dans l'ancien Hôtel Lacroix-Laval, édifié en 1739 sur les plans de Soufflot, pour Jean de Lacroix, Conseiller à la Cour des Monnaies de Lyon (Bourgogne, Morvan, Nivernais, Lyonnais, Collection des guides-Joanne, Guide bleus, 1959 - books.google.fr).

 

"malefices", "bien" et "change"

 

Par "bien" on peut entendre le bien commun, le "pro bono publico".

 

Nicole Oresme sonne l'alarme dans le Traictie de la première invention des monnoies, oĂą il fait le tri entre les Ă©tats utiles Ă  la «chose publique» (ecclĂ©siastiques et religieux, juges, chevaliers, marchands, cultivateurs, artisans) et les occupations «non nĂ©cessaires» qui drainent les ressources de la communautĂ© et l'empĂŞchent de croĂ®tre en prenant une trop grande partie pour eux-mĂŞmes : changeurs, marchands de monnaies, monnayeurs et percepteurs. Deschamps, Ă  son tour, s'attaque Ă  la catĂ©gorie foisonnante des offices et occupations non utiles, ou carrĂ©ment nĂ©fastes, au bien commun. Dans sa chanson royale n° 1166, qui parodie le Liber generationis (nom donnĂ© Ă  la liste des ancĂŞtres du Christ au dĂ©but des Évangiles de Matthieu et de Luc), le poète mĂ©lange la liste gĂ©nĂ©alogique de qui a engendrĂ© qui, constatation «x autem genuit y» avec la question «qui fuit x ?» et prĂ©tend interroger ces personnages bibliques aux noms exotiques sur leurs occupations. Les dĂ©nominations de leurs offices ne sont que trop familières; tous sont employĂ©s dans la gestion et perception des finances d'une manière ou d'une autre (Laura Kendrick, PoĂ©sie et persuasion politique : le cas d'Eustache Deschamps, De Dante Ă  Rubens : l’artiste engagĂ©, 2021 - books.google.fr).

 

En 1375, Deschamps devient huissier d’armes pour le roi Charles V (fr.wikipedia.org - Eustache Deschamps).

 

Il est question de "maléfices" dans les ordonnances royales comme dans les lettres de commission du roi Jean II du 23 octobre 1353 où des "frequentantes" (changeurs, marchands) pouvaient être soupçonnés de trafiquer les monnaies du royaume (Eusèbe Jacques Laurière, Ordonnances des roys de France de la troisième race, Tome 4, 1734 - books.google.fr).

 

Encore dans dans un Jugement de deux Commissaires du Roi, du 26 Février 1436, rendu en exécution des Lettres-Patentes du Roi Charles VII, du 5 Janvier précédent, qui déclare la Chapelle du Saint Sépulcre de Lyon, exempte de toute indemnité pour raifon des acquêts, dons & legs faits au profit de ladite Chapelle, à cause des exemptions dont jouissoit le Chapitre de Lyon (Mémoire pour les doyen, chanoines et chapitre, comtes de Lyon contre les administrateurs généraux des domaines, 1783 - books.google.fr).

 

Le mot "change" est encore employé dans le quatrain III, 93 - Occupation d’Avignon par la France - 1773.

 

"insignes" et "Ă©toiles fixes" : les oracles

 

Selon la croyance des Anciens, l'oracle est la réponse d’une divinité que l’on venait consulter en un lieu sacré, et dont un interprète inspiré devait dévoiler le sens, sans parvenir toujours à l’éclairer. Par métonymie, il désigne le sanctuaire dans lequel on interrogeait la divinité, selon des formules rituelles, et par extension la divinité elle-même ou celui ou celle qui parlait en son nom (fr.wiktionary.org - oracle).

 

Clitophon rapporte que les deux frères Mômoros et Atepomaros, rois d'une tribu gauloise chassés de leur pays par l'usurpateur Séséroné, se réfugièrent sur la colline de Lugdunum pour y fonder une cité. Pendant la célébration des rites, une nuée de corbeaux s'abattit sur les arbres alentour. Mômoros y vit un heureux présage et donna à la ville le nom de Lugdunum qui s'exprime hieroglyphiquement par un corbeau sur une colline. Ainsi Mômoros, habile à interpréter les vols auguraux, s'associe à l'oiseau. Atepomaros, lui, est un cheval. Son nom signifie en celtique «le très grand cavalier», et a parfois été attribué à Apollon. Mômoros l'oiseau, le cheval Atepomaros, voilà les doublets lyonnais du cygne Pollux et du cheval Castor (Amable Audin, Lyon: miroir de Rome dans les Gaules, 1965 - books.google.fr).

 

Cicéron rapporte dans De Divinatione, 1, 34-75 que par reconnaissance les Lacédémoniens firent déposer deux étoiles d'or dans le temple de Delphes. Toujours selon la même source, elles disparurent de façon surnaturelle, sans qu'on pût jamais les retrouver, avant la bataille de Leuctres, qui fut, comme le présage l'annonçait, une sévère défaite. On comprend sans peine pourquoi certaines monnaies romaines associent les pilei étoilés à l'image d'une proue.

 

L'étoile qui brille sur la tête de chacun des Dioscures a ses légendes célèbres, que Rome connaissait fort bien. Elle se mit à luire, dans la tempête, lorsque les Argonautes ne durent leur salut qu'à, la protection des fils de Léda. Et toujours ensuite l'apparition des deux astres brillants étaient un signe d'espoir; les matelots en difficulté se sentaient dès lors protégés du naufrage. On appelle maintenant ce phénomène le feu Saint-Elme (Christian Peyre, Castor et Pollux et les Pénates pendant la période républicaine. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 74, n°2, 1962 - www.persee.fr, Michael A. Flower, Omens and Portents Foretelling Victory and Defeat, Divination and Prophecy in the Ancient Greek World, 2022 - books.google.fr).

 

Pour indiquer le caractère astronomique des Dioscures, c'est de l'histoire lĂ©gendaire des deux hĂ©ros que s'inspirent d'ordinaire les peintres de vases grecs. Les graveurs des miroirs Ă©trusques s'y prennent quelquefois de la mĂŞme façon; mais, le plus souvent, ils cherchent Ă  exprimer des idĂ©es semblables en reprĂ©sentant, Ă  cĂ´tĂ© de Castor et de Pollux, des dieux et des objets ayant dĂ©jĂ  par eux-mĂŞmes une signification cosmique. Parmi ces dieux, il faut signaler surtout les Cabires de Samothrace, si frĂ©quemment associĂ©s sur les miroirs, identifiĂ©s mĂŞme aux Dioscures Tyndarides, comme le prouvent leur type, leur costume et leurs attributs semblables Ă  ceux de Castor et de Pollux, et les noms Castur ou Casturu et Pultuke ou Pulutuke gravĂ©s Ă  cĂ´tĂ© d'eux. Il ne faut pas s'Ă©tonner de retrouver, en Etrurie, ces divinitĂ©s orientales. A l'Ă©poque oĂą se fabriquaient les miroirs Ă  sujets gravĂ©s, c'est-Ă -dire dans la seconde moitiĂ© du quatrième siècle et pendant le troisième siècle avant JĂ©sus-Christ, les mystères cabiriques Ă©taient fort rĂ©pandus dans ce pays. Il n'est pas moins naturel d'y retrouver les Dioscures et les Cabires intimement unis. Nous avons vu que ces diffĂ©rents dieux, communĂ©ment appelĂ©s "Anakes", "SĂ´tères", "Theoi megaloi", se partageaient la rĂ©putation de protĂ©ger les marins pendant la tempĂŞte : on donnait indistinctement les noms des uns ou des autres au phĂ©nomène Ă©lectrique du feu Saint-Elme. Eh bien, ces grands dieux qui se confondaient comme divinitĂ©s maritimes, se confondaient aussi comme divinitĂ©s astronomiques. Ils personnifiaient le feu cĂ©leste, les Ă©toiles fixes qui brillent dans le ciel, comme ils personnifiaient le feu terrestre ou marin, les astres mobiles qui voltigent sur la mer. Cela est si vrai que les Orphiques, que Nigidius, qu'Ampelius attribuent indiffĂ©remment aux Dioscures et aux Cabires la constellation des GĂ©meaux. Si donc Castor et Pollux apparaissent sur les miroirs Ă©trusques en compagnie d'Axieros, d'Axiokersa, d'Axiokersos et de Casmilos, c'est parce qu'ils sont, comme eux, la personnification du feu sous ses diffĂ©rentes formes, du feu dont la source est au ciel; c'est parce qu'ils sont des divinitĂ©s cosmiques de premier ordre. Par la mĂŞme raison et au mĂŞme titre, ils se trouvent associĂ©s Ă  Vulcain, père des Cabires, forgeron du char Ă©tincelant d'HĂ©lios, dieu du feu cĂ©leste, qui habite sur l'Olympe dans une demeure toujours Ă©clairĂ©e par des milliers d'Ă©toiles (Maurice Albert, Le culte de Castor et Pollux en Italie, 1883 - books.google.fr).

 

Au port de Thalasse près de Saint-Malo, commence, dans le Livre cinquième de Rabelais, une longue navigation jusqu'au temple de la Dive Bouteille. Ils peuvent observer la manifestation des Dioscures au bout des antennes de leur navire. Ils arrivent donc dans une île lointaine, où s'élève un temple mystérieux consacré à «la dive Bouteille»; c'est à cette bouteille mystique ou oracle de la dive Bacbuc que nos voyageurs viennent demander le secret du bonheur.

 

Dans la dĂ©coration du temple de la Bouteille : Dedans la corpulence d'icelle Ă©toient par ordre en figure et caractere exquis artificiellement insculpez les douze signes du zodiaque, les douze mois de l'an, avec leurs proprietez, les deux solstices, les deux equinoxes, la ligne Ă©cliptique, avecques certaines plus insignes Ă©toiles fixes, autour du pĂ´le antarctique, et ailleurs par tel art et expression que je pensois ĂŞtre ouvrage du roy Necepsus, ou de Petosiris, antique mathematicien.

 

Notez, amis, que de vin divin on devient, et n'y a argument tant sûr, ni art de divination moins fallace (Oeuvres de François Rabelais, Tome 2, 1876 - books.google.fr, François Roveyrol, L'Oracle de Lyon : à madame la mareschale de Villeroy, 1649 - books.google.fr).

 

Un oracle Ă  Lyon

 

Arrêtons-nous un instant pour résumer ce récit, extrait de trois relations et de plusieurs lettres concordantes, écrites par les témoins et par des magistrats, hommes également honorables et désintéressés, et que personne, dans le public contemporain, n'a soupçonné d'un concert véritablement impossible entre eux. Deux personnes sont assassinées à Lyon; quelques semaines après, un homme y est rompu vif pour ce crime, en exécution d'un arrêt rendu par trente juges, qui ont examiné et jugé cette affaire avec la plus scrupuleuse conscience. Or, l'unique agent qui a découvert le criminel et qui l'a mis entre les mains de la justice, c'est un homme à baguette, le Dauphinois Jacques Aymar, de Saint Véran près de Saint Marcellin. Voilà des faits qui ont paru et qui doivent paraître encore réunir tous les caractères de certitude que peut exiger la foi humaine. Personne n'a donc hésité, à l'époque où ils se sont produits, à leur accorder pleine créance; on ne songea pas un moment à les mettre en doute, seulement on s'occupa beaucoup de les interpréter et chacun les commenta à sa manière. L'événement extraordinaire dont la cité lyonnaise avait été le théâtre, eut donc pour résultat d'attirer vivement l'attention du public vers les merveilles de la baguette divinatoire. [...] Cela devait être, puisque la vertu de la baguette divinatoire, si longtemps considérée comme une superstition populaire, venait de prendre rang parmi les dispositions juridiques (Louis-Guillaume Figuier, Histoire du merveilleux dans les temps modernes, Tome 2 : Les prophètes protestants. La baguette divinatoire, 1860 - books.google.fr).

 

Quarante années plus tard, l'affaire était encore évoquée, et dérangeait beaucoup les esprits rationalistes. D'autant plus qu'à qu'à l'époque-même de Jacques Aymar, certains eurent le souci de démontrer à la population admirative que celui-ci n'était qu'un imposteur, portant la responsabilité de l'exécution d'un probable innocent. En effet, en 1739 un Commissaire provincial d'Artillerie le citait encore dans son ouvrage, dont le thème est pourtant fort éloigné de l'expérience dans laquelle Aymar fut impliqué (Anne Jaeger-Nosal, Les chercheurs d'eau: Sourciers et géobiologues. Une enquête ethnologique, 1999 - books.google.fr).

 

M. Colbert ayant appris les merveilles que Jacques Aimar publioit, voulut que l'Académie des Sciences vît cet homme, & chargea M. l'Abbé Gallois de le produire; l'ayant mené dans la cour de la Bibliothéque du Roy, où l'Académie tenoit alors ses séances, M. l'Abbé Galois montra à Jacques Aimar, en présence de l'Assemblée qui étoit aux fenêtres, une bourse pleine de louis d'or que M. Colbert lui avoit remis, lui dit qu'il alloit entrer dans le jardin pour la cacher, & qu'on verroit ensuite s'il la découvriroit. Après avoir remué en quelqu'endroit la terre, il vint rejoindre l'Assemblée, & dit à Jacques Aimar qu'il pouvoit aller chercher dans la platte-bande qui venoit d'être labourée, le fit entrer dans le jardin, où il l'enferma. Quelque tems après on fit ouvrir la grille; ensuite Jacques Aimar vint se plaindre de ce qu'on l'avoit laissé enfermé si long-tems, & dit à l'Assemblée que la bourse étoit au pied du mur, du côté du Cadran. Alors M. l'Abbé Gallois, qui au lieu d'avoir enterré cette bourse, l'avoit adroitement donné à garder à un de ses amis; avant même que d'entrer dans le jardin, afin d'ôter tout prétexte, la reprit & la montra à Jacques Aimar pour le convaincre de son imposture; ce Charlatan voyant à quelles gens il avoit affaire, se retira pour ne point essuyer de plus grands éclaircissemens, & toute l'Assemblée loua M. Gallois de l'avoir débarassé de cet homme, qui est retourné dans son pays immédiatement après cette avanture (Bernard Forest de Belidor, Architecture Hydraulique, Ou L'Art De Conduire, D'Elever Et De Menager Les Eaux Pour Les Differens Besoins De La Vie, Volume 1,Partie 2, 1739 - books.google.fr).

 

Bernard Forest de Bélidor, né en Catalogne (Espagne) en 1698 et mort à Paris le 8 septembre 1761, est un général et ingénieur militaire français. Il publie en 1731 un traité de balistique, Le Bombardier français, suivi en 1737-1739 de son ouvrage majeur, L'Architecture hydraulique, où le calcul intégral est utilisé pour la première fois dans la résolution de problèmes techniques. Bélidor a également accompagné Giovanni Domenico Cassini et Philippe de La Hire dans leur expédition pour mesurer la méridienne de Paris dans les années 1710 (fr.wikipedia.org - Bernard Forest de Bélidor, Laurent-Henri Vignaud, Sciences, techniques, pouvoirs et sociétés du XVe siècle au XVIIIe siècle, 2016 - books.google.fr).



[1] Alphonse Dupront, « Qu’est-ce que Les Lumières Â», Gallimard, 1996, p. 112

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