L'empire européen

L'empire européen

 

VI, 93

 

1993-1994

 

Prélat avare d'ambition trompé,

Rien ne sera que trop viendra cuider

Ses messagers et lui bien attrapé,

Tout au rebours voit qui le bois fendrait.

 

Mazarinade

 

Les termes du quatrain sont dignes des mazarinades comme dans le quatrain II, 30 qui comparerait le cardinal Mazarin Ă  Annibal.

 

Les détracteurs du cardinal ont déployé autant d'imagination que de mauvaise foi pour prêter à son père des professions peu reluisantes, telles que vendeur d'huîtres à l'écaille, curé de village, pirate, fendeur de bois, commerçant en faillite, palefrenier, et bien d'autres métiers encore (Simone Bertière, Mazarin, le maître du jeu, 2007 - books.google.fr, Gabriel Naudé, Jugement de tout ce qui a esté imprimé contre le Cardinal Mazarin, 1650 - books.google.fr).

 

Cet homme de qui la science

Est Ă©gale Ă  la conscience :

Et pour le dire, en bon François,

Ce cerueau de fendeur de bois

N'ayant trouué dans la practique

De sa sublime politique.

Dequoy se conseruer le droit,

Qu'en cerencontre il pretendoit

Sortit, & par rodomontade

Fit vn ris Ă  la saint Medarde,

Tandis qu'aiustant son chapeau

Son cœur luy creuoit en la peau,

Comme depuis il fit paroistre

Quand debout prés d'vne fenestre

Auec ses gestes de fendant

Il disoit Ă  son confident;

Mondain, i'enrage je deteste,

Quoy ce Parlement peu modeste (Recit de ce qui s'est passe a la conference de Ruel, ou se void le sujet du retardement de la paix, cause par Mazarin etc, 1649 - books.google.fr).

 

Un thème fréquent des Mazarinades oppose l'avarice de Mazarin au soutien généreux que le Cardinal de Richelieu accordait aux gens de lettres et il était de bonne guerre alors de dauber sur la ladrerie et la cupidité "du Mazarin", telle la Mazarinade de 1651 qui donne du "raquedenaze" au Cardinal ("racle denaze" selon Furetière, 1690) (Yvette Saupé, Les murs de Troye ou l'origine du burlesque des Frères Perrault et de Beaurain, Livre 1, 2001 - books.google.fr).

 

"attrapé"

 

"mazarinade" a Ă©tĂ© formĂ© comme "trivelinade", "turlupinade" ou "tabarinade", c'est un tour de farceur, une facĂ©tie de bateleur, une singerie de bouffon. C'est bien ce sens que l'on retrouve dans plusieurs pièces publiĂ©es lors du premier dĂ©part en exil de Mazarin en fĂ©vrier 1651, et c'est de ce sens de facĂ©tie ou d'attrape de farceur qu'on est passĂ© Ă  celui de mauvais tour, de combine, de fourberie du ministre : «Je reviens Ă  ses autres mazarinades», Ă©crit Ă  la fin d'une digression l'auteur du RĂ©veille-matin de la Fronde royale; et celui du Troisième combat donnĂ© devant Etampes estime que Mazarin ne rĂ©ussira jamais Ă  prendre la ville «à moins qu'il n'y pratique quelque intelligence secrette, dont pourtant on se donnera bien de garde, mais il est accoustumĂ© Ă  de semblables Mazarinades». Cet emploi du mot au sens de vilain tour ou de mensonge n'est pas l'apanage des pamphlĂ©taires, on le trouve dans la bouche de tous les contemporains. [...]

 

C'est l'Ă©volution du mot mazarinade du sens d'attrape de farceur vers celui de livret satirique qui semble avoir entraĂ®nĂ© par rĂ©currence une Ă©volution analogue de tabarinade. Par exemple dans dans Le Cardinal errant ([634], Mazarine, M 10703, p. 5) : «C'estoit lĂ  sa pantalonnade, / Sa dernière Mazarinade»; le sens voisin de vilain tour de passe-passe, de tricherie aux dĂ©s s'impose dans ces vers du CarĂŞme-prenant du Cardinal Mazarin ([640], Mazarine, M 10705, p. 4) : «Les masques Ă  la promenade / Nomment vne Mazarinade Ce que l'on appelle vn mommon» ; le mommon, d'après Furetière, est le «dĂ©fi d'un coup de dez, qu'on fait quand on est deguisĂ© en masque» (Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653), Tome 1 : les Mazarinades, 1989 - books.google.fr).

 

Cf. "venuste" du quatrain précédent VI, 92, pourquoi pas un coup de dés (6 6 6 pour 1666) ?

 

"messagers"

 

La Fronde (1648-1653), est une période de troubles graves qui frappent le royaume de France pendant la minorité de Louis XIV (1643-1656), alors en pleine guerre avec l’Espagne (1635-1659). Cette période de révoltes marque une brutale réaction face à la montée de l’autorité monarchique en France commencée sous Henri IV et Louis XIII, renforcée par la fermeté de Richelieu et qui connaît son apogée sous le règne de Louis XIV. Après la mort de Richelieu en 1642, puis celle de Louis XIII en 1643, le pouvoir royal est affaibli par l'organisation d'une période de régence, par une situation financière et fiscale difficile due aux prélèvements nécessaires pour alimenter la guerre de Trente Ans, ainsi que par l'esprit de revanche des grands du royaume subjugués sous la poigne de Richelieu. Cette situation provoque une conjonction de multiples oppositions aussi bien parlementaires, qu’aristocratiques et populaires.

 

L'historiographie a pris l'habitude de distinguer plusieurs phases : la première correspond Ă  l’opposition des cours souveraines (fronde parlementaire, 1648-1649) ; la seconde Ă  l’opposition des Grands (fronde des princes, 1651-1653). Ă€ ce titre, elle peut ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme la dernière grande rĂ©volte nobiliaire du XVIIe siècle.

 

La politique de rapprochement avec quelques anciens frondeurs (Gondi, Beaufort, le marquis de Châteauneuf) menée par Mazarin se fait contre la famille de Bourbon-Condé (Condé qui prétendait à prendre part au gouvernement, Conti et leur beau-frère Longueville, époux de leur sœur). Ce retournement ouvre une nouvelle phase d'agitation appelée Fronde des princes. L'arrestation des princes de Condé et de Conti et de leur beau-frère le duc de Longueville est un coup de théâtre (18 janvier 1650). Ils sont emprisonnés au château de Vincennes. L'événement provoque le soulèvement de leurs clientèles et par conséquent, celui de leurs provinces.

 

Gaston d'Orléans rend publique sa rupture avec Mazarin le 2 février 1651. Les deux frondes s'unissent. Le Parlement réclame la liberté des princes, ordonne aux maréchaux de n'obéir qu'à Monsieur, lieutenant-général du royaume (Gaston d'Orléans) (fr.wikipedia.org - Fronde (histoire)).

 

Au cours de la nuit du 6 au 7 fĂ©vrier 1651, Mazarin quittait le Palais-Royal, et après l'Ă©chec de sa tentative de conciliation avec les princes, qu'il Ă©tait allĂ© lui-mĂŞme libĂ©rer dans la citadelle du Havre, il ne lui restait plus qu'Ă  prendre le chemin de l'exil. Une modeste suite de familiers, de domestiques et de bagages l'escortaient vers les frontières. Fidèles parmi les fidèles, d'Artagnan et Besmaux demeuraient Ă  ses cĂ´tĂ©s. Avaient-ils vraiment le choix, puisque leur sort Ă©tait celui du cardinal ? En tout cas, les voici l'un et l'autre, au cours de ce triste hiver de l'an 1651, Ă©missaires du banni en quĂŞte d'une terre d'accueil. Dans les premiers jours d'avril, Mazarin, qui se trouve Ă  Aix-la-Chapelle, envoie d'Artagnan Ă  Bonn, auprès de Maximilien de Bavière archevĂŞque-Ă©lecteur de Cologne, afin de lui demander «quelque chasteau» pour sa retraite. Ambassadeur efficace, d'Artagnan pouvait ĂŞtre fier du succès de sa mission. Quelques jours plus tard, en effet, Mazarin, accueilli comme un prince, s'installait au château de BrĂĽhl, Ă  deux lieues de Cologne. Il y sĂ©journera d'avril Ă  novembre 1651, restant en relations avec la reine, avec les ministres Hugues de Lionne, Le Tellier, Servien et Colbert, ainsi qu'avec ses partisans restĂ©s en France, cela grâce Ă  ses messagers qui, bravant tous les dangers, faisaient la navette entre BrĂĽhl et Paris (Odile Brel-Bordaz, D'Artagnan, mousquetaire du roi: sa vie, son Ă©poque, ses contemporains, 1995 - books.google.fr).

 

D'Artagnan était un des messagers de Mazarin, lui qui mourut au siège de Maëstricht en 1673 d'une balle dans la tête (cf. quatrain précédent VI, 92) (Alain Joly, La forteresse de Montrond, 2013 - books.google.fr).

 

D'autres messagers : le rĂŞve impĂ©rial déçu (?)

 

L'uniformité du système autrichien ramenait périodiquement les mêmes scènes. Comme chaque empereur faisait reconnaître de son vivant un roi des Romains, les vacances de l'empire n'étaient que simulées, et un redoutable ascendant maîtrisait toujours la diète électorale. Ferdinand III ne manqua pas de faire pour son fils ce que Ferdinand II avait fait pour lui. Le fugitif Mazarin, à peine revenu de son exil, ne put opposer qu'une résistance mal concertée. M. de Vautorte arriva en Allemagne pour être témoin de l'événement qu'il devait prévenir. Mais ce triomphe eut peu de durée. Le nouveau roi des Romains mourut au bout de quelques mois, et l'empereur s'efforça de reporter le choix des princes sur Léopold, son second fils. Mazarin, plus aguerri, dépêcha MM. de Lombres et de Gravel vers ce nouveau champ d'intrigues, suscita tant d'obstacles, et manœuvra si habilement, que Ferdinand mourut le a avril 1637, sans avoir accompli son dessein, et laissant son fils Léopold, roi de Bohême et de Hongrie, âgé de dix-sept ans, c'est-à-dire plus jeune de deux années que Louis XIV. Il y eut réellement alors une vacance de l'empire, et la lutte entre les candidats devint plus égale. Le cardinal Mazarin unissait à des vues hardies, des volontés faibles, et se livrait d'autant plus à l'audace de son imagination, que ne s'avançant jamais que par des routes obliques, il faisait facilement retraite devant les obstacles. Il avait à choisir, dans la circonstance, ou la témérité de François Ier, ou la prudence de Richelieu; mais son caractère, ennemi des moyens décisifs, aima mieux onduler entre ces deux partis, masquer son but véritable, et s'y faire pousser, en affectant de le fuir. Il se plut d'ailleurs à multiplier les fils de sa trame, et il joignit d'abord à ses deux premiers agents, quatre autres négociateurs, MM. Servien, Blondel, de Vagnée, et le prince de Hombourg. [...]

 

On aurait tort de reprocher Ă  la politique française les moyens vils et tortueux qu'on a vu Mazarin mettre en Ĺ“uvre dans cette nĂ©gociation. Cet Ă©tranger, rĂ©gnant en maĂ®tre absolu, et dĂ©daignant les procĂ©dĂ©s plus honorables de notre cabinet, introduisait dans toutes les affaires les vices de son naturel, et un batelage italien dont il tirait vanitĂ©. Je crois aussi qu'il ne serait pas juste d'apprĂ©cier les talents de ce ministre par ses petitesses d'exĂ©cution, parce que ce n'est pas la grandeur des ressorts, mais celle des rĂ©sultats, qui constitue la gloire des hommes d'Ă©tat, et qu'Ă  cet Ă©gard la supĂ©rioritĂ© de Mazarin, mĂŞme sur son prĂ©dĂ©cesseur, est incontestable. Sans quitter la matière qui nous occupe, ne le vit-on pas rendre les dĂ©bris de sa dĂ©faite plus utiles qu'un succès, et de cette couche de corruption dont il avait jonchĂ© les cours d'Allemagne, faire sortir la ligue du Rhin ? C'Ă©tait l'art de donner la vie aux clauses les plus habiles des traitĂ©s de Westphalie, et de mettre en action tout-Ă -la-fois l'indĂ©pendance des princes allemands, et le droit de protection rĂ©servĂ© Ă  la France sur les libertĂ©s germaniques. Une telle opĂ©ration, conforme aux idĂ©es de paix et d'Ă©quilibre, valait mieux sans doute que le projet perturbateur d'aller chercher au-delĂ  du Rhin une couronne Ă©phĂ©mère, et de tenter un alliage de deux pouvoirs incompatibles, qui eĂ»t Ă©tĂ© probablement aussi funeste Ă  la France qu'Ă  l'Allemagne. (Pierre-Édouard Lemontey, Essai sur l'Ă©tablissement monarchique de Louis XIV, 1818 - books.google.fr).

 

Les Bourbons, arrivĂ©s au pouvoir Ă  la mort de Henri III, ne furent pas moins sensibles que les derniers Valois aux miroitements de la couronne impĂ©riale. La possibilitĂ© de la candidature d'Henri IV fut envisagĂ©e en 1600 face Ă  celle possible de Philippe III, roi d'Espagne. En 1631, circulait le bruit que Louis XIII Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă  se faire Ă©lire. L'Ă©ventualitĂ© pour les princes catholiques d'Allemagne de pousser une candidature française face Ă  celle, Ă©ventuelle, du roi de Suède Gustave-Adolphe Ă©tait Ă  l'origine de cette fausse rumeur. Selon Zeller, «l'ambition impĂ©riale paraĂ®t avoir sommeillé» sous Louis XIII. «Ni le souverain, un timide et un paisible, ni son ministre, un grand rĂ©aliste, n'Ă©taient hommes Ă  la rĂ©veiller» (Aspect de la politique française sous l'ancien rĂ©gime, p. 79). Le Roi-Soleil ne fut non plus jamais candidat officiel Ă  l'Empire. Mazarin, en 1654 et en 1658, en avait cependant avancĂ© l'idĂ©e. Louis XIV lui-mĂŞme y songea en 1662, avec le projet de devenir membre du collège des Ă©lecteurs par son accès au marquisat de Nomeny, lequel faisait partie du Saint Empire. C'est Ă  l'occasion de la candidature Ă©voquĂ©e de Louis XIV au trĂ´ne impĂ©rial en 1658 que Mazarin mit sur pied Ă  Paris une vĂ©ritable «campagne de presse» destinĂ©e Ă  soutenir les prĂ©tentions du jeune roi Ă  la couronne fermĂ©e. Le Manifeste des Français aux Princes Électeurs, rĂ©digĂ© en 1657 sous les ordres du cardinal, prĂ©senta Louis XIV comme le dĂ©fenseur des princes allemands face Ă  l'ambition dominatrice de la maison d'Autriche. Le Manifeste se rĂ©pandait en flatteries en direction des princes Ă©lecteurs afin de les rallier au projet. La passion des Allemands pour la libertĂ© et leur hostilitĂ© Ă  toute domination Ă©trangère y Ă©taient cĂ©lĂ©brĂ©es, ainsi que le rĂ´le Ă©minent des princes-Ă©lecteurs, contrepoids naturel aux vellĂ©itĂ©s autoritaires de l'empereur. Le manifeste s'en prenait violemment Ă  la candidature de Philippe IV, roi d'Espagne, qui, une fois Ă©lu, soumettrait l'Empire aux intĂ©rĂŞts de l'Espagne, Ă©toufferait les libertĂ©s des princes allemands et annexerait leur Etat Ă  ses domaines patrimoniaux. Que les Allemands, qui sont indĂ©fectiblement attachĂ©s Ă  la libertĂ© et Ă  l'indĂ©pendance, prennent garde de ne pas connaĂ®tre un jour le mĂŞme sort que les indigènes d'AmĂ©rique, ou le destin tragique des Pays-Bas ! L'Ă©lection du puissant roi français au trĂ´ne impĂ©rial constituait l'unique gage du rĂ©tablissement des prĂ©rogatives des princes et de la sauvegarde des «libertĂ©s germaniques». Cependant les violences de la guerre de la ligue d'Augsbourg enterrèrent tout projet de candidature. Louis XIV fut le dernier roi Ă  convoiter la dignitĂ© impĂ©riale. Après lui, on ne parle plus de candidature française Ă  l'Empire. Selon Jacques RidĂ©, «force est de constater qu'il s'est agi lĂ  d'aspirations et de rĂŞves auxquels la rĂ©alitĂ© n'apporta jamais mĂŞme un dĂ©but de rĂ©alisation : aucun roi de France ne parvint Ă  ceindre la couronne impĂ©riale. François Ier mis Ă  part, les chances de nos rois furent toujours plus thĂ©oriques que vraiment sĂ©rieuses» (L'image du Germain, t. 1, p. 83). Les candidatures virtuelles Ă  l'Empire reflĂ©taient les prophĂ©ties impĂ©riales dans les domaines politiques et diplomatiques. Les Ă©crits prophĂ©tiques et les panĂ©gyriques rĂ©digĂ©s aux XVIe-XVIIe siècles tĂ©moignent que la perspective d'un avènement du roi de France Ă  l'Empire gardait toute sa fascination pour les sujets du royaume, malgrĂ© ses faibles chances de voir le jour (Alexandre Y. Haran, Le lys et le globe: messianisme dynastique et rĂŞve impĂ©rial en France Ă  l'aube des temps modernes, 2000 - books.google.fr).

 

"voir qui le bois fendroit" : L'EcclĂ©siaste

 

«Malheur Ă  toi, terre, dont le prince est un enfant, et dont les princes mangent dès le matin», lit-on dans l’ÉcclĂ©siaste (X, 16). Le constat biblique, teintĂ© de malĂ©diction, n’était pas de nature Ă  surprendre les Français du temps des premiers Bourbon, qui ne connaissaient que trop bien les malheurs engendrĂ©s par les minoritĂ©s royales et par le vide politique qui s’ensuivait. De 1610 Ă  1723, trois fois de suite, la terre de France eut un enfant-roi. Pendant des annĂ©es le pays fut ainsi suspendu aux nouvelles de la santĂ© des jeunes Louis (XIII, XIV et XV), les yeux rivĂ©s sur les mystĂ©rieux jeux de pouvoir qui se tissaient autour d’eux, parfois dĂ©chirĂ© par des conflits armĂ©s et, en tout cas, saisi d’inquiĂ©tude : pourvu qu’il survive, sera-t-il un bon roi ? Sa race royale et la certitude d’une Ă©lection divine le laissaient bien prĂ©sager, mais l’essentiel restait de bien l’éduquer, de lui forger une âme Ă  la fois fière et charitable, de faire qu’il abhorre le despotisme (qu’il «ne mange dès le matin»), et qui puisse se vouer entièrement au bien commun (Diego Venturino, L'Ă©ducation de Louis XV, Histoire de l'Education N° 132, 2011 - journals.openedition.org).

 

La phrase biblique tirĂ©e de l'ÉcclĂ©siaste va connaĂ®tre une fortune particulière tout au long du grand siècle ; la France entière va entonner Ă  l'unisson la vĂ©ritĂ© divine : VanitĂ© des VanitĂ©s, tout est VanitĂ©. Jamais une Ă©poque ne fut autant soumise Ă  la tentation du luxe, du pouvoir des apparences et ne l'a autant dĂ©noncĂ©e. Partout, la vanitĂ© se retrouve, dĂ©passant très rapidement le contexte religieux pour se «sĂ©culariser» au dĂ©tour d'un texte de loi, d'un portait d'une maĂ®tresse royale, de la dĂ©nonciation morale sous la forme littĂ©raire du «caractère» ou d'une lettre. Socialement, c'est Ă  l'aristocratie que ce discours de l'angoisse mĂ©taphysique et morale s'adresse. Car c'est elle qui est la plus touchĂ©e par les valeurs de l'apparence. Tout au long du XVIIe siècle, les aristocrates perdent leurs terres, leur pouvoir politique, leur fortune largement hypothĂ©quĂ©e, leur raison d'ĂŞtre. Robert Mandrou le souligne justement : les nobles français doivent faire face Ă  une situation Ă©conomique sans cesse empirant. Derniers remparts : les mariages avantageux avec des filles de financiers ou l'illusion des apparences que donne le luxe achetĂ© Ă  lourd crĂ©dit (Didier Course, D'or et de pierres prĂ©cieuses: les paradis artificiels de la contre-rĂ©forme en France (1580-1685), 2005 - books.google.fr).

 

L'autoritarisme politique d'un Richelieu ou d'un Louis XIV n'avait pas encouragĂ© l'indĂ©pendance du discours politique. Pour encore un certain temps, ce dernier fut sous-tendu par le discours religieux. Après l'Ă©chec politique de la RĂ©forme en France, les huguenots ne furent plus en Ă©tat de constituer une opposition politique. Le jansĂ©nisme, rĂ©formisme restĂ© orthodoxe bien qu'ayant fait siennes les principales critiques disciplinaires des protestants, fut le vĂ©hicule des principales critiques contre l'absolutisme. PhĂ©nomène purement religieux au dĂ©part, il devint, par l'adhĂ©sion importante de l'aristocratie Ă©clairĂ©e des parlementaires, le moyen de montrer son opposition Ă  une concentration du pouvoir jugĂ©e excessive. Il serait faux de parler alors d'un jansĂ©nisme politique homogène. Il y eut plusieurs formes de jansĂ©nisme politique, autant sans doute que les intĂ©rĂŞts ou groupes d'intĂ©rĂŞts qui poussaient Ă  se dire jansĂ©niste. Mais une des caractĂ©ristiques communes, et sans doute la principale, fut le mĂ©pris Ă©litiste de toutes les satisfactions que procure le monde. Chez les Ă©crivains jansĂ©nistes, et bien sĂ»r chez Blaise Pascal (1623-1662) qui, pour ĂŞtre le principal, ne fut pas le seul, l'EcclĂ©siaste Ă©tait toujours en filigrane. Le plus extrĂŞme d'entre eux, Martin de Barcos (1600-1678), professa une Ă©tonnante misanthropie et le refus de tout lien avec les pouvoirs. Le jansĂ©nisme, comme d'ailleurs le baroque, percevait les vanitĂ©s de la dĂ©rĂ©liction humaine Ă  travers la rĂ©alitĂ© luxueuse du monde qui Ă©tait le sien. En cela, il fut l'expression d'un mĂ©pris aristocratique, car pour ĂŞtre revenu de tout, il faut au moins y ĂŞtre allĂ©. Ceux qui dĂ©nonçaient l'inanitĂ© des honneurs et des pouvoirs Ă©taient ceux-lĂ  mĂŞmes qui Ă©taient issus d'un milieu qui les dĂ©tenait ou les avait dĂ©tenus. Ils dĂ©nonçaient donc aussi bien les prĂ©tentions nobiliaires (Pascal se moque de ce que le commun croit que les nobles sont d'une essence diffĂ©rente) que la théâtralisation du pouvoir politique ou des cĂ©rĂ©monies religieuses. Mais leur discours n'Ă©tait pas rĂ©volutionnaire pour autant. Leurs critiques Ă©taient destinĂ©es Ă  la catĂ©gorie des gens suffisamment favorisĂ©s intellectuellement et socialement pour ĂŞtre capables de tenir un discours dĂ©nuĂ© d'envie comme d'utopie idĂ©aliste. Ainsi, le monde n'Ă©tait que vanitĂ©, théâtre dĂ©risoire des ambitions humaines, et tout ce qu'elles suscitaient (royautĂ©s, noblesses, lois...) n'Ă©tait que des miroirs les renvoyant Ă  leur propre vacuitĂ©. Dès 1636, Pedro CalderĂłn de la Barca (1600-1681) avait Ă©crit La vie est un songe, mais cette luciditĂ© sur le rĂŞve Ă©veillĂ© de l'humanitĂ© devait rester celui d'une Ă©lite Ă  la fois suffisamment intelligente pour ne pas sombrer dans la rĂ©volte et suffisamment chrĂ©tienne pour accepter les desseins de Dieu. Pascal est très explicite Ă  cet Ă©gard : «Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y obĂ©it qu'Ă  cause qu'il les croit justes» ou bien : «La coutume ne doit ĂŞtre suivie que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste.» Les jansĂ©nistes n'attendaient donc rien de la politique, car ils n'attendaient rien de la nature humaine (Alain Blondy, Nouvelle histoire des idĂ©es, 2018 - books.google.fr).

 

Des MĂ©moires politiques sur l'Estat prĂ©sent de la France, sans date, ni indication d'origine montrent que la pensĂ©e de la rĂ©vocation de l'Edit de Nantes Ă©tait plus ancienne qu'on ne le croit communĂ©ment, dĂ©jĂ  dĂ©battue dans les conseils dĂ© la monarchie sous le ministère de Mazarin, entre les deux Frondes (1649-1651). C'est la date approximative qui ressort du passage sur la conduite Ă  tenir Ă  l'Ă©gard des protestants: «Il faut les faire escrire contre le parricide des Anglois, et respondre Ă  Milton. On vous en donnera le moyen : une petite subvention.»

 

L'Estat a présentement deux maux à craindre. L'un est la guerre ouverte, et l'autre la rébellion et le soulèvement du peuple qui se trame secrètement. Sur l'un et sur l'autre il faut observer les axiomes et maximes de Salomon au chapitre X de l'Ecclésiaste, qui est le livre de la divine politique.

 

Sur le premier (Ecc. X,10) il dit : Si le fer est rebouchĂ© et si son tranchant n'est bien afilĂ©, il faut beaucoup plus de force pour couper, et l'adresse de la sapience donne un grand avantage. C'est-Ă -dire que pour bien faire la guerre, il faut joindre la prudence avec la force et qu'on fait autant ou plus par stratagèmes que par le fer et par le feu.

 

Sur l'autre (Ecc. X,11-12) il prononce que si le serpent mord c'est qu'il n'a point été enchanté, et l'homme de la langue n'a pas fait son devoir. C'est-à-dire que, pour empêcher les rébellions et soulèvements du peuple, il se faut servir de ceux qui luy parlent, qui par leur instruction, leur remontrance et leur persuasion le charment, le ramènent dans le devoir et l'y font contenir.

 

En France, le peuple est divisé en deux par le scisme que ceux de la religion prétendue y ont fait d'avec les catholiques.

 

Pour contenir le peuple catholique dans son devoir et dans une parfaite obéissance et subjection, il faut employer les prélats et les curez qui, par les prônes, sermons, confessions, excommunications, catéchismes, processions, prières, jubilez, livres de dévotion recommandez par eux, et par autres actes religieux, peuvent tout sur l'esprit du peuple. C'est pourquoy. il faut bien penser et aviser aux personnes à qui on commet telles charges.

 

Ceux de la R. P. R. sont beaucoup plus Ă  redouter parce qu'ils sont ennemis de l'Estat monarchique tant ecclĂ©siastique que temporel, enclins Ă  l'ochlocratie et Ă  l'Ă©galitĂ© rĂ©publicaine. Vous avez devant vos yeux l'exemple d'Angleterre ; et on se doibt ressouvenir des assemblĂ©es du Languedoc qu'ils nommoient cercles de l'annĂ©e 1622 et de plusieurs autres. troubles qu'ils ont causĂ©s en France.

 

Il ne les faut point irriter, mais les gouverner doucement par leurs ministres et par les chambres mi-parties; et fascher Ă  les ramener dans la communion de l'Eglise avec les catholiques pour le bien de l'Estat et de l'Eglise ; ce qui rĂ©ussira dans peu de temps si on y veut fere ce que l'on doibt et qu'on vous dira. Pour les chambres mi-parties on vous en entretiendra de vive voix quand vous voudrez. Quant Ă  leurs ministres, il les faut manier avec mĂ©thode et les considĂ©rer en gĂ©nĂ©ral et en particulier (Les prĂ©liminaires de la RĂ©vocation de l'Edit de Nantes, Bulletin de la SociĂ©tĂ© de l'Histoire du Protestantisme Français, Volumes 19 Ă  20, 1871 - books.google.fr).

 

Ecclesiaste X,7. J'ai vĂ» les esclaves Ă  cheval, & les Princes marcher Ă  pied comme des esclaves.

8. Qui creuse la fosse, y tombera; & qui rompt la haye, sera mordu du serpent.

9. Qui transporte les pierres, en sera meurtri; & qui coupe le bois, en sera blessé.

10. Si le fer s'Ă©mousse, & qu'après avoir Ă©tĂ© Ă©moussĂ©, il se rebrousse encore, on aura bien de la peine Ă  l'Ă©guiser : ainsi la sagesse ne s'acquiert que par un long travail.

 

QUI SCINDIT LIGNA, VULNERABITUR AB EIS. Qui coupe le bois, en fera blessé. Celui qui met la coignée dans une forêt, où il n'a pas droit de couper, se blessera par la chûte de quelque arbre, ou par son propre fer. La précipitation, & la crainte d'être surpris lui feront faire quelque coup d'étourdi; ou Dieu permettra qu'il se blesse, pour le punir de son vol. Chacun doit éviter le vol, & l'usurpation du bien d'autrui. On doit demeurer dans les bornes de son état, & de sa jurisdiction; ne point porter sa faulx dans la moisson d'un autre, ni sa coignée dans une forêt étrangére. D'autres l'expliquent de ceux qui font des entreprises téméraires, & périlleuses, ou qui se soulévent contre leur Prince, ou qui excitent des brouilleries dans l'Etat (Augustin Calmet, Commentaire litteral sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, Tome 5, 1726 - books.google.fr).

 

CELUI QUI FEND DU BOIS, S'EXPOSE A EN ĂŠTRE BLESSÉ : Fendre, couper du bois, c'est CHERCHER Ă  renverser la fortune d'autrui ou Ă  exciter des brouilleries dans l'Etat (JĂ©rĂ´me d'Arras, Louis de Poix, SĂ©raphin, L'EcclĂ©siaste de Salomon, traduit de l'Hebreu en latin et en françois, 1771 - books.google.fr).

 

"rebours"

 

Antoine Rebours, nĂ© Ă  Paris en 1592, prĂŞtre en 1642, avait Ă©tĂ© chargĂ© par Saint-Cyran de la direction des religieuses de Port-Royal, qu’il confessa jusqu’en 1661 ; il rĂ©sida chez le prĂ©sident de Blancmesnil, oĂą il mourut le 16 aoĂ»t 1661 (Jean Lesaulnier, Nicolas Choart de Buzenval, Ă©vĂŞque de beauvais (1611-1679), - www.amisdeportroyal.org).

 

Le prĂ©sident de Novion et le prĂ©sident de Blancmeny Ă©toient de la paroisse de Retz, coadjuteur de Paris ; il avoit par lĂ  de l'accès auprès d'eux, et c'Ă©toit par luy qu'on les gouvernoit. Ils avoient l'un et l'autre de l'animositĂ© contre le cardinal. Blancmeny, fils du secrĂ©taire d'État d'Oncaire, qui avoit eu pour prĂ©cepteur un nommĂ© Rebours, grand jansĂ©niste, et dont le cadet Ă©toit Ă©levĂ© par Herman, plus entĂŞtĂ© encore que Rebours, se mit Ă  la tĂŞte de tous les frondeurs de la robe pour aigrir les esprits contre le ministre (MĂ©moires du P. RenĂ© Rapin de la Compagnie de JĂ©sus sur l'Ă©glise et la sociĂ©tĂ©, la cour, la ville et le jansĂ©nisme: 1644 - 1669, Tome 1, 1865 - books.google.fr).

 

René Potier de Blancmesnil était fils de Nicolas IV Potier de Novion, Président de la Chambre des comptes du Parlement, neveu d'Augustin Potier de Blanc-Mesnil (évêque de Beauvais et Premier ministre en 1643) et cousin de Nicolas Potier de Novion. Il est conseiller au Parlement de Paris à partir de 1636, il devient premier président de la Chambre d'appel de ce Parlement le 16 février 1645. Opposé aux nouvelles taxes proposées par Mazarin, son arrestation, le 26 août 1648, ainsi que celle de Pierre Broussel provoque une émeute rue de l'Arbre-Sec et le soulèvement de la Journée des barricades qui marque le début de la Fronde. Il est rétabli en 1652. Il décède le 17 novembre 1680 (fr.wikipedia.org - René Potier de Blancmesnil, fr.wikipedia.org - Famille Potier).

 

Typologie

 

Le report de 1994 sur la date pivot 1651 donne 1308.

 

Gabriel Naudé écrit un Mémoire vers 1642 à destination de Mazarin où il fait un parallèle entre l'époque de Philippe le Bel et celle de Louis XIII au sujet de l'appel de conseillers étrangers auprès du prince.

 

Mais pour moy qui ay faict plus d'une fois réflection sur ceste difficulté je suis d'un advis tout contraire; non pour doubter que V. E. ne se puisse establir icy avec toute la facilité & tous les advantages qu'elle pourroit souhaiter, car pour ce qui est de sa qualité d'estranger qui semble la pouvoir avec le temps esloigner des affaires, je n'estime pas que ce soit une opposition bien pressante, puisque nos Roys ont souvent passé par dessus, & que Philippe le Bel a eu autresfois pour principal conseillier Estienne Colomne, & Charles VI Juvénal des Ursins, tous deux des premières famillies de Rome.

 

Le père de Mazarin était originaire de la Sicile. Mazarin naquit, soit à Rome, soit à Piscina, dans les Abruzzes. M. Cousin le fait naître dans la seconde de ces deux villes & baptiser dans la première. C'est de Sciarra Colonna que veut ici parler Naudé, mais l'expression qu'il emploie est très-exagérée; S. Colonna ne fut jamais le principal conseiller de Philippe le Bel, il le servit surtout dans sa lutte contre Boniface VIII, & prit part à la déplorable scène d'Anagni. Naudé aurait pu ajouter que Philippe le Bel avait eu pour précepteur un membre de la même famille, Egidio Colonna, dit Gilles de Rome (Egidius Romanus), le célèbre auteur du De regimine principum (Alfred Franklin, Memoire confidentiel adresse a Mazarin de Gabriel Naude, 1870 - books.google.fr).

 

Mitterrand

 

Cette typologie fait suite à celle du quatrain précédent VI, 92 qui évoque le traité de Maëstricht.

 

L'homme d'État le plus admiré par Mitterrand était Mazarin, le cardinal du XVIIe siècle, précepteur puis Premier ministre de Louis XIV. Il lui rendit d'ailleurs hommage dans le choix du prénom de sa fille Mazarine (Philip Short, François Mitterrand: Portrait d'un ambigu, 2015 - books.google.fr).

 

Ce qui est le plus «mazarinien» peut-ĂŞtre dans l'histoire de Mitterrand, c'est moins les procĂ©dures, ruses, cabrioles, recours et ripostes au fond de l'adversitĂ© que l'altĂ©ritĂ© originelle mise au service d'une cause ardemment servie. C'est l'art du «service» externe. Point n'est besoin d'ĂŞtre nĂ© français pour faire prĂ©valoir la France ; ni d'ĂŞtre nĂ© Ă  gauche, et moins encore socialiste, pour installer au pouvoir certaine forme de socialisme. Paix des PyrĂ©nĂ©es pour l'un; congrès d'Épinay pour l'autre. Et comme Jules, cardinal laĂŻc, Ă©pigone d'un plus altier prince de l'Église, invente les traitĂ©s de Westphalie qui dessinent pour près d'un siècle une Europe française, François, rĂ©publicain fĂ©ru de religion, hĂ©ritier revĂŞche d'un plus majestueux prince de l'État, modèle de touche en touche une France europĂ©enne. Destin second, pour le fils de Siciliens serviteur des Bourbons, comme pour le socialiste hĂ©ritier des Valois ? Après tout, disait le cardinal - Ă  moins que ce ne fĂ»t le prĂ©sident de Jarnac ? -, «le pouvoir n'use que celui qui ne l'a pas». [...]

 

Interrogés en 1994 par une chaîne de télévision qui nous demandait à quel personnage historique nous faisait penser Mitterrand, nous fûmes au moins trois à répondre «Mazarin» (Jean Lacouture, Mitterrand: une histoire de Français, 1998 - books.google.fr).

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