Cœur mangé

Cœur mangé

 

VIII, 25

 

2048-2049

 

Coeur de l'amour ouvert d'amour fertive

Dans le ruisseau fera ravir la Dame :

Le demy mal contrefera lassive,

Le pere à deux privera corps de l'ame.

 

Le mot ‘fertive’, ne serait pas ‘furtif (secret, clandestin)’, mais ‘sertive’, les lettres ‘f’ et ‘s’ dans les Prophéties de Nostradamus de temps à autre échangeables. ‘Sertif’ (‘sertive’ au féminin pour rimer avec ‘lassive (= lascive)’) est de ‘serte’: «s.f., service, service féodal» (Godefroy). Donc, «amour sertive» signifiant «l’amour servant» (donmichel.blog132.fc2.com).

 

"Coeur"

 

Le thème du «coeur arraché» nous amène nécessairement au corpus des textes du «coeur mangé», et par la logique des choses, et par le lien des motifs qui y apparaisssent. C'est la Vida de Guilhem de Cabestanh qui en donne la première version connue dans la littérature française du Moyen Âge (Bec, vol. I, p. 42-45). Un mari jaloux tue l'amant de sa femme. Il lui arrache le coeur, le fait manger à son épouse puis lui révèle ce qu'était en réalité ce mets qu'elle a trouvé délicieux. La femme horrifiée et désespérée refuse désormais de manger et comme son mari la menace de son épée, elle court au balcon de la salle, se jette dans le vide et meurt. En punition de ce crime, le roi d'Aragon, suzerain du mari, le jette en prison, lui enlève toutes ses possessions, y compris les châteaux qu'il fait détruire. Puis il fait mettre le corps des deux amants dans un même tombeau sur lequel il fait graver l'histoire de leur fin tragique. Enfin, il ordonne de célébrer chaque année l'anniversaire de leur mort dans le comté de Roussillon. [...]

 

La mémoire symbolique a fonctionné dans les structurations de l'imaginaire courtois en place, et les motifs de mépris, d'ingestion, de conservation (tombeau et inscription), de célébration, se sont répétés en s'y ajustant. Pourtant, en dernière analyse, ce sont toujours les valeurs fondamentales de fidélité et d'honneur que le texte nous engage à retenir. Et à travers elles, la fidélité à l'instance d'ordre - le roi - qui a déterminé l'objet de mémoire à l'attention de ses sujets, et maintient l'ordonnance de la justice par le châtiment du traître. La conservation ressort donc d'un choix qui n'est jamais complètement détaché de l'autorité qui la permet. Les autres versions du «coeur arraché et/ou mangé», à travers genres et siècles, fonctionnent suivant le même mécanisme et reprennent les mêmes motifs. Tous les traîtres jettent à la face de la femme le coeur de son amant dans un geste de pouvoir et de dérision, qui rappelle celui du héros épique affirmant sa force et son mépris devant l'adversaire : le mari de la dame de Fayel, celui de la duchesse de Roussillon dans le 7e conte de Jeanne Flore, celui de Crisèle chez J. P. Camus, les maris du lai d'Ignauré et le père de Sigismonde. […]

 

Nous rangeons dans le corpus de base les textes suivants : Jakemes, le Roman du castelain de Court et de la dame de Fayel (fin XIIIe siècle) ; le Compte septiesme dans les Contes amoureux de Jeanne Flore (1530-40) ; le Coeur mangé de J. P. Camus (1630) ; le Lai d'Ignauré (début XIIIe siècle). L'histoire de Sigismonde, fille du prince de Salerne, dans la Cité des dames (1405) de Christine de Pizan vient, à notre avis, graviter dans l'orbite de ces récits, justement par les motifs que nous soulignons. Le cas de Sigismonde présente des variantes puisque, d'une part, c'est son père qui tue l'amant, d'autre part le coeur n'est pas ingéré directement. Cependant, lorsque Sigismonde prend le poison qui va la tuer, elle le verse dans le hanap qui contient le coeur et le boit directement à partir de ce récipient. Christine reprend une histoire racontée dans le Décaméron de Boccace (4e jour, 1re histoire). Le septième conte de Jeanne Flore s'y retrouve aussi (4e jour, 9e histoire). […]

 

Tous les cœurs font l'objet d'une conservation, quasiment apparentée à un culte, et qui se reflète dans l'image du tombeau où les amants, et ce qu'ils représentent, sont glorifiés pour leur amour et leur fidélité (Françoise Denis, Cœur arraché / Cœur mangé : modulations, Études littéraires n° 31 (1), 1998  - www.erudit.org).

 

Un autre élément, que nous avons déjà relevé dans l'épopée à propos du «coeur tranché», se remarque aussi : la présence d'un réceptacle précieux, soit sous forme de coffret, soit sous forme de tombeau, ou bien les deux ensemble (Françoise Denis, Cœur arraché / Cœur mangé : modulations, Études littéraires n° 31 (1), 1998  - www.erudit.org).

 

Cf. les coffres du quatrain VIII, 23.

 

Les motifs du coeur et du père tuant les amants de ce quatrain correspondent à l'histoire Christine de Pisan et de Boccace.

 

Ainsi prend-elle la défense de Sigismonde, fille du prince de Salerne, jeune veuve à qui son père interdit de se remarier. Elle la justifie de prendre un amant en alléguant l'«aiguillon du désir» et le caractère impérieux de sa sensualité (Séverine Auffret, Une histoire du féminisme de l'Antiquité grecque à nos jours, 2018 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - La Cité des dames).

 

Dans l'Italie normande, Sigismonde est fille du Prince de Salerne Tancrède, près de Naples. Veuve elle tombe amoureuse du chevalier Guiscart.

 

En lien avec l'interprétation du quatrain suivant, situé sous le règne de Louis XI, l'amant de sa femme Charlotte de Savoie est, dans le roman de Mademoiselle de la Force, Jean d'Anjou, duc de Calabre (Charlotte-Rose de Caumont La Force, Histoire secrete de Bourgogne, Tome II, 1782 - books.google.fr).

 

On voit avec le quatrain suivant VIII, 24 que les Savoie, Lusignan et Anjou se disputaient le titre de roi de Jérusalem

 

La première nouvelle de la Quatrième Journée de ce même Décaméron (celle du prince de Saleme, si attaché à sa fille qu'il se refuse à la remarier après son veuvage prématuré) présente un autre exemple d'adaptation en même temps que d'abrègement. Christine de Pizan supprime des détails romanesques, ou trop osés à ses yeux, notamment lorsque le père est près du lit des amants pour insister au contraire sur le moment émouvant de l'innamoramento des deux jeunes gens. Et, quand le prince de Salerne aura fait tuer l'amant de Sigismonde, celle-ci se montrera moins bavarde que l'héroïne de Boccace : "fière et altière", elle repoussera avec hauteur les plaintes et le repentir de son père. La réalité sociale de la condition féminine est toujours présente à l'esprit de Christine, et c'est l'histoire tragique de cette jeune femme qui retient essentiellement son attention (K. Kupisz, "Par souci de briéveté", Résonances du Décaméron dans La Cité des Dames de Christine de Pizan, La forme brève: actes du colloque franco-polonais, Lyon, 19, 20, 21 septembre 1994, 1996 - books.google.fr).

 

Perpignan

 

Contrairement à la rédaction I, qui s'arrête à la mort de la dame, la rédaction II de la Vie de Guillaume de Cabestanh (Cabestany), qui se rattache au motif du "coeur mangé", continue ainsi :

 

«La nouvelle courut par le Roussillon et par toute la Catalogne que sire Guilhem de Cabestanh et la dame avaient péri ainsi malheureusement, et que sire Raimon de Château-Roussillon avait donné le cœur de sire Guilhem à manger à sa femme. Et le deuil en fut grand par toutes les contrées. Et la plainte en vint jusqu'au roi d'Aragon, qui était le seigneur de Raimon de Château-Roussillon et de Guilhem de Cabestanh. Et il vit venir Raimon de Château-Roussillon devant lui, le fit prendre et lui enleva tous ses châteaux et les fit détruire et lui prit tout ce qu'il possédait et l'emmena en prison. Puis il fit prendre les corps de Guilhem de Cabestanh et de la dame et les fit porter à Perpignan et les mettre dans un tombeau devant la porte de l'église. Et il fit inscrire sur le tombeau de quelle manière ils étaient morts. Et il ordonna que tous les chevaliers et les dames du comté de Roussillon allassent tous les ans célébrer l'anniversaire de leur mort. Et Raimon de Château-Roussillon est mort dans la prison du roi.» (Arthur Langfors, Le troubadour Guilhem de Cabestanh (Suite.). In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 26, N°102, 1914 - www.persee.fr).

 

Cf. les Perpignan des quatrains VIII, 22 et VIII, 24.

 

Voici comment Jehan de Nostredame procède, par exemple, pour Guilhem de Cabestanh (nous prenons un exemple que nos lecteurs puissent aisément contrôler). Dans le manuscrit de Carpentras (qui représente un état antérieur à l'édition imprimée), la «vie» de ce troubadour consiste en une traduction en prose de quelques vers de ses chansons (V, 96-8 ; III, 18-20 et 42-7). C'est dans la rédaction définitive seulement qu'apparaît l'histoire du cœur mangé, racontée du reste sans le moindre talent littéraire. De même que tous les autres poètes dont il raconte la vie, Nostredame rattache Cabestanh à la Provence en disant qu'il était de la famille de Servières (peut-être identique à la famille de Cerveris dont on a des actes de 1390 et de 1423). Des citations de chansons mentionnées dans la rédaction de Carpentras, il ne reste plus que V, 96-8, mais cette fois les vers sont cités en original, ce qui permet de voir que la source de Nostredame offrait une leçon à peu près identique à celle des manuscrits ABa. La biographie proprement dite (où l'histoire de la vengeance prise sur le mari meurtrier manque) doit avoir la même provenance. Ces éléments mis à part, reste dans la biographie une insipide histoire d'empoisonnement, dont nous ignorons le sens et la provenance. Nous pouvons en prendre assez facilement notre parti, car l'excellente publication de MM. Chabaneau et Anglade nous prouve d'une manière définitive que les Vies de Nostredame ne contiennent rien d'exact qui ne nous soit déjà connu par des sources moins sujettes à caution (Arthur Langfors, Jehan de Nostredame. Les Vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux. Nouvelle édition par Camille Chabaneau et Joseph Anglade, Honoré Champion, 1913. In: Annales du Midi, Tome 26, N°103, 1914 - www.persee.fr).

 

"ruisseau"

 

Si le ruisseau n'apparaît pas dans l'Histoire de Sigismonde, il est un élément du décor amoureux dans le corpus de la littérature courtoise.

 

Aux environs de 1400, à une époque où s'épanouit le style gothique international, les ouvrages poétiques ont donné aux enlumineurs maintes occasions d'évoquer amants et amis devisant sur leurs heurs et malheurs à l'abri d'un jardin clos où coule un ruisseau. Un recueil de poèmes de Christine de Pizan en fournit l'exemple typique. Dans Le Livre du Duc des vrais amants, une petite peinture montre les couples assis «en un pré verdoyant, sous l'ombre d'une saulaie où le ru d'une fontaine coule bel et clair» (Marie-Thérèse Gousset, Nicole Fleurier, Eden: le jardin médiéval à travers l'enluminure, XIIIe-XVIe siècle, 2001 - books.google.fr).

 

Le Livre du Duc des vrais amants est écrit en vers avec des insertions de lettres en prose et des pièces lyriques, a pour thème l'amour impossible entre un duc et une princesse. Cette description d'une campagne accueillante est propice au repos des coeurs en proie aux affres de l'amour (Elisabeth Antoine, Sur la terre comme au ciel: jardins d'occident à la fin du Moyen-âge : Paris, Musée national du Moyen-âge, Thermes de Cluny, 6 juin-16 septembre 2002, 2002 - books.google.fr).

 

Le Duc des vrais amans est un poème narratif à deux volets opposés : celui en prose, constitué par la lettre de Sebile de Mont Hault, Dame de la Tour, adressée à la princesse, le récit même de cet amour illicite, sert à illustrer ce qui arrivera lorsque la princesse refusera les sages conseils de la Dame, car, selon la conclusion du poème, la princesse finit par subir la perte irréparable de sa bonne réputation (Thelma Fenster, La fama, la femme, et la Dame de la Tour: Christine de Pizan et la médisance, Au champ des escriptures: IIIe. Colloque international sur Christine de Pizan, 2000 - books.google.fr).

 

Acrostiche : CDLL

 

CDLL = 100 + 500 + 50 + 50 = 700.

 

Typologie

 

Le report de 2049 sur la date pivot 1375 donne 700.

 

Tout le monde sait que le recueil des Contes intitulé Cent Nouvelles nouvelles, faits à l'imitation du Décaméron de Boccace dès le quinzième siècle, & tant de fois réimprimé, entre autres avec les figures de Romain de Hooge, est attribué au Roi Louis XI. Il a été composé dans le que ce Roi, encore Dauphin, étoit réfugié à la Cour de Bourgogne (Mélanges tirés d'une grande bibliothèque: De la lecture des livres françois, Tome 5, 1780 - books.google.fr).

 

Cf. quatrain VIII, 23 - Les Etats généraux de 1484 – 2046-2047 ; VIII, 24 - Siège de Perpignan - 2047-2048.

 

Boccace meurt à Certaldo près de Florence en 1375, un an après la disparition de Pétrarque.

 

La littérature poétique scandinave, dont la plus grande partie n'existe qu'en fragments, présente un vif contraste, rarement sauvé et adouci, entre la simplicité antique et la recherche postérieure de la poésie; la première, représentée par les poèmes de l'ancienne Edda, et la seconde, par les poèmes des scaldes. Ceux-là, qui à beaucoup d'égards sont pour nous les plus importants monuments de la poésie du Nord, et qui nous font si bien comprendre tout ce qu'il y avait de sévère inspiration , de puissante énergie et de grandeur hardie dans les anciens temps du paganisme, appartiennent à l'époque nationale. Ce sont les chants (Hljod, Quida) de la tradition des dieux et des héros, et ils peuvent en toute assurance être assignés au huitième siècle, dans la forme où ils ont été recueillis, à ce qu'on prétend, par Saemund dans l'ancienne Edda. A la tradition des dieux se rapportent les prophéties relatives au sort de l'univers et des dieux contenues dans la Vœluspa et dans l'Hyndluliod, les chants relatifs aux luttes de Thor avec les géants dans l'Hymsquida, la Thrymsquida et l'Harbardsliod, la Vegtamsquida (le chant du voyageur, Odin, sur la destinée de Balder) et la Hrafnagaldr Odin's (le cri du corbeau d'Odin sur la mort de Balder). A la tradition héroïque appartiennent le poème de Vœlund (Wieland le forgeron), et les poèmes provenant des traditions des Nibelungen, ceux de Sigurd, de Brynhild et de Gudrun, auxquels on en ajouta encore un autre au onzième siècle, la lamentation d'Oddrun, et les poèmes un peu postérieurs du frère d'Atli Brynhild (Atlamal et Atlaquada), dits grœnlandais, du lieu où ils furent composés, au sud de la Norvège (Dictionnaire de la conversation et de la lecture inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de M. W. Duckett, Tome 16, 1858 - books.google.fr).

 

Dans des poèmes scandinaves, Gudrun venge la mort de ses frères sur Atli en donnant à manger au roi des Huns ivre-mort le cœur de ses fils (Danielle Buschinger, Diz ist der Nibelunge not: La détresse des Nibelungen : recueil d'articles sur l'épopée allemande et la tradition des Nibelungen, 2000 - books.google.fr).

 

Les scaldes groënlandais, auteurs de l'Alla-Mâl et de l'Atla-Quida, traitent tous deux avec complaisance cette scène horrible (Amédée Thierry, Histoire d'Attila et de ses successeurs jusqu'à l'établissement des Hongrois en Europe, Tome 2, 1856 - books.google.fr).

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