Séquences

Séquences

 

X, 19

 

2191

 

Jour que sera par Reine saluée,

Le jour après le salut, la prière:

Le compte fait raison et valbuée,

Par avant humble onc ne fut si fière.

 

Salve Regina

 

C'est au XIe siècle qu'Hermann Contract (1013-1054) écrivait d'après les principes de Notker ses proses remarquables et composait ses immortelles antiennes Salve Regina et Alma Redemptoris (Jules Combarieu, La Revue musicale, Tome 2, 1968 - books.google.fr).

 

L’abbé Trithemius, qui écrivait sa chronique à la fin du XVe siècle et qui puisa ses renseignements à des sources en partie perdues aujourd’hui, donné sans réserve Hermann comme l'auteur de ces chants. Ils lui sont également attribués d’une manière positive dans une vieille chronique du couvent de Reichenau, où sont consignés les différents travaux scientifiques de Hermann. La même opinion se retrouve dans un manuscrit de Saint-Gall du commencement du XVIe siècle, ainsi que chez Glarean, savant compositeur fribourgeois (Anselm Schubiger, Le Salve Regina d'Einsiedeln - Hermann Contract, traduit de l'allemand par Mlle H. de T., et M. P. G., Extrait du journal “La Maîtrise”, 1860 - books.google.fr).

 

Le Salve Regina est aussi attribué à Pierre de Compostelle ou Adhémar de Monteil, évêque du Puy.

 

Les quatre antiennes de la Bienheureuse Vierge Marie, Alma Redemptoris Mater (Mère nourricière du Rédempteur), Ave Regina caelorum (Salut, Reine des cieux), Regina caeli laetare (Réjouis-toi, Reine du ciel) et Salve, Regina (Salut, ô Reine). Elles datent du 11e siècle au plus tôt et appartiennent aux rares chants de cette période extraordinairement productive qui se soient maintenus dans la liturgie des offices. Ces chants avaient été utilisés à l'origine comme antiennes normales mais ils ont rapidement perdu leur lien avec la psalmodie. Dès le 13e siècle, ils ont été utilisés comme maintenant pour terminer les offices au moment de la dispersion du choeur. [...] Les compositeurs de la Renaissance ont apparemment préféré Ave Regina et Salve, Regina, bien qu'ils n'aient pas totalement ignoré les deux autres antiennes. A la fin du moyen âge, par contre, c'est Alma Redemptoris Mater qui semble avoir connu la plus grande popularité. Ecrite par Hermannus Contractus (1013-1054), c'est peut-être la plus ancienne des antiennes mariales et à ce titre la plus connue au moyen âge (Richard H. Hoppin, La musique au Moyen Âge, Tome 1, traduit par Nicolas Meeùs, 1991 - books.google.fr).

 

"valbuée"

 

balbus/valbus (J. Passeratii de Literarum inter se cognatione ac permutatione liber, 1606 - books.google.fr).

 

Jean Passerat, né à Troyes le 18 octobre 1534, mort à Paris le 14 septembre 1602, est un poète et humaniste français (fr.wikipedia.org - Jean Passerat).

 

Notker le Bègue (en latin Notker Balbulus), ou Notker de Saint-Gall, né vers 840, mort le 6 avril 912, est un moine de l'abbaye bénédictine de Saint-Gall, musicien, écrivain, poète, surtout connu pour ses travaux musicaux. Ekkehard IV, biographe des moines de Saint-Gall, fait son éloge et le dit «délicat de corps mais pas d'esprit, hésitant par la langue mais pas par l'esprit, avançant avec courage dans les domaines du divin, instrument du Saint Esprit sans égal en son temps». Il est béatifié en 1512 par le pape Jules II (fr.wikipedia.org - Notker le Bègue).

 

Il est fêté le 7 avril comme Hermann Joseph, prémontré mort en 1257, qui se surnommait le cifra algorithmi (zéro) par humilité (F. Petit, La Spiritualite De L'ordre Des Premontres Aux Xiieme Et Xiiieme Siecles, 1947 - books.google.fr).

 

Un autre Hermann, dominicain compagnon de saint Hyacinthe, mourut vers 1245 et la Vierge lui délia sa langue bègue, lui qui était peu éloquent et peu intelligent (Justinus Miechoviensis, Conférences sur les litanies de la Très-sainte Vierge, Tome 6, 1869 - books.google.fr).

 

"compte" et "raison"

 

C'est au IXe siècle, période décisive pour la connaissance et le devenir de la musique occidentale, dans le milieu religieux réalisant «l'union et de la culture», que se fit le passage du modèle grammatical préthéorique à la ratio mathématique qui fonde la théorie musicale : abandon du modèle grammatical, sémantique et psychologique, correspondant à l'image perceptive de la musique, appuyé sur le pouvoir du langage (le verbus latin), établissant entre les formules mélodiques un système de relations de type linguistique, qui aboutit à une description sommaire de production d'effets musicaux; élaboration de la «ratio» mathématique, quantitative et objective, correspondant à une image rationnelle et contemplative du monde physique, appuyée sur la puissance du nombre (l'arythmos grec), établissant entre les sons, grâce aux concepts d'intervalle et de rapport, des relations arithmétiques, qui aboutissent à une connaissance explicative des résultats musicaux à atteindre. La représentation numérique de la musique a été élaborée grâce à la mesure du caractère pertinent grave-aigu, rendu quantifiable par la spatialisation verticale, ébauchée, [...] dans la description grammaticale. La mesure moment crucial de la pensée, ouvrit à la connaissance une nouvelle voie pour appréhender la musique, et apporta, à la description des phénomènes musicaux, un nouveau langage. La hauteur de son est une notion musicale quantitative spécifiquement occidentale; sa mesure, qui est à la base de la rationalisation mathématique de la musique, ne fut introduite que par le recours aux structures et aux concepts quantitatifs de la théorie musicale grecque: notion quantitative d'Intervalle, notion d'Echelle, notion de Mode, mesures du Monocorde. Ces concepts et ces structures étaient transmis et valorisés par la conception mathématique de la musique, essentielle à la Cosmologie arithmo-musicale pythagoréo-platonicienne. Leur adaptation au discours musical liturgique, et à ses premières descriptions verbo-grammaticales, fut l'œuvre, difficile (car il s'agissait de deux univers musicaux différents), des clercs du IXe siècle, savants et chanteurs. Durant cette période de transition, les deux descriptions, grammaticale et arithmétique, s'enchevêtrent; et leurs notions coexistent dans les mêmes textes, où l'on rencontre: la comparaison du son à la lettre et à l'unité de l'arithmétique ; la notion vécue de tension de la voix et le concept abstrait de hauteur de son; l'intervalle qualitatif du motus vocum, et l'intervalle quantifié par les rapports pythagoriciens; la justification symbolique des sept notes de l'échelle par les sept voyelles virgiliennes (Enéide, VI, 646) et par planètes de l'harmonie des sphères; le parallèle des huit modes et des huit parties du discours, etc. Entre les traités de la première moitié du IXe siècle, dont la démarche est purement grammaticale (le De octo tonis faussement attribué à Alcuin, la Musica disciplina d'Aurélien de Réomé), et les traités mathématisants des premiers lecteurs du De institutione musica de Boèce, à la fin du siècle (Rémy d'Auxerre, Réginon de Priim, Hucbald, Alia Musica, Musica Enchiriadis et ses et ses Scholies), les commentateurs de Martianus Capella (Jean Scot Erigène, Martin de Laon, Rémy d'Auxerre), assurent l'articulation des deux formes de pensée. Car, à partir de ces Commentaires, l'étude de la pronuntiatio liturgique du discours sacré, et l'appréciation qualitative verbale du mouvement de la voix, furent peu à peu remplacées par l'évaluation quantitative des intervalles entre les sons, et par la mensuratio numérique introduite par la science païenne. Et cette nouvelle démarche, donnant une prise solide à la connaissance, décida de la théorie musicale et de sa notation pour les dix siècles à venir (Marie-Elisabeth Duchez, Description grammaticale et description mathématique des phénomènes musiquaux : le tournant du IXème siècle, Sprache und Erkenntnis im Mittelalter: Akten des VI. Internationalen Kongresses für Mittelalterliche Philosophie der Société internationale pour l'étude de la philosophie Médiévale, 1977 in Bonn, Partie 2, 1981 - books.google.fr).

 

Sous influence de la Renaissance carolingienne, grand mouvement culturel, le chant grégorien fut soigneusement composé, essentiellement aux IXe et Xe siècle. Très fidèle au texte sacré, la Bible, il respecte strictement le rite romain, plus précisément le sacramentaire. En conséquence, au regard des manuscrits les plus anciens, sa qualité demeure exceptionnelle, dans les domaines artistique et théologique, en tant que le premier sommet de la musique occidentale. De fait en Europe, tous les chants liturgiques furent remplacés, à l'exception du chant ambrosien mais affaibli. À partir du Xe siècle, de nouveaux chants furent ajoutés au répertoire du chant grégorien. D'une part, afin d'enrichir ce répertoire. D'autre part, pour répondre aux besoins de la liturgie locale. Donc, si ces chants étaient également notés en neumes anciens, il s'agissait d'un autre genre. Leurs mélodies étaient parfois issues d'anciennes pièces chantées et ne respectaient plus la grammaire musicale du chant grégorien. Surtout, les textes étaient normalement non bibliques.

 

Alors que les auteurs de la plupart des séquences demeurent inconnus, celui d'unes des plus anciennes fut paradoxalement identifié avec une excellente certitude. Il s'agit de Notker le Bègue (mort en 912), moine de l'abbaye de Saint-Gall, célèbre poète, écrivain et musicien. Notker dit qu'il ne s'agissait que d'une amélioration, et non invention, cette écriture et ses notations expliquent déjà les deux caractéristiques importantes de la séquence : chant syllabique, étroitement lié à l'alléluia. Il faut ajouter qu'au moins à Saint-Gall, les œuvres s'employaient dans l'optique pédagogique, notamment pour de jeunes choristes : mémoriser facilement la mélodie en bénéficiant du chant syllabique. Il s'agit des trope, séquence, prose ainsi que des pièces farcies de l'Ordinarium Missæ, tels les Kyrie. Quant à la séquence, celle-ci suivait, selon la première définition, le verset de l'alléluia pour renforcer ce dernier. Son origine demeure plus obscure que celle du trope9. Des prototypes, vraisemblablement, se trouvaient au milieu du IXe siècle dans un antiphonaire originaire de l'abbaye de Jumièges (voir le paragraphe suivant). Faute de ressources documentaires suffisantes, il est impossible d'affirmer qu'il s'agit d'une invention de ce monastère (fr.wikipedia.org - Séquence (liturgie)).

 

"fier" en Dieu

 

Il y aurait, ce me semble, un charmant tableau à faire de cette célèbre abbaye de Saint-Gall durant la seconde moitié du IXe siècle, où il faut peut-être placer l'apogée de sa gloire. Les documents ne nous font pas défaut, et il serait presque aisé de rendre la vie, pour quelques instants, à ce grand monastère d'où sont sortis nos Tropes. Ce IXe siècle, d'ailleurs, est une époque qui n'a pas encore trouvé son peintre, et l'on y sent partout je ne sais quel ressouvenir encore puissant du vieil empire romain. L'influence de Charlemagne, qui s'est éteinte si rapidement dans le monde politique, a persisté plus longtemps dans les cloîtres. Les abbés de Saint-Gall nous apparaissent comme de véritables souverains. Plusieurs d'entre eux ont plus vécu à la cour que dans le cloître ; d'autres ont été évêques en même temps qu'abbés. La plupart sont les amis des Césars, et nous constations tout à l'heure que Charles le Gros ne craignit pas de s'abaisser, en se faisant l'humble collaborateur non pas même des abbés, mais des moines de Saint-Gall. Une discipline rigoureuse donne à ce corps monastique une Vigueur qui ne durera point toujours ; mais c'est principalement comme école que Saint-Gall est célèbre dans tout le monde occidental. Qui dit alors «moine de Saint-Gall» dit «un savant, un poète, un artiste». On était fier d'appartenir à ce cloître, et l'on s'imaginait volontiers que de tels religieux étaient plus intelligents et plus actifs que tous les autres moines. À Saint-Gall, la musique régnait ; l'Antiphonaire de Romain y était conservé comme une relique et l'on n'y pouvait faire dix pas sans entendre des bruits de psaltérions et de lyres, ou sans voir des enfants armés de ces longs rouleaux qui étaient couverts de neumes. C'était, pour ainsi parler, un concert perpétuel; mais c'était surtout une fête sans fin. Tous les jours nouvelle solennité à la basilique, nouveaux chants, nouvelles proses, nouveaux tropes. On ne saurait lire ces Tropaires du Xe siècle sans envier les moines auxquels la liturgie donnait tant de joies sans cesse renouvelées. L'austérité n'en souffrait pas, ni la piété, ni la foi ; mais on aurait tort de s'imaginer qu'on s'y ennuyait. Sous ce cloître sacré, de charmantes amitiés se nouent, et qui sont durables autant que charmantes (Léon Gautier, Histoire de la poésie liturgique au moyen âge - les Tropes. I., 1886 - books.google.fr).

 

L'empereur Charles le Gros se rendit un jour au couvent de Saint-Gall en Suisse, pour consulter le savant moine Notker, en qui il avait grande confiance. Le chapelain de l'empereur était jaloux; et un jour que Notker lisait dans le chœur, il chercha à le confondre en lui posant, devant plusieurs personnages de la suite du monarque, cette question : Qu'est-ce que Dieu fait dans le ciel ? Notker répondit : Sûrement il humilie les orgueilleux et exalte les humbles (Jean Berthier, Paroles et traits historiques les plus remarquables, 1898 - books.google.fr).

 

Le féminin " fière  (cf. "sauvée") peut avec "humble" se rapporter aux âmes :

 

Les grands caractères, les cœurs vraiment indépendants, ne se trouvèrent nulle part plus nombreux que sous le froc. Il y avait là, et en foule, des âmes calmes et fières, droites et hautes, autant qu’humbles et ferventes, de ces âmes que Pascal appelle parfaitement héroïques. [...] «La liberté, dit un saint moine du VIIIe siècle, la liberté ne succombe point, parce que l’humilité s’incline librement» (Ambrosius Autpertus, abbé de Saint Vincent de Vulturne, 768) (Charles René Forbes de Montalembert, Les moines d'occident depuis Saint Benoit jusqu'à Saint Bernard, Tome 1, 1868 - books.google.fr).

 

Typologie

 

Notker le Bègue est béatifié en 1512 par Jules II. Date pivot depuis laquelle on reporte 2191, et on trouve par symétrie 833 : Notker est né vers 830/840.

 

Louons, dit l'Ecclésiastique (44, 5), ces hommes pleins de gloire qui sont nos pères et dont nous sommes la race, qui ont donné au peuple des paroles de sagesse et de sainteté, qui ont recherché par leur habileté l'art des accords de la musique et nous ont laissé les cantiques de l'Écriture à la louange de Dieu. Ces paroles s'appliquent parfaitement à S. Notker, poëte de Saint-Gall. A l'est du Hörnliberg, dans la charmante plaine de Kibourg, que terminent de nombreuses collines, semblables dans leurs mouvements aux flots pressés de la mer, dans le canton actuel de Zurich-Elg (autrefois Heiligau, d'où Helg-Elg, plus tard Elg), se trouve un village qui, il y a mille ans, était un château où naquit, vers 830, S. Notker. Notker descendait, en ligne masculine, de la race de Charlemagne ; en ligne féminine il était allié de la maison de Saxe, et de sa famille naquirent les puissants comtes de Toggenbourg, qui, jusqu'au milieu du quinzième siècle, jouèrent un rôle si important dans l'histoire de la Suisse occidentale. L'école du couvent de Saint-Gall avait, dès 800, une réputation qui y attira pendant quelque temps Carloman, et qui, plus tard, sous la direction de l'abbé Grimoald, devint telle que les enfants des familles les plus considérées, des princes et des grands de Franconie, de l'Alemanie et de Saxe, y étaient conduits pour y recevoir une éducation solide, chrétienne et lettrée. Notker fut confié à Grimoald vers 842. [...] Notker avait pour amis Rappert et Tutilo, qui ne faisaient avec lui qu'un cœur et une âme. Rappert devint un grand savant, un poëte inspiré, qui composa des cantiques et les litanies des Rogations. Celles-ci furent adoptées dans presque toutes les églises d'Occident. [...] Tutilo, l'autre ami de Notker, était fort habile en toutes choses ; il parlait bien, ciselait, peignait, dorait artistement; il était surtout bon musicien, et avait une voix claire, sonore , harmonieuse. Il composa des hymnes, des tropes, des séquences avec leurs mélodies, qu'il savait accompagner du psaltérion, de la flûte et de la rote, car il connaissait tous les instruments à vent et à cordes de son temps et en donnait des leçons à la jeune noblesse. Ses contemporains disaient que la mélodie de ses cantiques était particulièrement agréable et facile ; «car, ajoute Ekkehard IV, ces mélodies deviennent plus agréables par l'accompagnement du psalterion ou de la rote, comme le prouvent les tropes Hodie cantandus, etc., etc., que Charles le Gros a composés et que Tutilo a mis en musique pour l'Église.» (Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, Tome 16, Heinrich Joseph Wetzer 1870 - books.google.fr).

 

Tuotilon était, avec Notker, l'un des cinq magistri de l'abbaye. On lui doit de nombreux tropes dont l'un, Hodie, est considéré comme l'ancêtre des Ludi de la Nativité (Norbert Dufourcq, Marcelle Benoit, Bernard Gagnepain, Les Grandes dates de l'histoire de la musique, 1969 - books.google.fr).

 

"Hodie" : ce jour (Gaffiot).

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