Saint Jacques du Haut-Pas

Incunables espagnols et politique

 

VIII, 26

 

2049

 

De Caton es trouuez en Barselonne,

Mys descouuers lieu terrouers & ruyne,

Le grand qui tient netient vouldra Pamplone,

Par l'abbage de Montferrat bruyne.

 

Caton en Espagne

 

Les distiques catoniens en latin connurent une remarquable diffusion. Ils concernaient avant tout le premier niveau des classes de gramática. Il convient de distinguer, d'une part, les libri minores ou libri octo, ces collections de textes brefs constamment rééditées durant tout le XVIe siècle et au premier rang desquelles apparaissaient toujours les Disticha catonis, d'autre part les versions commentées, cum scholiis, et qui intéressèrent quelques grandes figures de l'humanisme, comme Érasme ou Antonio de Nebrija. [...]

 

On connaĂ®t trois traductions diffĂ©rentes : celle en vers de MartĂ­n GarcĂ­a (datĂ©e de 1467 et imprimĂ©e probablement Ă  Saragosse vers 1490 sous le titre de La traslaciĂłn del muy excellente Doctor Chaton) ; la version poĂ©tique de la fin du XVe siècle, en latin et castillan, due Ă  Gonzalo GarcĂ­a de Santa MarĂ­a (conservĂ©e en trois exemplaires ) ; enfin, la plus connue (probablement composĂ©e au XIVe siècle), diffusĂ©e en pliego durant tout le XVIe siècle et offrant une adaptation des distiques en cuaderna vĂ­a (Pierre Civil, A travers les Catones, La formation de l'enfant en Espagne aux XVIe et XVIIe siècles: colloque international, Sorbonne et Collège d'Espagne, 25-27 septembre 1995, 1996 - books.google.fr).

 

Le premier Ă©tat de diffusion de Caton et de ses distiques est entrelacĂ© avec la tradition culturelle hispanique. En plus d'ĂŞtre une lecture inĂ©vitable dans les classes de grammaire, il faut se rappeler l'existence d'une famille de manuscrits franco-hispanique de la version connue sous le nom de Vulgate, de laquelle se dĂ©gage le manuscrit 10029 (olim Toletanus, tiroir 14 N° 22 40) de la Bibliothèque Nationale de Madrid. Les poèmes 2, 6 et 7 d'Eugène de Tolède (mort en 657) contribuèrent Ă  asseoir ce qu'au Moyen Ă‚ge fut connu comme le Liber V Catonis  et le manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris lat. 8320 dĂ©bute une copie fragmentaire de ces distiques par l'Ă©pigraphe suivans: Incipie prologus librorum Catonis cordubensis. Toutes ces rĂ©fĂ©rences additionnĂ©es Ă  une longue liste de citations de l'oeuvre sont les tĂ©moins de la constante prĂ©sence des Distiques, en Castille. Dans la première moitiĂ© du XIVe siècle, Alphonse de Valladolid cite quelques vers d'une paraphrase castillane de Caton dans ses Ĺ“uvres Contra los que zen que hay fadas e ventura e oras menguadas et dans l'Exposicion del Credo o Libro declarante. Il ne nous reste plus de traits de cette traduction en langue romance de Caton, mais il s'agit de la mĂŞme version en quatrain d'alexandrins qui s'imprimera Ă  Lisbonne en 1521, bien qu'il y ait des diffĂ©rences notables qui indiquent que la dernière prĂ©sente un texte très rĂ©Ă©laborĂ©. Cependant, Ă  l'Ă©gal de la tradition Ă©sopique, ce sont les XVe et XVIe siècles qui symbolisent le mieux l'irruption de ces textes classiques. L'intĂ©rĂŞt pour les prĂ©ceptes de Caton ne se rĂ©duit pas Ă  insĂ©rer un ou plusieurs de ses distiques de forme isolĂ©e en tant que texte d'autoritĂ©, mais Ă  rĂ©aliser des paraphrases poĂ©tiques. L'imprimerie sera tout particulièrement sensible Ă  recevoir ces recrĂ©ations. La première de ces versions poĂ©tiques apparaĂ®t sans donnĂ©es d'impression. PĂ©rez y Gomez indiqua qu'elle eut dĂ» ĂŞtre imprimĂ©e Ă  Saragosse vers 1490 Ă  cause des types d'impression. Nous devons la recrĂ©ation Ă  Martin Garcia (ca. 1441 - 1521), Ă©vĂŞque de Barcelone en 1511, prĂ©dicateur des Rois Catholiques et inquisiteur. Selon les dits de ce dernier, nous savons qu'il acheva cette paraphrase en 1467 : El presente ya se quanto / del divin nacimientor : / mil et siete con sesenta / et mas quatre fazen ciento (C. 49). D'après Claveria, il a dĂ» Ă©crire cette Ĺ“uvre dans sa pĂ©riode d'Ă©tudiant comme un moyen de vĂ©rifier ses connaissances en latin. Nous ignorons comment cette Ĺ“uvre put arriver jusqu'Ă  l'atelier d'imprimerie: si elle fut parrainĂ©e par l'Ă©glise, si l'auteur lui-mĂŞme suivit de près son impression Ă  son retour en Espagne, après 1480, ou si ce fut grâce Ă  l'impulsion du maĂ®tre imprimeur. Si l'Ĺ“uvre fut imprimĂ©e Ă  Saragosse en 1490, cela fut très certainement dans l'atelier des frères Hurus. En effet, nous savons que Pablo Haros a su s'entourer d'intellectuels. Il a donc peut-ĂŞtre maintenu un contact avec Martin Garcia, lui demandant de reprendre une Ĺ“uvre Ă©crite dans sa jeunesse. La vĂ©ritĂ© est que le grand intĂ©rĂŞt que dĂ©montre l'auteur Ă  l'Ă©gard des distiques catoniens est dans son contenu d'origine morale. [...] L'humanisme prĂ©coce n'influença très certainement pas ce clerc qui ne recherchait que la christianisation des distiques, exercice commun Ă  l'Ă©cole. Du moins, l'auteur semble ĂŞtre Ă©loignĂ© des prĂ©occupations de ce nouveau groupe d'intellectuels davantage attentifs Ă  la rĂ©cupĂ©ration de l'hĂ©ritage de l'AntiquitĂ©. Ainsi, mĂŞme si son oeuvre contient quelques entrismes, aussi bien lexiques que syntactiques, ils ne sont jamais abondants et ils ne gĂŞnent pas la lecture de son poème, Ă  l'inverse d'autres compositions contemporaines de Santillana ou Juan de Mena. Mais, au moins, en recourant Ă  un topos littĂ©raire, l'auteur met en Ă©vidence une prĂ©occupation stylistique. [...]

 

Nous observons l'intrusion de l'imprimeur dans la présentation de son oeuvre, car les épigraphes semblent être issues de sa création. La plus grande partie d'entre elles possède un caractère technique: elles indiquent le début ou la fin d'une section. Dans ce sens, il est curieux de constater comment l'imprimeur est influencé par la tradition d'Eugène de Tolède, car il considère l'œuvre divisée en cinq livres, le premier étant celui des Brèves sentence, Le texte latin qu'utilisa Martin Garcia est celui de la Vulgata [...]. De son côté, l'imprimeur décida d'imprimer les vers latins dans un caractère plus grand que celui de la glose, en donnant une prééminence au texte latin. Ce jeu visuel s'instaurera comme norme dans les imprimés parémiologiques de la période en distinguant le texte glosé de la glose, ou les proverbes de leur commentaire. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une oeuvre de grande valeur littéraire, cette première édition imprimée des distiques de Caton signale déjà la nouvelle tendance sapientiale de cette période: une littérature qui n'est pas forcément liée à des cercles royaux; très au contraire, elle répond à des besoins pédagogiques ou encore hédonistes et elle est écrite pour une communauté bourgeoise qui nécessitera également ces préceptes pour diriger sa vie. Nous n'avons pas d'informations quant à la répercussion de cet imprimé, mais il est possible qu'il ait bénéficié d'une vente favorable, car quatre ans après, Pablo Hurus décide d'imprimer une nouvelle version des distiques catoniens, cette fois-ci moyennant la plume de Gonzalo Garcia de Santa Maria (ca. 1447 - ca. 1521). Ce personnage fut juriste et avocat de l'archevêché de Saragosse, lieutenant du magistrat suprême d'Aragon, écrivit une Vida del rey de Aragon (Juan II) et fut traducteur d'œuvres historiques et religieuses. Il semble avoir maintenu d'étroites relations avec Pablo Hurus jusqu'au point de confesser dans le prologue à sa version poétique qu'il s'anima à l'écrire grâce à l'insistance de l'imprimeur (Hugo O. Bizzarri, La. littérature parémiologique castillane durant l'imprimerie primitive (1471– 1520), Tradition der Sprichwörter und exempla im Mittelalter: Freiburger Colloquium 2007, 2009 - books.google.fr, es.wikipedia.org - Martin Garcia Puyazuelo).

 

Pour la ville de Barcelone, des inventaires de librairies mentionnent, par exemple, en 1506, 63 cathos au milieu de corvatxos, doctrinals y refrans en castellĂ  ; en 1538, on relève chez le libraire Miquel Cabrit 10 catĂłs ligats, 8 mans de catĂłs plegats, etc. [...] DatĂ©e de 1609 et imprimĂ©e Ă  Barcelone par Sebastián de Cormellas, il y a une Ă©dition intitulĂ©e Exemplos de CatĂłn, due Ă  un certain licenciado Miguel de Cervantes (sans lien aucun avec l'auteur du Quichotte). [...] 

 

L'AmĂ©rique constituait un marchĂ© prospère, comme il ressort de l'examen de certains registres d'exportation conservĂ©s Ă  l'Archivo de Indias : en 1600, par exemple, l'EspĂ­ritu Santo embarquait Ă  son bord 248 Catones et le San Francisco de Paula, 8 rames de "catones y otros libros pequeños" (Pierre Civil, A travers les Catones, La formation de l'enfant en Espagne aux XVIe et XVIIe siècles: colloque international, Sorbonne et Collège d'Espagne, 25-27 septembre 1995, 1996 - books.google.fr).

 

Le consul Caton

 

La pĂ©ninsule ibĂ©rique est convertie, en 197, en Hispania romaine, et divisĂ©e administrativement en une Province CitĂ©rieure - qui inclut notre pays - et une Province UltĂ©rieure au-delĂ  de l'Ebre. [...] L'influence grecque se limita cependant aux zones cĂ´tières, et l'intĂ©rieur fut bien plus impermĂ©able Ă  la domination romaine. Les Ilergètes furent l'opposant le plus farouche des Romains, et le groupe dirigeant de la rĂ©sistance ; leur chef Indibil reçut l'aide de son frère Mandonius, du groupe des Lacetans, que l'on peut identifier avec les Laietans mais que Tite Live situe Ă  Igualada, dans la Segarra et la vallĂ©e du Cardener. Rome fera porter son effort dans la zone de l'Ebre moyen et laissera Ă  l'arrière-garde les villes alliĂ©s d'EmpĂşries et de Roses, et les indigènes des environs, mieux disposĂ©s Ă  accepter la cohabitation avec les Romains (c'est le cas, en particulier, des Indigètes, des Ausetans et des Laietans). La prĂ©sence romaine dans la pĂ©ninsule ibĂ©rique connaĂ®t, Ă  l'Ă©poque rĂ©publicaine, deux phases bien distinctes. Une première Ă©poque de lutte contre les Carthaginois correspond Ă  la deuxième guerre punique ; elle s'Ă©tend du dĂ©barquement de Cneus Scipion Ă  EmpĂşries en 218 jusqu'en 206 oĂą un autre Scipion, le jeune Publius Cornelius, fils de Publius et neveu de Cneus, occupe Cadiz et fonde Italica dans la vallĂ©e du Guadalquivir. Au cours d'une seconde Ă©poque, l'IbĂ©rie est colonisĂ©e et soumise ; elle voit les Romains entrer en conflit avec les indigènes rĂ©voltĂ©s dans tout le pays, en raison (dit-on) de la lourdeur des impĂ´ts et des relations avec les Romains ; des peuples très proches de la cĂ´te comme les Indigètes, Ă©tablis près d'EmpĂşries, participeront Ă  cette rĂ©volte. [...] C'est Ă  Roses près d'EmpĂşries que dĂ©barqua le consul Caton en 195, alors que les Carthaginois avaient dĂ» renoncer Ă  toutes leurs ambitions, mais que le pays tout entier Ă©tait rĂ©voltĂ© (Joaquim Nadal i Farreras, Histoire de la Catalogne, 1982 - books.google.fr).

 

De 196 à 195, le consul Marcus Porcius Caton vient à bout de la révolte des Turdétans montagnards entre Guadiana (Anas) et Guadalquivir (Baetis) qui s’était ensuite étendue à la Citérieure où le préteur Caius Sempronius Tuditanus avait été battu et tué. Les révoltes se succèdent encore jusqu'à la victoire définitive de Rome avec Scipion le Jeune, vainqueur de Carthage et de Corinthe (www.arretetonchar.fr).

 

Cf. quatrain VIII, 28 - Habet Aurum Americanum - 2050-2051 avec le proconseul romain Quintus Servilius Caepio.

 

Cf. quatrain I, 85.

 

Les Distiques de Caton (Disticha catonis en latin) sont des distiques en langue latine que l'on attribuait à Caton l'Ancien, et qui étaient utilisés comme matériel didactique au Moyen Âge.

 

Joseph Scaliger les a attribué à un Dionysius Caton, en pensant qu'ils étaient contenu dans un manuscrit possédé par Siméon du Bois, lieutenant général de Limoges au XVIe siècle, intitulé Dionysius Cato ad filium, alors qu'il n'y avait que la prose introductive qu'on a mise dans les éditions de ces distiques (Adrien Baillet, Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs, 1722 - books.google.fr).

 

"Montferrat... bruyne" : Montserrat... brune (f pou s)

 

Aussi les Espagnols appellent-ils la Vierge de Montserrat la Morenita, ce qui veut dire «la petite brune» (brune de peau, et non noire de cheveux, comme le signifierait l'expression française). La statue de la Morenita est réputée avoir un parfum naturel (comme la peau arabe a le sien propre), ce qui ne saurait surprendre, beaucoup de bois ayant une odeur (Henry de Montherlant, Un voyageur solitaire est un diable, 1961 - books.google.fr).

 

En 1025, l'abbĂ© de Ripoli et l'Ă©vĂŞque de Vic, Oliba, ont officiellement fondĂ© le monastère de Montserrat. Au cours des XIIe et XIIIe siècles, une Ă©glise romane a Ă©tĂ© construite Ă  Montserrat contenant une sculpture de l'image de la Mère de Dieu. Au cours de cette pĂ©riode les pèlerins commencèrent Ă  venir Ă  Montserrat. Au cours des siècles suivants, l'importance de Montserrat augmente : en 1223, il y a le premier rĂ©cit d'un chĹ“ur de garçons Ă  Montserrat, en 1409, le monastère devient une abbaye indĂ©pendante. En 1493, la rĂ©putation du monastère se rĂ©pandit encore plus loin lorsque l'un des ermites de Montserrat - Bernal Boil - partit en voyage en AmĂ©rique avec Christophe Colomb. Une des Ă®les des Antilles a Ă©tĂ© nommĂ©e d'après Montserrat et ceci a commencĂ© la propagation du culte de la Mère de Dieu de Montserrat dans les AmĂ©riques (www.montserrat-tourist-guide.com).

 

Les Bénédictins, qui possédaient en Espagne dix-neuf monastères, choisirent l'abbaye de Montserrat pour y établir l'imprimerie de l'Ordre. Un Allemand établi à Barcelone, Johann Luschner, fut chargé de cette imprimerie, d'où sortit en 1499 «Libre de las meditationes de N. H. J.-C» (www.bmlisieux.com).

 

Le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros avait un frère sensiblement plus jeune, García Jiménez de Cisneros, né lui aussi à Cisneros en 1455 ou 1456 et décédé à Monserrat en 1510. García entre chez les Bénédictins de Valladolid en 1475, mais l’essentiel de sa carrière se passera à Montserrat, où il est prieur en 1493, et qu’il gouvernera ensuite comme abbé jusqu’à sa mort. Il est l’organisateur et le réformateur de la maison, ce qui suppose de disposer de moyens financiers considérables: une source importante de revenus réside dans les Indulgences obtenues en faveur de Monserrat, pour l’impression et la diffusion desquelles l’abbé s’adresse d’abord à des ateliers de Barcelone, surtout celui de Johann Rosenbach, avant de faire venir un imprimeur au monastère (À Montserrat au XVe siècle  - histoire-du-livre.blogspot.com).

 

A Montserrat, Cisneros avait d'ailleurs fait établir une imprimerie sous la direction de Jean Luschner, maître allemand qui vint à l'abbaye le 28 décembre 1498 avec ses presses et ses compagnons L'imprimerie fonctionna a partir du 4 février 1499. A la fin de 1500, Luschner quittait Montserrat, son engagement avec l'abbaye prenant fin. Il avait imprimé vingt ouvrages de dévotion, atteignant le total remarquable de 7291 exemplaires (Bibliotheque d'humanisme et renaissance, Volume 19, 1957 - books.google.fr).

 

Nous conservons en effet alors un remarquable formulaire d’Indulgences en catalan. Suivront notamment des traités de saint Bonaventure ou du pseudo-Bonaventure (De triplici via et Opus contemplationis, 27 mai 1499), une Règle de saint Benoît, les traités rédigés par l’abbé lui-même pour la réforme du monastère (Directorium horarum canonicarum et Exercitatorium vitae spiritualis, ce dernier en latin et en espagnol), un Bréviaire bénédictin, etc., outre un certain nombre de lettres d’Indulgences en latin. Luschner rentrera plus tard à Barcelone, et il décède probablement au début de 1512 (À Montserrat au XVe siècle  - histoire-du-livre.blogspot.com).

 

Francisco Jiménez de Cisneros, né Gonzalo Jiménez de Cisneros en 1436 à Torrelaguna et mort en 1517 à Roa, est un cardinal, réformateur religieux et homme d'État espagnol. Proche conseiller d'Isabelle la Catholique, il fut à diverses reprises régent de Castille. Religieux franciscain avant d'être élevé à la pourpre cardinalice, il entreprit d'importantes réformes dans le fonctionnement du clergé espagnol, visant notamment à un meilleur respect des règles au sein des ordres religieux. Personnage clef de la Renaissance espagnole, il fonda la prestigieuse université d'Alcalá de Henares et dirigea la réalisation de la célèbre Bible polyglotte d'Alcalá (fr.wikipedia.org - Francisco Jimenez de Cisneros).

 

Très tĂ´t, ici comme dans la cĂ©lèbre abbaye de Ripoll, on lit, on traduit et on copie les grands auteurs classiques, on compose Ă©galement des livres. Il est probable que les premiers manuscrits arrivent Ă  Montserrat avec les moines de Ripoll ; un catalogue du XIe siècle, de 1031, de l'abbaye de Ripoll recense des livres qui se trouvaient In Monteserrato. Parmi ces livres, il faut mentionner des cuvres de Porphyre, de saint Augustin, de Boèce, d'Aristote, de Bède le VĂ©nĂ©rable, de Caton, le Forum judicum , etc . et il est Ă  peu près certain que le monastère possĂ©dait Ă©galement des Ĺ“uvres de saint GrĂ©goire le Grand, Cassien, la Règle de saint BenoĂ®t, le Commentaire de Smaragdus, la Vie des Pères du DĂ©sert, etc. (Dominique de Courcelles, Ascensions du corps et de l'esprit : Montserrat en Catalogne, Les montagnes de l'esprit: imaginaire et histoire de la montagne Ă  la Renaissance : actes du Colloquie international, Saint Vincent (VallĂ©e d'Aoste), les 22-23 novembre 2002, 2005 - books.google.fr).

 

"terrouers"

 

Passant rue Saint-HonorĂ©, j'ai vu l'Ă©glise Saint-HonorĂ©, qui est très vaste, et la maison des aveugles appelĂ©e les Quinze Vingt (c'est-Ă -dire ccc), fondĂ©e jadis par le roi de France saint Louis. C'est lĂ  aussi que se trouve la Croix du terrouer, oĂą ont ordinairement lieu les supplices ; c'est lĂ , dit-on, que jadis Brunehaut, femme d'une grande cruautĂ©, fut Ă©cartelĂ©e par quatre chevaux sur l'ordre de Clotaire II (cf., Ă  ce sujet, les Chroniques de Gaguin).

 

La Croix-du-Tiroir était au carrefour des rues de l'Arbre-Sec et Saint-Honoré. L'origine de son nom viendrait, selon Raoul de Presles, de ce qu'on y "trioyt les bestes" (Description de Paris par Arnold Van Buchel d'Utrecht (1585-1586), éd. L. A. Van Langeraad et A. Vidier, Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, 26, 1899  - books.google.fr).

 

André Favyn, dans son Histoire de Navarre, écrit que Brunehilde, appelée aussi Brunehaut supplicié à la Croix du Tiroir, ou du Traioir (à trahendo), était la fille d'Athanagilde, roi wisigoth, qui succéda à Agila, et Agila à Theudigisel qui s''était illustré sous le roi Theudis lors de l'invasion franque conduite par le roi Childebert et le siège de Saragosse en 542 (André Favyn, Histoire de Navarre contenant l'origine, les vies et conquestes de ses roys, 1612 - books.google.fr).

 

Afin de s'assurer l'alliance des Francs, le roi Athanagilde accepte de marier sa fille Brunehaut au roi mérovingien Sigebert, roi d'Austrasie, et peu après, donne une autre de ses filles, Galswinthe, à Chilpéric, roi mérovingien de Neustrie (fr.wikipedia.org - Brunehaut (reine)).

 

Sigebert (v. 535 - 575) est le fils de Clotaire Ier (v. 498-561), fils de Clovis Ier et frère de Childebert Ier (v. 497-558).

 

Après la campagne d'Espagne en 542, le roi Childebert fonde à son retour à Paris l'abbaye de Saint Germain des Prés, primitivement appelée Saint Vincent dont une relique, son étole, avait servie de paiement pour la levée du siège de Saragosse.

 

La casse est composĂ©e de deux casseaux, l'un supĂ©rieur et l'autre infĂ©rieur. Le casseau est une espèce de long tiroir de bois, d'environ 33 Ă  34 pouces de long sur 14 de large et 22 lignes de profondeur : il est divisĂ© en deux parties Ă©gales par une barre parallèle ĂĄ la largeur, aussi forte que celle de la bordure ; et chaque partie est sous-divisĂ©e, par des lates mises de champ en plusieurs compartiments nommĂ©s cassetins, Ă©gaux dans le casseau supĂ©rieur, et de grandeurs diffĂ©rentes dans le casseau infĂ©rieur. On pose les casses deux ou trois Ă  cĂ´tĂ© l'une de l'autre sur des trĂ©teaux en pente en forme de pupitre : le casseau infĂ©rieur, ou bas de casse, placĂ© au bas de la pente, retient le casseau supĂ©rieur, ou haut de casse. Les casses ainsi assemblĂ©es et montĂ©es sur des trĂ©teaux se nomment rang de deusc ou de trois casses. Chaque compositeur doit avoir son rang, et quelquefois plusieurs, si l'ouvrage qu'il fait est susceptible de trois ou de quatre sortes de caractères diffĂ©rents en grosseur, avec leur italique. Dans le casseau supĂ©rieur, dont les cassetins, Ă©gaux en grandeur, sont au nombre de quatre-vingt-dix-huit, savoir, sept de long sur, sept de large dans une moitiĂ© de casseau et autant dans l'autre, on met du cĂ´tĂ© gauche, selon l'ordre alphabĂ©tique, les majuscules ou grandes capitales ; du cĂ´tĂ© droit les petites capitales suivant le mĂŞme ordre ; et au-dessous des unes et des autres, les lettres accentuĂ©es, quelques lettres liĂ©es, plusieurs autres moins courantes, et quelques signes, comme crochets, parenthèses, paragraphes, etc. Dans le casseau infĂ©rieur, qui est composĂ© de cinquante-quatre cassetins de grandeurs diffĂ©rentes, on place les lettres minuscules pour le discours ordinaire; on les nomme de bas de casse, ou simplement lettres du bas, Ă  cause de leur local. Ces lettres ne sont point rangĂ©es par, ordre alphabĂ©tique comme les capitales, mais leurs cassetins sont disposĂ©s de manière que les plus grands, destinĂ©s pour les lettres qui sont le plus employĂ©es, telles que les voyelles, etc. se trouvent sous la main de l'ouvrier. On met aussi dans le bas de casse les chiffres, quelques-unes des lettres liĂ©es, les signes de ponctuation, les quadrats, quadratins, demi-quadratins, et les espaces (Philippe Macquer, Pierre Abbe Jaubert, Dictionnaire raisonne universel des arts et metiers, Tome 2, 1773 - books.google.fr).

 

Le Manuscrit trouvé à Saragosse

 

On peut penser aussi Ă  un tiroir oĂą se trouvait ranger un manuscrit des distiques de Caton en mauvais Ă©tat ("ruyne").

 

Manuscrit trouvĂ© Ă  Saragosse est un roman de l'Ă©crivain polonais francophone Jean Potocki (1761-1815), composĂ© initialement sur le modèle du DĂ©camĂ©ron. Potocki en a Ă©crit trois versions diffĂ©rentes : une de 1794, une autre en 1804, composĂ©e de quarante-cinq journĂ©es et abandonnĂ©e, puis une dernière en 1810, composĂ©e de soixante-et-une journĂ©es achevĂ©es se terminant par un Ă©pilogue.

 

Pendant les Guerres napoléoniennes, lors du siège de Saragosse (1809), un officier français prisonnier fait la lecture à son geôlier d'un étrange manuscrit découvert dans une maison abandonnée. Ce récit raconte l'arrivée du jeune Alphonse Van Worden en Espagne avec le grade de capitaine des Gardes wallonnes. Il se voit entraîné dans une étrange aventure, qui prendra l’allure d’une épreuve initiatique. Pendant les deux mois qu’il va passer dans la chaîne des Alpujarras de la Sierra Morena, plusieurs personnes vont ainsi lui raconter l’histoire de leur vie. À l'intérieur de ces récits, d'autres narrations faites par d’autres personnes qui relatent à leur tour des histoires qu’elles ont entendues, survenues des années auparavant, viendront s'intercaler, jusqu'à créer une quintuple mise en abîme.

 

Le texte comprend soixante-six «journées», à la manière de L'Heptaméron de Marguerite de Navarre ou du Décaméron de Boccace, chacune d'entre elles renfermant plusieurs nouvelles qui s'emboîtent les unes dans les autres (fr.wikipedia.org - Manuscrit trouvé à Saragosse).

 

Dans l'histoire de la princesse de Monte Salerno, du roman de Jean Potocki, on apprend que :

 

Le Prince de Mont-Salerno, qui descendoit des anciens Ducs de Salerne, étoit grand d’Espagne, Connétable, Grand-Amiral, grand-Ecuyer, grand-maître de la maison, grand-Veneur, enfin il réunissoit en sa personne toutes les grandes charges du Royaume de Nâples. Mais bien qu’il fut au service de son Roi, il avoit lui-même une maison composée de Gentilshommes, parmis lesquels il y en avoit plusieurs de titrés. Au nombre de ceux-ci se trouvoit le Marquis de Spinaverde, premier Gentilhomme du Prince, et possedant toute sa confiance, qu’il partageoit cependant avec sa femme la Marquise de Spinaverde, première dame d’atour de la Princesse (Jean Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse, 1804, Édition par François Rosset et Dominique Triaire - halshs.archives-ouvertes.fr).

 

Dans l'interprétation du quatrain précédent VIII, 25 - Cœur mangé - 2048-2049, on a rapproché le texte de l'histoire de Sigismonde, fille du prince de Salerne qui provoque sa mort en tuant son amant. Ce conte de Christine de Pizan est inspiré de celui de Boccace, inséré dans le Décameron, Guiscardo e Ghismunda.

 

L’histoire de Thibaud de la Jacquière figure quant à elle dans «un gros volume écrit en caractères gothiques dont le titre était Relations curieuses de Hapelius» (200). L’auteur de cet ouvrage est effectivement connu sous le nom d’Eberhard Werner Happel; cependant, l’histoire revisitée par Potocki s’apparente davantage à la version figurant dans Les Histoires tragiques de François de Rosset, laquelle est intitulée: Histoire X, D’un démon qui apparaissait en forme de damoiselle au lieutenant du chevalier du guet de la ville de Lyon. De leur accointance charnelle, et de la fin malheureuse qui en succéda. Potocki pourtant ne la mentionne pourtant pas; il semble vouloir en dérober la source à la connaissance du lecteur, ou alors à l’inviter à remonter lui-même, à l’aide d’indices, jusqu’à l’origine véritable du récit. Il est en effet intéressant de noter, à la suite de Nicole Hafid-Martin, «la présence du chiffre 10» dans les deux versions de l’histoire de Thibaud de la Ja(c)quière: elle constitue l’«histoire X» du recueil chez Rosset, et apparaît dans le Manuscrit durant la dixième journée.

 

Les Histoires tragiques de François de Rosset constituent un recueil publié en 1614, qui se caractérise par la description de «passions violentes et d’instincts sexuels non  refoulés (...) dans un cadre  religieux et moralisant». François de Rosset peint les situations les plus abominables qui, à la manière de la catharsis, ont pour but de provoquer terreur et pitié chez les lecteurs; il s’agit de les dissuader de pactiser avec Satan, tout en les divertissant. La plupart de ces histoires tragiques traitent donc du diable et des diverses manières de lui succomber (Eva Baehler, Analyse du récit fantastique dans le Manuscrit trouvé à Saragosse : Une initiation au jeu de la lecture, 2009 - unine.ch).

 

L'instinct sexuel est en jeu dans le quatrain suivant VIII, 27.

 

Comme l’ont fait remarquer Jan Herman et Luc Fraisse, non seulement le Manuscrit est Ă©crit principalement au passĂ© simple, ce qui implique une certaine distance temporelle entre les faits et leur narration, mais en outre, Alphonse ne peut vraisemblablement avoir Ă©crit les dernières lignes du roman. La mention : «J’en ai fait une copie de ma main et l’ai dĂ©posĂ© dans une cassette (...)», elle aussi rĂ©digĂ©e au passĂ©, constitue en effet un paradoxe, ou une «situation aporĂ©tique», comme le souligne Herman, puisque «le dĂ©pĂ´t de l’écrit dans la cassette est antĂ©rieur Ă  l’écriture de cette dernière phrase». De mĂŞme, dans certains passages, Alphonse anticipe les Ă©vĂ©nements des jours suivants (Eva Baehler, Analyse du rĂ©cit fantastique dans le Manuscrit trouvĂ© Ă  Saragosse : Une initiation au jeu de la lecture, 2009 - unine.ch).

 

Ce jeu temporel se retrouve dans les interprétations des Centuries.

 

Manuscrits trouvés

 

Dans notre culture, les plus anciens vestiges de manuscrits trouvés sont inséparables du texte religieux. Dans le Livre des Morts égyptien, nous lisons: «ces paroles furent trouvées sous les pieds majestueux de ce grand Dieu, sur un bloc de granit provenant de la Haute Egypte, dans l'écriture du Dieu même. dans le temps de sa Majesté le Roi de la Haute et de la Moyenne Egypte, Mykerinos, par le prince Har-Deder. A l'époque d'Auguste, un autre papyrus funéraire (le Livre des Respirations) fut (réellement) découvert sur une momie, copié par un prêtre et reconnu par le Pharaon comme texte divin. Ailleurs, dans un papyrus conservé à Londres, contenant les rites du culte d'Isis: «Cet écrit fut trouvé pendant la nuit, tombé du ciel dans rentrée du temple à Koptos, comme le secret de la Déesses. Et Diodore de Sicile raconte comment un faucon aurait apporté du ciel un Livre contenant des commandements divins.

 

Mais il faut d'abord faire un détour par Tolède et par la littérature allemande. Jean-Marc Pastré souligne ci-après l'importance du livre IX du Parzifal, composé vers 1200-1210 par Wolfram von Eschenbach, qui donne une clef de lecture au récit: la trouvaille du manuscrit fondateur, la première version de l'histoire du Graal. Le Graal, qui chez Wolfram est une pierre précieuse tombée du ciel, est d'abord évoqué dans un manuscrit arabe, abandonné à Tolède, carrefour s'il en est de la translatio studii. Le manuscrit arabe sera découvert par le provençal Kyot qui en assurera la traduction. La tâche de l'écrivain est de diffuser la vérité du Graal, de la transmettre au monde septentrional. Le manuscrit trouvé, que ceux-la seuls qui auront reçu le baptême pourront déchiffrer, est au service de la transmission du savoir. Dans la tradition française dont nous parle Emmanuèle Baumgartner, le livre-source du Graal est écrit par Merlin, qui dicte à Blaise l'histoire du passé du Graal, au fur et à mesure que se déploie l'histoire parallèle du Graal. L'écriture du livre-source est devenue une action intradiégétique: le récit s'écrit dans l'histoire qu'il raconte, il met en scène l'acte même de sa composition. Il n'y a plus de texte-source hors-texte. Dans un de ses plus beaux articles, Emmanuèle Baumgartner en vient à l'hypothèse que le Graal que Joseph d'Arimathie reçoit dans le tom-beau du Christ institue la valeur symbolique du langage: «le terme clé de Graal ne tire plus désormais son droit nom (ou son nom propre) de Dieu ou d'un quelconque rapport référentiel mais d'un pur jeu de mots, de l'exploitation des sons qui le composent: le Graal, c'est ce qui agrée :

 

Qui a droit le soutra nommer

Par droit Graal Papelera:

Car nus le Graal ne venu,

Ce croi je, qu'il ne li agree (Robert de Boron, Le roman du SDaint-Graal).

 

Et pour en revenir Ă  mon hypothèse, qui doit justifier ce long dĂ©veloppement sur les textes mĂ©diĂ©vaux, c'est par la transgression du fonctionnement ordinaire du manuscrit trouvĂ© - transmission du savoir, mĂ©moire des sources - que se fonde, au moins je le crois, ce que j'appellerais volontiers « l'idĂ©e de la littĂ©rature Â», en ce dĂ©but du XIIIe siècle, quatre siècles avant Cervantès qui ira Ă  son tour chercher un manuscrit arabe Ă  Tolède, pour porter un coup mortel Ă  la tradition des textes-source. ["Don Quichotte achève son pĂ©riple Ă  Barcelone oĂą il est reçu par Antonio Moreno, porteur du mĂŞme nom que le libraire madrilène du Manuscrit trouvĂ© Ă  Saragosse de Potocki" : FrĂ©dĂ©ric Rosset, Saragosse ou le siège du lecteur]. Le manuscrit trouvĂ© est devenu topos: structure argumentative exogène que le texte adopte pour la transgresser; dans cette transgression se fonde l'idĂ©e mĂŞme de la littĂ©rature.

 

Rosario Santana Paixào nous apprend de quelle ténacité est pourtant la tradition de la mémoire des sources dans le roman de chevalerie, ibérique en particulier, jusqu'au début du XVIe siècle. La mémoire des origines continue à charrier une idée du Temps comme source de sagesse, de savoir, de vérité. Or, la chasse aux manuscrits réels déclenchée par l'humanisme montre bien que l'humaniste a un compte à régler avec le Temps, qui fut pour Yves Delègue la grande découverte de la Renaissance. Mais la chasse aboutit à un échec: le "Ur-text" est un fantasme. A la chasse intentionnée de manuscrits réels s'oppose le hasard de la découverte de manuscrits fictionnels. Et c'est au niveau de la production de textes, narratifs en particulier, que le grand rouleau, ce qui est écrit Là-haut, va recevoir le coup mortel. Dans les occurrences qu'analyse Yves Delègue, le manuscrit trouvé fait éclater l'un des plus solides tope de la pensée occidentale: la triade platonicienne Vrai-Beau-Bien. Le Beau est le produit de l'artifice rhétorique, le Vrai a le visage de la laideur et de la ruse, le Bien s'effectue dans la violence. Le manuscrit généalogique trouvé dans le tombeau au début de Gargantua, n'était-il pas rongé par les rats et la vermine ? Ce que le manuscrit trouvé fait découvrir est «la mal-plaisante vérité», mais vérité encore. Leurre, et leurre encore, car la littérature est là pour cacher la seule vérité que la chasse aux manuscrits avait révélée: le texte premier n'existe pas (J. Herman, Introcuction : manuscrits trouvés à saragosse, Le topos du manuscrit trouvé: actes du colloque international, Louvain-Gand, 22-23-24 mai 1997, 1999 - books.google.fr).

 

Dans l'aire géographique de la péninsule ibérique, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, a commencé à se développer un nouveau mode de discours chevaleresque. Ce nouveau type de discours s'inscrit, d'une façon singulière, dans la tradition du roman de chevalerie initié en France au XIIe siècle par Chrétien de Troyes, dont l'imaginaire a été diffusé en Europe, pendant tout le Moyen Age, notamment par différentes formes de réécriture en prose et de traduction. Les thèmes et motifs littéraires de la quête et de l'héroïsme chevaleresques, hérités du passé, se mêlent aux nouveaux problèmes, interrogations et perplexités de la pensée et de l'histoire ibériques, en pleine aventure des Découvertes, à la recherche d'un nouvel ordre pour le Monde. [...]

 

Amadis de Gaula, une œuvre inaugurale de cette mode littéraire, écrite à la fin du XVe siècle par Garci Rodriguez de Montalvo, a été élaborée, suivant l'explication de l'auteur, à partir d'un texte antérieur. Pour les trois premiers livres il a remanié, sur base de sa propre culture chevaleresque, le style d'une version primitive; le quatrième et le cinquième livre, au titre de Las Sergas de Esplandian, qui raconte les aventures du fils d'Amadis, sont traduits, selon les propres mots de l'auteur, a partir d'autres livres, trouvés dans un tombeau, à l'intérieur d'un ermitage, aux environs de Constantinople. Ces quatrième et cinquième livres ont été apportés en Espagne par un marchand hongrois (Rosario Santana Paixão, Mémoire et idéal historique : l'imaginaire des sources dans les livres de chevaleries ibériques au début du XVIe siècle, Le topos du manuscrit trouvé: actes du colloque international, Louvain-Gand, 22-23-24 mai 1997, 1999 - books.google.fr).

 

Lutte contre l'Islam d'Espagne

 

Le mariage d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon, qui seront appelés les Rois Catholiques d’Espagne, en 1469, lie les destinées de ces deux royaumes. Puis, finalement, le dernier ensemble politique musulman de la péninsule, le royaume de Grenade, tombe aux mains des chrétiens en 1492. La conquête des territoires espagnols auparavant occupés par les musulmans laisse toutefois de fortes concentrations de populations musulmanes sur les territoires contrôlés par les Rois Catholiques à la fin du XVe siècle. Ainsi, près de la moitié de la population dans la région de Grenade, du tiers dans la région de Valence et du cinquième dans la région d’Aragon sont de confession musulmane.

 

En 1499, à Grenade, l’archevêque de Tolède, Francisco Ximénez de Cisneros, prend l’initiative d’une campagne où se mêlent prédications, intimidations et baptêmes de masse. Ses méthodes agressives provoquent un soulèvement des musulmans, obligeant le roi Ferdinand d’Aragon à mater l’insurrection. Au terme de la révolte, ce dernier accorde le pardon à ceux qui se soumettent en demandant le baptême. Ces événements suscitent des milliers de conversions dans la région. L’année suivante, les Rois Catholiques prennent la décision de forcer la conversion générale des musulmans de Castille

 

Les mesures, très strictes, prises contre eux provoquent le soulèvement des morisques de Grenade en 1568. La rébellion grenadine n’est vaincue que trois années plus tard, grâce à une mesure extrême : la dispersion des morisques grenadins à travers la péninsule. À la suite de la révolte grenadine, le sentiment d’insécurité lié à la présence morisque s’élève à un degré encore jamais atteint, et la crainte d’un nouveau soulèvement est constante. Dans ce climat, des signes de lassitude se font voir chez certains des religieux responsables de l’évangélisation des morisques. Plusieurs commencent à écrire qu’une conversion véritable des morisques leur semble impossible à achever. La décision de l’expulsion définitive, prise par le roi Philippe III et son favori le duc de Lerme en 1609, aurait pourtant été motivée principalement par l’opportunisme politique. En effet, le duc de Lerme venait de conclure la paix avec les protestants des Pays-Bas. Pour redorer son blason auprès de ceux qui lui reprochaient sa faiblesse face à l’hérésie, il expulse les morisques pour se donner cette image de défenseur du christianisme. La déportation touche 320 000 individus, expulsés des territoires espagnols entre 1609 et 1614 (Bernard Ducharme, Quand la monarchie espagnole expulsait les musulmans - www.ficsum.com).

 

Cf. quatrain I, 77 - StoĂŻcisme et Morisques - 1614.

 

C'est à l'instigation de Cisneros que les Rois Catholiques écrivent le 4 avril 1500 la lettre suivante au Maestro García, chanoine de La Seo de Saragosse : Maestre Martin Garcia, ya sabeys como todos los moros de la ciudad de Granada se convirtieron a nuestra santa fe catholica ; porque muy pocos dellos saben entender, hablar, sino arabigo y por no haver personas de iglesia, que sepan el arabigo, no pueden los dichos convertidos ser bien instruidos en las cosas de nuestra fe y ay mucha necesidad , especialmente agora en los comienzos que no hay en aquella ciudad personas de Iglesia que sepan arabigo para instruir a los dichos nuevamente convertidos y porque sabemos que vas sabeys arabigo y que con vuestras letras y predicacion y buen ejemplo podreys mucho Aprovecharles poronde nos vos rogamos y encargamos que pues vedes quanto en ello ser servido nuestro Señor querays disponer os a venir a estar algun tiempo a la dicha ciudad para aprochevar en lo susodicho, que de mas de lo que con ello mereciereys de nuestro Señor a nos fareys muy agradable servey. Un ancien alfaquí, Juan Andrés, converti au catholicisme en 1487, puis ordonné prêtre, participe également à l'évangélisation en langue arabe auprès de ses anciens coreligionnaires. Mettant à profit sa connaissance du Coran, il écrit même un ouvrage intitulé Libro que se llama confusion de la secta mahomatana y del Alcoran. [...] Nous savons que Martin Garcia avait appris l'arabe, en même temps, que l'hébreu, au collège espagnol Saint Clément à Bologne. Il ne pouvait s'agir que de la langue littéraire qui lui permit de communiquer avec les élites, dont les alfaquis, à Grenade, mais non de prêcher au peuple. Cela allait d'ailleurs dans la ligne que se fixait alors l'Eglise dans son apostolat : convertir d'abord les élites qui, à leur tour, convertiraient le peuple (Louis Cardaillac, Les morisques et leur langue, Cahiers d'études romanes, Numéro 16, 1990 - books.google.fr).

 

Pampelune : politique et imprimerie

 

Le fait historique principal de 1512 pour les affaires qui nous occupent ici est la conquête de la Navarre, entre juillet et septembre, succès militaire bien préparé par le cardinal Cisneros mais qui ne deviendra une victoire totale qu'en 1524 (Enrique Garcia Hernan, Ignace de Loyola. Biographie, 2016 - books.google.fr).

 

Pendant la période coloniale, le livre de lecture scolaire est, comme en Europe, le support de l'apprentissage de la lecture et de l'éducation morale. Au Río de la Plata, l'enfant découvre les premiers rudiments dans des abécédaires et des syllabaires, plus tard il s'engage dans la lecture de livrets, des catones, dans lesquels de courtes sentences évoquent la religion ou la morale. Le Catón de San Casiano est l'un des plus régulièrement utilisés. L'enseignement est essentiellement oral et l'apprentissage se fonde sur la répétition et la mémorisation. Pour faire face au prix élevé des livres, il n'est pas rare que ceux qui souhaitent en faire usage en effectuent ou en fassent effectuer une copie manuscrite. Ce système et l'habitude de transmettre les livres de père en fils n'encouragent pas le développement de l'imprimerie dans la vice-royauté. Pourtant, en 1779, le vice-roi Vértiz fait déplacer à Buenos Aires la presse qui fonctionnait depuis 1630 dans la mission jésuite de Loreto (au nord du Río de la Plata) et qui avait été abandonnée en 1767, au moment de l'expulsion de la Société de Jésus. Elle est installée à la Casa de los niños expósitos. L'imprimerie - qui prend le même nom - devient rapidement un centre important d'édition et obtient le monopole de l'impression et de la vente des textes scolaires à Buenos Aires.

 

L'origine de ce texte (Disticha Catonis) – la référence à Dionysius Caton est une simple tradition promue par Scaliger - se perd dans  l'Antiquité tardive . Des exemplaires manuscrits circulent dans les écoles monacales ou épiscopales pendant tout le Moyen Âge. Le Catón espagnol fait partie des premiers livres imprimés en langue vulgaire dans la péninsule ibérique (d'après Antonio Palau y Dulcet : Manual del librero hispanoamericano, Barcelona, Palau, 1951 et Manuel Morales Muñoz : Los catecismos en la España del siglo XIX, Malaga, Universidad de Malaga, 1990). C'est le cas, par exemple, de l'exemplaire imprimé à Pampelune en 1499 (El Caton, El Libro contento, cuya obra esde Sant'Bernardo, El Floreto, Las quinque claves de la sabiduria, Los fablas del Esopo, Pampilonae... On continue de l'imprimer en Espagne et dans les pays hispano-américains jusqu'à la mi-XIXe siècle. San Casiano est l'une des attributions courantes des catones en Espagne. On trouve une première impression argentine d'un catón dès 1826 : Catón cristiano, Buenos Aires, Imp. argentina, 1826 (Histoire de l'éducation, Numéros 69 à 72, 1996 - books.google.fr).

 

L'année de la mort de Ferdinand Ier le Catholique, Diez de Solis, cherchant le "passage du Sud-Ouest", découvre le Rio de la Plata. Le cardinal Cisneros meurt l'année suivant en 1517 (Jacques Lafaye, Les Conquistadores, 1964 - books.google.fr).

 

Le vice-roi Bartolomé Hidalgo de Cisneros (1756 - 1829) fut le dernier gouverneur espagnol du Rio de la Plata en 1810 (fr.wikipedia.org- Baltasar Hidalgo de Cisneros).

 

Cisneros organisa le recrutement et la formation sérieuse des futurs missionnaires de l’Ordre franciscain et d’autres ordres religieux, Dominicains et Carmes. Il rédigea des instructions très précises sur la façon de les catéchiser les Indiens des Amériques (fr.wikipedia.org - Francisco Jimenez de Cisneros).

 

La plus ancienne impression, avec date certaine, faite dans la ville de Pampelune, capitale de la Navarre, est l'Epiloga en medicina, in-fol., dant la souscription porte ; Fue acabada, la presente obra por maestro arnaud guille de brocar en pamplona x. d’octubre. ano. M. cccc lxxxxv.

 

ARNALDUS GUILLERMUS BROCAR, OU DE BROCARIO, est le seul imprimeur de la ville de Pampelune dans le XVe siècle; il y imprimait en 1495 - 1499. Cet artiste se rendit célèbre, dans le XVIe siècle, par l'impression de la fameuse Polyglotte du cardinal Ximenez, faite à Alcalà en 1514-1517 (M. de la Serna Santander, Dictionnaire bibliographique choisi du quinzième siècle, ou description par ordre alphabétique des éditions les plus rares et les plus recherchées du quinzième siècle, Tome 3, 1807 - books.google.fr).

 

"qui tient ne tient" : hypocrite

 

Qui tient des propos et ne tient pas sa parole ou ses promesses (Claude Duneton, Sylvie Claval, Le bouquet des expressions imagées: encyclopédie thématique des locutions figurées de la langue française, 1990 - books.google.fr).

 

Le fourbe hypocrite [...] : 

 

Mais le moment vient-il de tenir sa parole,

Ce coeur faux de masqué qui vous a tout promis

De ses fermens trompeurs rompt le lien frivole,

Et vous livre Ă  vos ennemis,

Ami de bouche

N'est pas toujours ami de coeur (Les oeuvres de M. Le Noble, tome XII : contenant epicaris, ou l'histoire secrete de la conjuration de Pison contre Neron, 1718 - books.google.fr).

 

Aucune argenterie ne brillait sur la table de l'archevêque de Tolède Cisneros, aucune parure n'ornait les murs de ses appartements; nulle part on n'eût aperçu la moindre trace de luxe ou de richesse. Sa robe était toujours le froc du Franciscain, sa nourriture, les pauvres aliments du couvent le plus rigide. Ses voyages indispensables, il les faisait à pied, ou bien il se servait d'une mule, monture ordinaire des pauvres prêtres espagnols. Son palais était transformé en un véritable monastère, et dix Religieux de Saint-François composaient tout l'entourage du primat et grand-chancelier. [...] Les uns l'accusaient de ne pas avoir le véritable sentiment de la grandeur ; les autres ne voyaient dans sa conduite qu'hypocrisie ou orgueil ; tous pensaient qu'il avilissait sa dignité et diminuait la considération due au rang qu'il occupait dans l'Eglise et dans l'Etat. Ces plaintes, sincères ou non, furent portées jusqu'à la Chaire pontificale, et dans un Bref adressé à Ximénès, le seul peut-être de ce genre, Alexandre VI ordonna à un successeur des Apôtres de renoncer à la pauvreté et à la simplicité apostoliques (Karl Joseph von Hefele, Le Cardinal Ximénès et l'Eglise d'Espagne a la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle, traduit par A. Champon, A. Sisson, 1860 - books.google.fr).

 

C'Ă©tait au nom d'une religion toute d'amour et de charitĂ© qu'on organisait la persĂ©cution ; c'Ă©tait au nom d'un Dieu clĂ©ment qu'on instituait les plus Ă©pouvantables supplices. Il fallait donc, pour les inquisiteurs, changer le sens des mots. On a vu que vous rĂ©concilier voulait dire vous voler vos biens, vous rendre infâme vous et votre postĂ©ritĂ© ; vous relaxer, dans le langage, du saint-office, cela signifiait vous envoyer Ă  la mort. [...]  Tout Ă©tait hypocrisie dans cet affreux tribunal (Joseph LavallĂ©e, Espagne, L'Univers: histoire et description de tous les peuples, 1844 - books.google.fr).

 

Pendant les onze années que dura le ministère de Cisneros, le Saint-Office fit brûler trois mille cinq cent soixante-quatre individus des deux sexes, et mille deux cent trente-deux en effigie. La prison et les galères, toujours suivies de la confiscation, furent le lot de quarante-huit mille cinquante-neuf malheureux. Cisneros, qui avait fait célébrer beaucoup plus d'autoda-fé que son prédécesseur Deza, mourut, le 8 novembre 1517. Charles-Quint régnait (Arthur Arnould, Histoire de l'Inquisition, 1869 - books.google.fr).

 

Pour un Grec, ne pas tenir sa promesse, être hypocrite est, en fait, se nier soi-même, c'est manquer de fidélité non seulement à la personne que l'on trahit, mais aussi et surtout à soi-même. Et Achille peut s'écrier (II. IX, 312-313) :

 

Celui-là m'est en horreur à l'égal des portes d'Hadès, qui dans son coeur cache une chose et sur les lèvres en a une autre (Monique Bile, Le massacre des prétendants, L'écriture du massacre en littérature entre histoire et mythe: des mondes antiques à l'aube du XXIe siècle, 2004 - books.google.fr).

 

Il est narré d'après Abou Horayra (qu'Allah soit satisfait de lui) que le Prophète a dit: "Trois traits caractérisent l'hypocrite: tenir des propos mensongers, le manquement à la promesse et la non-restitution des dépôts" (Mohammad Amin Sheikho, Éducation islamique de la jeunesse - books.google.fr).

 

Typologie

 

Le report de 2049 sur la date pivot 1490 donne 931, de 1512, 975.

 

Il est bien certain qu'il y a une maniere d'Impression que l'on pratique à la Chine depuis longtems. Ange Roccha dans son Livre de la Bibliotheque Vaticane, page 419. écrit que plusieurs de ceux qui ont demeuré dans ce Royaume-là, lui ont affûré qu'elle y étoit en usage plus de trois cens ans avant la venuë de Nôtre Seigneur Jesus-Christ. Le Pere Philippe Couplet Procureur de RR. PP. Jesuites Missionnaires à la Chine, où il a fort étudié les Livres de cette Nation, a dit quelque chose de plus vrai dans sa Table Chronologique de la Monarchie Chinose, qu'il a donnée à la fin du Confucius imprimé à Paris 1687. il rapporte page 65, que l'Impression est en usage dans la Chine depuis le Règne de l'Empereur Mimcum, c'est-à-dire, environ depuis nôtre année Chrétienne 930. On apprend de cet Auteur, que les premiers Missionnaires qui entrèrent dans ce vaste Empire pour y prêcher la Foi, se servirent de l’Impression pour répandre parmi le Peuple, des Catéchismes & des Livres sur la Religion Chrétienne (André Chevillier, L’origine de l'imprimerie de Paris, 1694 - books.google.fr).

 

Il faudra attendre 1727 pour que soit créée la première imprimerie du monde musulman, à l’initiative du fils de Mehmed Efendi - envoyé à Paris du grand vizir Dâmâd Ibrahim Pacha (1718-1730), sous le sultanat d’Ahmed III - impressionné par les imprimeries françaises. Le maître d’œuvre fut Ibrahim Müteferrika, qui était d’origine hongroise et qui avait pendant 8 ans tenté d’en obtenir l’autorisation (Daniel Boorstin, « Les découvreurs », Laffont, 1986, p. 538) : cf. quatrain III, 27 - Essor des lettres dans l’empire ottoman - 1724-1725.

 

Comme on l'a vu dans l'interprétation du quatrain VIII, 21 - Saint Jacques du Haut-Pas - 2045-2046, en 960, les Sarrasins furent chassés du Mont-Saint-Bernard.

 

Cinq ans plus tard ils furent expulsés de Grenoble; mais la prise du château de Fraxinet n'eut lieu qu'en 975, par le comte de Provence Guillaume Ier, après avoir été pendant 80 ans au pouvoir des Sarrasins (F. Soret, Lettre à Henri Meyer, Memoires et documents, publies par la Societe d'Histoire et d'Archeologie de Geneve, Tome 9, 1855 - books.google.fr).

 

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