Le plaisir du Prince

Le plaisir du Prince

 

VI, 72

 

1978-1979

 

Par fureur feinte d'Ă©motion divine,

Sera la femme du grand fort violée,

Juges, voulant damner telle doctrine,

Victime, au peuple ignorant immolée.

 

"fureur"

 

La fureur impudique de Sextus, et le cadavre sanglant de Lucrèce violée, firent bien plus pour la liberté de Rome, que les provocations de Tarquin, et la véhémence de Brutus (D. M. Julien Du Ruet, Tableau chronologique et moral de l'Histoire universelle du Commerce, Volume 1, 1809 - www.google.fr/books/edition).

 

Sextus Tarquin s'enhardit à l'adultère par l'exemple des dieux (Georges Seigneur, Etude académique : M. F. Ponsard et sa Lucrèce (1843), Revue du Monde Catholique, Volume 7, 1863 - www.google.fr/books/edition).

 

"doctrine"

 

Revenons donc à l'importance de Rome dans l'élaboration de l'Etat absolutiste tel que l'imaginait Richelieu. Les plus habiles des porte-paroles du Cardinal, comme Cardin Le Bret, ont tenté de s'appuyer sur l'autorité de la loi romaine pour soutenir le pouvoir. Dans son ouvrage magistral, De la souveraineté, Cardin cite des sources romaines à l'appui de sa discussion de la propriété, qu'il relie à la doctrine du «plaisir du prince»; selon cette doctrine, le chef de l'Etat a le privilège d'imposer sa volonté à toute entité concrète ou abstraite soumise à son pouvoir, sans contrainte d'aucun tribunal. Il est clair que dans Lucrece Du Ryer se range parmi les adversaires de cette doctrine totalisante. Le viol de l'héroïne, que Collatin considère en premier lieu comme une possession, un objet de son droit, est une transposition sur plan intime des prétentions de Richelieu sur toute possession "privée" (J.F. Gaines, Perry Gethner, Lucrece : tragédie de Pierre Du Ryer (1638), 1994 - www.google.fr/books/edition, Cardin Le Bret, De la souveraineté du Roy, 1632 - www.google.fr/books/edition).

 

"Juges"

 

Quant au viol de Lucrèce, il Ă©tait, comme aime Ă  le rappeler Augustin, dans le droit fil du rapt des Sabines — bel exemple que celui de Romulus ! Mais c'est, surtout, son suicide qui sera, pour Augustin, l'occasion de disserter longuement. Le raisonnement, brièvement rĂ©sumĂ© ainsi, pourrait en surprendre plus d'un : lorsqu'un crime a Ă©tĂ© commis, les lois romaines interdisent d'exĂ©cuter le coupable sans l'avoir passĂ© en jugement; or, Lucrèce a Ă©tĂ© tuĂ©e; mais alors, comment juger la meurtrière, puisque c'est elle ?

 

Lucrèce, oui, Lucrèce, tellement cĂ©lĂ©brĂ©e, c'est elle la meurtrière de l'innocente Lucrèce, la chaste Lucrèce, Lucrèce la violentĂ©e ! Prononcez la sentence !

 

Qui sait, ajoute Augustin ? Peut-ĂŞtre s'est-elle, en fait, supprimĂ©e par le plaisir qu'elle aurait souhaitĂ© et Ă©prouvĂ©... ! (Patrice Cambronne, Saint Augustin. Un voyage au cĹ“ur du temps: 1. Une histoire revisitĂ©e, 2010 - www.google.fr/books/edition).

 

Sextus Tarquin, l'auteur connu du viol de Lucrèce, n'est ni jugé, ni condamné; c'est son père, totalement étranger à l'histoire, qui paye lourdement pour lui; Sextus n'est qu'indirectement touché, enveloppé dans l'exil qui, avec le roi, frappe l'ensemble de sa famille (S. Lojkine, Brutalités invisibles, Brutalité et représentation, 2006 - www.google.fr/books/edition).

 

Ce viol de Lucrèce allait donc signer la fin de la royautĂ© Ă©trusque, en dĂ©pit des efforts rĂ©itĂ©rĂ©s de Tarquin pour reconquĂ©rir le pouvoir : alliance avec le roi Ă©trusque de Clusium, Porsenna, qui tente de faire le siège de Rome et sera mis en Ă©chec par les cĂ©lèbres Horatius Coclès et Mucius Scævola — le «Borgne» et le «Gaucher», tels les dieux Odin et tor de la mythologie scandinave (Patrice Cambronne, Saint Augustin. Un voyage au cĹ“ur du temps: 1. Une histoire revisitĂ©e, 2010 - www.google.fr/books/edition).

 

Tarquin ne fut pas chassé du trône, parce que Sextus, son fils, avait abusé de Lucrèce, mais parce qu'il méprisa les lois, qu'il gouverna tyranniquement, ayant attiré à lui toute l'autorité dont il dépouilla le sénat, et parce qu'il détourna, pour la construction de son palais, les sommes que ce corps employait, à la satisfaction de tous, à l'embellissement des lieux publics : ce détournement des deniers de l'État avait singulièrement accru la haine du peuple contre lui. Ce prince détruisit ainsi presque au même moment toutes les libertés dont Rome jouissait sous ses anciens rois. Il ne se contenta pas d'offenser le sénat; il souleva contre lui le peuple, en l'employant à des travaux bien différents de ceux auxquels ses prédécesseurs l'avaient occupé jusque-là. Ainsi Rome entière, indignée de ses traits d'orgueil et de cruauté, était disposée à secouer le joug à la première occasion qui se présenterait. Si l'affront fait à Lucrèce n'en eût pas été une favorable, on aurait saisi avec le même empressement la première qui se serait offerte. En effet, si Tarquin s'était conduit comme les autres rois, et que Sextus, son fils, se fût rendu coupable de ce crime, Brutus et Collatinus se seraient adressés à Tarquin et non au peuple romain pour demander justice de son fils (Discours sur Tite-Live, Chapitre V) (Oeuvres politiques de Machiavel, 1853 - www.google.fr/books/edition).

 

On passe de la Lucrèce romaine à Lucrèce Borgia au quatrain suivant VI, 73. Roderic Borgia (1431-1503), pape sous le nom d'Alexandre VI, est le père de Lucrezia Borgia. On dit que Lucrezia Borgia aimait son frère Cesare. Sextus Tarquinus avait violé la chaste Lucrèce qui se donna la mort.

 

"peuple ignorant"

 

Les historiens qui parlent avec douleur ou avec mépris de la simplicité du peuple, de son ignorance, de sa bêtise, aux époques de despotisme et de barbarie, ne remarquent pas assez que cette lourdeur d'esprit a été un bienfait de la Providence; c'est à ces dehors obscurs que le peuple a dû de traverser les mauvais temps et d'endormir les soupçons de la tyrannie (Alphonse Esquiros, Histoire des Martyrs de la Liberté, 1851 - www.google.fr/books/edition).

 

De l'établissement des rois, en effet, jusqu'à leur expulsion, le chef unique ne fut occupé qu'à lutter contre les pères des familles (gentes) acharnés à lui disputer le pouvoir. Où la ruse échouait ils ne craignaient pas d'employer la violence, et la lutte était si ardente que sur sept rois les pères des familles en massacrèrent quatre et jetèrent le dernier à l'exil. La question de savoir qui aurait l'autorité était donc posée entre le chef de la ville entière et les chefs des curies : ceux-ci voulaient que le peuple leur obéit; mais ils ne voulaient pas obéir à un maître ou plutôt ils aspiraient tous à commander successivement. Grâce à l'attentat du fils de Tarquin, ils purent atteindre le but qu'ils poursuivaient depuis si longtemps. Déjà maitres de la majorité légale, puisque sur les cent quatre-vingt-treize centuries que formait le peuple romain ils en avaient quatre-vingt-dix-huit, ils recueillirent, par l'habileté de Brutus, tout le pouvoir des rois qu'on chassait. Dans cette circonstance comme toujours le peuple fut victime de son ignorance. Le patricien Brutus exaltait ses passions en brandissant le poignard teint du sang de Lucrèce; il réveillait adroitement la haine de la tyrannie qui dort dans le coeur du plus indifférent et tandis qu'il lui faisait jurer haine à la royauté, c'est-à-dire au despotisme d'un seul, il livrait ce peuple pour cinq cents ans pieds et poings liés au despotisme de trois cents familles (Mary Lafon, Rome dépuis l'établissement du Christiamism jusqú à nos jours, 1853 - www.google.fr/books/edition).

 

Acrostiche : PSIV, PS IV, psaume 4

 

In pace : Latin "en paix". Qualifie la conception chrĂ©tienne de la mort. Relatif au Psaume 4, 9 : «En paix, tout aussitĂ´t, je me couche et m'endors», («In pace in idipsum dormiam et requiescam»). Requiescat in pace : "qu'il repose en paix" (RIP) (Pascal-RaphaĂ«l Ambrogi, Le sens chrĂ©tien des mots: Noms propres et communs du catholicisme, 2017 - www.google.fr/books/edition).

 

Quelle diffĂ©rence entre Lucrèce et les chrĂ©tiennes outragĂ©es lors du sac de rome ! Totalement innocentes,

 

Elles n'ont pas vengé sur elles-mêmes le crime d'autrui, pour ne pas ajouter leur crime à ceux d'autrui

 

dociles qu'elles Ă©taient Ă  la règle divine qui interdit le suicide — d'oĂą un très long dĂ©veloppement du commandement divin : «tu ne tueras point» (Ex 20, 13), et les dĂ©rogations possibles, et tous les problèmes qu'elles posent (Patrice Cambronne, Saint Augustin. Un voyage au cĹ“ur du temps: 1. Une histoire revisitĂ©e, 2010 - www.google.fr/books/edition).

 

Typologie

 

Le report de 1979 sur la date pivot -509 donne -2997.

 

Epoque du second Caïnan (Nicolas Lenglet Du Fresnoy, Tablettes chronologiques de l'histoire universelle sacrée et prophane, ecclésiastique et civile, depuis la création du monde, jusq'à l'an 1743, Tome 1, 1744 - www.google.fr/books/edition).

 

Qui aurait été introduit arbitrairement dans la Septante et dans saint Luc, ou pour une raison inconnue (le bon plaisir) (Alfred Bonar, De La Concordance Entre Les Différentes Parties De L'Écriture Sainte, 1862 - www.google.fr/books/edition).

 

Le second Caïnan est mentionné au livre XVI et Lucrèce est traitée au livre I, dans la Cité de Dieu d'Augustin.

 

Le bon plaisir

 

«Le président de la République a dit “je veux”. Et les choses se sont faites.» (Françoise Giroud, La Comédie du pouvoir, 1979).

 

Élu au suffrage universel, le président de la République ne rend de comptes qu'aux Français. Sa seule limite, c'est celle qu'il se fixe lui-même. situations scandaleuses, étonnantes ou cocasses, qui en disent long sur la pratique monarchique du pouvoir (Béatrice Houchard, Le Fait du prince: petits et grands caprices des présidents de la Ve République, 2017 - www.google.fr/books/edition).

 

Le Bon Plaisir (1983) se présente comme la suite de La Comédie du pouvoir (Laure Adler, Françoise, 2011 - www.google.fr/books/edition).

 

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