L'Ecluse et les Bouches de l'Escaut

L'Ecluse et les Bouches de l'Escaut

 

VIII, 59

 

2073-2074

 

Par deux fois hault, par deux fois mis Ă  bas

L'orient aussi l'occident foiblira

Son aduersaire apres plusieurs combats,

Par mer chassé au besoing faillira.

 

L'expression "au besoin faillir" se trouve chez Alain Chartier (vers 1385 - 1430) dans le Quadrilogue inventif, discours triparti (Peuple, Chevalier et ClergĂ© : les trois ordres) dans la dernière partie duquel, il se plaint du manque d'obĂ©issance et propose le retour Ă  la chevalerie d'antan et aux vertus antiques : "au besoin faillir et se rendre sans besoin" (R. de Viragh-Meyenberg, Le Quadrilogue inventif, Patrimoine littĂ©raire europĂ©en, Tome 6 : PrĂ©mices de l'humanisme (1400 - 1515), 1995 - www.google.fr/books/edition).

 

On situera le quatrain au temps de la guerre de Cent ans, Ă©poque de Chartier.

 

"deux fois hault... orient… occident…" : les marées et l’Escaut

 

Que l'on s'imagine quelle immense quantitĂ© d'eau la mer, Ă  cette Ă©poque, envoyait, deux fois par jour, sur les terres ; quels courants devaient se former, quand la marĂ©e baissant, en six heures, de plus de quatre mètres, toutes ces eaux devaient s'Ă©couler. On conçoit facilement que ces eaux devaient creuser des canaux larges et profonds. On s'explique ainsi la profondeur et la largeur du lit de l'Escaut. La consĂ©quence de l'immense effort des eaux, dans des terres qui n'offraient que peu de rĂ©sistance, devaient ĂŞtre les frĂ©quents dĂ©placements des canaux qui leur donnaient passage ; la partie de l'Escaut depuis Bath jusqu'Ă  la mer est un rĂ©sultat d'un de ces changements. L'existence de l'Escaut occidental comme eau navigable est constatĂ©e pour la première fois par une sentence de la Cour de Malines en 1504 ; il y est dit : Que feu dame Jacqueline, comtesse de Hollande et de ZĂ©lande, voyant que par les grandes inondations qui advinrent en son temps et aussi auparavant, ladite rivière de la Honte qui, auparavant, estait pelle et Ă©troite estart devenue si grande si large et profonde que tous les bateaux y pouvoient naviguer et passer, que les marchands estrangiers commençoient Ă  prendre leur chemin par icelle Honte en dĂ©laissant le chemin de l'Escaut de tout temps accoustumĂ© en fraudant par ce notre Tonlieu de Yersickervort.

 

On peut, par ce qui prĂ©cède, s'imaginer ce qu'Ă©tait l'Escaut Ă  des Ă©poques reculĂ©es, et se rendre compte de ses changements successifs. C'Ă©tait autrefois une crique profonde au milieu d'un vaste pays inondĂ©, deux fois par jour, par les eaux de la mer ; sa largeur et sa profondeur Ă©taient en raison de la quantitĂ© d'eau qui y passait. Successivement les terrains, inondĂ©s par la marĂ©e, furent endiguĂ©s ; et, comme chaque endiguement diminuait cette quantitĂ© d'eau, aujourd'hui sur tout le parcours de l'Escaut, de Gand jusqu'Ă  Bath, les terrains jadis inondĂ©s, sont transformĂ©s en terres arables: et le fleuve a entièrement changĂ© de nature. Toutefois, comme la marĂ©e monte jusqu'Ă  Gand, et que, d'autre part, elle remonte très-haut dans le Rupel et la Nèthe ; comme les eaux supĂ©rieures sont quelquefois fort abondantes, il y avait encore, il y a trente ans, dans l'Escaut un courant assez fort pour maintenir le lit, sinon Ă  la largeur d'autrefois, du moins Ă  une profondeur qui suffisait Ă  la navigation (DĂ©bordements et envasement de l'Escaut : extraits du Journal d'Anvers, 1872 - books.google.fr).

 

Les termes de "Escaut occidental" et "Escaut oriental" se trouvent en 1695 (Dictionnaire géographique des Pays-Bas, du Cambresis et de Liège, 1695 - www.google.fr/books/edition).

 

Et "côté occidental dudit Escaut" en 1590 (Lucas Jansz Waghenaer, Richardus Slotboom, Pars prima du miroir de la nauigation, de la Mer Occidentale, contenant toutes les costes de France, Espaigne, et la principale partie d'Angleterre, 1590 - www.google.fr/books/edition).

 

On dit le "bas de l'eau" pour la marée basse (Napoléon Landais, Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français, Tome 1, 1835 - www.google.fr/books/edition, George Guillet de Saint-George, Les Arts de l'Homme d'Epée ou le Dictionaire du Gentil homme, 1680 - www.google.fr/books/edition).

 

Les observations les plus précises dans l'Antiquité sont effectuées par Posidonios au Ier siècle av. J.-C. à Cadix. Il décrit trois phénomènes périodiques liées aux marées : les deux marées quotidiennes, correspondant aux deux culminations (inférieure et supérieure) de la Lune ; la période semi-mensuelle correspondant aux syzygies avec le Soleil ; la période semi-annuelle correspondant aux marées d'équinoxe. Il évalue correctement le décalage entre le passage de la Lune et le soulèvement des eaux (fr.wikipedia.org - Marée).

 

L'agent de "mis Ă  bas" serait la Lune (et le Soleil).

 

Bataille de l'Ecluse du 24 juin 1340

 

Puisqu'il est question d'"Angloys" au quatrain suivant VIII, 60 et de "Britannique" au quatrain précédent, on s'imagine une série en relation avec l'Angleterre.

 

Le Zwyn qui était un bras de mer reliant Bruges à l'Ecluse (Sluis), qui servait de port à cette dernière, s'est progressivement ensablé. Le Zwyn se trouve près de l'embouchure de l'Escaut occidental. Il y a donc aussi un Escaut oriental.

 

Le 24 au matin, le vent soufflait vers la terre, Edouard rangea sa flotte en bataille et attendit que la marĂ©e se mette Ă  monter pour la pousser vers la cĂ´te. Ainsi, il allait utiliser avec gĂ©nie le vent et le flux, la marĂ©e montante, pour se lancer Ă  l'assaut. Vers 11 h. lorsque les Français eurent le soleil eurent le soleil dans les yeux, Le THOMAS donna le signal de l'assaut. AccompagnĂ© de ses plus gros navires, Edouard III s'Ă©lança contre les gros navires français isolĂ©s devant les lignes : Le CRISTOPHE DE LA TOUR et Le SAINT GEORGES.

 

Ces deux navires étaient à l'origine des vaisseaux anglais pris à Arnemuiden, dans l’île de Walcheren, dans les embouchures de l’Escaut, en 1338.

 

Deux ans auparavant avait eu lieu la bataille navale d'Arnemuiden qui fut une défaite pour les Anglais dont les prisonniers furent massacrés impitoyablement. A l'Ecluse, les deux amiraux français Quiéret et Béhuchet furent exécutés en raison de leur cruauté passée (Jean-Claude Castex, Dictionnaire des Batailles navales franco-anglaises, 2012 - www.google.fr/books/edition).

 

Froissart dĂ©clare Ă  propos des marins morts Ă  L'Ecluse en 1340 : "Li rois de France a a lor mort gaegniet .cc. mille florins. On lor devoit lors gages de .IIII. mois, et si en est la mer delivree" (Philippe Contamine, Guerre, État et sociĂ©tĂ© Ă  la fin du Moyen Ă‚ge, Tome 1 : Études sur les armĂ©es des rois de France 1337-1494, 2004 - www.google.fr/books/edition).

 

Cf. quatrain IX, 79 - Bataille de l'Ecluse - 2161-2162.

 

Le quatrain suivant parlerait de François de Guise qui reprit, en 1558, Calais que les Anglais avaient annexé en 1348, ce qui termine d'une certaine façon la guerre de Cent ans.

 

"foiblira" : affaiblissement de la frontière de l'Escaut

 

En 1297, un mĂ©morandum dĂ©veloppe la thĂ©orie de la frontière entre Royaume et Empire le long des quatre fleuves : Escaut, Meuse, SaĂ´ne et RhĂ´ne (Marc Suttor, La frontière de la Meuse, Les espaces frontaliers de l’AntiquitĂ© au XVIe siècle, 2021 - www.google.fr/books/edition).

 

La Francia occidentalis, définie au traité de Verdun (843) était bordée à l'est par les quatre fleuves Escaut, Meuse, Saône, Rhône, à l'ouest, par la péninsule armorique extérieur au monde franc (Suzanne Citron, Le Mythe national, L'Histoire de France revisitée, 2019 - www.google.fr/books/edition).

 

La terrible défaite navale de l'Écluse (170 navires détruits, 20000 tués ou disparus) laissait sans défense notre frontière maritime et l'Anglais allait en profiter pour défaire Philippe VI et son armée à Crécy (Défense nationale, Numéros 5-9, 1994 - www.google.fr/books/edition).

 

Acrostiche : PL SP

 

Carausius (Marcus Aurelius Valerius) est un usurpateur romain qui accède à la pourpre impériale entre 286 et 293. Carausius est né chez les Ménapiens, dans la Gaule belgique. Leur territoire s'étendait autour de Gand. Cette zone de peuplement coïncide à peu près avec la province de la Flandre Orientale (Belgique), tout en s'étendant au nord jusqu'à l'embouchure de l'Escaut (la grande partie de Flandre zélandaise moderne) et probablement au-delà (rive droite de l'Escaut). Au sud, la frontière est marquée par le fleuve côtier Aa. Commandant romain de la Classis Britannica, il fut chargé par l'empereur Maximien d'aller défendre les côtes de l'Atlantique contre les Saxons et les Francs. Mais prévoyant une disgrâce, il débarqua en Bretagne et s'y fit proclamer empereur par les légions (286). Il sut se maintenir six ans dans cette province ; au bout de ce temps, il fut assassiné par Allectus, alors à la tête du fiscus impérial, vers 293 (fr.wikipedia.org - Carausius).

 

Sur les monnaies qu'il fit frapper, on retrouve les initiales "SP" (H.-G., Pflaum, Émission au nom des trois empereurs frappée par Carausius. In: Revue numismatique, 6e série - Tome 2, année 1959 - www.persee.fr).

 

"SP" signifierait "sacra pecunia", selon William Stukeley, ou "securitas perpetua" (Percy Webb, The Reign and Coinage of Carausius, 1908 - books.google.fr, Trésor de numismatique et de glyptique, Tome 4, 1843 - books.google.fr).

 

Dr Stukeley, in his history of Carausius (The Medallic History of Marcus Aurelius Valerius Carausius, Emperor in Britain, 1757), says that this usurper was a British prince and a native of Saint David's. But he has no authority for such a pedigree John Yonge Akerman, Coins of the Romans Relating to Britain, 1844 - books.google.fr).

 

PL : plomb (Abréviations tirées du «Dictionnaire des Abréviations latines et italiennes» de A.Capelli  - www.arretetonchar.fr).

 

En Bretagne l'argent se mĂŞle - comme c'est gĂ©nĂ©ralement le cas - Ă  la galène, le minerai (sulfure) normal du plomb ; mais la proportion y est faible (0,013 % en moyenne) en comparaison des des gisements renommĂ©s de l'antiquitĂ©, par exemple ceux du Laurion (jusqu'Ă  1,8 %). Ce fut peut-ĂŞtre cette faiblesse qui autorisa CicĂ©ron Ă  dĂ©clarer - d'après les nouvelles de son frère , qui se trouvait Ă  l'Ă©tat-major de Jules CĂ©sar en 54 : cognitum est, neque argenti scripulum esse ullum in illa insula, neque ullam spem praedae, nisi ex mancipiis. En Ă©change, toutes les informations relatives aux minerais obtenues par CĂ©sar furent fallacieuses. Il croyait, par exemple, que l'Ă©tain provient de l'intĂ©rieur – il ne fait pas mention de l'or et de l'argent -, que le fer de la rĂ©gion maritime (du sud) n'existe qu'en quantitĂ© rĂ©duite et que les habitants utilisent du cuivre importĂ©. Ce dernier mĂ©tal serait, de fait, le cuivre importĂ© du Pays de Galles. En rĂ©alitĂ©, bien que l'argent ne fĂ»t jamais abondant Ă  l'Ă©poque La Tène, les Durotriges (tribu du sud) frappaient de nombreuses monnaies d'argent, dont la source Ă©tait probablement soit le cuivre argentifère des confins du Devon et de Cornwall, soit le plomb argentifère des Mendip Hills du Somerset […]

 

En 1762, a été trouvé un trésor de 3000 pièces romaines (antoniniens) couvrant une période de Trajan à Allectus, près de Carmarthen à Cynwyl Gaio (ou Cynwyl Elfed) (George C. Boon, Aperçu sur la production des métaux non ferreux dans la Bretagne romaine, Apulum: Acta Musei Apulensis, Volume 9, 1971 - books.google.fr).

 

Typologie

 

Le report de 2074 sur la date pivot 1340 donne 606.

 

Jacques de Guyse parle de saint Amand qui fit construire un monastère pour sainte Aldegonde. Celle-ci et son père Bazin sont les patrons de l'abbaye de Tronchiennes que saint Amand aurait fondé en 606 (Antoine-Guillaume-Bernard Schayes, Essai sur l'architecture ogivale en Belgique, 1840 - www.google.fr/books/edition, Emile Varenbergh, La tour de Tronchiennes, Messager des sciences historiques, ou archives des arts et de la bibliographie de Belgique, 1871 - www.google.fr/books/edition, Histoire de Hainaut, traduite en Français avec le texte Latin en regard, Tome 20 : Table générale alphabétique et analytique, 1837  - www.google.fr/books/edition).

 

Baudemont, abbé de Saint Pierre et disciple d'Amand, raconte que ce dernier prêcha aux habitants d'une île près de l'Escaut. C'est peut-être à l'embouchure primitive de l'Escaut, vers la ville d'Anvers, dont elle ne reste pas très éloignée, que saint Amand a découvert l'insula parva, cui vocabulum Chavelaus, JUXTA Scaldum fluvium (M. David, Recherches sur le cours primitif de l'Escaut, Bulletins de l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1852 - books.google.fr).

 

L’abbaye de Saint Amand les Eaux se trouve sur la Scarpe affluent de l’Escaut. Elle fut fondée à Elnon par Saint Amand, territoire donné par le roi Dagobert (fr.wikipedia.org - Saint-Amand-les-Eaux).

 

Jacques de Guise que La Croix du Maine (1552 - 1592) a fait naître à Guise à cause de son nom, que d'autres ont donné à la ville de Valenciennes par suite du long séjour qu'il y fit, doit avoir vu le jour à Mons, au commencement du XIVe siècle dans le sein d'une honorable famille du Hainaut, dont on connait plusieurs membres estimables. C'est du moins ce qu'affirme Nicolas de Guise, un de ses arrière-neveux, auteur d'une description assez curieuse de la ville de Mons (Iconographie montoise, ou Galerie de portraits d'hommes remarquables, de la ville de Mons, 1860 - books.google.fr, fr.wikipedia.org - François Grudé).

 

Jacques de Guise est né vers 1340, date de la bataille de l'Ecluse (fr.wikipedia.org - Jacques de Guyse).

 

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