Les Va-nus-pieds

Les Va-nus-pieds

 

VIII, 87

 

2094

 

Mort conspiree viendra en plain effect,

Charge donnee & voyage de mort,

Esleu, cree receu par siens deffait.

Sang d'innocent deuant soy par remort.

 

"esleu, cree, receu" : élection, création et réception

 

A Coutances, vers les premiers troubles d'Avranches, tous les magistrats du présidial, furieux de la création de nouveaux offices, avaient signé une résolution unanime de ne recevoir aucun des nouveaux titulaires (preuve de plus, s'il en était besoin, que Poupinel, l'un des anciens d'entre eux, n'était point un séide du pouvoir). Plus tard, à ces graves protestations succéda la révolte de la rue. Le 6 septembre, sur l'annonce de la venue des Avranchinais, et une fausse alarme, les gens de Nicolle, receveur des tailles et beau-frère de Poupinel, se ruèrent en armes et tirèrent sur les assistants d'un baptême, tuèrent deux bourgeois inoffensifs et en blessèrent plusieurs. Mais, aussitôt après cette agression sans excuse, le tocsin sonna toute la nuit, et le 7 la maison de Nicolle fut pillée et ruinée. Puis, au même temps, sans doute, Goaslin, beau-frère de Nicolle, fut traîné, deux ou trois jours, à la queue d'un cheval, pour voir brûler ses maisons, et enfin tué de deux coups de pistolet. Nous retrouvons, le 18 octobre, les habitants de Coutances à la foire de Gavray, avec ceux de Cérences et d'Avranches; mais on n'en cite pas d'autres faits spéciaux (André Marie Laisné, Les agitations de la Fronde en Normandie et spécialement violences qu'elles occaisonnèrent en 1649 aux environs d'Avranches, 1863 - www.google.fr/books/edition, Pierre-Jacques Brillon, Dictionnaire des arrêts, ou jurisprudence universelle des parlemens de France, et autres tribunaux, Tome 3, 1727 - www.google.fr/books/edition).

 

Les NICOLLE (de Coutances) De la recette des tailles au marquisat de Livarot (début XVI le s. - 1808)

 

L'histoire de la famille Nicolle est un bel exemple d'ascension sociale sous l'Ancien régime. Dès la seconde génération, Charles Nicolle, receveur des tailles, est bien implanté dans la société coutançaise des officiers de justice, grâce à un solide réseau d'alliances. Ses deux petits-fils, seigneurs de Livarot, appartiennent à la noblesse d'épée; le second aura une vie particulièrement aventureuse. Le nom s'éteint à la 5e génération. La rupture des Nicolle avec le Coutançais avait eu lieu en 1730.

 

Charles Ier Nicolle, premier conseiller en l'élection, puis receveur des tailles à Coutances, élu en l'élection; anobli en janvier 1629, en conséquence de l'Edit du Canada; mort à Coutances en mai 1640; marié avec Charlotte Le Poupinel, née en 1606, inhumée à Coutances en 1672, fille de Melchior Le Poupinel, sieur de la Besnardière, conseiller au présidial de Coutances, et probablement de Guillemette Belin (mariés par C.M. du 15 août 1601, déposé le 18 septembre 1602); remariée, le 23 mai 1641, à St-Pierre, avec Louis Michel, écuyer, sieur de Bellouze, seigneur de Cambernon, capitaine au Régiment de Canisy (1613-1657) (Yves Nédelec, Les Nicolle de Coutances, Société d'archéologie et histoire de la Manche, Numéro 73, 1986 - www.google.fr/books/edition).

 

La révolte des Va-nu-pieds

 

Le soulèvement des Nu-Pieds est l’aboutissement d’une succession de troubles ou «émotions» qui agitent la Normandie depuis plus d’une décennie. Depuis longtemps le budget royal est en déficit (de 58 millions de livres en 1639 pour un total de dépenses de 172 millions). La royauté a recours, pour se financer, à des expédients fiscaux. La Normandie, une des plus riches provinces du royaume, est mise à forte contribution. À chaque fois la pression fiscale provoque des troubles, comme à Rouen en 1623, pour protester contre l’obligation d’acheter au fisc les charges de brouettiers, de chiffonniers… ou en 1628 et 1634 pour protester contre une taxe sur le marquage du cuir.

 

À partir de 1635, l’intervention militaire française dans la guerre de Trente Ans accroit la pression fiscale, alors que les épidémies de peste ont limité les récoltes et les échanges commerciaux, et donc les rentrées d’argent nécessaires au paiement des impôts. En 1636, la création de la nouvelle généralité d'Alençon permet de vendre 57 offices, la création de la Cour des Aides de Caen 93 offices, la création de la nouvelle Élection de Saint-Lô 41 offices. Les caisses royales se renflouent mais les officiers anciens et nouveaux enregistrent une baisse des revenus de leurs offices. En décembre 1636, les villes sont soumises à l’emprunt forcé : Rouen doit vendre une partie de son patrimoine immobilier. En janvier 1639, la création d’un emprunt forcé sur les habitants «aisés» les oblige à fournir la liste de leur patrimoine.

 

En janvier 1639, le gouvernement décide de supprimer le privilège de quart-bouillon dont bénéficiait le Cotentin. On faisait bouillir du sable salé : un quart de la production revenait au roi (qui le revendait avec taxe), les trois quarts restants étaient commercialisés par les producteurs (sans taxe). Désormais toute la production est soumise à la gabelle et vendue exclusivement dans les greniers à sel royaux pour en faciliter le contrôle, ce qui triple le prix du sel (fr.wikipedia.org - Révolte des Nu-pieds).

 

Charles Poupinel

 

Je rappellerai, d'abord, que ce fut certainement à Avranches que commença la révolte, le samedi 16 juillet 1639, par le meurtre de Poupinel, magistrat de Coutances, à cause des bruits d'établissement de la gabelle, qui menaçaient d'une ruine complète nos salines, et mécontentaient profondément toute la contrée dite de quart-bouillon, à laquelle elles avaient le privilège de fournir le sel blanc. Je dois répéter que Poupinel ne venait nullement, et ne pouvait pas venir, pour établir cette gabelle, mais pour une affaire particulière, dans l'intérêt d'un de ses parents; et je ne trouve pas la moindre trace de l'arrogance, des odieuses provocations, de l'impudence et encore moins de l'escorte que lui prête une plume distinguée. La juste confiance dont elle est investie de la part du public était un motif de plus pour m'imposer cette rectification en faveur de celui qui ne fut que l'infortunée victime d'une déplorable erreur populaire, comme il y en a presque toujours à toutes les époques d'agitation, de quelque nature que soit celle-ci (André Marie Laisné, Les agitations de la Fronde en Normandie et spécialement violences qu'elles occaisonnèrent en 1649 aux environs d'Avranches, 1863 - www.google.fr/books/edition).

 

Poupinel était lieutenant particulier du bailliage de Coutances (Madeleine Foisil, La révolte des nu-pieds et les révoltes normandes de 1639, 1970 - www.google.fr/books/edition).

 

Mais était-ce toujours ces motifs avoués qui portèrent les séditieux à agir. Nous avons posé le problème pour Besnardière-Poupinel. Nous verrons un élément d'explication des violences subies par Angot de La Bretesche. Toute la vie locale nous échappe, tout le réseau des haines et sympathies des «histoires» nous manque, qui permettrait de comprendre bien des attitudes que la politique et le social étaient loin de guider (Madeleine Foisil, La révolte des nu-pieds et les révoltes normandes de 1639, 1970 - www.google.fr/books/edition).

 

Tous ensemble, ils allèrent à Servon, au château de La Bretesche, propriété du sieur Angot. Ce dernier représentait par excellence ce que les rebelles détestaient. D'abord, il était receveur des tailles à Avranches. Un de ses proches parents était receveur des décimes du clergé dans la même ville. Il était aussi membre d'une famille d'origine bourgeoise qui s'était rapidement et excessivement enrichie à la sueur du peuple. Pour montrer sa réussite et sa fortune, il avait acheté dans des conditions pas très claires le château de La Bretesche, qui avait appartenu à la famille d'un des rares nobles qui avaient rejoint «l'armée des souffrants», le sieur de Transportière. Ce dernier fait a suffi pour qu'on parlât de vengeance personnelle. Ce n'était pas nécessaire. Il existait assez de griefs pour alimenter la colère des paysans des paroisses voisines contre le sieur Angot D'ailleurs, les chefs rebelles étaient soucieux d'éviter qu'on les accusât d'assouvir, en s'attaquant à une personnalité, une vengeance personnelle. Ce fut pour cette raison que le général Jean Nu-Pieds publia un ban interdisant à tout soldat de «l'armée de souffrance» d'exercer un acte de représailles sans en avoir reçu l'ordre du commandement (Jean-Louis Ménard, La révolte des nu-pieds en Normandie au XVIIème siècle, 2005 - www.google.fr/books/edition).

 

"remort"

 

Comme on parla d'inhumer le corps de Poupinel, le peuple voulut l'empescher, disant qu'il n'estoit pas juste que l'ennemy du pays y reçeust aucun honneur; de sorte que les juges, Ă  peine, purent obtenir qu'on l'enterreroit la nuict, sans cĂ©rĂ©monie et sans prières; et, en effect, il ne fut pas loisible de luy rendre le moindre debvoir funèbre; mais, lorsqu'on chercha dans ses papiers s'il y avoit pas des mĂ©moires pour la gabelle, ceulx qui faisoient cet office n'y en ayant point trouvĂ© du tout, et recognoissans l'erreur criminelle dont ilz avoient estĂ© surpris, affin de couvrir leur faulte, et prĂ©occuper les espritz d'un chacun de l'opinion qu'ilz avoient suggĂ©rĂ©e contre ce deffunct, ilz lui firent cet Ă©pitaphe :

 

Passant, puisque tu veux apprendre

Qui repose près cet autel,

On t'asseure que c'est la cendre

Du corps de Charles Poupinel.

N'appelle Lachésis cruelle

Pour avoir trempé dans sa mort.

Sa parque a esté la gabelle,

Soubz la destinée de Boidrot,

Si quelque partisan s'arreste

Pour s'en informer plus avant,

Di luy que Jean Nuds-piedz s'appreste

Pour luy en faire tout autant. (François de Verthamont, Diaire ou journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie après la sedition des Nu-pieds (1639-1640), 1842 - www.google.fr/books/edition).

 

Acrostiche : MCES, "myces"

 

"mykès" : champignon en grec qui donne le latin "micere", moisir (Charles Édouard Richon, Ernest Roze, Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins, Tomes 1 à 2, 1888 - www.google.fr/books/edition).

 

Il arrive que l'on attrape des champignons quand on marche nu-pied (William Cullen, Élémens de médecine-pratique, Tome 2, traduit par Edouard François-Marie Bosquillon, 1787 - www.google.fr/books/edition).

 

Au naturel, le sel peut servir Ă  soulager les mycoses des pieds (Annie Casamayou, Julien Kaibeck, Je soigne ma peau au naturel, 2018 - www.google.fr/books/edition).

 

Typologie

 

Le report de 2094 sur la date pivot 1639 donne 1184.

 

En France, la gabelle naît en 1324. Elle se présente comme un droit de douane à payer sur le sel quittant le royaume. En 1343, Philippe VI généralise cet impôt sur l'ensemble du commerce intérieur. Question impôt, les Italiens devancent les Français. Dès le XII e siècle, le sel est taxé par les doges vénitiens. En février 1184, il devient un produit administré. Sten Cortese, dirigeant des salines de Chioggia, s'engage à ne vendre le sel qu'aux hommes portant le sceau du doge (Ali Laïdi, Histoire mondiale du protectionnisme, 2022 - www.google.fr/books/edition).

 

L'instauration d'une taxe sur le commerce du sel était antérieure à novembre 1179, quand le doge Orio Mastropiero fit quittance à Enrico Gradenigo de sa gestion des affaires du sel (Jean-Claude Hocquet, Les monastères vénitiens et l’argent: Le temporel des monastères bénédictins, 2020 - www.google.fr/books/edition).

 

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