L’enlèvement d’Aldo Moro

L’enlèvement d’Aldo Moro

 

VI, 71

 

1977-1978

 

Quand on viendra le grand Roy parenter,

Avant qu’il ait du tout l’âme rendue,

Celuy qui moins le viendra lamenter,

Par lyons, d’aigles, croix, couronne vendue.

 

Aldo Moro est enlevĂ© le 16 mars 1978 Ă  Rome par les Brigades rouges qui veulent l’échanger contre des terroristes jugĂ©s Ă  Turin. La DĂ©mocratie chrĂ©tienne s’y refuse. Cela se passait au temps oĂą se nĂ©gociait le compromis historique. « L’Italie pensait qu’uen nouvelle phase s’ouvrait, que la RĂ©publique s’acheminait vers une coalition dominante et que le système allait se rĂ©nover. Peut-ĂŞtre l’alliance Moro-Berlinguer eut-elle permis un dĂ©blocage et apportĂ© la solution ; c’est parce qu’elles la redoutaient que les Brigades rouges l’ont fait Ă©chouer [1] Â».

 

« Mais ce qui importe est que cet otage si particulier cristallisa soudain toutes les contradictions de la dĂ©mocratie et de l’Etat italien. Comment l’univers politique italien aurait-il supportĂ© sa libĂ©ration ? [2] ». « Et envisager la rĂ©insertion du prĂ©sident de la DC dans la vie politique Ă©quivalait Ă  condamner son parti qui ne pouvait sortir de cette Ă©preuve que divisĂ© et inapte Ă  revendiquer les postes-clefs de l’Etat pour longtemps [3] ». Aldo Moro fut ainsi enterrĂ© politiquement avant que d’être rĂ©ellement mort (« parenter Â» : du latin « parentare Â», cĂ©lĂ©brer une cĂ©rĂ©monie funèbres Â»).

 

Aldo Moro est retrouvĂ© le 9 mai dans le coffre d’une Renault 4 garĂ©e via Michelangelo Caetani, Ă  mi-chemin entre le siège de la DC et de celui du PC. Ses obsèques furent cĂ©lĂ©brĂ©es en prĂ©sence du pape Paul VI. « Moro disparu, l’espoir s’évanouit et avec Andreotti comme chef du gouvernement, l’Italie retombe dans l’instabilitĂ© qui caractĂ©risait la RĂ©publique de 1946 Ă  1973 [4] ».

 

"couronne vendue"

 

Paul VI avait fait don de la triple couronne qui Ă©tait en sa possession Ă  l’archidiocèse de New York qui la revendit Ă  un musĂ©e de la ville dans un but charitable. De mĂŞme, Jean-Paul Ier, alors qu’il Ă©tait patriarche de Venise, vendit une croix pectorale et une chaĂ®ne ayant appartenue Ă  Pie XII [5] (« croix, couronne vendue Â»).

 

Echecs

 

Aldo Moro n'était pas roi, mais une pièce sur l'échiquier de la politique italienne.

 

Pour Sciascia, Borges est un des Ă©crivains de rĂ©fĂ©rence les plus importants. Sciascia l'a connu très tĂ´t vers 1950 et fut probablement le premier Ă©crivain lecteur de Borges en Italie. Comme Borges, il considère les textes prĂ©cĂ©dents comme condition fondamentale de tout texte. Borges Ă©tait pour lui «l'Ă©crivain le plus significatif de notre temps, de nos vertiges». Dans L'Affaire Moro (1978), un texte autour de l'enlèvement et l'assassinat de l'homme politique Aido Moro, Sciascia cite deux contes de Borges du volume Fictions, Pierre Menard, auteur du «Quichotte» et Examen de l'Ĺ“uvre d'Herbert Quain. Les deux citations crĂ©ent, lĂ  oĂą Sciascia les place, une sorte de cadre. L'Affaire Moro s'ouvre sur une rĂ©miniscence personnelle de Sciascia et un dialogue avec Pasolini. Le troisième paragraphe entame par la reprise de Pierre Menard, auteur du «Quichotte» un questionnement sur le rĂ´le de l'Ă©criture. Trois points essentiels sont Ă©lucidĂ©s : rĂ©Ă©crire, c'est tout modifier sans rien modifier. Tout se passe en littĂ©rature.

 

L'impression que tout dans l'affaire Moro se déroule, pour ainsi dire, en littérature, vient principalement de cette fuite des faits, de cette abstraction des faits [...] dans une dimension de séquence imaginaire ou fantastique indéfectible et de laquelle découle une constante et tenace ambiguïté. Une telle perfection peut être attribuée à l'imagination, à la fantaisie; non à la réalité. [...] Ce qui est vraisemblable, mais ne peut pas être vrai et réel (Susanne Heiler Susanne, Jorge Luis Borgès chez Tahar Ben Jelloun et Leonardo Sciascia. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2005, n°57 - www.persee.fr).

 

On peut aussi, en 1999 en particulier, voir les choses autrement que Sciascia, penser, par exemple, et ce n'est qu'un exemple, que les deux joueurs d'échecs borgésiens étaient les soviétiques et les américains, que la partie s'est conclue par un pat qui a coûté la vie au statesman Moro (Claude Ambroise, Un désir d'achèvement en Sciasca, Objets inachevés de l'écriture, 2001 - www.google.fr/books/edition, Leonardo Sciascia, L'affaire Moro - Ned: Les Cahiers rouges - nouvelle édition préfacée par Dominique Fernandez, 2018 - www.google.fr/books/edition).

 

Infine c'è l'ultima analogia cristologica: la coincidenza simbolico-istituzionale tra vittima e carnefice. L'archetipo del sacrificio del Re, o del suo rappresentante, il figlio prediletto, è pienamente rispettato. Aldo Moro viene lasciato morire dal partito di cui è presidente, e in qualità di presidente paga. Un ultimo paradosso: è la propria morte, il più alto crimine che Moro paga con la propria morte (Antonio Giangrande, La vicenda Aldo Moro : Quello che si dice e quello che si face, - www.google.fr/books/edition, fr.wikipedia.org - Aldo Moro).

 

Après Moro

 

Aldo Moro n'Ă©tait peut-ĂŞtre qu'un pion, la partie n'Ă©tait pas finie.

 

L'assassinat de Moro marque non seulement la faillite du compromis historique, du reste déjà mis en difficulté par la composition du nouveau gouvernement, mais aussi la fin de la progression continue du PCI depuis 1953. Le PCI, premier parti communiste occidental et deuxième parti politique italien pendant des décennies, disparaît donc avant même la dissolution effective de l'URSS. En 1991, le PCI revendique encore 177 députés, 101 sénateurs, 22 députés européens et plus d'un million de militants, signe de son influence dans le paysage politique italien (fr.wikipedia.org - Parti communiste italien).

 

Lors des élections générales de 1992, la Démocratie chrétienne descend pour la première fois en dessous des 30 %, mise en difficulté par la montée des autonomistes de la Ligue du Nord. Peu après la formation d'un gouvernement dirigé par le socialiste Giuliano Amato explose de plus le scandale de l'Opération Mains propres : un vaste réseau de corruption et de financement illicite des partis politiques, DC comprise, est dévoilé. La crise politique est telle qu'en avril 1993, après la démission d'Amato, le gouvernement est pour la première fois dirigé par un technicien, Carlo Azeglio Ciampi, et non par un parlementaire. Plusieurs enquêtes, notamment celles des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, jettent également le doute sur la nature des liens entre plusieurs figures du parti (parmi lesquelles Giulio Andreotti) et la mafia. La Démocratie chrétienne est laminée dans toutes les élections intermédiaires. Le 29 janvier 1994, la Démocratie chrétienne s'auto-dissout officiellement. Elle laisse derrière elle 206 députés, 107 sénateurs, 26 députés européens et environ 800000 militants, qui se divisent alors entre les différentes formations candidates à sa succession (fr.wikipedia.org - Démocratie chrétienne (Italie)).

 



[1] Jacques Georgel, « L’Italie au XXème siècle (1919-1995) Â», La documentation française, 1996, p. 112

[2] Philippe Levillain , L’Histoire n° 111, p. 42

[3] ibid., p. 39

[4] Jacques Georgel, « L’Italie au XXème siècle (1919-1995) Â», La documentation française, 1996, p. 112

[5] Paul Hoffman, « O Vatican Â», Payot, 1984, p. 46

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