Jubilés

Jubilés

 

VI, 77

 

1982

 

Par la victoire du deceu fraudulente,

Deux classes une, la revolte Germaine,

Le chef meurtry & son fils dans la tente,

Florence, Imole pourchassez dans Romaine.

 

"deceu fraudulente" : trompeur trompé

 

Le pape Alexandre VI est présenté comme le modèle du trompeur trompé par Machiavel (Innocent Gentillet, Discours sur les moyens de bien gouuerner & maintenir en paix vn royaume, ou autre principauté. Diuisez en trois parties: a sauoir, du Conseil, de la religion, & de la police que doit tenir vn prince. Contre Nicolas Machiauel, 1579 - books.google.fr).

 

"Chef meurtry"

 

Plusieurs hypothèses entourent la mort du pape Alexandre VI. En effet, le 6 août 1503, il aurait dîné avec son fils César chez le cardinal Adriano di Castello. Tous deux furent pris par la fièvre. La première hypothèse accorde ce mal à la malaria, très présente à Rome à cette époque. L'autre hypothèse est que le pape aurait voulu se débarrasser de certains de ses ennemis. Il aurait lui-même empoisonné le vin et serait donc tombé dans son propre piège (fr.wikipedia.org - Alexandre VI).

 

"victoire" et "Deux classes une"

 

En 1502, Jacopo Pesaro, évêque de Paphos (la Chypre actuelle) et commandant de la flotte papale, reconquiert l'île de Santa Maura, alors aux mains des Turcs. Il fait immortaliser cette victoire militaire dans une œuvre du Titien, détenue par le Musée d'Anvers, composée par Giovanni Bellini, le plus grand artiste vénitien de l'époque. Ténor de la Renaissance italienne, le Titien aura une énorme influence sur les artistes de son temps, mais aussi sur les générations suivantes, comme Rubens et van Dyck. D'un geste protecteur, le pape Alexandre VI recommande Jacopo Pesaro, agenouillé à côté de lui, à saint Pierre. Ce dernier lui donne sa bénédiction. À ses pieds gisent les clés du paradis. Pesaro tient en main une bannière sur laquelle figurent ses propres armoiries et celles du pape. Tout comme le casque au premier plan et les galères qui croisent en mer, cette bannière évoque sa victoire récente (www.kmska.be - Jacopo Pesaro).

 

Cette victoire confirme que "Deux classes une" signifie qu'une flotte navale remporte sur une autre comme dans le quatrain I, 85 (Victoire espagnole aux Açores).

 

"révolte germaine"

 

Avant la guerre des Paysans de 1525, de nombreuses révoltes ont lieu dans le Saint Empire germanique : Alsace,  1492 ; Spire, 1502 ; Alsace, Bade, Wurtemberg, vallée du Main, 1513 ; Wurtemberg, 1514 ; vallée du Rhin, 1517. C'est l'année où Martin Luther lance à Wittemberg ses 95 thèses sur les indulgences et déclenche le processus irréversible que l'histoire retiendra sous le nom de Réforme.

 

A l'occasion d'une nouvelle disette et d'une épidémie qui suscite un nouveau mécontentement dans les campagnes de l'Allemagne du Rhin supérieur cette fois, 7000 conjurés sous la conduite de Joss Fritz, tentent de ranimer le mouvement dans l'évêché de Spire en 1501. Le centre de l'organisation est à Untergrombach (entre Bruchsal et Weingarten) et ses ramifications s'étendent en descendant le Rhin jusqu'au Main et jusqu'au-delà du margraviat de Bade. Son programme contient, en plus des points déjà évoqués,  l'abolition du servage, la confiscation des biens ecclésiastiques et leur partage entre les gens du peuple. Par ailleurs, on déclare ne plus vouloir d'autre maître que l'empereur. Comme le Bundschuh alsacien,  il a son lieu de réunion secret, son serment de discrétion absolue, ses cérémonies d'admission et son étendard, qui porte l'inscription : "Rien que la justice de Dieu !". Le plan d'action est à peu près le même que celui des Alsaciens : on s'emparera par surprise de Bruchsal, où on organisera une armée qui sera ensuite envoyée dans les principautés environnantes. Mais les autorités sont informées de la conjuration et prennent immédiatement des mesures de représailles : l'empereur Maximilien édicte des ordonnances pour châtier l'entreprise des paysans, on rassemble des troupes et l'on procède à de nombreuses arrestations en Alsace et en Souabe. Des "armées" paysannes dispersées s'attroupent çà et là et tentent une résistance armée mais ne tiennent pas longtemps. Le calme revient. Calme apparent seulement, car le Bundschuh se réorganise dans le Brisgau (région de Fribourg) tandis qu'une nouvelle ligue se constitue en Souabe : le "Mouvement du Pauvre Konrad". Les deux conspirations – Bundschuh et Konrad - apparaissent au grand jour, peu de temps l'une après l'autre, au cours des années de 1513 à 1515 (guerres.paysannes.pagesperso-orange.fr - Bundschuh).

 

Après la mort d’Alexandre VI, le nouveau pape est Pie III, considéré comme neutre entre le parti des Borgia (César étant resté à Rome pour influer sur l'élection) et celui du cardinal Giuliano della Rovere, ennemi farouche de ces derniers. Mais Pie III meurt à peine un mois après son élection et, cette fois, della Rovere est élu sous le nom de Jules II, et fait tout pour affaiblir César. Alors que celui-ci se rend en Romagne pour mater une révolte, il est capturé près de Pérouse par Gian Paolo Baglioni, et emprisonné. Jules II va alors démembrer son domaine, soit en le rattachant aux États pontificaux (Imola), soit en rétablissant dans leurs droits ceux que César a chassés du pouvoir (Rimini et Faenza) (fr.wikipedia.org - César Borgia).

 

"Imole"

 

En 1499, le pape Alexandre VI décida de reprendre directement la domination des territoires pontificaux en Romagne. Cette tâche est attribuée à César Borgia qui, avec son armée, arrive à Imola le 24 novembre 1499. Pour éviter le saccage, les portes de la ville seront ouvertes par les habitants, ce qui permit à Borgia de s’emparer de la cité sans coup férir le 25 novembre. Catherine, réfugiée dans sa forteresse à Forlì, ne put qu’assister à l’évènement. Le 18 août 1503, après la mort d’Alexandre VI, César Borgia perdit son pouvoir un bref instant. Le nouveau pape, Jules II, obtint la restitution de la domination ecclésiastique sur Imola et son territoire. Après avoir confirmé les anciens statuts de la cité (concédés en 1334 par la famille Alidosi), le pape se montra favorable au rétablissement de la seigneurie des Riario-Sforza sur les châteaux d’Imola et Forlì, mais la population des deux cités s'y montrant opposée, la cité passa à Antonio Maria Ordelaffi, qui s’y établit le 22 octobre 1503. Le pontife procéda à une réorganisation institutionnelle et administrative et Imola entra dans la Province Romandiolæ, insérée dans le territoire de Ravenne. Comme pour les autres cités de la province, la dépendance directe au Saint-Siège se concrétisa par la nomination d’un gouverneur citadin externe à la communauté, directement nommé par Rome pour une année et résidant dans la cité. Le début de la domination directe de l’Église sur la communauté d’Imola fut établi par la Bulle d'or de Jules II le 4 novembre 1504 (aspect politico-administratif inchangé pendant trois siècles et demi, jusqu’à l’unification italienne, interrompue uniquement sous Napoléon). Le 3 décembre 1512, création de la fondation des monts-de-piété. Nicolas Machiavel, envoyé par la république florentine en mission diplomatique, séjourna dans la cité d’Imola.

 

Léonard de Vinci réalise le plan d’Imola en 1502, époque où il était au service de César Borgia (fr.wikipedia.org - Histoire d'Imola).

 

Dans l’effet de souffle des guerres d’Italie, les petits États tremblent sur leur base ; ils seront à qui s’en emparera hardiment. Insolent et véloce comme la fortune, César Borgia est de ceux-là. Le fils du pape donne audience à deux visiteurs à Urbino, au palais ducal, à la fin du mois de juin 1502. Le premier est un vieux maître que l’on nomme Léonard de Vinci, le second un jeune secrétaire de la Chancellerie florentine du nom de Nicolas Machiavel. De 1502 à 1504, ils ont parcouru les chemins de Romagne, inspecté des forteresses en Toscane, projeté d’endiguer le cours de l’Arno. Un même sentiment d’urgence les fit contemporains. Il ne s’agissait pas seulement de l’Italie : c’est le monde qui, pour eux, était sorti de ses gonds. Comment raconter cette histoire, éparpillée en quelques bribes ? Léonard ne dit rien de Machiavel et Machiavel tait jusqu’au nom de Léonard. Entre eux deux coule un fleuve (Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel - books.google.fr).

 

"dans la tente"

 

César Borgia, obtint, dit le père Anselme, en mai 1499, des lettres patentes de Louis XII, par lesquelles il fut adopté, lui et sa postérité, aux armes de France, avec permission d'en user en tous actes. Son sceau, en cire rouge, à la date du 16 mai de ladite année, représente un écu parti : au 1er un bœuf, et au 2e un fascé. Le 25 octobre suivant, l'écu est écartelé au 1er et au 4e de France, au 2e un bœuf, et au 5e un fascé. Le 15 juillet 1502, l'écu pareil au précédent, et sur le tout deux clefs mises en sautoir, surmontées d'un pavillon, au-dessus duquel est une pique. Le premier a pour légende: CESAR : BORGIA - DVX - VALENT. Le second, CESAR BORGIA - DE FRANCIA - DVX - VALENT. C'est uniquement par pure curiosité que j'ai transcrit ces notes du père Anselme, et parce qu'elles se rapportent à un personnage qui administra pendant quelques années l'Évêché d'Elne et l'Abbaye de Saint-Michel-deCuxa, à une époque antérieure, du reste, à l'année 1499. Si cette étude sigillographique n'était, par sa nature, en dehors de toute critique religieuse, ne serait-ce pas ici le cas de signaler l'hypocrite bulle du 3 des nones de juin 1494, par laquelle le pape Alexandre VI ayant le plus ferme espoir que le Seigneur dirigera les actes de son fils bien-aimé César, le nomme Abbé de Cuxa, avec la confiance que, grâce à son zèle, ce monastère sera utilement et heureusement dirigé, et en retirera de précieux avantages spirituels et temporels. » Heureusement, dit M. Alart, ce scélérat ne s'occupa jamais de son Abbaye que pour en recouvrer les revenus. Ajoutons qu'il eu fut de même de son Évêché d'Elne, dans lequel il ne fit jamais acte de présence, et où ses procureurs ou vicaires-généraux seuls agirent en son nom (E. de Fouchier, Iconographie de certains sceaux, Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales, Tome 13, 1865 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - Coat of Arms of Cesare Borgia).

 

Pendant ces cinq années, de 1498 à la fin de 1503, la vie du héros est une vie errante ; il passe de Rome à Naples, à Faënza, à Forli, à Urbino; tantôt il habite un palais, tantôt il vit sous une tente; il a dix capitales et pas un foyer : ses seuls compagnons sont des soldats comme lui, et si, parmi eux, il ne s'était trouvé des poètes, des chroniqueurs et un ingénieur militaire, homme de génie, qui a noté ses étapes à la suite de César, l'historien n'aurait pu tenir compte des péripéties de cette période de son existence fiévreuse, et l'épisode, si curieux, de la présence de Léonard au camp du Valentinois serait restée inconnu (Charles Yriarte, César Borgia, sa vie, sa captivité, sa mort, Tome 1, 1930 - books.google.fr).

 

Typologie

 

L’Eglise catholique reprend officiellement la notion d’année sainte ou jubilé sous le pape Boniface VIII qui l’institue le 22 février 1300, jour de la fête de la chaire de saint Pierre. L’indulgence plénière est accordée cette année-là à certaines conditions : être en état de grâce (après confession et absolution), avoir visité les basiliques de Rome, Saint-Pierre et Saint-Paul-hors-les-murs, promues alors basiliques majeures. Prévu à l’origine tous les cent ans, le deuxième jubilé a finalement lieu en 1350, puis à partir de 1450 tous les 25 ans. Le dernier jubilé a eu lieu en 2000 sous Jean-Paul II (www.aucoeurduchemin.org - Année jubilaire).

 

Alexandre VI avait compris tout le parti personnel qu'il pouvait tirer du jubilé de 1500, le huitième proclamé par l'Église, aussi le prépara-t-il avec le plus grand soin. Deux bulles relatives à cet événement furent publiées, l'une le 12 avril 1498 - Consueverunt... - et l'autre le 13 janvier 1499 - Pastoris æterni - pour en fixer les modalités. Toutes les autres indulgences et les dispenses furent supprimées afin d'obliger tous ceux qui en sollicitaient à se rendre à Rome. Cette mesure déplut au plus haut point aux Allemands qui protestèrent, ainsi qu'aux Vénitiens, lesquels entreprirent des démarches afin d'en être exemptés, mais sans succès. Un jubilé, cela signifiait rendre la Ville éternelle capable d'accueillir, une année durant, de grandes foules de pèlerins qui devaient y demeurer, au minimum quelques jours, la plupart du temps plusieurs semaines. Cela explique la date précoce à laquelle l'administration s'attela à la tâche - dès le début de l'année 1498. Les ponts sur le Tibre furent inspectés et renforcés là où cela parut nécessaire. Les voies d'accès aux quatre basiliques - Saint-Pierre, Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie-Majeure et Saint-Paul-Hors-les-Murs - furent nettoyées ainsi que les parvis de ces églises d'où l'on chassa les mendiants et les marchands qui d'habitude les encombraient. Un grand coffre fut commandé pour recueillir les dons des pèlerins ainsi que les sommes dont ils devraient s'acquitter pour être dispensés des obligations qu'ils ne parviendraient pas à remplir - en particulier celle, pour gagner l'indulgence plénière, de visiter trente fois les quatre basiliques si on habitait Rome et quinze fois si l'on était étranger. Une garde nocturne fut instaurée avec mission de veiller à ce qu'aucun acte indécent ou malhonnête ne fût commis dans les basiliques puisque celles-ci demeureraient ouvertes toute la nuit (Raphaël Carrasco, La famille Borgia: Histoire et légende, 2017 - books.google.fr).

 

Jean-Paul II reprend aussi à son compte la tradition de l'indulgence à l'occasion d'une année sainte dans la bulle d'indiction du jubilé extraordinaire commémorant le mille neuf cent cinquantième anniversaire de la mort et de la résurrection du Christ. Le 23-12-1982, s'adressant aux membres de la Curie, il s'arrête uniquement à la communion des saints. Ce jubilé dit-il nous mettra en communication «avec la richesse incomparable des mérites et des souffrances que les martyrs et les saints ont amassés au long de l'histoire ancienne et récente» et qui, unis à ceux du Christ, constituent «un trésor dont l'Église vit et qui soutient la foi de tous». Dans la bulle Aperite portas Redemptori, du 6-1-1983, il attire l'attention sur «le don de l'indulgence caractéristique de l'Année jubilaire que l'Église (...) offre à tous ceux qui accomplissent les prescriptions du Jubilé». Ce don, précise-t-il, permet aux fidèles «d'accéder au don total de la miséricorde de Dieu», il «n'est pas séparable de la vertu ni du sacrement de pénitence». Aussi, pour l'accorder, l'Église «exige qu'il y ait la pleine disponibilité et la purification intérieure nécessaire». Le pape espère que l'Esprit Saint conduira les fidèles toujours davantage à éviter le péché et à chercher à le réparer pour soi-même et pour les autres, en acceptant les souffrances quotidiennes et en s'adonnant aux diverses pratiques jubilaires, car le péché est une offense faite à Dieu, qui demande à être convenablement expiée dans cette vie ou dans l'autre (Maurice Simon, La célébration du mystère chrétien dans le catéchisme de Jean-Paul II, 2006 - books.google.fr).

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